Les effets redistributifs de la politique monétaire de la BCE

par Jérôme Creel et Mehdi El Herradi

À quelques semaines de la présidence de la Banque centrale européenne
(BCE) par Christine Lagarde, il peut être utile de s’interroger sur le bilan de
ses prédécesseurs, non pas seulement sur les questions macroéconomiques et
financières mais aussi sur les inégalités. Depuis quelques années en effet, la
problématique des effets redistributifs des politiques monétaires occupe un
espace important, autant sur le plan académique qu’au niveau des discussions de
politique économique.



L’intérêt pour ce sujet s’est développé
dans un contexte marqué par la conjonction de deux facteurs. D’abord, un niveau persistant
des inégalités de revenus et de patrimoine
qui peinent à se
résorber. Ensuite, l’action volontariste des banques centrales dans les
économies avancées après la crise de 2008 pour soutenir la croissance,
notamment à travers la mise en place de mesures dites « non-conventionnelles »[1].
Ces dernières, qui se manifestent principalement par des programmes de Quantitative Easing, sont soupçonnées
d’avoir augmenté les prix des actifs financiers et, de ce fait, favorisé les
ménages les plus aisés. En parallèle, la politique des taux bas se traduirait
par une réduction des revenus d’intérêt sur les actifs à rendement fixe,
détenus en majorité par les ménages à faible revenu. À l’inverse, les effets réels de la politique monétaire,
notamment sur l’évolution du taux de chômage, pourrait favoriser le maintien en
emploi des ménages à faible revenu. Ce débat qui a initialement fait irruption
aux États-Unis, s’est aussitôt invité au niveau de la zone
euro
, après que la BCE ait entamé son programme de QE.

Dans une étude
récente
, en se focalisant sur 10 pays de la zone euro entre 2000 et
2015, nous avons analysé l’impact des mesures de politique monétaire de la BCE –
à la fois conventionnelles et non-conventionnelles – sur les inégalités de
revenus. Pour cela, nous avons mobilisé trois indicateurs clés : le coefficient
de Gini avant et après redistribution ainsi qu’un rapport interdécile (le ratio
entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres).

Trois résultats principaux ressortent
de notre étude. D’une part, une politique monétaire restrictive produit un
impact modeste sur les inégalités de revenus, peu importe l’indicateur d’inégalité
retenu. D’autre part, cet effet est principalement tiré par les pays de l’Europe
du sud, particulièrement en période de politique monétaire conventionnelle.
Enfin, nous constatons que les effets redistributifs des politiques monétaires
conventionnelles et non-conventionnelles ne sont pas significativement
différents.

Ces résultats suggèrent donc que les
politiques monétaires menées par la BCE depuis la crise ont eu probablement un
impact insignifiant, voire éventuellement favorable sur les inégalités de
revenus. La normalisation à venir de la politique monétaire de la zone euro
pourrait au contraire augmenter les inégalités. Bien que cette augmentation
puisse être limitée, il est important que les décideurs l’anticipent.


[1]
Pour une analyse des effets attendus des politiques non conventionnelles de la
BCE, voir Blot et al. (2015).




Plan Juncker : donnez-moi un levier et je soulèverai le monde

par Aurélien Saussay

Dans son récent rapport annuel sur la croissance en Europe, l’Annual Growth Survey 2016, la Commission européenne se félicite des avancées réalisées au cours de l’année écoulée dans la mise en place du Plan Juncker. Lancé au premier semestre 2015, ce plan vise à mobiliser 315 milliards d’euros de 2015 à 2017 afin de compenser le déficit d’investissements privés comme publics dont souffre l’Union européenne depuis la crise de 2008. Le plan Juncker est le troisième pilier de la stratégie européenne (avec les réformes structurelles et la discipline budgétaire), et l’atout maître de la « commission de la dernière chance » selon l’expression du Président Juncker.

Les premières annonces avaient suscité l’espoir que les projets financés dans le cadre du Plan pourraient faire exception à la discipline budgétaire européenne – discipline en partie responsable de l’effondrement de l’investissement en Europe depuis la crise des dettes souveraines. Il n’en est rien : ces investissements ne découleront pas de l’application d’une règle d’or des finances publiques dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance appelée par beaucoup. En réalité, seuls 21 milliards sont mobilisés conjointement par le budget européen – donc les pays membres – et la Banque européenne d’investissements (BEI). C’est l’effet de levier qui doit ensuite venir multiplier cette mise de départ pour remplir les objectifs du Plan. D’après les projections de la Commission, les 21 milliards initiaux donneront lieu à 63 milliards de prêts (x 3), qui devraient à leur tour entraîner le secteur privé à réaliser les 315 milliards d’investissements annoncés (x 5, soit au total x 15).

Les investissements seront réalisés par le Fonds européen pour les investissements stratégique (FEIS), nouvelle structure portée par la BEI, en lien avec son Fonds européen pour l’investissement (FEI). En définitive, le Plan Juncker s’apparente à une recapitalisation de la BEI, comme cela s’était déjà produit en 2009 (67 Mds€) et 2012 (60 Mds€). La première de ces opérations avait conduit à une augmentation sensible du volume de prêts octroyés – mais celle-ci fut de courte durée : dès 2012, la BEI avait retrouvé son rythme moyen d’opérations d’avant-crise. Quant à la seconde recapitalisation, elle a certes permis de porter l’activité de la BEI au-delà des 60 milliards d’euros annuels en 2013 et 2014, mais au prix d’une augmentation de la part des lignes de crédits dans l’activité totale, au détriment du financement de projets – objectif central du plan Juncker.

Le succès du plan suppose que la BEI parvienne à débourser plus de 60 milliards d’euros supplémentaires en 3 ans. Mais surtout, il repose de manière cruciale sur l’hypothèse d’un effet de levier agrégé de 15 pour 1. L’analyse détaillée de l’ensemble des projets financés par la BEI entre 2000 et 2014, publiée dans le chapitre 1 de l’iAGS 2016, révèle combien cette hypothèse est optimiste. Alors que son activité s’est accrue de plus de 50 % au cours de cette période, l’effet de levier moyen sur les projets financés par la BEI est passé de 3,8 avant la crise à 3,2 en 2013-2014. Ce chiffre est à comparer au levier de 5 pour 1 avancé par la Commission pour le Plan Juncker ; levier qui sera difficile à réaliser.

Par ailleurs, à ce jour, de l’aveu même de la BEI, seuls 1,4 milliard d’euros ont été déboursés par le FEIS depuis sa création en juillet 2015. A ce rythme, 12,6 milliards d’euros seraient financés sur une période de trois ans – loin des 63 milliards annoncés dans les projections de la Commission. Sur la base du levier historique moyen, le plan Juncker pourrait au final ne conduire qu’à 40 milliards d’investissements, au lieu des 315 milliards annoncés.

Il est encore trop tôt pour juger de la réussite ou de l’échec du Plan Juncker. Mais les premiers signes observés, ainsi que l’historique de l’utilisation de la BEI comme vecteur d’intervention contra-cyclique par la Commission européenne conduisent à la prudence. Pour que le Plan Juncker soit une réussite, il serait nécessaire d’accélérer sensiblement le rythme de déboursement des fonds octroyés au FEIS et d’obtenir un levier moyen sur l’ensemble de ces fonds nettement supérieur à ce qui a pu être observé au cours des quinze dernières années. Deux conditions qui ne semblent pas remplies à ce jour.




La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9ème Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union Européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ? ». La conférence a, bien sûr, été dominée par la question de la crise des dettes publiques de pays de la zone euro. Comment est-on arrivé à cette situation ? Faut-il incriminer des erreurs des politiques économiques nationales ? Faut-il mettre en cause la mauvaise organisation de la zone euro ?

Plusieurs lignes de fracture sont apparues (cf. aussi la Note associée) :

–         pour les uns, ce sont des politiques nationales irresponsables qui sont la cause des déséquilibres : les pays du Sud ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : trop d’austérité au Nord, trop de hausses de salaires au Sud ; il faut une convergence où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs au Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant consolidation budgétaire et réformes structurelles. Pour les autres, il faut une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement de la transition écologique) et une garantie des dettes publiques pour faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas.

–         Pour les uns, toute nouvelle solidarité suppose le développement d’une Union budgétaire, ce qui signifie la mise en place des règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire ; pour les autres, il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies.

Nous proposons un compte-rendu assorti de brefs commentaires[2] dans une Note longue.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] La plupart des articles sont disponibles sur : http://www.euroframe.org/index.php?id=7. Une sélection d’articles sera publiée dans un numéro de la Revue de l’OFCE, collection « Débats et Politiques », à paraître fin 2012. Le présent compte-rendu n’engage que ses auteurs.




Le retour à la drachme serait-il un drame insurmontable?

par Céline Antonin

Le 17 juin 2012, le vote des Grecs aux élections législatives a, au moins pour un temps, éloigné le spectre d’une sortie du pays de la zone euro. Cependant, l’idée n’est pas totalement enterrée, et trouve des relais aussi bien en Grèce que chez certaines formations politiques en zone euro. Cela continue de poser la question du coût d’un défaut total de la Grèce pour ses créanciers, au premier rang desquels figure la France. L’analyse publiée dans la dernière  Note de l’OFCE (n°20 du 19 juin 2012) montre que malgré l’ampleur des pertes potentielles, plusieurs facteurs permettent de relativiser les conséquences d’un défaut de l’Etat grec sur les pays de la zone euro.

Une sortie de la Grèce de la zone euro, non prévue par les traités, serait un véritable casse-tête juridique à résoudre, il faudrait notamment gérer le retrait d’un pays de l’Eurosystème[1]. En cas de retour à une nouvelle drachme, qui se déprécierait fortement par rapport à l’euro[2], le fardeau de la dette publique restant à rembourser serait considérablement alourdi, de même que celui des dettes privées qui seraient toujours libellées en euros. Les faillites d’entreprises financières et non financières seraient nombreuses. Légalement, la Grèce ne pourrait pas convertir unilatéralement sa dette publique en nouvelles drachmes. Etant donné la faible soutenabilité de l’endettement public du pays et le fait que la dette soit libellée quasi-exclusivement en euros, le pays ferait certainement défaut (au moins partiellement) sur sa dette publique, voire sur sa dette extérieure[3]. Les principaux détenteurs de dette grecque étant les pays de la zone euro, quel serait l’ampleur du choc en cas de défaut grec ?

L’objectif ici, dont on trouvera plus de détails dans la Note de l’OFCE (n°20 du 19 juin 2012), est de décomposer l’exposition des pays de la zone euro (et notamment la France) à la dette publique et privée grecque. L’exposition à la dette publique grecque transite par trois canaux principaux :

1) les deux plans d’aide budgétaire de mai 2010 et mars 2012 ;

2) la participation à l’Eurosystème ;

3) l’exposition des banques commerciales.

Si l’on analyse chacun de ces canaux, il apparaît que ce sont surtout les plans d’aide à la Grèce qui exposent les pays de la zone euro à des pertes. Ils exposent les pays de la zone euro à des pertes maximales de 160 milliards d’euros (dont 46 milliards d’euros pour l’Allemagne et 35 milliards d’euros pour la France). Les pays de la zone euro sont également exposés à la dette publique grecque via leur participation à l’Eurosystème : en effet, le bilan de l’Eurosystème a gonflé considérablement pour soutenir les pays fragiles de la zone euro, notamment la Grèce. Cela étant, au vu de la capacité d’absorption des pertes de l’Eurosystème (plus de 3 000 milliards d’euros), nous considérons que les pertes potentielles pour les pays de la zone euro sont peu probables, dans le cas d’un défaut unilatéral de la Grèce sur sa dette publique. Enfin, le système bancaire de la zone euro serait exposé à hauteur de 4,5 milliards d’euros au risque souverain grec et à hauteur de 45 milliards d’euros au secteur privé grec[4].

L’exposition cumulée de la zone euro à la dette grecque, hors Eurosystème, atteindrait au maximum 199 milliards d’euros (2,3 % du PIB de la zone euro, tableau), dont 52 milliards d’euros pour l’Allemagne (2 % du PIB) et 65 milliards d’euros pour la France (3,3 % du PIB). Si l’on inclut l’exposition à l’Eurosystème, l’exposition cumulée de la zone euro à la dette grecque atteindrait 342 milliards d’euros (4 % du PIB de la zone euro), dont 92 milliards d’euros pour l’Allemagne (3,6 % du PIB) et 95 milliards d’euros (4,8 %) pour la France. La France apparaît comme le pays le plus exposé de la zone euro, à cause de l’exposition de ses banques à la dette privée grecque, via des filiales en Grèce. Si l’on ne considère que la dette publique grecque, en revanche, c’est l’Allemagne qui apparaît comme le pays le plus exposé à un défaut grec.


 

Ces montants constituent une borne supérieure : ils représentent le maximum des pertes potentielles dans le scénario le plus défavorable, à savoir le défaut total de la Grèce sur sa dette publique et privée. En outre, il est impossible de prévoir avec certitude l’ensemble des réactions en chaîne liées à une sortie de la Grèce de la zone euro : tout dépend si la sortie est concertée ou pas, si un plan de rééchelonnement des dettes est mis en place, de l’ampleur de la dépréciation de la drachme par rapport à l’euro, …

L’élément « rassurant » de cette analyse est l’ordre de grandeur des pertes éventuelles (tableau): le choc d’une sortie de la Grèce serait absorbable, même si cela induirait un choc sur chacun des pays membres et creuserait leur déficit, sapant leurs efforts pour revenir à l’équilibre budgétaire. En revanche, cette analyse rappelle également combien les économies des pays de la zone euro sont imbriquées, ne serait-ce que via l’Union monétaire, sans parler des mécanismes de solidarité budgétaire. Ainsi, une sortie de la Grèce de la zone euro risquerait d’ouvrir la boîte de Pandore, et si d’autres pays sont tentés d’imiter l’exemple grec, c’est l’ensemble de la zone euro qui risque de sombrer.


[1] L’Eurosystème est l’institution européenne regroupant la BCE et les banques centrales des pays faisant partie de la zone euro.

[2] Sur cette question, voir A. Delatte, Quels sont les risques du retour à la drachme encourus par les Grecs, blog de l’OFCE, juin 2012.

[3] La dette extérieure désigne l’ensemble des dettes qui sont dues par tous les acteurs publics et privés d’un pays à des prêteurs étrangers.

[4] On se situe ici dans un cas d’école, où la dépréciation de la drachme serait telle que la monnaie ne vaudrait plus rien.

 




L’Allemagne sera-t-elle rattrapée par la récession de ses partenaires européens ?

Christophe Blot et Sabine Le Bayon

L’Allemagne peut-elle être épargnée de la récession qui frappe un nombre croissant de pays de la zone euro ? Si la situation économique allemande est sans aucun doute bien plus favorable que celle de la plupart de ses partenaires, il n’en demeure pas moins que le poids des exportations dans le PIB allemand (50% contre 27% en France) fait peser une forte incertitude sur sa trajectoire de croissance.

Ainsi, au dernier trimestre 2011, le recul de l’activité (-0,2 %), lié à la consommation et aux exportations, a fait vaciller les espoirs d’une Allemagne qui serait épargnée de la crise et qui pourrait en retour tirer la croissance de la zone euro grâce à la vigueur de sa demande interne et aux augmentations de salaires. Les exportations de biens en valeur ont reculé de 1,2 % fin 2011 par rapport au trimestre précédent, avec une contribution de -1,5 point pour la zone euro et de -0,4 point pour le reste de l’Union européenne. Certes, le début de l’année 2012 a été marqué par le regain de vigueur de la croissance, avec une progression du PIB de 0,5 % (contre 0 % dans la zone euro) à nouveau tirée par les exportations et en particulier par celles des pays hors de la zone euro. Les perspectives d’une récession outre-Rhin en 2012 semblent donc s’éloigner, mais de fortes incertitudes demeurent sur les évolutions du commerce extérieur dans les prochains mois et sur l’ampleur du ralentissement « importé » en Allemagne. L’enjeu est de savoir si l’amélioration enregistrée au premier trimestre 2012 est temporaire. Le recul des commandes manufacturières des entreprises de la zone euro vers l’Allemagne (-7,5 % au premier trimestre 2012, après -4,8 % au dernier trimestre 2011) pourrait sonner le glas de la vigueur de la croissance allemande, surtout si la récession dans la zone euro se poursuit et s’amplifie.

Avec un PIB par tête qui dépasse le niveau d’avant-crise, l’Allemagne fait figure d’exception dans une zone euro encore profondément marquée par la crise. Le déficit public est maîtrisé et l’Allemagne respecte déjà le seuil de 3 % du Pacte de stabilité et de croissance. Le commerce extérieur[1] reste excédentaire et s’élevait à 156 Mds d’euros (soit 6,1 % du PIB) en 2011 quand, dans le même temps, la France enregistrait un déficit de 70 Mds d’euros (soit 3,5 % du PIB). Pourtant, malgré ces performances favorables en matière de commerce extérieur, la crise a laissé des traces qui sont aujourd’hui amplifiées par la facture énergétique. Ainsi, avant la crise, l’excédent était de 197 milliards dont plus de 58 % liés aux échanges avec les partenaires de la zone euro. Avec la crise, l’activité a fortement ralenti dans la zone euro – le PIB, au premier trimestre 2012, est encore inférieur de 1,4 % à celui qui prévalait au premier trimestre 2008 – ce qui s’est automatiquement répercuté sur la demande adressée à l’Allemagne. Ainsi, les exportations de biens vers la zone euro sont toujours inférieures à leur niveau de début 2008 (de 2,9 % pour l’Allemagne et de 6,3 % pour la France, voir tableau 1). De fait, les excédents commerciaux de l’Allemagne vis-à-vis de l’Italie et de l’Espagne – deux pays fortement touchés par la crise – ont été nettement réduits, principalement en raison du recul de la demande espagnole et italienne. Les exportations allemandes vers ces deux pays ont ainsi respectivement diminué de 27 % et de 4 % depuis 2007.

Néanmoins, même si l’Allemagne est plus exposée aux chocs de commerce international que la France, son exposition à l’égard de la zone euro est moindre. La part des pays de la zone euro dans les exportations allemandes est passée de 44,8 % en 2003 à 39,7 % en 2011 (tableau 2a). En France, malgré une baisse du même ordre de grandeur, 47,5 % des exportations sont toujours orientées vers la zone euro. L’écart s’efface cependant en considérant l’ensemble de l’Union européenne, qui représente 59,2 % des exportations allemandes contre 59,8 % des exportations françaises ; la baisse de la dépendance à l’égard de la zone euro étant compensée par la hausse de la part des nouveaux Etats membres de l’Union européenne dans le commerce allemand qui atteint 11,4 % en 2011. De plus, l’Allemagne a conservé son avance sur les marchés émergents par rapport à la France : l’Asie représente 15,8 % des exportations allemandes en 2011 et la Chine 6,1 %, contre respectivement 11,5 % et 3,2 % dans le cas français. En parvenant à diversifier la composition géographique de ses exportations vers des zones de croissance dynamique, l’Allemagne pourrait amortir le choc d’un ralentissement conjoncturel dans la zone euro. C’est de fait ce que montrent les dernières évolutions du commerce extérieur puisque si les exportations allemandes (comme françaises) sont supérieures à leur niveau d’avant-crise, c’est grâce aux exportations vers les pays hors zone euro, dont l’Allemagne a plus profité que la France (tableau 1). L’Allemagne a en effet réussi à réduire son déficit vers l’Asie de façon nette, ce qui a en partie compensé les mauvais résultats du coté de la zone euro et des PECO. Enfin, l’Allemagne dispose d’avantages en matière de compétitivité hors-prix[2] que traduit le dynamisme des échanges dans les secteurs automobile et des matériels électriques, électroniques et informatiques. Les excédents dans ces deux secteurs ont retrouvé en 2011 leur niveau d’avant-crise (respectivement 103 et 110 milliards d’euros en 2011), alors que les soldes de ces deux secteurs ont continué à se dégrader en France.

Même si les commandes en provenance des pays hors zone euro restent dynamiques (3,6 % début 2012), le poids de la zone euro reste trop fort pour que les exportations vers les pays émergents puissent compenser le recul des commandes adressées par la zone euro à l’Allemagne, ce qui se répercutera inévitablement sur la croissance allemande. Le PIB devrait donc progresser moins rapidement en 2012 qu’en 2011 (0,9 % selon l’OFCE[3], après 3,1 %). L’Allemagne échapperait donc à la récession sauf si la contraction budgétaire devait s’amplifier dans l’ensemble de la zone euro. En effet, le ralentissement de la croissance ne permettra pas aux Etats membres de respecter leurs engagements budgétaires en 2012 et 2013, ce qui pourrait les conduire à décider de nouvelles mesures restrictives qui réduiraient d’autant la croissance dans l’ensemble de la zone euro et donc la demande adressée à leurs partenaires. Dans ce cas, l’Allemagne n’échapperait pas à la récession.

Enfin, le rôle du commerce extérieur n’est pas seulement essentiel pour la croissance et pour l’emploi en Allemagne. Il pourrait également s’immiscer dans les négociations menées par la France et l’Allemagne sur la gouvernance de la zone euro. La croissance relative des pays jouera en effet sur le rapport de force entre les deux pays. Le ralentissement prévu de la croissance en Allemagne traduit bien ses intérêts contradictoires entre le maintien de ses débouchés commerciaux et ses craintes vis-à-vis du fonctionnement de la zone euro et du coût pour ses finances publiques d’un soutien plus large aux pays les plus fragiles. Si ce dernier aspect a pour l’instant dominé, la position allemande pourrait évoluer à partir du moment où ses intérêts commerciaux sont menacés, d’autant plus que la chancelière allemande négocie avec l’opposition parlementaire pour ratifier le pacte budgétaire, opposition qui pourrait réclamer des mesures de soutien à la croissance en Europe comme le fait le nouveau président français.


[1] Mesuré par l’écart entre les exportations et les importations de biens.

[2] Voir aussi J.-C. Bricongne, L. Fontagné et G. Gaulier (2011) : « Une analyse détaillée de la concurrence commerciale entre la France et l’Allemagne », Présentation séminaire Fourgeaud.

[3] Ce chiffre correspond à l’actualisation de notre prévision d’avril 2012 afin de tenir compte de la publication de la croissance du premier trimestre 2012.




Quels sont les risques du retour à la drachme encourus par les Grecs ?

par Anne-Laure Delatte (chercheure associée au département des Etudes)

Le débat sur le maintien ou non de la Grèce dans la zone euro s’intensifie. La directrice du FMI,  Christine Lagarde, fustige le gouvernement grec. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, estime que la zone euro peut désormais supporter une sortie de la Grèce et  maintient que les Grecs n’ont pas le choix. Quels sont les risques pour les Grecs du retour à la drachme ? Cette option conduirait-elle nécessairement le pays au chaos ?  Quelques éléments de réponse peuvent être trouvés dans l’expérience argentine du retour au peso en 2002.

En Argentine, la parité fixe peso/dollar au taux de un peso pour un dollar fut établie par la loi du 1er Avril 1991. Le dollar pouvait être utilisé indifféremment dans les transactions internes. Il en résulta une circulation de dollars dans les transactions courantes et la dénomination des actifs financiers en dollars. Concrètement, en moyenne, dans les années 1990, plus de 70 % des dépôts bancaires et deux tiers des crédits au secteur privé étaient libellés en dollars. Ce montant a culminé au dernier trimestre 2001, la veille de l’abandon du régime, quand 75 % des dépôts privés et 80 % de l’ensemble des crédits étaient libellés en dollars.

Le fort attachement de la population argentine au dollar a été conforté tout au long des années 1990 par la promesse de chaque candidat aux élections présidentielles de maintenir ce régime.  Aussi l’abandon du dollar en janvier 2002 s’est fait dans un contexte politique particulièrement dramatique, marqué par la démission successive de cinq présidents et un désarroi populaire qui a retenti bien au-delà des frontières argentines. Le peso a subi une dévaluation de plus de 70 % par rapport au dollar et l’épargne domestique a fui de façon massive vers des comptes bancaires étrangers. Si le troc est resté marginal, les provinces et l’Etat central ont commencé à émettre leur propre monnaie pour payer les fonctionnaires et leurs fournisseurs. Selon la Banque centrale argentine, ces monnaies parallèles ont représenté 30 % des billets en circulation en moyenne tout au long de 2002.

Ainsi, le contexte dans lequel l’Argentine a rétabli sa monnaie nationale en 2002 était en partie comparable au contexte grec actuel : une forte confusion politique, une grave récession et surtout une monnaie nationale sans réelle crédibilité.

Contre toute attente, malgré l’ampleur de la crise, le désordre social et politique et la fragmentation monétaire qui laissaient prédire une période de 10 ans pour retrouver le niveau de PIB d’avant la crise, la reprise économique s’est amorcée dès le second semestre 2002. Avec une croissance nominale de 9 % par an et une inflation maîtrisée, l’Argentine a finalement  récupéré son niveau d’avant-crise en 2004. Comment l’Argentine est-elle sortie du dollar  « par le haut »?

Le défaut sur 90 milliards de dollars de dette publique, suivi d’un pacte fiscal entre les provinces et l’Etat central et de maîtrise des dépenses ont redressé les finances publiques. Mais ce qui fait l’originalité de l’expérience argentine, c’est la réforme monétaire opérée dès janvier 2002.

En effet, la dévaluation du peso bouleversait les équilibres financiers à l’intérieur du pays. Avec 80 % des crédits contractés en dollars, la plupart des ménages et des entreprises ont vu la valeur de leur dette multipliée par près de quatre ! Après la dévaluation, le montant des dettes privées atteignait en 2002 120 milliards de dollars tandis que le PIB argentin ne pesait plus que 106 milliards de dollars. Pour éviter la faillite de l’ensemble du secteur privé, les autorités argentines ont alors imaginé une règle de remboursement des dettes.

En effet, pour éviter la faillite, la logique voulait que les revenus des entreprises soient libellés dans la même monnaie que les dettes. C’est ainsi que le 4 février 2002, par le décret 214/02, le gouvernement a imposé la « pesification » de l’ensemble de l’économie : tous les prix, les contrats dans les secteurs réel et financier, salaires et dettes ont été convertis en pesos au taux de un peso pour un dollar alors que le cours du marché atteignait presque 4 pesos pour un dollar. Les contrats dans le secteur financier ont subi une conversion du même ordre : les dépôts ne dépassant pas trente mille dollars ont été convertis au taux de 1,4 peso pour 1 dollar[1]. Comment une telle règle s’est-elle imposée malgré les effets de richesse désastreux sur les créanciers ?

La conversion au taux de un pour un (ou 1,4 pour 1) imposée par les autorités a opéré un règlement du conflit sur les dettes en faveur des débiteurs au détriment des créanciers nationaux et étrangers. Or le principal agent débiteur dans l’économie est le secteur productif, c’est-à-dire les entreprises. En leur offrant une sortie de crise protégée, les nouvelles règles monétaires ont neutralisé les effets de bilan et permis que la dévaluation retrouve des effets expansionnistes classiques. En effet, la balance commerciale est devenue excédentaire et l’économie argentine a pu alors profiter du contexte mondial florissant du début des années 2000. Les exportations sont passées de 10 à 25 % du PIB et dès 2004, le niveau du PIB était de 2 % supérieur à la moyenne des années 1990. Autrement dit la règle monétaire a permis le retour à la croissance et à l’emploi, ce qui explique qu’une majorité de la population y a adhéré.

En fait, les Argentins, comme les Grecs aujourd’hui, étaient pris au piège : avec des contrats de dettes libellés en dollar, le retour au peso, après dévaluation, entraînait une faillite généralisée du secteur privé. Si les Grecs abandonnaient l’euro aujourd’hui, le pays entier serait en faillite. En effet, si la drachme était dévaluée de 50 %, comme certaines prévisions l’indiquent actuellement, la dette privée serait multipliée par deux. Avec des revenus libellés en drachmes et des dettes en euro, les entreprises et les ménages seraient incapables de rembourser leurs créanciers. C’est bien le même phénomène de piège qui paralysait les autorités argentines avant 2002.

Au total, plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’expérience argentine. Premièrement, le principal risque pour la Grèce d’une sortie de l’euro est une faillite généralisée du secteur privé. Après le secteur public qui a déjà restructuré 50 % de sa dette, le retour à la drachme, toutes choses égales par ailleurs, fera émerger des conflits financiers entre créanciers et débiteurs privés qui paralyseront le système de paiement. Deuxièmement, pour résoudre la crise, l’Etat doit jouer un rôle central d’arbitre. Dans ces conditions, la nature des règles retenue n’est pas neutre. Les solutions sont multiples, exprimant des orientations politiques et ayant des conséquences économiques divergentes.  En Argentine, le choix de favoriser les débiteurs nationaux est allé à l’encontre des intérêts des détenteurs de capital et des investisseurs étrangers. Aussi, contrairement à ce qu’affirme Wolfgang Schäuble, le gouvernement grec a le choix. C’est le troisième enseignement. La résolution de la crise grecque est plus qu’un projet économique et les options qui s’offrent au peuple grec relèvent de choix politiques. Le choix déterminera des conditions plus favorables à certains groupes économiques (comme les créanciers européens, les salariés grecs, les détenteurs de capital, etc.).

Selon la nature de l’ordre politique, l’Etat pourra chercher à conserver la matrice des rapports de force ou au contraire à la bousculer. Une réforme peut en effet entraîner une rupture et être l’occasion d’une définition de nouveaux rapports de force. L’option poursuivie jusqu’ici a consisté à répartir le coût de la résolution de la crise grecque sur les créanciers d’une part, via la restructuration de la dette publique, et sur les débiteurs d’autre part, via les efforts structurels (réduction des salaires et transferts sociaux) et l’augmentation de la pression fiscale. A contrario, une sortie de la zone euro accompagnée d’une restructuration des dettes privées et publique « façon Argentine » imposerait le coût de la résolution davantage aux créanciers, principalement le reste de l’Europe. Cela explique le regain de tension dans les propos de certains pays européens créanciers à l’égard de la Grèce, ainsi que la confusion qui règne dans le débat européen actuel : en l’absence d’une solution optimale aux effets neutres, chaque partie défend ses propres intérêts au risque d’y laisser la peau de l’euro.


[1] Les dépôts de montants supérieurs étaient au choix convertis dans les mêmes conditions ou transformés en obligations du Trésor libellées en dollars.




Moins d’austérité = plus de croissance et moins de chômage

Eric Heyer et Xavier Timbeau

La Commission européenne vient de publier ses prévisions de printemps et anticipe une récession (légère selon les mots de la Commission, -0,3% tout de même) en 2012 pour la zone euro, rejoignant ainsi l’analyse de la conjoncture de l’OFCE de mars 2012. L’austérité budgétaire brutale engagée en 2010, accentuée en 2011 et encore durcie en 2012 dans pratiquement tous les pays de la zone euro (à l’exception notable de l’Allemagne, tableau 1 et 1 bis) pèse lourdement sur l’activité en zone euro.En 2012, l’impulsion négative en zone euro, combinaison de hausses d’impôt ou de réduction du poids des dépenses dans le PIB, dépasse 1,5 point de PIB. Dans une situation budgétaire dégradée (de nombreux pays de la zone euro ont un déficit supérieur à 4 % en 2011) et afin de pouvoir continuer à emprunter à un coût raisonnable, la stratégie d’une réduction à marche forcée des déficits s’est imposée.

 

 

 

Cette stratégie s’est appuyée sur des annonces de retour au seuil de 3% pour l’année 2013 ou 2014 puis d’un déficit public nul dès 2016 ou 2017 pour une majorité de pays. Cependant, les objectifs sont apparemment trop ambitieux puisqu’aucun pays ne tiendrait ses objectifs pour l’année 2013. La raison en est que le ralentissement de l’activité compromet les rentrées de recettes fiscales nécessaires pour le rétablissement budgétaire. Une prise en compte trop optimiste des effets de la restriction budgétaire sur l’activité (ce que l’on appelle le multiplicateur budgétaire) conduit à se fixer des objectifs irréalistes et à constater que les prévisions de croissance du PIB doivent in fine être systématiquement revues à la baisse. La Commission européenne revoit ainsi ses prévisions de printemps de 0,7 point en baisse pour la zone euro en 2012 par rapport aux prévisions de l’automne 2011. Il existe pourtant aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés et ce d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (là encore, de nombreux auteurs rejoignent des analyses faites à l’OFCE). En sous-estimant la difficulté à  atteindre des cibles inaccessibles, les pays de la zone euro se sont enfermés dans une spirale où la nervosité des marchés financiers est le moteur d’une austérité toujours plus grande.

Le chômage augmente encore en zone euro alors même qu’il n’a pratiquement pas cessé d’augmenter depuis 2009. La dégradation cumulée de l’activité économique compromet aujourd’hui la légitimité du projet européen et le remède de cheval menace la zone euro de dislocation.

Que se passerait-il si la zone euro changeait de cap dès 2012 ?

Supposons que les impulsions budgétaires négatives soient de -0,5 point de PIB au lieu des -1,8 point prévu au total dans  la zone euro). Cet effort budgétaire moindre pourrait être répété jusqu’à ce que le déficit public ou la dette publique atteigne un objectif à définir. Par rapport aux plans actuels, parce que l’effort est plus mesuré, le fardeau de l’ajustement pèserait de façon plus juste sur les contribuables de chaque pays, évitant l’écueil des coupes sombres dans les budgets publics.

Le tableau 2 résume le résultat de cette simulation. Moins d’austérité conduit à plus de croissance dans tous les pays (tableau 2 bis) et ce d’autant plus que la restriction budgétaire annoncée pour 2012 est forte. Notre simulation tient compte également des effets de l’activité d’un pays sur les autres pays via le commerce extérieur. Ainsi, l’Allemagne, qui ne change pas son impulsion budgétaire dans notre scénario, voit sa croissance supérieure de 0,8 point en 2012.


Dans le scénario « moins d’austérité », le chômage baisserait au lieu de continuer à augmenter. Dans tous les pays, sauf la Grèce, le déficit public serait réduit en 2012 par rapport à 2011. Certes, cette  réduction serait moindre que dans le scénario initial dans quelques pays, notamment ceux qui ont annoncé des impulsions négatives très fortes (l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal et … la Grèce) et qui sont ceux qui subissent le plus la défiance des marchés financiers. A l’inverse dans certains pays, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, le déficit public se réduirait plus que dans le scénario initial, l’effet indirect positif d’une croissance plus forte l’emportant sur l’effet direct d’une moindre rigueur budgétaire. Pour la zone euro dans son ensemble, le déficit public serait de 3,1 points de PIB contre 2,9 points dans le scénario initial. Une différence faible en regard d’une dynamique de croissance plus favorable (2,1 %) et d’une baisse du chômage (-1,2 point, tableau 2) au lieu d’une hausse dans le scénario initial.

La clef du scénario « moins d’austérité » est de permettre aux pays les plus en difficulté, et donc les plus contraints à une rigueur qui précipite leurs économies dans une spirale redoutable, d’adopter une réduction plus lente de leurs déficits. La zone euro est coupée en deux camps. D’un côté, il y a ceux qui réclament une austérité forte et brutale pour rendre crédible la soutenabilité des finances publiques et qui ont sous estimé ou ignoré délibérément les conséquences pour la croissance ; de l’autre, ceux qui, comme nous, recommandent moins d’austérité pour préserver plus de croissance et un retour au plein emploi. Les premiers ont failli : la soutenabilité des finances publiques n’est pas assurée et la récession et le défaut d’un ou plusieurs pays guettent. La seconde stratégie est la seule voie de retour à la stabilité sociale, économique mais aussi budgétaire puisqu’elle concourt à la soutenabilité des finances publiques par un meilleur équilibre entre restriction budgétaire et croissance et emploi, comme nous l’avons proposé dans une lettre au nouveau président de la République française.

 





Les marchés financiers, épée de Damoclès de l’élection présidentielle

par Céline Antonin

Même si certains candidats s’en défendent, le risque financier lié à la crise budgétaire en zone euro est l’invité d’honneur de la campagne présidentielle. Preuve que la question est sensible, le lancement d’un nouveau produit financier sur la dette française, mi-avril, a cristallisé les tensions. Il faut dire que le contexte est particulier : le défaut grec a montré que la faillite d’un pays de la zone euro était devenue possible. Malgré les pare-feux budgétaires mis en place depuis mai 2010 (notamment le Fonds européen de stabilité financière), certains pays voisins de la France font face à une défiance des marchés financiers, fragilisant leur capacité à tenir leurs engagements budgétaires et à assurer la soutenabilité de leur dette publique, l’exemple le plus préoccupant en date étant l’Espagne. Quels sont les instruments dont disposent les spéculateurs pour attaquer un pays comme la France et que faut-il craindre au lendemain de l’élection présidentielle ?

 

L’outil le plus utilisé pour spéculer contre la dette publique d’un pays est le swap de défaut (ou CDS, Credit Default Swap). Ce contrat procure une assurance contre un événement de crédit et notamment le défaut d’un Etat (voir en annexe “Fonctionnement technique des CDS” in fine). Seuls les investisseurs institutionnels, principalement les banques, assurances et hedge funds, ont accès directement au marché des CDS sur les Etats souverains[1].

 

Les CDS n’ont pas seulement un rôle de couverture, ils sont également un moyen privilégié de spéculation. L’une des critiques vis-à-vis des CDS vient du fait que l’acheteur de protection n’a aucune obligation de détenir une exposition crédit à l’entité de référence, autrement dit on peut acheter des CDS sans détenir l’obligation sous-jacente (achat/vente à nu). En juin 2011, le marché des CDS représentait 32 400 milliards de dollars d’encours notionnel. Devant l’ampleur de ces chiffres, l’Union européenne a finalement adopté un règlement portant sur l’encadrement des ventes à découvert : il interdit notamment les CDS à nu sur la dette souveraine des Etats européens, mais ne sera applicable qu’à partir du 1er novembre 2012.

 

Le FOAT, nouvel instrument de spéculation sur la dette française ?

Ce nouvel instrument financier, mis en place le 16 avril par Eurex[2], est un contrat futures, c’est-à-dire un accord entre deux parties pour acheter ou vendre un actif spécifique à une date future et à un prix fixé à l’avance. L’actif spécifique est en l’occurrence une obligation assimilable du Trésor français (OAT), de maturité restante longue (comprise entre 8,5 et 10,5 années), avec un coupon de 6 % et pour un montant nominal de 100 000 euros. Doit-on s’inquiéter du lancement de ce nouveau contrat, à la veille de l’élection présidentielle ? Non si l’on considère que le lancement du FOAT répond au décrochage entre taux obligataires allemands et français, intervenu depuis la récente dégradation de la note souveraine française : auparavant, les taux obligataires allemands et français étant étroitement corrélés, le FOAT sur les obligations allemandes permettait une couverture du risque sur les obligations allemandes et françaises. A la suite du creusement de l’écart de taux entre les deux pays, Eurex a décidé de créer un contrat futures spécifique pour les obligations françaises. Le même phénomène s’est produit pour l’Italie : depuis septembre 2009, l’Eurex a également lancé trois contrats futures sur les titres de dette obligataire italienne[3]. En outre, l’Eurex est un marché organisé privé de droit allemand, beaucoup plus transparent que le marché de gré à gré sur lequel s’échangent les CDS. Notons que le lancement du FOAT n’a pas connu beaucoup de succès : le jour de son lancement, il s’est échangé seulement 2 581 contrats futures sur les obligations françaises, contre 1 242 000 sur les obligations allemandes et 13 671 sur les obligations italiennes[4].

Même si, comme pour les CDS, la fonction première du FOAT est la couverture contre le risque, il peut également devenir un instrument de spéculation, notamment via les ventes à découvert. Alors que la spéculation sur la dette française était réservée aux gros investisseurs, avec un montant notionnel moyen de 15 milliards d’euros par CDS[5], le montant notionnel du nouveau contrat FOAT est de 100 000 euros, ce qui drainera davantage d’investisseurs sur le marché de la dette française. Si les spéculateurs parient sur une dégradation de la soutenabilité des finances publiques, alors le prix des contrats futures sur les OAT baissera, ce qui amplifiera les mouvements de marché et provoquera la hausse des taux sur les contrats OAT.

Des lendemains qui déchantent ?

Il est difficile de prévoir l’attitude des marchés financiers au lendemain des résultats des élections présidentielles françaises. L’étude de ce qui se passe dans d’autres pays de la zone euro nous renseigne peu, en raison des situations spécifiques dans chacun d’entre eux. Le pays le plus « comparable » à la France serait sans doute l’Italie. Or, la nomination de Mario Monti en novembre 2011 s’inscrivait dans un contexte particulier, où la constitution d’un gouvernement technique avait précisément pour but de restaurer la confiance des marchés en réduisant le déficit à marches forcées, l’Italie bénéficiant également de la politique accommodante de la BCE. La configuration budgétaire française est différente, l’impératif financier n’apparaissant qu’au second plan. Les candidats des deux grands partis mettent néanmoins en avant la nécessité de revenir à l’équilibre budgétaire. Le calendrier diffère (2016 pour l’UMP, 2017 pour le PS), ainsi que les moyens d’y parvenir : pour Nicolas Sarkozy, les efforts budgétaires porteront davantage sur une modération des dépenses publiques (0,4 % par an entre 2013 et 2016, contre 1,1 % pour le PS), alors que François Hollande met l’accent sur la hausse des recettes, avec une augmentation du taux de prélèvements obligatoires de 1,8 % entre 2012 et 2017 (contre 1 % pour l’UMP).

Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui frappe, au-delà de l’impératif de réduction des déficits publics dans les pays de la zone euro, c’est le fait que nos destins soient inextricablement liés. Comme le montre le graphique d’évolution des taux d’intérêt obligataires en zone euro (graphique 2), lorsque la zone euro est affaiblie, c’est l’ensemble des pays qui en subissent les conséquences sur leur prime de risque par rapport aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, bien qu’à des degrés divers. Il est donc irréaliste de penser la stratégie budgétaire et la stratégie de croissance française en dehors du cadre européen. Ce qui empêchera les marchés financiers de spéculer sur la dette d’un pays, c’est la constitution d’une Europe budgétaire forte et dotée de règles strictes, assistée d’une politique monétaire active. Cette construction est en marche mais elle est loin d’être aboutie : le FESF n’a pas une force de frappe suffisante pour aider les pays en difficulté, la stratégie de croissance à l’échelle européenne, décidée au sommet du 2 mars 2012, demande à être approfondie, et la BCE doit mener une politique active, à l’instar de la Fed, ce qui exige notamment une révision de ses statuts. Comme l’a rappelé l’agence Standard and Poor’s lorsqu’elle a annoncé la dégradation de la note française en décembre dernier, c’est avant tout la cohésion budgétaire en zone euro qui sera regardée de près par les marchés financiers. Le 6 mai 2012, ce sera donc davantage l’attitude du prochain Président vis-à-vis de cette construction budgétaire et sa capacité à faire valoir sa position au sein de la zone euro qui détermineront l’attitude future des marchés financiers, non seulement vis-à-vis de la France, mais également vis-à-vis de chacun des pays de la zone euro.


Annexe : Fonctionnement technique des CDS

L’acheteur du contrat acquiert le droit de vendre une obligation de référence à sa valeur nominale (qualifiée de « principal ») en cas d’événement de crédit. L’acheteur du CDS paie au vendeur des montants convenus, à intervalles réguliers, jusqu’à l’échéance du CDS, ou à la survenance de l’événement de crédit. Le swap est alors dénoué, soit par livraison du sous-jacent, soit en cash. Si les termes du contrat prévoient un règlement physique, l’acheteur du CDS livre les obligations au vendeur en échange de leur valeur nominale. Si le CDS est dénoué en cash, le vendeur du CDS rembourse à l’acheteur la différence entre le montant nominal des obligations de l’acheteur et le montant des obligations cotées à la suite de l’événement de crédit (valeur de recouvrement), sachant que dans ce cas, l’acheteur du CDS conserve ses obligations décotées. Dans la plupart des cas, la valeur de recouvrement est déterminée officiellement par un processus d’enchère organisé par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association). La prime annuelle que versera la banque à la compagnie d’assurance pour avoir le droit à une couverture s’appelle le spread du CDS et constitue la valeur cotée sur le marché : plus le risque de défaut est élevé, plus le spread des CDS augmente (graphique 1). En réalité, les banques étant à la fois des acheteurs et des vendeurs de protection, le spread est généralement présenté comme une fourchette : une banque peut proposer une fourchette 90-100 points de base sur le risque de défaut de la France. Elle est donc prête à acheter une protection contre le risque de défaut en payant 90 points de base sur le principal, mais elle en exige 100 pour fournir cette protection.

A titre d’illustration, on peut considérer l’exemple suivant. Le 7 mai 2012, une banque (acheteuse) signe un CDS sur un principal de 10 millions d’euros pour 5 ans avec une compagnie d’assurance (vendeuse). La banque s’engage à payer 90 points de base (spread) pour se protéger contre le défaut de l’Etat français. Si la France ne fait pas défaut, la banque ne recevra rien à l’échéance, mais paiera chaque année 90 000 euros chaque 7 mai des années 2012 à 2017. Supposons qu’un événement de crédit survienne le 1er octobre 2015. Si le contrat spécifie la livraison du sous-jacent, l’acheteur a le droit de livrer ses 10 millions d’euros de nominal d’obligations françaises et recevra en échange 10 millions d’euros en cash. S’il est prévu un dénouement en cash, et si les obligations françaises ne sont plus cotées qu’à 40 euros, alors la compagnie d’assurance versera 10 000 000-4 000 000 = 6 millions d’euros à la banque.



[1] Les particuliers pouvent jouer sur les marchés de CDS d’entreprise via les trackers (placements collectifs en valeurs mobilières qui répliquent la performance d’un indice boursier).

[2] L’Eurex a été créé en 1997 par la fusion du marché à terme allemand, la Deutsche Termin-Börse (DTB), et le marché à terme de Zurich, le Swiss Options and Financial Futures Exchange (SOFFEX), entre autres pour concurrencer le LIFFE. Il appartient à Deutsche Börse et domine le marché des contrats de taux à long terme.

[3] En septembre 2009 pour les obligations à maturité restante longue (8,5 à 11 ans), octobre 2010 pour les obligations à maturité restante courte (2 à 3,25 ans) et juillet 2011 pour les obligations à maturité restante moyenne (4,5 à 6 ans).

[4] Notons que cette comparaison est biaisée du fait qu’il existe 4 contrats futures sur la dette allemande, 3 sur la dette italienne, et seulement 1 sur la dette française.

[5] Données hebdomadaires fournies par la DTCC pour la semaine du  9 au 13 avril 2012 sur les CDS souverains sur la dette française : le notionnel brut atteint 1 435 milliards de dollars et 6822 contrats ont été échangés.

 




Les infortunes de la vertu*

par Christophe Blot

* Ce texte résume les perspectives 2012-2013 pour l’économie de la zone euro, réalisées par le Département analyse et prévision et disponibles sur le site internet de l’OFCE

La zone euro est toujours en crise : crise économique, crise sociale et crise budgétaire. Le recul du PIB de 0,3 % au quatrième trimestre 2011 rappelle que le mouvement de reprise initié après le grand plongeon de 2008-2009 est fragile et que la zone euro a fait le premier pas vers une récession qui se confirmerait dès le début de l’année 2012.

La baisse du taux d’intérêt public moyen de la zone euro à long terme observée depuis le début de l’année s’est interrompue. Après avoir atteint 3,25 % le 9 mars, il de nouveau augmenté en raison des nouvelles tensions apparues sur les taux italien et espagnol. En effet, malgré l’accord signé pour éviter un défaut de paiement de la Grèce, de nouvelles inquiétudes sont cette fois-ci venues de l’Espagne après l’annonce que le déficit budgétaire avait atteint 8,5 % en 2011 – soit 2,5 points de plus que l’objectif initialement fixé –, et la déclaration que les engagements pour 2012 ne seraient pas tenus, ce qui a renforcé les doutes sur la soutenabilité de la dette. La situation espagnole illustre le lien étroit entre la crise macroéconomique et la crise des dettes souveraines qui frappent l’ensemble de la zone euro. La mise en œuvre des plans d’ajustement budgétaire en Europe, dont l’impact est amplifié par la forte interdépendance des économies, provoque le ralentissement, voire la récession dans les différents pays de la zone euro. Cet impact des restrictions synchronisées est pourtant sous-estimé si bien que les gouvernements se voient assignés des objectifs souvent difficiles à tenir, sauf à accepter une récession toujours plus forte. Les tensions ne manqueront pas de se répéter en 2012 tant que la zone euro continuera à s’enfermer dans une stratégie d’austérité synchronisée qui condamne la reprise de l’activité et la baisse du chômage. Le taux d’intérêt public à long terme de la zone euro devrait rester supérieur à ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni (graphique) bien que le déficit budgétaire moyen de la zone euro soit nettement inférieur en 2011 à celui de ces deux pays : 3,6 % contre respectivement 9,7 % aux Etats-Unis et 8,3 % au Royaume-Uni.

Pour sortir de cette spirale récessive, les pays de la zone euro doivent reconnaître que la réduction des déficits budgétaires ne passe pas uniquement par l’austérité. La croissance et le niveau des taux d’intérêt sont deux autres facteurs tout aussi importants pour assurer la soutenabilité de la dette publique. Il est donc urgent de définir une autre stratégie, moins coûteuse en termes de croissance et d’emploi, ce qui serait la seule garantie contre le risque d’éclatement de la zone euro. Premièrement, l’austérité généralisée doit être abandonnée. Le principal problème de la zone euro n’est pas la dette mais la croissance et le chômage. Ensuite, la solidarité doit être renforcée afin de freiner la spéculation sur la dette des pays les plus fragiles. La coordination des politiques budgétaires des Etats membres doit être améliorée afin d’atténuer les effets indirects des restrictions des uns sur la croissance des autres[1]. Il faut d’une part étaler dans le temps la consolidation lorsque celle-ci est nécessaire pour assurer la soutenabilité de la dette. D’autre part, les pays disposant de marges de manœuvre budgétaires doivent engager des politiques budgétaires plus expansionnistes. Enfin, l’action de la BCE devrait être amplifiée et coordonnée avec celles des gouvernements de la zone euro. Elle seule dispose des moyens pour ancrer les taux d’intérêt de court terme et de long terme à un niveau suffisamment bas, ce qui permettrait à la fois de soutenir la croissance et de favoriser le refinancement des déficits budgétaires. En deux opérations de refinancement exceptionnel, la BCE a en effet alloué plus de 1 000 milliards d’euros de refinancement aux banques de la zone euro. Cet apport de liquidité était indispensable pour répondre aux difficultés des banques à trouver des financements de marché. Il témoigne également des capacités d’action des autorités monétaires. Le portefeuille de titres de dette publique de la BCE s’élevait fin mars 2012 à 214 milliards, soit 2,3 % du PIB de la zone euro. A titre de comparaison, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, les banques centrales détiennent un portefeuille de titres publics supérieur à 10 % de leur PIB. Les marges de manœuvre de la BCE pour réduire la prime de risque sur le taux d’intérêt de la zone euro en acquérant des titres publics sur les marchés secondaires sont donc importantes. De telles mesures permettraient de garantir la soutenabilité de la dette à long terme à un moindre coût.

 


[1] Voir « Qui sème la restriction récolte la récession », Notes de l’OFCE n° 16, mars 2012.




Equilibrer le solde public doit-il être l’objectif central de la politique économique ?

par Henri Sterdyniak

La crise financière de 2007-2012 a provoqué une forte hausse des déficits et dettes publics puisque les États ont dû intervenir pour sauver les systèmes financiers, pour soutenir l’activité et surtout ont enregistré une forte baisse de leurs recettes fiscales en raison de la chute du PIB. Début 2012, alors qu’ils sont loin d’être rétablis des effets de la crise (qui leur a coûté en moyenne 8 points d’activité par rapport à la tendance d’avant-crise), ils sont confrontés à un choix délicat : faut-il continuer à soutenir l’activité ou tout faire pour réduire les dettes et les déficits publics ?

Une note détaillée développe neuf points d’analyse :

– La croissance des dettes et des déficits n’est pas une spécificité française ; elle a eu lieu dans tous les pays développés.

– Les administrations publiques françaises sont certes endettées mais elles possèdent aussi des actifs physiques. Globalement, la richesse nette des administrations représentait 26,7 % du PIB fin 2010, soit 8 000 euros par Français.  Par ailleurs, il faut considérer l’ensemble de la richesse nationale (actifs physiques moins endettement à l’étranger) : le nouveau-né français est riche en moyenne, à sa naissance, de 202 000 euros (la richesse nationale divisée par le nombre d’habitants).

– En 2010, la charge nette de la dette était de 2,3 % du PIB ; soit un taux d’intérêt moyen sur la dette de 3,0 %, nettement en dessous du taux de croissance nominal potentiel. A ce niveau, le vrai coût de la dette, c’est-à-dire l’excédent primaire nécessaire pour stabiliser la dette, est nul, voire légèrement négatif.

– La vraie « règle d’or » des finances publiques stipule qu’il est légitime de financer les investissements publics par l’endettement public. Le déficit structurel doit donc être égal à l’investissement public net. Cette règle autorise pour la France un déficit de l’ordre de 2,4 % du PIB. Il n’y a aucune raison de fixer une norme d’équilibre des finances publiques. L’État n’est pas un ménage. Immortel, il peut avoir une dette en permanence ; il n’a pas à la rembourser mais seulement à garantir qu’il pourra toujours en servir la charge.

– Le déficit public est nocif pour les générations futures quand il s’agit d’un déficit déséquilibrant provoqué par des hausses excessives de dépenses publiques ou des baisses excessives des impôts ; il provoque alors une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt et nuit à l’investissement et à la croissance. Ce n’est pas le cas du déficit actuel ; celui-ci est un déficit de régulation, nécessaire pour soutenir l’activité, en situation de bas taux d’intérêt, en raison d’un fort taux d’épargne des ménages et d’un refus des entreprises d’investir davantage.

– Pour certains, les 8 points de PIB perdus pendant la crise sont perdus à tout jamais ; il faut se résigner à un chômage durablement élevé, celui-ci étant structurel. Comme l’objectif doit être d’équilibrer le solde public structurel, la France doit encore faire un effort important de l’ordre de 4 points de PIB de son déficit public. Pour nous, le déficit soutenable est de l’ordre de 2,4 points de PIB. Le déficit structurel de 2011 est déjà en dessous de ce chiffre. C’est la croissance qui doit permettre de résorber le déficit conjoncturel. Il n’est pas nécessaire de faire d’effort budgétaire supplémentaire.

– Le 9 décembre 2011, les pays de la zone euro se sont accordés sur un nouveau Pacte budgétaire : le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance de l’UEM. Ce pacte contraindrait fortement les politiques budgétaires à l’avenir. Le déficit structurel de chaque pays membre devra être inférieur à 0,5% du PIB. Un mécanisme de correction automatique devra se déclencher si le déficit est excessif. Cette contrainte et ce mécanisme devront obligatoirement être intégrés de façon contraignante et permanente dans les procédures budgétaires de chaque pays. Les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB devront faire diminuer leur ratio de dette d’au moins un vingtième par an de l’écart avec 60 %.

Ce projet est dangereux sur le plan économique. Il impose des objectifs de moyen terme (un solde budgétaire équilibré, une dette revenant en dessous de 60 % du PIB) qui sont arbitraires et ne sont pas compatibles a priori avec les nécessités de l’équilibre économique. De même, il impose une politique budgétaire incompatible avec les nécessités de la régulation conjoncturelle. Il interdit toute politique budgétaire discrétionnaire. Il prive les gouvernements de tout instrument de politique budgétaire.

– Si la croissance des dettes et des déficits publics dans les pays développés a été la réponse au creusement des déséquilibres mondiaux, on ne peut réduire les dettes et les déficits sans s’attaquer aux causes de ces déséquilibres. Sinon, la mise en œuvre simultanée de politiques budgétaires restrictives dans l’ensemble des pays de l’OCDE se traduira par une stagnation de la production, une baisse des recettes fiscales, une dégradation des ratios d’endettement sans parvenir à rassurer les marchés financiers.

– Une économie mondiale plus équilibrée nécessiterait des pays excédentaires qu’ils basent leur croissance sur leur demande intérieure et que leurs capitaux prennent le risque de l’investissement direct. Dans les pays anglo-saxons, de plus fortes progressions des revenus salariaux et sociaux comme la réduction des inégalités de revenus rendraient moins nécessaire le gonflement des bulles financières, des dettes des ménages et des dettes publiques. La zone euro a besoin de retrouver les 8 points de PIB perdus du fait de la crise. Au lieu de se polariser sur les soldes publics, les instances européennes devraient présenter une stratégie de sortie de crise, basée sur la reprise de la demande, tout particulièrement sur les investissements préparant la transition écologique. Cette stratégie doit comporter le maintien de bas taux d’intérêt et des déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité.