Lettre au Président de la République française, François Hollande

par Jérôme Creel, Xavier Timbeau et Philippe Weil

Le 15 mai 2012, nous adressions une lettre au Président de la République française pour faire part de nos craintes sur la poursuite de politiques de restriction budgétaire entamant le potentiel de croissance de l’Union européenne. Nous proposions un Pacte budgétaire intelligent, un Smart Fiscal Compact. La lettre initiale a été préparée en anglais, car elle s’inscrit dans le cadre d’un débat résolument européen. En voici la traduction française.

Monsieur le Président,

La France et l’Union européenne sont à un tournant économique critique. Le chômage est élevé, la perte d’activité  induite par la crise financière depuis 2008 n’est pas résorbée et vous avez promis, dans ce contexte dégradé, d’éradiquer les déficits publics français d’ici 2017.

Votre prédécesseur s’était engagé à atteindre le même objectif, quoiqu’un peu plus tôt, en 2016 et votre campagne a été marquée par la priorité que vous avez donnée à faire participer les plus riches à l’effort fiscal. Cette différence est importante et elle a probablement pesé dans le résultat final mais, d’un point de vue macroéconomique, elle reste secondaire tant que le long terme de l’économie européenne et française ne dépend pas de son court terme.

Selon la macroéconomie standard qui a longtemps constitué le cadre de la politique économique, les multiplicateurs budgétaires sont positifs dans le court terme mais nuls dans le long terme, long terme déterminé par la productivité et l’innovation. Dans ce cadre, réduire les déficits à un rythme moins soutenu allège un peu le fardeau dans l’immédiat mais ne change rien à long terme. Au bout du compte, l’austérité est la seule solution pour réduire durablement le ratio dette sur PIB et elle est douloureuse – très douloureuse même. Notons en effet que :
•    La fable selon laquelle les multiplicateurs à court terme pourraient être négatifs a définitivement été éventée. Une restriction budgétaire a un impact négatif sur l’activité, sauf dans le cas très particulier d’une petite économie ouverte qui, en régime de changes flexibles mène une politique monétaire accommodante, ce qui est loin de pouvoir s’appliquer à la France d’aujourd’hui. Parce que la France de 2012 n’est pas la Suède de 1992, la perspective d’un meilleur état futur des finances publiques n’est pas à même de compenser les effets récessifs directs et immédiats d’une restriction fiscale.
•    Si, comme le dit le FMI, la crise financière a durablement réduit l’activité économique, alors le déficit public que connaît la France est structurel – pas conjoncturel. Dans ce cas de figure, la seule solution est une restriction budgétaire pour assurer la soutenabilité à long terme.
•    Par ailleurs, il existe désormais un consensus sur le fait que les multiplicateurs budgétaires de court terme sont élevés en bas de cycle et plus faible en haut de cycle. Ainsi, laisser croître la dette en période faste et chercher à réduire les déficits en période de ralentissement est très coûteux.

Cette analyse est cependant périmée car il semble de plus en plus évident que la crise financière a profondément changé le contexte macroéconomique. Les multiplicateurs budgétaires y sont toujours positifs à court terme mais ne sont pas nuls à long terme à cause de deux effets contradictoires :
•    Le premier est le cauchemar des dirigeants français et européens, alimenté par le travail historique de Carmen Reinhart et de Kenneth Rogoff et illustré par les difficultés que l’Italie, l’Espagne ou la Grèce ont rencontrées lorsqu’il a fallu refinancer leur dette publique. Dans ce cauchemar, le pire se produirait après que le rapport de la dette au PIB aurait franchi un seuil  se situant autour de 90%. Passé ce seuil, les investisseurs réaliseraient brutalement qu’il n’y a plus de moyen facile de ramener la dette à un niveau contrôlable sans inflation ou sans répudiation. Ils exigeraient alors des taux plus élevés pour couvrir ce risque, impliquant une dégradation des comptes publics et alimentant l’effet “boule de neige” sur la dette. La restriction budgétaire qui  serait alors imposée par la dégradation des conditions de financement achèverait de creuser la récession – validant ainsi les doutes des investisseurs sur la soutenabilité des finances publiques. Le franchissement du seuil déclencherait une spirale irréversible. Pour l’éviter, il faudrait s’infliger immédiatement une restriction budgétaire conséquente pour en éviter une future encore plus considérable. Dans ce schéma, notre salut (économique) passerait par un changement radical et immédiat de cap pour échapper à la tempête qui s’annonce.
•    Mais il existe un danger symétrique : dans un contexte de finances publiques dégradées non pas par le laxisme budgétaire (ce qui exclut la Grèce) mais par la crise financière de 2008, une restriction budgétaire maintenant peut provoquer un effondrement social, politique ou économique ou détruire durablement la capacité productive. La restriction budgétaire ne serait donc pas simplement récessive à court terme mais également à long terme. L’expansion budgétaire serait alors une condition nécessaire pour la prospérité à long terme et la soutenabilité des finances publiques. Dans ce schéma, notre salut exigerait que nous gardions le cap dans la tempête.

Monsieur le Président, la pertinence de votre stratégie visant à « équilibrer les comptes publics en 2017 » dépend celui de ces deux écueils que vous considérerez comme le plus menaçant ou inéluctable. Devez-vous craindre que la négligence budgétaire finisse toujours par se payer au prix fort ou devez-vous redouter par-dessus tout qu’une rigueur brutale compromette le futur de notre économie et n’alimente frustrations et désespoirs ?

Pour répondre à ces questions redoutables, les préjugés ou l’idéologie sont de mauvais conseils. Nous vous pressons au contraire de considérer les éléments les plus factuels :

•    Les notations des dettes souveraines de pays dont les déficits et les dettes publics sont considérables, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont été dégradées par les agences de notation sans conséquence particulière. Votre prise de fonctions ne s’est pas, elle non plus, traduite par une dégradation des conditions de financement de l’Etat.  Ceci laisse à penser que les marchés comprennent mieux, semble-t-il, que certains dirigeants, que le problème principal des finances publiques européennes n’est ni la dette ni les déficits mais bien la gouvernance de la zone euro et ses politiques monétaire et budgétaire. Un prêteur en dernier ressort — il n’y en a pas en zone euro —résoudrait facilement et directement les crises de dette souveraine. L’objection voulant que cela forcerait la Banque centrale européenne à monétiser les dettes publiques, en violation de ses statuts et de son objectif de stabilité des prix, ne tient pas. La simple possibilité d’une monétisation réduirait en effet la prime de risque et en éliminerait la nécessité, de sorte qu’il n’y aurait plus de panique autoréalisatrice sur le financement d’un Etat et de crise de dette souveraine italienne, espagnole, voire française.
•    En outre, Ugo Panizza et Andrea Presbitero ont montré qu’il n’existe pas de preuve historique convaincante que la réduction de la dette engendre une croissance plus forte. Dès lors, l’affirmation courante selon laquelle la réduction de la dette publique est un prérequis à la reprise de l’activité est au mieux une corrélation, au pire fallacieuse, mais en aucun cas une causalité impliquée par les données.
•    Vingt années de stagnation au Japon nous rappellent que la déflation est un piège durable et délétère. La sous-activité pousse les prix inexorablement à la baisse. Paul Krugman et Richard Koo ont montré comment les taux d’intérêt réels anticipés enclenchent une spirale de désendettement lorsque les anticipations de prix se verrouillent sur la déflation. Si de surcroît, la déflation des bilans touche le secteur bancaire, l’effondrement du crédit nourrit la contraction.
•    Un des effets pervers de l’austérité budgétaire découle de la destruction de capital humain par de longues périodes de chômage. Les cohortes de jeunes qui entrent sur un marché du travail dégradé prendront un mauvais départ qui les marquera durablement. Plus longtemps le taux de chômage persistera au-dessus de son niveau d’équilibre, plus profondes seront les frustrations issues d’un avenir bouché.
•    Au-delà du capital humain, les entreprises sont le lieu d’accumulation d’une grande variété  de capital, allant du capital social aux actifs immatériels produit par la R&D. Philippe Aghion et d’autres ont montré qu’à travers ce canal la volatilité de court terme de l’activité avait un impact (négatif) sur le potentiel de croissance. Dans un monde compétitif, le sous-investissement en R&D se traduit par des pertes de parts de marché. En rendant l’activité plus volatile, la restriction budgétaire pèse ainsi durablement sur le potentiel de croissance.
•    Ce qui est vrai pour l’investissement dans les actifs immatériels privés l’est encore plus en ce qui concerne les actifs immatériels publics, c’est-à-dire des actifs qui génèrent des flux de biens publics que les incitations individuelles peinent à produire. Les règles d’or habituellement évoquées négligent ce type d’actifs dont la comptabilité est par nature complexe. En conséquence, la recherche d’une réduction prompte des déficits se fait bien souvent aux dépens des investissements dans ces actifs publics immatériels, bien qu’ils aient une profitabilité (sociale) élevée et qu’ils seront essentiels lorsqu’il s’agira d’assurer la transition la moins brutale possible vers une économie plus économe en carbone.

Sur la base de ces constats, nous prenons la liberté de vous suggérer une stratégie en quatre points :

1.    Vous devez affirmer que l’austérité budgétaire est mauvaise à la fois à court terme et à long terme. Il faut rappeler à Madame Merkel que, par conséquent, la plus grande prudence s’impose quand on prône la rigueur.
2.    Ralentir le rythme auquel la restriction budgétaire est infligée aux pays de l’Union européenne est essentiel  aussi bien pour réduire le chômage dans le court terme que pour maintenir la prospérité à long terme. Sans prospérité de long terme, la réduction des ratios de dette sur PIB sera impossible sauf à accepter inflation et répudiation.
3.    Vous devez reconnaître que les peurs de votre prédécesseur étaient fondées : sans un prêteur de dernier ressort ou sans mutualisation des dettes publiques, une rigueur budgétaire moins déterminée expose à un risque de hausse des taux d’intérêt souverains en déclenchant une anxiété autoréalisatrice. L’exemple des Etats-Unis nous montre que le meilleur moyen de traiter ce risque est d’avoir une banque centrale bien armée qui agit comme un prêteur de dernier ressort. Il faut donc une modification rapide du traité de Maastricht dans ce sens. Amender les objectifs de la BCE en intégrant la préoccupation de la croissance est secondaire.
4.    Madame Merkel a raison de croire qu’une banque centrale qui sauve les Etats de la faillite est la porte ouverte à l’aléa moral. Vous devez donc accepter, en contrepartie de la modification des statuts de la banque centrale, qu’un pacte budgétaire (le Fiscal Compact) gouverne les finances publiques européennes. Mais vous devez lutter pour un pacte « intelligent », un Smart Fiscal Compact (SFC). Ce SFC doit renforcer la soutenabilité des finances publiques dans un monde où le long terme n’est pas écrit et invariant à l’avance et dépend de la trajectoire économique dans le court terme. Il doit s’appuyer sur des institutions européennes légitimes investies du pouvoir de contrôler et de veiller au respect des engagements budgétaires de chaque pays. Cette tâche nécessitera du pragmatisme et une solide approche empirique de l’économie plutôt que de la numérologie budgétaire ou les règles simplistes qui sont pour l’instant prévues.

Ne pas réduire les déficits publics en Europe conduira à une débâcle. Les réduire brutalement est la voie la plus sûre vers le désastre. Croire que de vieilles astuces comme la dérégulation du marché du travail stimuleront la croissance est illusoire, comme nous le rappelle l’OIT dans son dernier rapport. Le risque de bouleversements et basculements soudains dans les modes de fonctionnement économiques ou sociaux interdit les demi-mesures. La montée rampante de déséquilibres de long terme oblige à des actions rapides. Ce qui est vrai pour la France est encore plus vrai pour nos partenaires : l’ensemble des membres de l’Union européenne ont un besoin impératif de marges de manœuvres immédiates, sans quoi le futur risque bien d’être fort compromis.

Nous espérons, Monsieur le Président, que vous trouverez utiles ces quelques suggestions et nous vous prions de bien vouloir agréer l’expression de notre respectueuse considération.




A letter to President François Hollande

by Jérôme Creel, Xavier Timbeau and Philippe Weil [1]

Dear Mr. President,

France and the European Union are at a crucial economic juncture. Unemployment is high, the output loss to the financial crisis since 2008 has not been recovered and you have promised, in this dismal context, to eliminate French public deficits by 2017.

Your predecessor had committed to achieving the same objective a tad faster, by 2016, and a distinctive feature of your campaign has been your insistence that the major burden of the coming fiscal retrenchment be borne by the richest of taxpayers. These differences matter politically (you did win this election) but they are secondary from a macroeconomic viewpoint unless the long-run future of France and Europe depends on short-run macroeconomic outcomes.

In the standard macroeconomic framework, which has guided policy in “normal” and happier times, fiscal multipliers are positive in the short run but are zero in the long run where productivity and innovation are assumed to reign supreme. In such a world, giving your government an extra year to reduce public deficits spreads the pain over time but makes no difference in the long run. When all is said and done, austerity is the only way to reduce the debt to GDP ratio durably – and it hurts badly:

  • The fantasy that short-run multipliers might be negative has been dispelled: a fiscal contraction depresses economic activity unless you are a small open economy acting alone under flexible exchange rates and your own national central bank runs an accommodative monetary policy – hardly a description of today’s France. Since France 2012 is not Sweden 1992, the prospect of a rosier fiscal future is not enough to outweigh the immediate recessionary effects of a fiscal contraction.
  • To add insult to injury, if the financial crisis has lowered economic activity permanently (as previous banking or financial crises did, according to the IMF), public finances are now in structural deficit. To insure long-term debt sustainability, there is no way to escape fiscal restriction.
  • On top of this, the consensus now recognizes that short-run fiscal multipliers are low in expansions and high in recessions. As a result, accumulating public debt in good times and refraining from running deficits in order to control debt in bad times is very costly: it amounts to squandering precious fiscal ammunition when there is no enemy and to scrimping on it in the heat of combat.

It increasingly looks like, that we are living, since the financial crisis, in a “new normal” macroeconomic environnent in which fiscal multipliers are still positive in the short run but non-zero in the long run because of two conflicting effects:

  • A primal fear of French and European policy makers – fed by the outstanding historical work of Carmen Reinhardt and Kenneth Rogoff and the difficulties encountered by Italy, Spain or Greece to roll over their public debt – is that bad things might happen when the debt to GDP ratio steps over 90%. For instance, the sudden realization by investors that, past that level, there is no easy way to bring debt back to “normal” levels without inflation or outright default might lead to a rapid rise in sovereign interest rates. These high rates precipitate an increase in the debt to GDP ratio by raising the cost of servicing the debt and impose intensified deficit reduction efforts that further shrink GDP. Thus, crossing the 90% threshold might lead to a one-way descent into the abyss. This implies that fiscal contraction, although recessionary in the short run, is beneficial in the long run. Fiscal pain now is thus an evil necessary for long-run prosperity and debt sustainability. According to this narrative, we may survive – but only if we stop dancing right away.
  • An opposite danger is that fiscal contraction now – in a context of public finances damaged (except for Greece) not by fiscal laxity but by the slowdown in economic activity engendered by the financial crisis since 2008 – might cause a social, political and economic breakdown or durably destroy productive capacity. Fiscal contraction is thus recessionary both in the short run and in the long run. Short-run fiscal expansion is then a necessary condition for long-run prosperity and debt sustainability. In this narrative, we may survive – but only if we keep dancing!

The advisability of your proposal to reduce the public deficits to zero by 2017 depends, Mr. President, on which of these two dangers is the most intense or the most difficult to thwart. Should you be more concerned that loose fiscal policy may hurt long-run growth by increasing the cost of debt service, or should you fear instead first and foremost that strict fiscal policy may harm output durably by leading to social unrest or by reducing productive capacity?

To answer these portentous questions, whose answer is not a matter of ideology or of economic paradigm, we urge you to look at the evidence:

  • The sovereign rating of countries with large deficits and debts, like the US and the UK, has been downgraded without any adverse effect on interest rate. This suggests that markets understand, seemingly better than policymakers, that the key problem with EU public finances nowadays is not deficits and debt per se but the governance of the euro zone and its fiscal and monetary policy mix. With a lender of last resort – the euro zone has none –, managing a national debt crisis would be easy and straightforward. The counter-argument that it would lead the ECB to monetize public debts, in sharp contrast with the statutes of this institution and its duty to reach price stability, is invalid: the ex-ante ability to monetize debt would reduce risk premia by eliminating self-fulfilling runs on national debts.
  • Ugo Panizza and Andrea Presbitero have shown that there is no convincing historical evidence that debt reduction leads to higher economic growth. Hence the statement that public debt reduction is a prerequisite to economic growth is at worse an assumption, at best a correlation, but in any case not a causal relation supported by data.
  • Twenty years of Japanese stagnation remind us that deflation is a deadly and durable trap. Under-activity pushes prices down slowly but surely. Paul Krugman and Richard Koo have shown how real expected interest rates feed a spiralling of deleveraging when deflation locks into prices expectation. If deleveraging extends to the banking sector, it adds a credit squeeze to the contraction.
  • One of the pernicious drawbacks of fiscal austerity is the destruction of human capital by long unemployment spells. Young cohorts entering now on the job market will undergo a problematic start and may never recover. The longer unemployment remains over its natural rate, the larger the frustration stemming from a bleak future will grow.
  • Beyond human capital, firms are the place where all sorts of capital are accumulated, ranging from social capital to immaterial assets such as R&D. Philippe Aghion and others have argued that this channel links short-term macroeconomic volatility to long-term growth potential. Moreover, in a competitive world, underinvestment in private R&D impairs competitiveness. Hence, austerity, by making output more volatile, has a negative long-term impact.
  • What is true for private immaterial assets is even truer for public assets, that is to say assets that generate flows of public goods that individual incentives fail to produce. Typically, so-called golden rules neglect such assets which are by their very nature hard to measure. As a result, the pursuit of quick deficit reduction is usually carried out at the expense of investment in assets which have a high social profitability and are essential to ensure a smooth transition to a low carbon economy.

Drawing on these facts, please let us suggest you a four-pronged strategy:

  1. You should argue that fiscal austerity is bad for both short-term and long-term growth and remind Mrs. Merkel that, as a result, it should be handled with the utmost care.
  2. Slowing down the pace at which austerity is imposed on EU countries is vital – both to reduce unemployment in the short-run and to maintain the long-run prosperity without which the reduction of debt-to-GDP ratios will be impossible.
  3. You should acknowledge that the fears of your predecessor were well-founded: in the absence of a lender of last resort or without debt mutualization, slowing down austerity does expose sovereign debt to the risk of rising interest rates by provoking the self-fulfilling anxiety of creditors. But the experience of the US shows that the best way to deal with this danger is to have a full-fledged central bank that can act as a lender of last resort. The Maastricht Treaty should be amended fast in that dimension. Endowing the ECB with growth as a second mandate is not essential.
  4. Mrs. Merkel is right that allowing the ECB to bail out States is a sure recipe for moral hazard. You should therefore agree, as a complement of the modification of ECB statutes, with her insistence that a Fiscal Compact governs Europe but you should strive for a Smart Fiscal Compact. This Smart Fiscal Compact should aim at enforcing the sustainability of public finances in a world where the long run is not given but depends on the short-run fiscal stance. It should draw its strength from legitimate European political institutions endowed with the power to control and enforce the commitment of each country to fiscal discipline. This task will require pragmatism and evidence-based economic policy – rather than budgetary numerology and simple-minded rules.

Failing to reduce deficits in Europe may end in a debacle. However, reducing them cold turkey is a sure recipe for disaster. Believing that old tricks like deregulating job markets will bring back economic growth lost in the recession is delusional, as the ILO warned in its last report. The possibility of brutal switches in economic or social trends rules out half-measures. The creeping build-up of long-term disequilibria requires prompt and decisive action in the short run. What is true for France is even truer for our main neighbors: the whole EU needs room for maneuver, and it needs it fast for the sake of its future.

Yours faithfully.

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[1] Jérôme Creel is deputy director of the Research Department, Xavier Timbeau is director of the Analysis and Forecasting Department, and Philippe Weil is president of OFCE.




Is government expenditure in France too high?

By Xavier Timbeau

Since 2005, France has vied with Denmark for first place in terms of government expenditure as reported by the OECD. Since the ratio of “government expenditure” to GDP reached 56.6% in 2010, it has been necessary, according to a widely held view, to “deflate” a State that is taking up “too much” space in the economy. First place would thus be, not a badge of honour, but a sign that we have reached an unsustainable level of “government expenditure”. Since, moreover, it is essential to reduce the public deficit, the path ahead is clear: reducing public spending is the only way to bring public finances under control. But this simplistic analysis is wrong.

This analysis is based on a poor use of the statistics on government expenditure reported by the OECD and flows from an inadequate understanding of what the term “government expenditure” means. This term, it must be recognized, can be confusing.

What is called “government expenditure” combines, on the one hand, collective expenditures (e.g. from maintenance of the security forces to public administration and the fight against poverty) and, on the other, insurance-related transfer expenditures. This transfer spending covers pension insurance and health insurance. These are individualizable in the sense that we know the direct beneficiary of the expense (which is not the case for administrative expenditures, for which the benefits are diffuse), and they are funded by contributory schemes: to qualify for coverage, it is necessary to have contributed. In most countries, the pension system is almost completely contributory, in the sense that the relative level of benefits for individuals of the same age is related to their relative contributions. The rate of return on the contributions (which relates the expected present value of the flow of pension benefits to the present value of the contributions) is comparable to that obtainable over a long period by capitalizing savings. The minimum pension payment, family benefits and survivor benefits might seem to deviate from this contributory principle, but in practice these “benefits” compensate for short careers that have been interrupted by the accidents of life and do not differ much from a contributory scheme. With regard to health, another pillar of the modern welfare State, the contributory aspect is mitigated by the redistribution effected by a contribution that is proportional to income and an expense that depends on age and not much on income (with the exception of daily allowances). When health care provision is universal, some people benefit without having contributed, but these cases are marginal and do not alter the quasi-contributory character of our health systems.

Depending on the country, the pooling of transfer expenditures takes various organizational forms. It may be done inside the company, within sector-wide organizations, or by management and trade union bodies or it may be mediated by central government. The particularity of France is that social protection is mainly organized through the State’s intermediation. This is not the case in other countries like the United Kingdom, the United States or Germany. Even unemployment insurance, which is handled by management/union bodies, is treated by the national accounts as pertaining to the public sector, and UI contributions are considered compulsory levies (automobile insurance premiums, although imposed on anyone who uses the roads, are not classed as levies).

Figure 1 shows the unique position of France. In 2010, “government expenditure” in the strict sense (that is to say, not individualizable, such as domestic and foreign security, administration, miscellaneous expenditure on interventions) represented 18.2% of the country’s GDP. In terms of this “strict government expenditure”, in 2009 France ranked 10th among the OECD countries (see also Figure 2). If the “competition for being thin” covered only expenditure in this narrower sense, France would be relatively average compared to other bigger-spending countries like the United States, Portugal and Italy. Moreover, unlike the UK, the US or Ireland, over the last 20 years France has cut “strict government expenditure”, in a rather unexpected demonstration of fiscal control.

Figure 1 also shows that there is not great variation among the OECD countries with respect to the hard core of “government expenditure”. A developed country needs security, public administration and expenditure on interventions. It is difficult to compress this kind of State spending; the difference between the State with the largest expenditure (Hungary) and that with the smallest (Switzerland) is 8 GDP points. If we limit ourselves to large States, the gap is smaller (a difference of 3.6 GDP points between Japan and Italy). In contrast, with respect to “government social expenditure”, the differences between countries are major: the gap between Korea and Denmark is 27 GDP points, and, among the major countries, 13 GDP points between the United States and France. This makes ​​France, along with Denmark, Sweden, Austria and Finland, a country where “government social expenditure” in relation to GDP is high.

Can we conclude from these data that the French system of social protection is more generous than in other countries? And that this is the cause of an unsustainable public debt (Figure 3)? Can we say that the system is too generous and that we must reverse the course of the past 20 years by reducing the share of social spending in GDP? No, the data tell us only one thing: that social welfare, health and education in France are dispensed directly by the State, which provides funding for these through the tax system. In other countries, intervention by the State (or by local authorities) may be just as massive (for instance, by defining specifications for education, prices of treatments or medications, or obligations to take out health or retirement insurance), but the performance of the service or the distribution of the benefit may be delegated to a non-public entity. In some countries, only a portion of health or retirement coverage is mandatory, and individuals are then “free” to choose the level of spending they want. This freedom is relative, as people can be steered by tax incentives (instead of “government expenditure”, we speak of a “tax expenditure”, since it implies a shortfall in tax revenue for the State) or by necessity.

Total spending on health care and education is, for example, higher in the US than it is in France, relative to GDP, although the share directly distributed by the State is lower. How is it that expenditures deemed characteristic of a welfare State are higher in a more individualistic society? Are tax incentives and social norms being taken sufficiently into account? Another example: the introduction of the premium and the discount (surcote and décote) into the French pension system has changed individual incentives, and therefore individual returns (towards greater “actuarial neutrality”). But this did not affect the GDP share of “government expenditure” on pensions. In the future, the establishment of long-term care insurance may increase “government social expenditure” by a few GDP points. The right question is not the legal personality of the distributing entity, but rather, what are the incentives that individuals perceive, and what kind of inter- or intra-generational support will this long-term care insurance involve.

A social system must be judged on the rights it confers and the duties it entails, and thus on the extent to which it is more contributory or more solidarity-oriented and redistributive. To this end, we need to look at the benefits and the levies, as well as the implicit or explicit guarantees given in case of a shock to the private or public institutions that provide the benefits. A private system can be very redistributive (when the pricing of certain risks is prohibited, when there is a full State guarantee), and a public system can be very contributory and more neutral from an intergenerational perspective than a private system, as illustrated by Swedish pensions.

A simple review of the aggregate data is not enough to settle this debate, which is why the argument that cutting “government social expenditure” on the grounds that it is higher than in any other country simply makes no sense.

 

Figures in.pdf:

Figures_government expenditures




He who sows austerity reaps recession

By the Department of Analysis and Forecasting, headed by X. Timbeau

This article summarizes OFCE note no.16 that gives the outlook on the global economy for 2012-2013.

The sovereign debt crisis has passed its peak. Greece’s public debt has been restructured and, at the cost of a default, will fall from 160% of GDP to 120%. This restructuring has permitted the release of financial support from the Troika to Greece, which for the time being solves the problem of financing the renewal of the country’s public debt. The contagion that hit most euro zone countries, and which was reflected in higher sovereign rates, has been stopped. Tension has eased considerably since the beginning of 2012, and the risk that the euro zone will break up has been greatly reduced, at least in the short term. Nevertheless, the process of the Great Recession that began in 2008 being transformed into a very Great Recession has not been interrupted by the temporary relief of the Greek crisis.
First, the global economy, and especially the euro zone, remains a high-risk zone where a systemic crisis is looming once again. Second, the strategy adopted by Europe, namely the rapid reduction of public debt (which involves cutting public deficits and maintaining them below the level needed to stabilize debt), is jeopardizing the stated objective. However, since the credibility of this strategy is perceived, rightly or wrongly, as a necessary step in the euro zone to reassure the financial markets and make it possible to finance the public debt at acceptable rates (between 10% and 20% of this debt is refinanced each year), the difficulty of reaching the goal is demanding ever greater rigor. The euro zone seems to be pursuing a strategy for which it does not hold the reins, which can only fuel speculation and uncertainty.
Our forecast for the euro zone points to a recession of 0.4 percentage point in 2012 and growth of 0.3 point in 2013 (Table 1). GDP per capita in the euro zone should decline in 2012 and stabilize in 2013. The UK will escape recession in 2012, but in 2012 and 2013 annual GDP growth will remain below 1%. In the US, GDP growth will accelerate from 1.7% per year in 2011 to 2.3% in 2012. Although this growth rate is higher than in the euro zone, it is barely enough to trigger an increase in GDP per capita and will not lead to any significant fall in unemployment.
The epicenter of the crisis is thus shifting to the Old Continent and undermining the recovery in the developed countries. The United States and United Kingdom, which are faced even more than the euro zone with deteriorating fiscal positions, and thus mounting debt, are worried about the sustainability of their public debts. But because growth is just as important for the stability of the debt, the budget cuts in the euro zone that are weighing on their activity are only adding to difficulties of the US and UK.
By emphasizing the rapid reduction of deficits and public debt, euro zone policymakers are showing that they are anticipating a worst case scenario for the future. Relying on so-called market discipline to rein in countries whose public finances have deteriorated only aggravates the problem of sustainability by pushing interest rates up. Through the interplay of the fiscal multiplier, which is always underestimated in the development of strategies and forecasts, fiscal adjustment policies are leading to a reduction in activity, which validates the resignation to a worse “new normal”. Ultimately, this is simply a self-fulfilling process.

 




Qui sème la restriction récolte la récession

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de X. Timbeau

Ce texte résume la note de l’OFCE n°16 donnant les perspectives de l’économie mondiale 2012-2013.

Le paroxysme de la crise des dettes souveraines est passé. La dette publique grecque est restructurée et diminuera, au prix d’un défaut, de 160 à 120 % du PIB. Cette restructuration autorise le déblocage du soutien financier de la troïka à la Grèce et résout pour l’instant le problème de financement du renouvellement de la dette publique grecque. La contagion qui avait frappé la plupart des pays de la zone euro, et qui s’était traduite par une hausse des taux souverains, est interrompue. La détente est sensible par rapport au début de l’année 2012 et le risque d’un éclatement de la zone euro est largement réduit, du moins dans le court terme. Pour autant le processus de transformation de la Grande Récession, amorcée en 2008, en très Grande Récession n’est pas interrompu par le soulagement temporaire apporté à la crise grecque.

D’une part, l’économie mondiale, et singulièrement la zone euro, restent dans une zone de risque où, à nouveau, une crise systémique menace et d’autre part, la stratégie choisie par l’Europe, à savoir la réduction rapide de la dette publique (qui suppose la réduction des déficits publics et leur maintien en deçà des déficits qui stabilisent la dette) compromet l’objectif annoncé. Or, puisque la crédibilité de cette stratégie est perçue, à tort ou à raison comme une étape indispensable en zone euro pour rassurer les marchés financiers et permettre le financement à un taux acceptable de la dette publique (entre 10 et 20 % de cette dette étant refinancés chaque année), la difficulté à atteindre l’objectif oblige à une rigueur toujours plus grande. La zone euro apparaît comme courant après une stratégie dont elle ne maîtrise pas les leviers, ce qui ne peut qu’alimenter la spéculation et l’incertitude.

Nos prévisions pour la zone euro concluent à une récession de 0,4 point en 2012 et une croissance de 0,3 point en 2013 (tableau 1). Le PIB par tête baisserait en 2012 pour la zone euro et serait stable en 2013. Le Royaume Uni échapperait à la récession en 2012, mais la croissance du PIB resterait en 2012 et en 2013 en deçà de 1% par an. Aux Etats-Unis, la croissance du PIB accélèrerait à 2,3% par an en 2012 après une année 2011 à 1,7%. Bien qu’il soit supérieur à celui de la zone euro, ce taux de croissance peine à enclencher une hausse du PIB par tête et ne permet pas une décrue significative du chômage.

L’épicentre de la crise se déplace ainsi vers le Vieux continent et compromet la sortie de crise pour les pays développés. Confrontés plus encore que la zone euro à une situation budgétaire dégradée et donc à l’alourdissement de la dette, les Etats-Unis et le Royaume-Uni redoutent l’insoutenabilité de leur dette publique. Mais parce que la croissance compte tout autant pour assurer la stabilité de la dette, la restriction budgétaire en zone euro qui pèse sur leur activité ne fait qu’accroître leurs difficultés.

En privilégiant la réduction rapide des déficits et de la dette publique, les responsables politiques de la zone euro révèlent qu’ils croient que le futur sera celui du pire scénario. S’en remettre à la soi-disant discipline des marchés pour rappeler à l’ordre les pays dont les finances publiques sont dégradées ne fait qu’aggraver, par le renchérissement des taux d’intérêts, le problème de soutenabilité. Par le jeu du multiplicateur, toujours sous-estimé dans l’élaboration des stratégies ou des prévisions, les politiques d’ajustement budgétaire entraînent une réduction d’activité qui valide la croyance résignée dans un “new normal” dégradé. In fine, elle ne fait que s’auto-réaliser.




Les dépenses publiques en France : en fait-on trop ?

par Xavier Timbeau

Depuis 2005 la France dispute au Danemark la première place en matière de « dépenses publiques », telles qu’elles sont rapportées par l’OCDE. Comme le ratio dépense publique sur PIB a atteint 56,6% en 2010, il serait nécessaire, selon une opinion largement répandue, de « dégonfler » un Etat qui prendrait « trop » de place dans l’économie. Cette première place ne serait pas un titre de gloire mais le signe que nous avons atteint un niveau insoutenable de « dépenses publiques ». Puisque, par ailleurs, il est indispensable de réduire le déficit public, le chemin est clair : la réduction de la dépense publique serait la seule voie de maîtrise des finances publiques. Mais cette analyse simpliste est erronée.

Elle repose sur une mauvaise utilisation des statistiques des dépenses publiques diffusées par l’OCDE et elle découle d’une mauvaise compréhension de ce que le terme « dépenses publiques » signifie. Il faut reconnaître que ce vocable prête à confusion (on ne prête qu’aux riches !).

Ce que l’on appelle la « dépense publique » associe d’un côté des dépenses collectives (de l’entretien des forces de sécurité à l’administration du pays ou encore la lutte contre la pauvreté) et de l’autre des dépenses de transfert assurantiels. Ces dépenses de transfert recouvrent l’assurance retraite ou l’assurance maladie. Elles sont individualisables, au sens où l’on connaît le bénéficiaire direct de la dépense (ce qui n’est pas le cas pour les dépenses d’administration dont le bénéfice est diffus) et sont financées par des schémas contributifs : pour avoir droit à la prestation, il est nécessaire d’avoir cotisé. Dans la plupart des pays, l’assurance retraite est presque complètement contributive, dans le sens où les prestations relatives entre individus du même âge correspondent aux cotisations relatives. Le taux de rendement des cotisations (qui rapporte la valeur actualisée espérée du flux de prestations retraite à la valeur actualisée des cotisations) est comparable à celui qu’on peut obtenir sur longue période en capitalisant une épargne. Le minimum vieillesse, les avantages familiaux ou les pensions de réversion pourraient venir écorner ce principe contributif, mais en pratique, ces « avantages » compensent des carrières courtes, interrompues par des accidents de la vie et ne diffèrent pas beaucoup d’un schéma contributif. En ce qui concerne la santé, autre pilier des Etats sociaux modernes, l’aspect contributif est atténué par la redistribution opérée par une cotisation proportionnelle au salaire et une dépense qui dépend de l’âge et peu du revenu (à l’exception des indemnités journalières). Lorsque la dispense des soins est universelle, certains en bénéficient sans avoir contribué, mais ces cas restent marginaux et ne modifient pas le caractère quasi contributif de nos systèmes de santé.

Suivant les pays, la mutualisation des dépenses de transfert passe par des formes d’organisation diverses. Cela peut être à l’intérieur de l’entreprise, dans des organisations sectorielles, par des organismes paritaires (syndicats/patronat) ou intermédié par l’Etat central. La particularité de la France est d’avoir une intermédiation de la protection sociale principalement organisée par l’Etat. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays comme le Royaume Uni, les Etats-Unis ou encore l’Allemagne. Même l’assurance chômage, qui est pourtant paritaire, est considérée par la comptabilité nationale comme relevant du secteur public et les cotisations chômage sont considérées comme des prélèvements obligatoires (les cotisations d’assurance automobile, pourtant imposées à celui qui circule sur les routes, ne sont pas dans les prélèvements obligatoires).


La figure 1 illustre la position singulière de la France. En France, en 2010, les « dépenses publiques » au sens strict (c’est-à-dire non-individualisables comme la sécurité intérieure et extérieure, l’administration, des dépenses d’intervention diverses) représentent 18,2% du PIB. Pour cette « dépense publique stricte » la France était en 2009 au 10e rang des pays de l’OCDE (voir également la figure 2). Si le « concours de maigreur » ne concernait que les dépenses de ce champ strict, la France serait dans une bonne moyenne par rapport à d’autres pays décidément dépensiers comme les Etats-Unis, le Portugal ou encore l’Italie. Qui plus est, et contrairement au Royaume Uni, aux Etats-Unis ou à l’Irlande, la France a réduit au cours des 20 dernières années la part de la « dépense publique stricte » faisant-là preuve d’une rigueur de gestion inattendue.

La figure 1 montre également que le noyau dur des « dépenses publiques » est peu dispersé parmi les pays de l’OCDE. Un pays développé a besoin de sécurité, d’administration ou de dépenses d’intervention. Ces dépenses régaliennes sont difficilement compressibles, et entre l’Etat le plus dépensier (la Hongrie) et le plus économe (la Suisse) la différence est de 8 points de PIB. Si on se limite aux Etats de grande taille, l’écart est plus faible (une différence de 3,6 points de PIB entre le Japon et l’Italie). En revanche, concernant les « dépenses publiques sociales », les différences entre Etats sont majeures, l’écart étant de 27 points de PIB entre la Corée et le Danemark ou, parmi les grands pays, de 13 points de PIB entre les Etats-Unis et la France. Ceci fait de la France, avec le Danemark, la Suède, l’Autriche ou la Finlande, un pays où la « dépense publique sociale » en proportion du PIB est élevée.


Peut-on conclure de ces données que le système français de protection sociale est plus généreux que dans les autres pays ? Que c’est là la cause d’une dette publique insoutenable (figure 3) ? Peut-on dire qu’il est trop généreux et qu’il faut inverser la tendance des 20 dernières années en réduisant la part de la dépense sociale dans le PIB ? Non, cela n’indique qu’une seule chose, c’est que la protection sociale, la santé ou l’éducation sont dispensées en France directement par l’Etat qui en assure le financement par des prélèvements obligatoires. Dans les autres pays, l’intervention de l’Etat (ou des collectivités territoriales) peut être aussi massive (en définissant par exemple le cahier des charges de l’éducation, le prix des soins ou des médicaments, l’obligation de souscrire à une assurance retraite ou santé) mais la production du service ou la distribution de la prestation peut être confiée à un organisme non public. Dans certains pays, seule une partie de la couverture maladie ou retraite est obligatoire, les individus étant ensuite « libres » de choisir le niveau de dépense qu’ils souhaitent. Cette liberté est relative, puisqu’elle peut être guidée par des incitations fiscales (au lieu d’une « dépense publique », on parle de « dépense fiscale », puisque cela implique un manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’Etat) ou par la nécessité.

Ainsi, la dépense totale de santé ou d’éducation est plus élevée aux Etats-Unis qu’elle ne l’est en France, une fois rapportée au PIB, bien que la part directement distribuée par l’Etat y soit plus faible.  Pourquoi ces dépenses réputées caractéristiques d’un Etat social sont plus développée dans une société plus individualiste ? Prend-on correctement en compte les incitations fiscales ou les normes sociales ? Autre exemple : la mise en place de la surcote ou de la décote dans le système de retraite français a modifié les incitations individuelles et donc les rendements individuels (vers une plus grande « neutralité actuarielle »). Mais cela n’a pas pour autant modifié la part des « dépenses publiques » de retraite dans le PIB. Demain, la mise en place d’une assurance dépendance pourra augmenter la « dépense publique sociale » de quelques points de PIB. La bonne question n’est pas la personnalité juridique de l’organisme distributeur, mais plutôt de savoir quelles sont les incitations que les individus perçoivent et quelle solidarité inter- ou intra-générationnelle cette assurance dépendance impliquera.

Un système social doit donc se juger sur les droits qu’il ouvre, sur les  devoirs qu’il implique et donc sur son aspect plutôt contributif ou plutôt solidaire et redistributif. Pour cela il faut regarder à la fois les prestations, les prélèvements et les garanties implicites ou explicites apportées en cas de choc aux institutions privées ou publiques qui dispensent ces prestations. Un système privé peut être très redistributif (lorsque la tarification de certains risques est interdite, lorsque la garantie publique est intégrale) et un système public peut être très contributif et plus neutre du point de vue  intergénérationnel qu’un système privé, comme nous le montre par exemple le système suédois des retraites.

Un simple examen des données agrégées ne peut permettre de trancher le débat et c’est pourquoi tenter de convaincre de l’utilité de réduire les « dépenses publiques sociales » au motif qu’elles seraient plus élevées que dans tous les autres pays n’a tout simplement aucun sens.

Ci-dessous les trois graphiques en format pdf

Figures Depenses publiques en France XT





A letter to President François Hollande

by Jérôme Creel, Xavier Timbeau and Philippe Weil [archivage et redirection]

[version française ; english version]




La Très Grande Récession

Perspectives économiques mises à jour pour les grands pays développés en 2012

Département Analyse et Prévision, sous la direction de Xavier Timbeau

Les perspectives de croissance pour les pays développés et plus particulièrement européens se sont dégradées spectaculairement au cours des dernières semaines. La dépréciation « volontaire et négociée » des titres de dette souveraine grecque, qui n’est autre qu’un défaut souverain, la vague de plans de restriction budgétaire annoncés alors que les lois de finance sont encore en train d’être débattues, l’impuissance de l’Union européenne à mobiliser ses forces dans la crise sont autant de facteurs qui ont rendu les prévisions faites il y a deux mois obsolètes. L’année 2012 sera marquée par une récession dans plusieurs pays européens, dont la France.

Publiés en août 2011, les chiffres de croissance pour le deuxième trimestre 2011 dans les pays développés ont relativisé les signaux positifs du début de l’année 2011. Au troisième trimestre 2011, les comptes nationaux ont été meilleurs qu’attendu, mais le répit serait de courte durée. Les indicateurs conjoncturels pour la majorité des pays développés (cf. note associée) annoncent une réduction de l’activité au quatrième trimestre 2011 et au début de l’année 2012. La zone euro stagnerait en 2012 ; avec +0,4 % de croissance du PIB, l’Allemagne enregistrerait la « meilleure » performance de la zone euro (tableau 1).

La première phase de la Grande Récession, en 2008-2009, a induit le gonflement des dettes publiques (de l’ordre de 16 points dans la zone euro, de plus de 30 points aux Etats-Unis et au Royaume Uni, cf. tableau 2). La phase II sera conditionnée par la façon dont sont digérées ces dettes publiques induites par la crise : ou bien les taux d’intérêts bas permettent de reporter l’ajustement des déficits publics à plus tard et les économies peuvent rebondir, allégeant en conséquence l’ajustement nécessaire ; ou bien l’ajustement est fait immédiatement, amplifié par la hausse des taux publics et par la persistance du sous-emploi (tableau 3). Parce que l’Europe est soumise à la peur du défaut, elle transforme la Grande Récession amorcée en 2008 en Très Grande Récession.

Après le défaut « volontaire » grec, les pays de la zone euro se sont infligés non seulement un ajustement encore plus brutal que le Pacte de stabilité et de croissance ne l’exigeait, mais aussi la contagion et la débâcle générale des dettes souveraines. Les dispositifs, du FESF aux règles d’or, proposés par l’Union européenne n’ont pas convaincu quant à la capacité à résoudre dans le court comme dans le long terme le problème des finances publiques des Etats de la zone euro. D’autant que l’Europe semble oublier que la croissance et le retour au plein emploi sont des éléments fondamentaux de la soutenabilité des dettes publiques et, plus généralement, du projet européen.

Face au risque d’insolvabilité sur les titres souverains, les créanciers exigent des primes de risque plus élevées pour continuer à financer à la fois la dette nouvelle et le renouvellement de la fraction de dette ancienne arrivée à échéance. Ce durcissement des conditions de financement, alors même que les perspectives d’activité se dégradent sous l’effet des restrictions budgétaires, tue dans l’œuf les tentatives d’assainissement des finances publiques. S’engage alors une spirale infernale. Le renchérissement du coût de la dette alourdit les charges d’intérêt, ce qui hypothèque la réduction des déficits et appelle des mesures restrictives supplémentaires pour rassurer les bailleurs. La restriction pèse alors sur l’activité et, en bout de course, creuse les déficits conjoncturels. A quoi les gouvernements, affolés par la résistance des déficits et la perspective d’une dégradation de leur note souveraine, répondent par l’accentuation de la rigueur.

Parce que les économies des pays européens sont étroitement interconnectées, la simultanéité de la mise en œuvre de politiques budgétaires restrictives conduit à amplifier le ralentissement économique global, via un affaiblissement du commerce extérieur (nous avions développé ce point dans notre précédent exercice de prévision). En effet, les politiques de restriction affectent la demande intérieure des pays qui les conduisent et donc réduisent leur production mais également leurs importations. Ce mécanisme réduit les exportations de leurs partenaires commerciaux et donc leur activité, indépendamment de leurs propres politiques budgétaires. Si ces pays conduisent eux aussi une politique restrictive, il faut ajouter à la restriction interne l’effet extérieur (indirect). L’ampleur de ces effets est fonction de plusieurs facteurs. Les effets directs sont essentiellement liés aux impulsions négatives propres à chaque pays. L’effet indirect est plus difficile à mesurer, puisqu’il dépend du degré d’ouverture de chaque pays, de la répartition géographique de ses exportations et de l’élasticité des importations au PIB des pays qui pratiquent la rigueur. Ainsi, un pays très ouvert et dont la majorité des exportations est dirigée vers un pays où la restriction budgétaire est intense subira un effet indirect fort. A cet égard, les pays de la zone euro, très intégrés, vont davantage subir la restriction de leurs partenaires que les Etats-Unis ou le Japon. Leur croissance va donc être largement amputée, repoussant la réduction des déficits conjoncturels. La récession qui s’annonce dans de nombreux pays est le résultat de mesures toujours plus restrictives prises pour tenter de stabiliser le plus rapidement possible leur ratio dette/PIB dans un contexte conjoncturel de plus en plus défavorable.

La course à la rigueur pour tenter de ramener les déficits publics sous la barre des 3 % du PIB et pour stabiliser les ratios de dette vise autant à répondre aux exigences des accords européens qu’à rassurer les agences de notation et les marchés financiers. Ces derniers, et parmi eux les banques européennes, détiennent en effet au moins 50 % des dettes publiques des pays développés, via les titres émis par les agences nationales de la dette publique. De 77 % de la dette publique détenue par les institutions financières en France, ce pourcentage monte à 97% pour l’Espagne.

Dans la zone euro, entre 9 et 23 points de PIB de dette publique selon les pays devront être renouvelés en 2012 (cf. tableau 2). En dehors du Japon, c’est en Italie, qui associe dette élevée et part importante de titres de court terme, que le besoin de financement sera le plus élevé. Si l’on ajoute à ces émissions les besoins liés au financement du déficit public de 2012, le potentiel d’émissions brutes dans la zone euro est compris entre 10 % du PIB en Allemagne et 24 % en Italie.

Ces montants élevés posent problème aux pays soumis à la défiance des marchés. Si le taux d’intérêt auquel ces pays se financent se maintenait en 2012 aux niveaux moyens observés au dernier trimestre 2011, l’Espagne emprunterait à 5 % et l’Italie à 4,3 %. La France et l’Allemagne continueraient en revanche de bénéficier de taux bas (respectivement 1,5 % et 0,9 %). Les taux des émissions de décembre 2011 pour ces deux pays ont, pour l’instant, été peu affectés par les menaces de dégradation des dettes souveraines des pays de la zone euro. Malgré des besoins de financement sur les marchés plus élevés que dans la zone euro en 2012, les taux restent bas au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon. Paradoxalement, la dégradation de la note souveraine américaine en août 2011 s’est accompagnée d’une baisse du taux à 10 ans et des taux à court terme aux Etats-Unis. Dans ce contexte de fuite vers la sécurité, les programmes massifs d’achats de titres publics sur le marché secondaire, mis en œuvre par la Réserve fédérale (FED), la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque du Japon, maintiennent les taux longs publics à un bas niveau. La politique monétaire joue ainsi à la fois sur les taux d’intérêts à court terme mais également sur les taux à long terme. Le rôle de prêteur en dernier ressort qu’adoptent ces banques centrales en procédant de la sorte rassure les marchés et évite la hausse des taux lors des adjudications. A contrario, le mandat de la BCE et son encadrement strict par l’échafaudage juridique européen limitent son action. La faiblesse relative (2,3% du PIB de la zone Euro contre 11% du PIB américain pour la FED et 13% du PIB britannique pour la BoE) des montants d’obligations publiques achetées depuis 2010 et les dissensions entre pays de la zone euro sur le rôle de la banque centrale alimentent les exigences de couverture des investisseurs par la hausse des primes de risque.

Pour mettre un terme à la débâcle des dettes souveraines européennes, il faut écarter toute possibilité de défaut souverain ; il faut ramener par tous les moyens possibles les taux d’intérêts publics au plus bas ; il faut mettre en place une stratégie européenne de stabilisation de la dette publique d’abord par la sortie du sous-emploi et donc par la croissance, ensuite par l’ajustement des finances publiques.




The very great recession

Economic outlook updated for the major developed countries in 2012

OFCE Department of Analysis and Forecasting, under the direction of Xavier Timbeau

The growth outlook for the developed countries, in Europe in particular, have deteriorated dramatically in recent weeks. The “voluntary and negotiated” devaluation of Greek sovereign debt securities, which is really nothing but a sovereign default, the wave of budget cuts being announced even as budget bills are still debated, the inability of the European Union to mobilize its forces to deal with the crisis – all these factors render the forecasts made two months ago obsolete. For many European countries, including France, 2012 will be a year of recession.

The growth figures for the second quarter of 2011 in the developed countries, published in August 2011, put the positive signals from early 2011 into perspective. In the third quarter of 2011, the national accounts were better than expected, but the respite was short-lived. The economic indicators for most of the developed countries (see below and a companion note) heralded a reduction in activity in the fourth quarter of 2011 and early 2012. The euro zone will be stagnant in 2012, with GDP growth of 0.4% and Germany recording the “best” performance in the euro zone (Table 1).

The first phase of the great recession, in 2008-2009, led to the swelling of public debt (about 16 points in the euro zone, more than 30 points in the US and UK, see Table 2). Phase II will be determined by how the public debt caused by the crisis has been digested: either low interest rates will make it possible to postpone the adjustment of public deficits and the economies can bounce back, thus easing the necessary adjustment, or the adjustment will be immediate, amplified by higher public interest rates and the persistence of under-employment (Table 3). Gripped by the fear of default, Europe is transforming the great recession that began in 2008 into a very great recession.

After the “voluntary” Greek default, the euro zone countries have inflicted on themselves not only an adjustment that was even more brutal than that required by the Stability and Growth Pact, but also contagion and a general collapse in sovereign debt. The measures proposed by the European Union, from the EFSF to the adoption of the “golden rule”, have not been persuasive of its ability to solve the public finance problems of the euro zone members either in the short or long term, especially as Europe seems to have forgotten that growth and the restoration of full employment are fundamental to the sustainability of public debt and to the European project more generally.

Faced with the risk of insolvency on sovereign debt, creditors are demanding higher risk premiums to continue to fund both new debt and the renewal of the fraction of old debt that is expiring. The hardening of financing conditions, even as business prospects are deteriorating as a result of budget cuts, is nipping attempts at fiscal consolidation in the bud. The result: a downward spiral. The rising cost of debt adds to interest charges, which undercuts deficit reduction and leads to additional fiscal discipline to reassure donors. The added restrictions weigh on activity and wind up augmenting the cyclical deficits – at which point the governments, panicked at the stubborn resistance of the deficits and the prospect of a downgrade in their sovereign rating, respond with even greater rigor.

Because the economies of the European countries are so closely intertwined, the simultaneous implementation of restrictive fiscal policies leads to magnifying the global economic slowdown by undercutting foreign trade (we developed this point in our previous forecasting exercise). Restrictive policies hit domestic demand in whichever countries implement them and thus reduce their output, but also their imports. This dynamic decreases the exports of their trading partners, and therefore their activity, regardless of their own fiscal policies. If these partners also implement a restrictive policy, then an external impact has to be added to the internal restriction (an indirect effect). The magnitude of these effects depends on several factors. The direct effects are mainly linked to negative impulses within each country. The indirect effect is more difficult to measure, since it depends on the degree of openness of each country, the geographical distribution of its exports and the elasticity of imports to GDP of the countries that are tightening their policy. Thus, a very open country for which the majority of exports are going to a country undertaking severe budget cuts will suffer a strong indirect effect. In this respect, the highly integrated countries of the euro zone will suffer more from the restrictive policies of their partners than will the United States or Japan. Their growth will be seriously curtailed, pushing back deficit reduction. In many countries, the coming recession is the result of the increasingly restrictive measures being taken to try to stabilize their debt / GDP ratio as soon as possible in an increasingly unfavourable economic environment.

The race to tighten up to try to bring public deficits below 3% of GDP and to stabilize debt ratios is aimed as much at meeting the requirements of European agreements as it is at reassuring the rating agencies and financial markets. The latter, among them the European banks, hold at least 50% of the public debt of the developed countries in the form of securities issued by the national debt agencies. This percentage varies from 77% of the public debt held by financial institutions in France to 97% for Spain.

In the euro zone, between 9 and 23 percentage points of GDP of public debt, depending on the country, needs to be renewed in 2012 (see Table 2). Outside of Japan, it is Italy, which combines a high debt with a large proportion of short-dated securities, which will have the largest financing requirement. If requirements related to the financing of the public deficit in 2012 are added to this, then the potential for total issues in the euro zone ranges between 10% of GDP in Germany to 24% in Italy.

These high levels are posing problems for countries that have lost the confidence of the markets. If the interest rates at which these countries are financed in 2012 remain at their average levels for the last quarter of 2011, Spain would borrow at 5% and Italy at 4.3%. France and Germany, however, would continue to benefit from low interest rates (1.5% and 0.9% respectively). The issue rates in December 2011 for these two countries have up to now been little affected by the threats to downgrade the sovereign debt of the euro zone countries. Even though the financing need from the markets was greater in 2012 for the United Kingdom, the United States and Japan than for the euro zone, their rates have remained low. Paradoxically, the downgrading of the US sovereign rating in August 2011 was accompanied by a decrease in 10-year rates and short-term rates in the United States. Within this context of a flight to safety, the programs of massive purchases of government securities on the secondary market that were implemented by the Federal Reserve (FED), the Bank of England (BoE) and the Bank of Japan have been keeping public long-term rates low. Monetary policy is also affecting short-term interest rates as well as long-term rates. The role of lender of last resort being adopted by these central banks is thus reassuring the markets and avoiding higher interest rates during Treasury auctions. In contrast, the ECB’s mandate and the strict supervision of Europe’s legal scaffolding limit ECB action. The relatively low amounts of government bonds purchased since 2010 (2.3% of euro zone GDP compared with 11% of US GDP for the Fed and 13% of UK GDP for the BoE) and tension between euro zone countries concerning the role of the central bank is fueling demands by investors to protect their risks by raising premiums.

To stop the collapse of European sovereign debt, we must rule out any possibility of a sovereign default, public interest rates must be reduced to the maximum by all means possible, and a European strategy for stabilizing the public debt needs to be implemented, first by dealing with under-employment, thereby renewing growth, followed by an adjustment of public finances.




Plus rien ne s’oppose à la nuit

par Xavier Timbeau

Le 7 novembre 2011, le gouvernement a  annoncé un plan de restriction budgétaire qui prend acte d’un « ralentissement de la croissance mondiale ». Il  fait suite à la révision fin octobre 2011 du scénario de croissance utilisé dans le projet de loi de finance 2012, présenté fin septembre aux assemblées. Au lieu d’anticiper 1,75 % de croissance annuelle du PIB en 2012, l’hypothèse retenue aujourd’hui est de 1 %. La logique semble claire : face à des vents mauvais, soumis à un objectif de réduction des déficits publics (4,5 % du PIB en 2012 après 5,2 % en 2011) le gouvernement réagit rapidement en amendant sa stratégie de finances publiques afin d’éviter le scénario catastrophe que l’Italie est en train de vivre. La crise des dettes souveraines européennes impose de conserver la confiance des marchés financiers.

Une combinaison de hausse de l’imposition et de restriction de dépenses devrait réduire ex ante le déficit public de 7 milliards d’euros en 2012 qui s’ajoutent à ceux annoncés en août 2011, 10,4 milliards d’euros en 2012, soit au total 17,4 milliards d’euros (0,9 % du PIB). L’impulsion (i.e. la variation du déficit public primaire structurel) serait en 2012 de -1,5 % du PIB en 2012 après avoir été de -1,4 % en 2011, ce qui constitue un effort sans précédent dans l’histoire budgétaire de la France.

Tout pousse à se résigner à cette logique météorologique et ménagère de la conduite de la politique économique. La croissance nous fait défaut, il faut être moins prodigue et réduire le train de vie de l’Etat et des administrations publiques. Mais, ce faisant on s’enferme dans une spirale récessive particulièrement dangereuse. La réduction de la croissance par rapport aux estimations initiales ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’abord de la restriction budgétaire déjà engagée en 2011. C’est le jeu du multiplicateur budgétaire qui impose sa logique, au moins à court terme. Une restriction budgétaire amoindrit la croissance du PIB, dans une proportion égale au multiplicateur budgétaire. C’est pourquoi le scénario de croissance à 1 % était parfaitement prévisible (et aurait dû être intégré dans le projet de loi de finance 2012, voir la prévision de l’OFCE). On retient habituellement un multiplicateur budgétaire à un an de l’ordre de 0,7 (qui varie cependant selon les mesures prises) parce que la France est une « petite » économie ouverte (voir nos analyses ou les travaux du FMI).

Dans une situation de trappe à liquidité et de cycle bas, le multiplicateur budgétaire peut être plus élevé, mais c’est en limitant l’analyse à une petite économie que l’on commet l’erreur la plus grave. Au niveau de la zone euro ou de l’Union européenne, le multiplicateur budgétaire n’est plus celui d’une « petite » économie ouverte (0,7), mais celui d’une grande économie « peu » ouverte (supérieur à 1). Or tous, ou presque tous les pays de l’Union européenne s’engagent dans des plans de restriction budgétaire, suivant la même logique imparable de la rigueur ; ainsi lorsqu’on fait le bilan de ces politiques à l’échelle européenne et non plus nationale, on comprend pourquoi la croissance en Europe sera faible voire négative. En effet, comme empêché par des œillères, chaque pays européen constate que son scénario de croissance ne se réalisera pas et rajoute de la restriction à la restriction. Mais, lorsque le multiplicateur est élevé, la réduction du déficit public est très inférieure à sa baisse ex ante, du fait d’une croissance économique moins forte : en Europe, pour un multiplicateur budgétaire de 1,3, un point de réduction des déficits ex ante induit une réduction ex post de 1/3 point du déficit public. Une autre manière de le dire : pour tenir un objectif donné de déficit, il faut  faire un effort trois fois plus important que ce que l’arithmétique simple indique.

Après le plan de rigueur supplémentaire de novembre  2011, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres. Pour tenir les engagements des gouvernements européens annoncés aujourd’hui, il faudra une récession en Europe en 2012. Tant que l’on fixera comme objectif des réductions de déficit public, tant que l’on « oubliera » les effets sur la croissance et donc sur les déficits publics de ces restrictions, on ira de mauvaises nouvelles en mauvaises nouvelles. En continuant de se référer aux rares exemples de restrictions qui ont fonctionné – le Canada ou  les pays scandinaves des années 1990 –, on se trompe radicalement de diagnostic : l’Union européenne est une grande économie peu ouverte ; une dévaluation compétitive ne viendra pas compenser les restrictions budgétaires ; la politique monétaire ne stimulera pas suffisamment l’économie pour éviter le pire. La politique macroéconomique ne se conduit pas régionalement, mais globalement.

Sans croissance, les dettes publiques paraîtront insoutenables à des marchés financiers qui sont à la fois juges et victimes de l’insécurité des dettes publiques. Pourtant, les pays européens s’engagent dans une phase sans précédent de contrôle de ses finances publiques (avec succès, comme l’attestent les impulsions négatives en 2011, réalisées et celles annoncées pour 2012). De plus, l’Europe est dans une situation budgétaire globale préférable à celle des autres pays développés, ce qui donne à cette crise des dettes souveraines un parfum de renoncement catastrophique. L’alternative est de relâcher la pression des marchés sur le financement des Etats européens en  franchissant le pas de la solidarité européenne sur les dettes publiques. Cette solidarité pourrait être garantie par la Banque centrale européenne ou n’importe quelle institution ad hoc. Au final, il faudrait « monétiser » les obligations souveraines lorsque cela est nécessaire, sans limite, afin que chacun soit sûr que jamais un titre public ne fera défaut. Alors, la stratégie budgétaire de retour à l’équilibre pourrait être conduite avec un objectif de moyen terme, et non plus de court terme et on pourrait espérer sortir d’une récession, dont pour l’instant on ne voit pas la fin.