Chocs, chômage et ajustement, les limites de l’union monétaire européenne

Par Christophe Blot

Dans un article paru en 2013 dans Open Economies Review[1], C. A. E. Goodhart et D. J. Lee comparent les mécanismes de sortie de crise aux Etats-Unis et en Europe. S’appuyant sur une comparaison de la situation de trois Etats (l’Arizona, l’Espagne et la Lettonie) confrontés à un krach immobilier et à une récession, les auteurs explorent les raisons de la divergence croissante observée entre les pays de la zone euro, divergence qui ne se retrouve pas aux Etats-Unis. Leur analyse s’appuie sur les critères de zones monétaires optimales permettant aux membres d’une union monétaire de s’ajuster en cas de choc négatif, et ainsi d’éviter une divergence pérenne de leur taux de chômage lors d’un ralentissement ou d’un recul de l’activité. Si la Lettonie ne fait pas formellement partie d’une union monétaire[2], sa monnaie est cependant restée solidement ancrée à l’euro pendant la crise. Ainsi, aucun des Etats étudiés par Goodhart et Lee n’a eu recours à une dévaluation nominale pour absorber les chocs financiers et réels auxquels ils ont été confrontés. Ils concluent que si l’Arizona a mieux absorbé les chocs que l’Espagne, c’est à la fois en raison de la plus grande solidarité fiscale qui existe entre les Etats des Etats-Unis et de la plus forte intégration du système bancaire américain qui contribue à amortir les chocs spécifiques à chaque Etat.

Outre l’appartenance de jure ou de facto à une union monétaire, l’Arizona, l’Espagne et la Lettonie ont en commun d’avoir enregistré un boom immobilier dans les années 2000 suivi d’une correction qui a débuté dès 2006 dans l’Arizona et en Lettonie, et un an plus tard en Espagne (graphique 1). La crise immobilière s’accompagne d’une récession et l’on retrouve le même décalage entre l’Espagne et les deux autres Etats. La Lettonie a enregistré la baisse d’activité la plus forte (-21 % entre 2007 et 2010). En revanche, les pertes d’activité enregistrées par l’Arizona (-5,5 % depuis 2007) et l’Espagne (-5 % depuis 2008) sont comparables. Tandis que l’ajustement à la baisse du marché immobilier a cessé en Arizona (la reprise est enclenchée dans l’Etat américain), la récession se poursuit en Espagne. Au total, cette différence dans l’ajustement se traduit par une hausse continue du chômage en Espagne alors qu’il a baissé de 2,8 points en Arizona depuis le pic atteint au premier trimestre 2010 (graphique 2).

L’enlisement de l’Espagne dans la récession et la divergence croissante des économies dans la zone euro pose la question de la capacité des pays de la zone euro à s’ajuster en cas de choc négatif. La théorie des zones monétaires optimales, initialement développée par Mundell en 1961[3], permet d’évaluer les conditions sous lesquelles un pays peut avoir intérêt à adhérer à une union monétaire. L’optimalité de ce choix dépend de la capacité du pays à absorber les chocs sans avoir recours à une dévaluation de la monnaie. Différents mécanismes d’ajustement sont mis en exergue. Il s’agit principalement[4] de la flexibilité des prix et en particulier des salaires, de la mobilité du facteur travail, de l’existence de transferts budgétaires entre les pays de l’union monétaire et de l’intégration financière. La flexibilité des prix correspond à un mécanisme de dévaluation interne. Comme pour la dépréciation de la monnaie, il s’agit de gagner en compétitivité – par une baisse du coût du travail relatif – pour stimuler les exportations et la croissance lorsque survient un choc négatif. Néanmoins, ce type d’ajustement est généralement bien plus long et coûteux comme le suggèrent les exemples récents de l’Islande et de l’Irlande[5]. La mobilité du travail permet l’ajustement dès lors que la récession conduit des personnes à migrer des Etats où le chômage est élevé vers celui où il est plus faible. La mise en œuvre de transferts budgétaires résulte de l’ensemble des mécanismes permettant aux Etats où la croissance ralentit de bénéficier de transferts stabilisateurs en provenance des autres Etats de l’union ou d’un échelon de gouvernement supérieur. Enfin, Goodhart et Lee considèrent également le rôle stabilisateur du système bancaire local. En l’occurrence, au sein de la zone euro, moins le système bancaire local est fragilisé par la crise immobilière ou celle des dettes publiques, meilleure est l’absorption des chocs.

Les auteurs analysent l’ajustement des économies considérées à l’aune de ces quatre critères. Ils étudient notamment le degré de flexibilité des prix et de mobilité du travail en fonction du chômage dans les trois Etats. Puis ils évaluent l’importance des transferts budgétaires et l’architecture du paysage bancaire. Leurs conclusions sont les suivantes :

  1.  La flexibilité des prix n’a joué que marginalement dans l’ajustement sauf en Lettonie où la hausse du chômage a entraîné une baisse du coût unitaire du travail. Ces coûts n’ont par contre pas réagi significativement à l’augmentation du chômage en Espagne et dans l’Arizona.
  2.  Si les migrations sont plus fortes au sein des Etats-Unis qu’en Europe, les différences ne permettent toutefois pas d’expliquer l’écart d’ajustement des taux de chômage. Il ressort cependant que le rôle des migrations en tant que mécanisme d’ajustement se serait renforcé en Europe. Il reste qu’elles sont insuffisantes pour assurer la convergence des taux de chômage.
  3. En 2009 et 2010, l’Arizona a bénéficié d’importants transferts du gouvernement fédéral alors qu’au niveau européen, il n’existe aucun mécanisme automatique de transferts entre Etats. Toutefois, la Lettonie a bénéficié de l’assistance du FMI en 2009 tandis que les pays de la zone euro sont venus au chevet des banques espagnoles. Il reste qu’en l’absence de budget européen conséquent, les pays européens ne peuvent bénéficier que de plans d’aide d’urgence qui, certes, permettent de répondre à un besoin de financement, mais sont insuffisants pour jouer le rôle de stabilisateur économique.
  4. Enfin, les auteurs soulignent que l’amplification financière des chocs a été moindre en Arizona dans la mesure où l’essentiel de l’activité bancaire y est réalisée par des banques nationales qui sont de fait moins sensibles aux conditions macroéconomiques et financières locales. Le risque de rationnement du crédit est alors atténué, ce qui permet de mieux absorber le choc initial. En Espagne, à l’exception de quelques banques ayant une activité internationale, qui leur permet de diversifier les risques, l’activité bancaire dépend de banques locales qui sont de fait plus vulnérables. Cette fragilité accrue pousse les banques à restreindre l’accès au crédit, ce qui renforce le choc initial. La Lettonie se trouve dans une position alternative dans la mesure où l’activité financière est essentiellement réalisée par des banques étrangères. La nature du risque est alors différente puisque l’activité financière locale est déconnectée des conditions macroéconomiques lettones mais dépend de celles du pays où ces banques – suédoises dans une forte proportion – exercent leur activité principale.

La crise de la zone euro a donc bien une dimension institutionnelle. A partir du moment où les pays ont librement consenti à abandonner leur souveraineté monétaire, ils ont aussi refusé de recourir à la dévaluation de la monnaie pour amortir les récessions. Il est cependant indispensable que des mécanismes d’ajustement alternatifs opèrent afin de garantir la « soutenabilité » de l’unification monétaire. L’article écrit par Goodhart et Lee rappelle à cet égard que ces mécanismes font encore défaut dans la zone euro. Les négociations autour du budget européen n’ont ouvert aucune perspective pour la mise en œuvre de transferts fiscaux permettant de stabiliser les chocs au niveau européen. La discussion sur les Eurobonds est au point mort. Si le MES (Mécanisme européen de stabilité) est bien un outil de solidarité entre les Etats membres, il répond à une problématique différente puisqu’il s’agit uniquement d’une aide financière d’urgence et non d’un mécanisme de stabilisation automatique. L’intégration bancaire pourrait aussi permettre d’amortir les fluctuations. Cependant, la crise a entraîné une fragmentation accrue des marchés bancaires européens. Le dernier rapport sur l’intégration financière en Europe, publié par la BCE, révèle une baisse des flux bancaires transfrontaliers de 30 % au cours de la période récente. De même, malgré la politique monétaire commune, les taux appliqués aux crédits par les banques européennes ont divergé récemment[6] (graphique 3). Ainsi, malgré le passeport bancaire européen issu de la directive européenne du 15 décembre 1989 en matière de reconnaissance mutuelle des agréments délivrés aux établissements de crédit, l’activité bancaire transfrontalière reste peu développée à l’échelle européenne. Le modèle de banque de détail s’appuie sur l’existence de relations de long terme entre la banque et ses clients, ce qui explique sans doute pourquoi le processus d’intégration est beaucoup plus long que pour les marchés obligataires, monétaires ou d’actions. Il reste cependant que l’union bancaire pourrait constituer une étape supplémentaire dans ce difficile processus d’intégration. Cela favoriserait le développement d’une activité transnationale, ce qui permettrait aussi de déconnecter les problèmes de solvabilité et de liquidité des banques et ceux du financement de la dette publique.

graph1_1110CBblog

graph2_1110CBblog

graph3b_1110CBblog

 

___________________________________

[1] « Adjustment mechanisms in a currency area », Open Economies Review, January 2013. Une version préliminaire de l’article peut être téléchargée ici : http://www.lse.ac.uk/fmg/workingPapers/specialPapers/PDF/SP212.pdf

[2] La Lettonie participe depuis 2005 au mécanisme de change européen et devrait adopter l’euro au 1er janvier 2014.

[3] « A theory of optimum currency areas », American Economic Review,  vol. 51, 1961.

[4] On peut aussi ajouter le taux d’ouverture de l’économie ou le degré de diversification de la production.  Mongelli (2002) propose une revue détaillée de ces différents critères. Voir : « New views on the optimum currency area theory : what is EMU telling us ? » ECB Working Paper, n° 138.

[5] Voir Blot et Antonin (2013) pour une analyse comparative des cas irlandais et islandais.

[6] C. Blot et F. Labondance (2013) proposent une analyse de la transmission de la politique monétaire aux taux appliqués par les banques aux sociétés non financières (voir ici) aux prêts immobiliers (voir ici).




Trop de finance tue-t-il la croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Existe-t-il un niveau optimal de financiarisation de l’économie ? Un document de travail du FMI écrit par Arcand, Berkes et Panizza (2012) s’intéresse à cette question et tente d’évaluer empiriquement ce niveau. Il met en avant les effets négatifs engendrés par une financiarisation trop approfondie.

La financiarisation renvoie à la place prise par les services financiers dans une économie et par conséquent au niveau d’endettement des agents économiques. Traditionnellement, l’indicateur du niveau de financiarisation se mesure en calculant le ratio entre les crédits au secteur privé et le PIB. Jusqu’au début des années 2000, cet indicateur ne prenait en compte que les crédits octroyés par les banques de dépôt, mais le développement du shadow banking (Bakk-Simon et al., 2012) incite dorénavant à prendre également en compte les prêts accordés par l’ensemble des institutions financières. Cet indicateur nous permet d’appréhender l’intermédiation financière (Beck et al., 1999)[1]. Le graphique ci-dessous présente l’évolution de la financiarisation dans la zone euro, en France et aux Etats-Unis depuis les années 1960. Cette dernière a plus que doublé dans les trois économies. Avant le déclenchement de la crise des subprime à l’été 2007, les crédits accordés au secteur privé dépassaient 100% du PIB dans la zone euro et 200% aux Etats-Unis.

Graphe-Blog-28-08

Arcand, Berkes et Panizza (2012) se demandent dans quelle mesure la place de plus en plus prépondérante prise par la finance a un impact sur la croissance économique. Pour comprendre l’intérêt de ce papier, il est utile de rappeler les divergences existantes dans les conclusions de la littérature empirique. Une partie, la plus prolixe, mettait en évidence jusqu’à récemment une causalité positive entre développement financier et croissance économique (Rajan et Zingales, 1998, ou Levine, 2005) : le secteur financier est un lubrifiant de l’économie qui permet une meilleure allocation des ressources et l’émergence de firmes innovantes. Ces enseignements tirés de modèles de croissance (endogène notamment) sont confirmés par des comparaisons internationales incluant des pays en développement dotés de petits secteurs financiers.

Certains auteurs, plus sceptiques, estiment que le lien finance-croissance économique est surestimé (Rodrik et Subramanian, 2009). De Gregorio et Guidotti (1995) mettent notamment en avant que ce lien est ténu, voire inexistant, dans les pays développés et suggèrent qu’à partir d’une certaine richesse économique, le secteur financier ne contribue plus que marginalement à améliorer l’efficacité des investissements. Il abandonne son rôle de facilitateur de la croissance économique pour se concentrer sur sa propre croissance (Beck, 2012). Cela génère de grands groupes bancaires et financiers de type « too big to fail » permettant à ces entités de prendre des risques exagérés tout en se sachant couverts par les autorités publiques. Leur fragilité se transmet rapidement à l’ensemble des autres groupes et à l’économie dans son ensemble. La crise des subprime a bien montré la puissance et l’ampleur de ces effets de corrélation et de contagion.

Pour tenter de réconcilier ces deux courants, plusieurs travaux supposent une relation non linéaire entre financiarisation et croissance économique. C’est le cas de l’étude d’Arcand, Berkes et Panizza (2012). Ils expliquent, dans le cadre d’une méthodologie en panel dynamique, la croissance du PIB par tête par l’intermédiaire des variables usuelles de la théorie de la croissance endogène (à savoir le PIB par tête initial, l’accumulation du capital humain à travers la moyenne des années d’enseignement, les dépenses publiques, l’ouverture commerciale et l’inflation) et ajoutent à leur modèle les crédits au secteur privé et cette même variable élevée au carré, afin de tenir compte d’une potentielle non-linéarité. Ils parviennent ainsi à montrer que :

  1. la relation entre la croissance économique et les crédits au secteur privé est positive ;
  2. la relation entre la croissance économique et les crédits au secteur privé élevés au carré (c’est-à-dire l’effet des crédits au secteur privé lorsqu’ils sont à un niveau élevé) est négative ;
  3. pris ensemble, ces deux éléments indiquent une relation concave – une courbe en cloche –  entre la croissance économique et les crédits au secteur privé.

La relation entre croissance et finance est donc positive jusqu’à un certain niveau de financiarisation, et au-delà de ce seuil, les effets de la financiarisation commencent progressivement à devenir négatifs. Suivant les différentes spécifications estimées par Arcand, Berkes et Panizza (2012), ce seuil (en part de PIB) est compris entre 80% et 100% de crédits accordés au secteur privé[2].

Alors que le niveau de financiarisation des économies développées se situe au-dessus de ces seuils, ces conclusions incitent à contrôler le développement de la financiarisation et l’efficacité marginale que celui-ci peut avoir sur l’économie. De plus, l’argument des lobbys bancaires, selon lequel réguler la taille et la croissance du secteur financier aurait un impact négatif sur la croissance des économies concernées, n’est pas corroboré par les données dans le cas des pays développés.

 


[1] S’il peut sembler succint, car ne rendant pas compte de la désintermédiation, l’utilisation de cet indicateur se justifie par sa disponibilité au niveau international qui permet des comparaisons. Par ailleurs, les enseignements qu’il nous apporte seraient certainement amplifiés avec un indicateur protéiforme de la financiarisation.

[2] Cecchetti et Kharroubi (2012) précisent que ces seuils ne doivent pas être perçus comme des cibles mais davantage comme des « extrema » à n’atteindre qu’en période de crise. En période « normale », il conviendrait dès lors que les niveaux d’endettement soient plus faibles afin de laisser une certaine marge de manœuvre aux économies en cas de crise.




Collecte sur Livrets A : ô les beaux jours sont finis …

par Sandrine Levasseur

A chaque annonce de modification du taux de rémunération du Livret A, se pose la question de son impact sur les montants collectés. Répondre à cette question – en fournissant une évaluation quantifiée – n’est pas chose facile car l’impact dépend d’un grand nombre de facteurs dont certains sont difficiles à mesurer (e.g. la « valeur-refuge » que constitue le Livret A) ou difficile à anticiper (e.g la politique plus ou moins agressive menée par les banques pour favoriser leur propre support d’épargne). Pour autant, ces difficultés ne doivent pas nous priver d’une évaluation dont les enjeux sont importants pour le financement du logement social, les banques et les deniers de l’Etat.

La dernière note de l’OFCE (n°30, 30 juillet 2013) propose une évaluation quantifiée de l’impact d’une baisse du taux d’intérêt rémunérateur du Livret A (le taux passe de 1,75 % à 1,25 % à compter du 1er août 2013) sur les montants collectés. Si la prudence s’impose tant l’exercice de quantification a ses limites, celui-ci nous montre cependant que les beaux jours en matière de collecte sur les Livrets A sont vraisemblablement derrière nous. Certes, les montants recueillis sur l’année 2013 resteront à un niveau très élevé, entre 14,5 et 18,5 milliards d’euros (hors intérêts capitalisés). Mais ils sont imputables pour moitié aux montants collectés au cours du mois de Janvier (8,21 milliards d’euros) après le relèvement du plafond du Livret A intervenu le 1er janvier 2013. En 2014, l’effet « boosteur » de relèvement du plafond disparaîtra, et la collecte sur les Livrets A devrait chuter dans un contexte de rémunération plus faible du Livret A.

Selon nos estimations, pour que les montants collectés restent aux alentours des 16 milliards d’euros en 2014, il faudrait soit que le taux de chômage retombe sous la barre des 10,5 % de façon à redonner du pouvoir d’épargne aux ménages, soit que le rendement sur l’assurance-vie (net de la fiscalité) baisse à 1 % de façon à réorienter l’épargne disponible vers le Livret A[1]. Alternativement, il faudrait que la Bourse chute. Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de raison d’anticiper une baisse du chômage en France. Le rendement des produits d’assurance-vie est, certes, orienté à la baisse pour l’année à venir. Mais cette baisse viendrait seulement amoindrir le différentiel de rendement qui apparaîtra entre les deux produits d’épargne (assez fortement substituables) suite à la baisse du taux du Livret A à partir du 1er août. La Bourse, fortement malmenée depuis le début de la crise, est cependant engagée dans une perspective haussière depuis un an, tendance qui a priori devrait se poursuivre. Evidemment, le scénario du pire ou du mieux – tout dépend le point de vue adopté – ne peut être exclu : la Bourse peut s’effondrer mais alors le chômage risque d’augmenter et les actifs sous-jacents de l’assurance-vie risquent de baisser car cela signifiera soit qu’il y a une nouvelle crise dans la zone euro, soit que la sortie de crise est beaucoup plus difficile que prévue.

L’un dans l’autre, on le voit, des perspectives de collectes sur les Livrets A du niveau de celles observées lors des précédentes années sont plutôt obscurcies[2]. A très court terme, une moindre collecte sur les Livrets A ne devrait pas poser de problème pour le financement du logement social, la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) disposant d’un surplus de fonds d’épargne qui n’est pas encore alloué aux bailleurs sociaux[3]. Pour autant, dès lors que le surplus du fond d’épargne sera utilisé, le financement du logement social deviendra tributaire des montants collectés sur Livrets A. Une moindre collecte sur les Livrets A se traduirait alors par l’incapacité de construire des logements sociaux. Si ce scénario du pire venait à se réaliser, on ne pourra pas faire l’économie – dans les deux à trois ans à venir – d’une réforme du mode de financement du logement social de façon à le rendre moins dépend de la collecte sur les Livrets A.


[1] La modification du système de prélèvement libératoire forfaitaire (PLF), à compter de 2013, rend cependant difficile une évaluation du rendement de l’assurance-vie, et des autres produits financiers, net de toute imposition. En effet, les revenus financiers (intérêts, dividendes, plus-values mobilières, etc.) supérieurs à 2 000 € par an seront soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu du ménage.

[2] La collecte sur Livrets A (hors intérêts) a atteint 17,38 milliards en 2011 et 28,16 milliards en 2012. Comparativement, l’année 2010 a été une année de piètre collecte, avec à peine 7,8 milliards d’euros.

[3] 65 % des sommes déposées sur les Livrets A servent, en effet, à alimenter le fond d’épargne dans lequel la CDC puise pour financer les logements sociaux (Levasseur, 2011). C’est d’ailleurs une partie (30 milliards d’euros) de ce surplus d’épargne non utilisé pour financer le logement social qui a été « rétrocédé » momentanément aux banques. Le décret, entré en application le 31 Juillet 2013, prévoit que dès que les prêts de la CDC aux bailleurs sociaux atteindront une certain niveau, les banques devront reverser ces 30 milliards au fond d’épargne.




Le Livret A noyé sous les critiques

par Pierre Madec

Alors que le gouverneur de la Banque de France et le ministre de l’Economie et des finances annonçaient une nouvelle baisse (probable) du taux du Livret A pour le 1er août prochain, l’agence de notation Standard&Poor’s (S&P) publiait de son côté une étude sur le système bancaire français. L’agence américaine y affirmait que le Livret A, et plus généralement l’épargne réglementée, « pénalise les banques » françaises et est à l’origine d’une « distorsion du marché bancaire». Ce débat, ancien, a fait l’objet de nombreux rapports : Duquesne, 2012 ; Camdessus, 2007 ; ou encore Noyer-Nasse, 2003, … . Certains défendent ardemment cette spécificité française que constitue le Livret A, tandis que d’autres prônent, au contraire, une réforme profonde d’un système qualifié de « perdant-perdant ».

Qu’en est-il ? Le Livret A met-il réellement en péril l’activité bancaire française ? Quelle utilisation est faite de l’épargne des ménages qui y est déposée ? Quels ont été les effets des hausses successives des plafonds sur les montants collectés ? Quelles conséquences aura la (probable) nouvelle baisse de taux envisagée par le ministre de l’Economie et des finances, M. Pierre Moscovici, tant pour les épargnants que pour le financement du logement social ? Nous présentons ici nos éléments de réponse.

Que représente le Livret A ?

Le Livret A, vieux de presque 195 ans, est un placement réglementé donnant droit à un avantage fiscal (défiscalisation totale et exonération de prélèvements sociaux), dont le taux est fixé par l’Etat et les dépôts sont garantis[1].

En 2011, le taux d’épargne des Français atteignait 16 % en moyenne, soit 1,1 point de plus qu’en 2006. Cette augmentation du taux d’épargne s’est faite en grande partie en faveur de l’épargne réglementée, et particulièrement en faveur du Livret A, détenu par près de 63,3 millions de Français et dont l’encours a plus que doublé depuis janvier 2007 pour atteindre 230 milliards d’euros en avril 2013. Trois phénomènes successifs ont favorisé cette augmentation massive de l’encours : la crise financière, qui a redirigé une partie de l’épargne des ménages vers les placements sans risque, la généralisation de la distribution du Livret A à toutes les banques depuis le 1er Janvier 2009, au titre de la Loi de modernisation de l’économie[2]  et enfin l’augmentation de 50 % du plafond du Livret A qui a eu lieu en deux temps (en octobre 2012 puis en janvier 2013). Cet attrait croissant pour le Livret A s’explique aussi par la liquidité totale ainsi que la garantie des dépôts qu’il procure. Liquidité totale et garantie des dépôts que ne permet pas, par exemple, l’assurance vie.

A quoi sert le Livret A ?

L’une des (nombreuses) spécificités du modèle de financement du logement en France porte (entre autres) sur le non-recours des bailleurs sociaux aux marchés obligataires (Levasseur, 2011). Ainsi, les bailleurs sociaux se financent principalement (à hauteur de 73 % en 2012) auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) où est déposée une partie de l’épargne du Livret A des ménages. La CDC, au travers d’un fonds d’épargne, centralise 65% des encours du Livret A, ce qui représentait en avril dernier plus de 150 milliards d’euros (Banque de France). Les dépôts ainsi disponibles sont prioritairement utilisés pour l’octroi de prêts au logement social et à la politique de la ville[3]. Ces emprunts servent en grande partie à la construction, l’acquisition et la réhabilitation de logements locatifs sociaux par des bailleurs HLM mais peuvent aussi financer des opérations d’habitat spécifique et des missions de la politique de la ville tel que le Plan national de rénovation urbaine (PNRU). Afin de sécuriser les dépôts et assurer les ressources nécessaires au fonds d’épargne, le montant des dépôts centralisés au titre du Livret A doit toujours être supérieur ou égal à 125 % de l’encours des prêts au logement social et à la politique de la ville octroyés par la CDC.

Il est clair que l’objectif de financement de 150 000 logements sociaux par an (à comparer aux 105 000 de l’année 2012) va engendrer une augmentation sensible des besoins de financement du secteur. Ainsi, pour satisfaire cet objectif, ce sont 13,7 milliards d’euros de prêt au logement locatif social qui devront être accordés pour la seule année 2013, soit 4 milliards d’euros de plus qu’en 2012.

Enfin, les ressources du Livret A qui ne sont pas centralisées par la CDC (80 milliards d’euros) font l’objet d’une « obligation d’emploi ». Elles doivent être employées par les établissements bancaires « au financement des PME » à hauteur de 80 % ainsi  « qu’au financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens » à hauteur de 10 % [4]. De même, un certain nombre de programmes d’investissement des collectivités locales (plan Campus, plan Hôpital 2012, Grenelle de l’environnement) ont bénéficié des encours du Livret A.

Le Livret A met-il en danger le système bancaire français ?

Compte tenu de l’attrait croissant des ménages pour l’épargne réglementée (et notamment celle du Livret A), on pourrait penser (à l’instar de S&P) que ce type de placement met en danger le système bancaire en appauvrissant les liquidités bancaires déjà mises à mal par la crise. Les relèvements de plafond opérés ces derniers mois ont en effet conduit – pour l’essentiel – à un transfert de l’épargne vers les placements défiscalisés dont la part dans l’épargne financière totale des ménages a augmenté de 0,6 point entre 2011 et 2012. On a ainsi pu observer en octobre 2012 une chute importante de l’encours des livrets soumis à l’impôt (-12 milliards d’euros), chute s’expliquant en partie par la hausse des encours sur le Livret A (+6 milliards d’euros)[5] (voir graphique 1).

graph1_1107PMblog

 

Pour autant, il est important de relativiser les déclarations alarmistes de S&P. D’une part, parce qu’excepté ce mois d’octobre 2012, les flux sur les livrets fiscalisés sont relativement stables. D’autre part, parce que l’épargne réglementée, bien qu’en nette progression, ne représentait en 2012 que 9,5 % (dont 6,2% pour le Livret A) de l’épargne financière totale des ménages qui s’élevait à 3 664 milliards d’euros. De plus, en cas de manque réel et durable de liquidité, des ajustements techniques existent ou peuvent être mis en place. Selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, le ratio de couverture du fonds d’épargne atteignait au début de l’année 156 % des encours des prêts au logement social et à la politique de la ville au lieu des 125 % réglementaires. Cette sur-couverture représente quelques 50 milliards d’euros qui ne sont affectés ni au financement du logement social ni à la liquidité bancaire. Aujourd’hui réclamés par les banques, ces fonds se doivent d’être rapidement orientés. Le fonds d’épargne disposant de liquidités importantes, tout en laissant inchangé les taux de couverture et de centralisation (fruits d’âpres négociations), on peut imaginer qu’un certain nombre de mécanismes temporaires de transfert entre le fonds d’épargne et le secteur bancaire peuvent annihiler tout risque de crise de liquidité. Enfin, on peut noter que les banques ont aussi bénéficié de la généralisation de la distribution du Livret A, notamment au travers du versement, par le fonds d’épargne, d’un commissionnement sur les sommes centralisées. Ce commissionnement, qui ponctionne directement le financement des logements sociaux, a grevé le fonds d’épargne d’1 milliard d’euros en 2012. Sans conclure sur la suite à donner à ces contreparties, on peut s’interroger sur la mise en place d’un meilleur arbitrage entre taux de centralisation et de couverture, taux de commissionnement et financement pérenne du logement social[6].

Quid de la baisse « probable » des taux ?

Avancée le 23 juin dernier par le ministre de l’Economie, M. Pierre Moscovici, reprenant les déclarations faites quelques jours auparavant par le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, l’idée d’une baisse du taux du Livret A devrait entrer en vigueur le 1er août prochain et découlerait de la baisse du taux d’inflation sur lequel ce dernier est en partie indexé. Quels effets cette baisse de taux peut-elle avoir sur les flux d’épargne déposés sur les Livrets A et donc sur le financement du logement social ?

En mai 2013, le taux d’intérêt du Livret A s’établissait, en termes réels, à 0,5 %, soit un niveau relativement bas. Sur la période 2011-2012, ce dernier était même nul en moyenne (voir graphique 2). Pour autant, les flux d’encours sont restés stables sur la période. Ceci s’explique en partie par les faibles taux proposés par les autres placements,  notamment les livrets fiscalisés de type Compte épargne logement(CEL) dont les taux réels nets sont négatifs depuis fin 2009. Compte tenu des arbitrages effectués par les ménages, notamment les plus aisés, en vue d’atteindre le meilleur rendement de leur épargne, il est assez complexe de mettre en évidence une corrélation stricto sensu entre le taux du Livret A (réel ou nominal) et les évolutions de l’encours. Ainsi, au second semestre 2009, le Livret A a subi une décollecte alors même que son taux réel était élevé ; en 2010 et 2011, en revanche, la collecte a été forte alors que ce n’était plus le cas.

Compte tenu, d’une part, des faibles taux réels nets que proposent les placements comparables et, d’autre part, des incertitudes sociales et économiques actuelles, on peut espérer une certaine stabilité des flux au second semestre 2013 et ce malgré la baisse du taux rémunérateur. Cette stabilité dépendra bien évidemment de l’importance de la baisse. Le taux étant actuellement de 1,75  %, il paraît peu probable de maintenir des flux élevés si le taux était révisé en deçà des 1,25 %. La Commission économique de la nation prévoyant une inflation de 1,2 % pour 2013, toute fixation du taux du Livret A inférieure à ce taux se traduirait par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, baisse allant à l’encontre des engagements gouvernementaux.

graph2_1107PMblog

Rappelons tout de même que cette réévaluation du taux n’est pas automatique et reste dépendante des décisions politiques. Dans la seconde moitié de 2009, alors que l’effondrement de l’inflation aurait justifié un recul de 1,5 point pour ramener le taux à 0,25 %, la baisse de taux finalement appliquée n’a été que de 0,5 point, pour s’établir à 1,25 %. C’est ainsi que 2 milliards d’euros supplémentaires ont été redistribués aux ménages. Inversement, en février 2012, au vu du regain d’inflation (même temporaire), le taux aurait dû être revalorisé à 2,75 %. Le manque à gagner engendré pour les ménages de cette non-réévaluation du taux est estimée à 1 milliard d’euros.

A l’image du choix des ménages entre sécurité, liquidité et rendement, l’arbitrage public entre pouvoir d’achat des ménages et conditions d’emprunt des bailleurs sociaux peut s’avérer compliqué. Ainsi, alors qu’une sous-évaluation du taux avantage sensiblement les bénéficiaires de l’affectation des fonds issus du Livret A (essentiellement les bailleurs sociaux) dont les intérêts d’emprunt sont « indexés » sur le taux du livret A, elle devient pénalisante pour l’épargnant.

Bien que les « petits » épargnants soient peu sensibles aux variations des taux, les « gros » épargnants, c’est-à-dire ceux approchant le plafond des dépôts, peuvent rapidement arbitrer en défaveur du Livret A. Or, ces 10 % de déposants les mieux lotis représentent 51 % des dépôts du Livret A. Une réduction massive des taux pourrait donc entraîner une décollecte importante et, par la suite, réduire significativement les capacités de prêts de la CDC au secteur du logement social, secteur aux objectifs de construction ambitieux et aux besoins de financement croissants. A contrario, il paraît clair que le maintien, en période de faible inflation, de taux élevés entraînerait un renchérissement des crédits accordés aux bailleurs sociaux, au moment même où l’Etat et les organismes HLM viennent de s’engager à la construction de 120 000 logements sociaux par an entre 2013 et 2015.

 


[1] Pour plus de précision sur le mode de détermination du taux  d’intérêt, voir Péléraux (2012).

[2] En janvier 2009, l’encours a subi une augmentation historique de 12,5 %. A titre de comparaison, les hausses successives du plafond d’octobre et janvier dernier n’ont engendré que des hausses respectives de 3,1 et 3,5 %.

[3] En 2012,  pour le seul financement de 105 000 logements sociaux, ce sont 9,7 milliards d’euros de prêt qui ont été octroyés par le fonds d’épargne.

[4] A titre d’exemple, Oséo et le fonds stratégique d’investissement (FSI) ont reçu respectivement, en 2012, 5,2 et 0,5 milliards d’euros de ressources issues du Livret A.

[5] Le transfert s’est principalement opéré en faveur du Livret de développement durable (LDD) dont l’encours a progressé de près de 14 milliards d’euros en octobre 2012 à la suite du doublement de son plafond.

[6] Alors que le taux de commissionnement doit converger d’ici 2022 vers 0,50 % pour l’ensemble des établissements distributeurs, il s’élevait en 2011 à 0,37 % pour les nouveaux distributeurs et à 0,53 % pour les distributeurs historiques (CDC, 2012).




Politique monétaire et boom immobilier : comment gérer l’hétérogénéité dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Fabien Labondance

La transmission de la politique monétaire à l’activité économique et à l’inflation repose sur différents canaux dont le rôle et l’importance dépendent crucialement des caractéristiques structurelles des économies. La dynamique du crédit et des prix immobiliers est au cœur de ce processus. Dans la zone euro, les sources d’hétérogénéité entre pays sont multiplées, ce qui pose la question de l’efficacité de la politique monétaire mais aussi celle des moyens à mettre en œuvre pour atténuer cette hétérogénéité.

Les sources d’hétérogénéité entre les pays peuvent résulter du degré de concentration des systèmes bancaires (i.e. plus ou moins de banques et donc plus ou moins de concurrence), du mode de financement (i.e. à taux fixe ou à taux variable), de la maturité des prêts aux ménages, de leur niveau d’endettement, de la proportion de ménages locataires ainsi que des coûts de transaction sur le marché immobilier. La part des prêts effectués à taux variable reflète parfaitement ces hétérogénéités puisqu’elle s’élève à 91 % en Espagne, 67 % en Irlande et à 15 % en Allemagne. Dans ces conditions, la politique monétaire commune menée par la Banque centrale européenne (BCE) a des effets asymétriques sur les pays de la zone euro, comme en témoigne l’évolution divergente des prix de l’immobilier dans ces pays. Ces asymétries se répercutent ensuite sur l’évolution du PIB, un phénomène que l’on a observé aussi bien « avant » que « depuis » la crise. Ces questions font l’objet d’un article que nous avons publié dans le volume Ville et Logement de la Revue de l’OFCE. Nous évaluons l’hétérogénéité de la transmission de la politique monétaire vers les prix immobiliers dans la zone euro en distinguant explicitement deux étapes du canal de transmission, chaque étape pouvant refléter différentes sources d’hétérogénéité. La première permet de décrire la répercussion du taux d’intérêt contrôlé par la BCE sur les taux appliqués par les banques de chaque pays de la zone euro aux crédits immobiliers. La deuxième étape illustre les effets différenciés de ces taux bancaires sur les prix immobiliers.

Nos résultats confirment l’existence d’une transmission hétérogène de la politique monétaire dans la zone euro. Ainsi, pour un taux directeur constant fixé par la BCE à 2 %, comme cela était le cas entre 2003 et 2005, les estimations réalisées sur la période précédant la crise suggèrent que le taux d’équilibre de long terme appliqué respectivement par les banques espagnoles et irlandaises serait de 3,2 % et 3,3 %. Comparativement, le taux équivalent en Allemagne serait de 4,3 %. En outre, l’inflation plus élevée en Espagne et en Irlande amplifierait cet écart de taux nominal. Nous montrons ensuite que la répercussion des variations du taux directeur de la BCE sur les taux bancaires est, avant la crise, plus forte en Espagne ou en Irlande qu’elle ne l’est en Allemagne (graphique), ce qui renvoie aux différences observées sur la part des prêts effectués à taux variable dans ces différents pays Il faut noter qu’avec la crise, la transmission de la politique monétaire a été fortement perturbée. Les banques n’ont pas forcément ajusté l’offre et la demande de crédit en modifiant les taux mais en durcissant les conditions d’octroi des crédits[1]. Par ailleurs, les estimations portant sur la relation entre les taux appliqués par les banques et les prix immobiliers suggèrent une forte hétérogénéité à l’intérieur de la zone euro. Ces différents résultats permettent donc de comprendre, au moins partiellement, les divergences observées sur les prix immobiliers dans la zone euro. La période au cours de laquelle le taux fixé par la BCE était bas aurait contribué au boom immobilier en Espagne et en Irlande. Puis, le durcissement de la politique monétaire, décidé après 2005, expliquerait également l’ajustement plus rapide des prix immobiliers observé dans ces deux pays. Nos estimations suggèrent également que les prix immobiliers dans ces deux pays sont aussi très sensibles aux évolutions de la croissance économique et démographique. Les cycles immobiliers ne peuvent donc pas se réduire à l’effet de la politique monétaire.

Dans la mesure où la crise récente trouve sa source dans les déséquilibres macroéconomiques qui se sont développés dans la zone euro, il est essentiel pour le bon fonctionnement de l’Union européenne de réduire les sources d’hétérogénéités entre les Etats membres. Pour autant, ceci n’est pas forcément du ressort de la politique monétaire. D’une part, il n’est pas certain que l’instrument de politique monétaire, le taux d’intérêt de court terme, soit l’outil adapté pour freiner le développement de bulles financières. D’autre part, la BCE conduit la politique monétaire pour l’ensemble de la zone euro en fixant un taux d’intérêt unique, ce qui ne lui permet pas de tenir compte des hétérogénéités qui caractérisent l’Union. Il  faut plutôt encourager la convergence des systèmes bancaire et financier. A cet égard, bien qu’elle soulève encore de nombreux problèmes (voir Maylis Avaro et Henri Sterdyniak), le projet d’union bancaire peut contribuer à réduire l’hétérogénéité. Un autre moyen efficace de réduire l’asymétrie de la transmission de la politique monétaire réside dans la mise en œuvre d’une politique prudentielle centralisée dont la BCE pourrait être en charge. De cette façon, il serait possible de renforcer la résilience du système financier en adoptant notamment une régulation du crédit bancaire qui pourrait tenir compte de la situation prévalant dans chaque pays afin d’éviter le développement de bulles qui font peser une menace pour les pays et pour la stabilité de l’union monétaire (voir le rapport du CAE n°96 pour plus de détails).


[1] Kremp et Sevestre (2012) mettent en avant le fait que la réduction des volumes de prêts ne provient pas uniquement d’un rationnement de l’offre de crédit mais que le climat récessif a également entraîné une baisse de la demande.

 




Chypre : un plan bien pensé, un pays ruiné…

par Anne-Laure Delatte et Henri Sterdyniak

Le plan qui vient d’être adopté sonne le glas du paradis bancaire chypriote et met en application un nouveau principe de résolution de crise dans la zone euro : les banques doivent être sauvées sans argent public, par les actionnaires et les créanciers[1]. Ce principe est juste.  Pour autant, la récession à Chypre va être profonde et la nouvelle extension des pouvoirs de la troïka discrédite encore davantage le projet européen. Une fois de plus, les derniers développements de la crise montrent comment la gouvernance de la zone euro est déficiente. Chaque trimestre, pratiquement, il faut sauver la zone euro, mais chaque sauvetage rend encore plus fragile l’édifice.

Jamais Chypre n’aurait dû être accepté dans la zone euro. Mais l’Europe a privilégié l’élargissement à la cohérence et à l’approfondissement. Chypre est un paradis bancaire, fiscal et réglementaire, qui n’impose les entreprises qu’au taux de 10% ; le bilan de son système bancaire hypertrophié représente près de 8 fois son PIB (18 milliards d’euros). En fait Chypre sert de lieu de transit des capitaux russes : les banques chypriotes auraient environ 20 milliards d’euros de dépôts en provenance de la Russie, s’y ajoutent 12 milliards de dépôts de banques russes. Ces fonds, parfois d’origine douteuse, sont souvent réinvestis en Russie : Chypre est le premier investisseur étranger en Russie, pour environ 13 milliards d’euros par an. Ainsi, en transitant par Chypre, certains capitaux russes sont blanchis et sécurisés sur le plan juridique. Comme l’Europe est très attachée au principe de libre circulation des capitaux et à la liberté d’établissement, elle a laissé faire.

En ayant investi dans la dette publique grecque ou en accordant des prêts à des entreprises grecques, incapables de rembourser en raison de la crise, ce système bancaire surdimensionné a perdu beaucoup d’argent ; il a favorisé une bulle immobilière qui a implosé, lui infligeant de lourdes pertes. Compte tenu de la taille du bilan bancaire, ces pertes représentent une part importante du PIB de l’ile. Le système bancaire est en difficulté, en conséquence les marchés ont spéculé contre la dette publique chypriote, les taux d’intérêt ont grimpé, le pays est entré en récession, le déficit public s’est creusé. En 2012, la croissance a été négative (-2,5 %) ; le déficit public est actuellement de 5,5% du PIB ; la dette publique de 87 % du PIB et le déficit extérieur atteint 6 % du PIB. Le taux de chômage atteint 14,7%.

Le pays avait besoin d’une aide à la fois pour se financer et pour recapitaliser ses banques. Chypre a demandé 17 milliards d’euros, soit l’équivalent de son PIB annuel. Dix milliards de prêts lui ont été accordés, dont neuf seront fournis par le MES et un par le FMI. Certes, d’un point de vue financier, l’UE n’avait pas besoin de ce milliard ; il ne sert qu’à introduire le FMI à la table des négociations.

En échange, Chypre devra se soumettre aux exigences de la troïka, baisser de 15 % les salaires de ses fonctionnaires, de 10 % ses dépenses de protection sociale (retraites, prestations familiales et chômage), introduire des réformes structurelles, privatiser. C’est le quatrième pays d’Europe qui sera géré par la troïka ; cette dernière pourra imposer, une nouvelle fois, ses recettes dogmatiques.

Chypre devra faire passer son taux d’impôt sur les sociétés de 10 à 12,5 %, ce qui est peu, mais l’Europe ne pouvait imposer à Chypre de faire plus que l’Irlande. Chypre devra augmenter le taux d’imposition des intérêts bancaires de 15 à 30 %. Ceci va timidement dans la direction de l’indispensable harmonisation fiscale.

Mais quid des banques ? Les pays européens se sont trouvés devant un choix difficile :

–          aider Chypre à sauver son système bancaire revenait à sauver les capitaux russes avec l’argent du contribuable européen, montrait que l’Europe couvrait toutes les dérives des Etats membres, ce qui aurait encore jeté de l’huile sur le feu en Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas.

–          demander à Chypre de recapitaliser lui-même ses banques faisait passer sa dette publique à plus 150 % du PIB, un niveau insoutenable.

Le premier plan rendu public le 16 mars mettait à contribution pour 6,75 % la part des dépôts inférieurs à 100 000 euros et n’appliquait qu’une taxe de 9,9 % sur la part des dépôts dépassant ce montant. Dans l’esprit du gouvernement chypriote, cette répartition avait l’avantage de moins compromettre l’avenir de Chypre comme base arrière des capitaux russes. Mais elle mettait en cause un engagement de l’UE (la garantie des dépôts inférieurs à 100 000 euros), ce qui fragilisait toutes les banques de la zone euro.

Finalement, l’Europe aura abouti à la bonne décision : ne pas faire payer seulement les peuples, respecter la garantie de 100 000 euros, mais faire payer les actionnaires des banques, leurs créanciers et les déposants ayant des dépôts supérieurs à 100 000 euros. Il est légitime que les détenteurs de dépôts importants, qui avaient été rémunérés à des taux d’intérêt élevés, soient mis à contribution. C’est le modèle islandais qui fait école plutôt que le modèle irlandais : on ne considère pas que les dépôts importants, rémunérés à des taux élevés ont vocation à devenir de la dette publique, à la charge des contribuables, en cas de difficultés bancaires.

Selon le second plan, les deux premières banques du pays, Bank of Cyprus (BOC) et Laïki, qui concentrent à elles seules 80 % des bilans bancaires du pays, sont restructurées. Laïki, qui a le plus perdu dans les opérations grecques, qui était la plus engagée dans la collecte de dépôts russes, est fermée et ses dépôts inférieurs à 100 000 euros sont transférés à la BOC, qui récupère les actifs de Laïki, mais prend à sa charge les 9 milliards que lui avait prêtés la BCE. Les clients de Laïki perdent la part de leurs dépôts dépassant 100 000 euros (pour 4,2 milliards), tandis que les actionnaires et les détenteurs de titres de Laïki perdent tout. A la BOC, le montant des dépôts supérieur à 100 000 euros est placé dans une bad bank, gelé jusqu’à ce que la restructuration de BOC soit achevée et une partie (pouvant atteindre 40 %) sera convertie en actions de la BOC pour recapitaliser la banque. Ainsi les 10 milliards prêtés par l’UE ne serviront-ils pas à résoudre le problème bancaire. Ils permettront au gouvernement de rembourser ses créanciers privés et d’éviter la faillite souveraine. Rappelons que les contribuables nationaux et européens n’ont pas vocation à réparer les excès de la finance.

C’est aussi une première mise en application de l’Union bancaire. Les dépôts sont bien garantis dans la limite de 100 000 euros. Comme le réclamait le gouvernement allemand, les banques doivent pouvoir être sauvées, sans argent public, par les actionnaires et les créanciers. Le coût du sauvetage des banques doit reposer sur ceux qui ont bénéficié du système quand il était largement bénéficiaire.

De notre point de vue, le grand avantage est de mettre fin au statut de place financière peu contrôlée de Chypre. C’est un précédent salutaire qui découragera les placements transfrontaliers. Certes, on peut regretter que l’Europe ne s’attaque pas aux autres pays dont le système bancaire et financier est surdimensionné (Malte, le Luxembourg, le Royaume-Uni), aux autres paradis fiscaux ou réglementaires (les Iles anglo-normandes, l’Irlande, les Pays-Bas), mais c’est un premier pas.

Ce plan est donc bien pensé. Mais comme l’a pudiquement reconnu le Vice-président de la Commission européenne Olli Rehn, le futur proche va être très difficile pour Chypre et son peuple. Quels sont les risques ?

Risques de fuite des dépôts et crise de liquidité : contrairement au plan initial qui prévoyait une taxe sur tous les dépôts, le nouveau plan est compatible avec une réouverture des banques relativement rapide. En effet, les banques restent fermées tant que les autorités craignent un retrait massif des déposants qui mettrait automatiquement en crise de liquidité les banques concernées. Or comme les petits déposants ne sont pas touchés et les gros déposants voient leurs avoirs gelés jusqu’à nouvel ordre, le risque de retraits massifs semble écarté. Mais le problème se posera dès que les gros dépôts seront libérés. Leur retrait quasi-certain va entraîner une perte de liquidité de la BOC qu’il faudra compenser par des lignes de liquidité spéciales prévues à la BCE. Certains petits déposants, échaudés, peuvent aussi retirer leurs fonds. De même, les titulaires de gros dépôts dans les autres banques, non affectées car moins en difficulté, peuvent craindre une extension future des mesures de taxation et donc chercher à quitter l’ile. Chypre reste à la merci de crise de liquidités. C’est la raison pour laquelle les autorités ont annoncé des contrôles exceptionnels à la sortie de capitaux au moment où les banques rouvriront afin d’éviter une fuite massive des dépôts vers l’étranger. C’est une nouveauté pour l’UE. Mais la transition, l’implosion du secteur bancaire chypriote qui doit passer de 8 à 3,5 fois le PIB de l’ile, risque d’être délicate et pourrait bien avoir quelques effets sur les marchés européens par contagion, puisque les banques devront vendre des actifs pour un montant important.

Risque d’une récession longue : cette réduction de moitié de la taille du secteur bancaire ne se fera pas sans douleur puisqu’elle va faire pâtir toute une économie, les employés des banques, les services associés, avocats, conseillers, auditeurs, etc. Certaines entreprises chypriotes, comme certains ménages aisés, vont perdre une partie de leurs avoirs bancaires.

Or le plan impose en même temps des mesures d’austérité budgétaire (de l’ordre de 4,5 % du PIB) et les réformes structurelles et les privatisations chères aux instances européennes. Cette austérité, au moment où une activité économique-clé est sacrifiée, va entraîner une longue période de récession. Les Chypriotes ont tous en tête l’exemple de la Grèce, où la consommation a chuté de plus de 30 %, le PIB de plus de 25 %. Cette chute va entraîner une baisse des rentrées fiscales, une hausse du ratio de dette, …, l’Europe réclamera d’autres mesures d’austérité. Voir un autre pays englué dans cette spirale discréditera encore davantage le projet européen.

Les velléités de sortie de la zone euro sont assez vivaces depuis le début de la crise à Chypre ; il y a peu de chance qu’elles ne se taisent.

Il faudrait donc ouvrir des perspectives à Chypre (et à la Grèce et au Portugal et à l’Espagne), non pas la ruine économique et la ruine sociale qu’impose la troïka, mais un renouveau économique par un plan de reconversion et de reconstruction industrielles. Par exemple, l’exploitation des gisements de gaz découverts en 2011 au sud de l’ile peut représenter une voie de sortie de la crise. Encore faut-il pouvoir financer les investissements pour les exploiter et en tirer des ressources financières pour le pays. Il est temps de mobiliser une aide véritable, un nouveau Plan Marshall financé par les pays excédentaires.

Risques de réactions en chaîne dans le système bancaire des autres pays membres : les autorités européennes doivent faire un important effort de communication pour expliquer ce plan, et ce n’est pas facile. De ce point de vue, le premier plan a été un désastre puisqu’il montrait comment la garantie des dépôts inférieure à 100 000 euros peut être invalidée par des mesures de taxation. Pour le second, les autorités doivent à la fois expliquer que ce plan est conforme au principe de l’Union bancaire – faire payer les actionnaires, les créanciers et les déposants importants , tout en précisant qu’il a un caractère spécifique – mettre fin à un paradis bancaire, fiscal et réglementaire, de sorte qu’il ne s’appliquera pas à d’autres pays. Espérons que les actionnaires, les créanciers et les déposants importants des banques des autres Etats membres, en particulier espagnols, se laissent convaincre. Sinon des transferts importants de capitaux se feront hors zone euro.

Risque de fragilisation de l’Union bancaire : Bien sûr, le système bancaire chypriote était mal géré et mal contrôlé. Il a pris des risques inconsidérés en attirant des dépôts à des taux élevés qu’il utilisait pour faire des prêts rémunérateurs, mais risqués, dont beaucoup ont fait défaut. Mais les banques chypriotes sont aussi victimes du défaut sur la dette grecque et de la profondeur de la récession de leurs voisins. Toute l’Europe risque d’être entraînée dans des jeux de dominos : la récession fragilise les banques, qui ne peuvent plus prêter, ce qui accentue la récession…

L’Europe projette de mettre en place une Union bancaire qui imposera des normes rigoureuses aux banques en matière de mode de résolution des crises bancaires. Chaque banque devra rédiger un testament qui imposera que ses pertes éventuelles pourront être supportées par ses actionnaires, ses créanciers et les déposants importants. Le traitement de la crise de Chypre montre que ce sera effectivement le cas. Aussi, les banques qui ont besoin de fonds propres, de créanciers et de dépôts, compte tenu des contraintes de Bale III, auront-elles plus de mal à les attirer et devront les rémunérer à des taux élevés, incorporant des primes de risque.

L’Union bancaire ne sera pas un fleuve tranquille. Il va falloir nettoyer le bilan des banques avant de les garantir collectivement. Ceci posera problème dans beaucoup de pays dont le secteur bancaire devra être réduit et restructuré, avec les problèmes sociaux et économiques que cela pose (Espagne, Malte, Slovénie, …). Des conflits surviendront obligatoirement entre la BCE et les pays concernés.

La garantie des dépôts restera longtemps à la charge des pays. En tout état de cause, il faudra que, dans la future Union bancaire, soient clairement distingués les dépôts garantis par l’argent public (qui devront être rémunérés à des taux limités, qui ne devront pas être placés sur les marchés financiers) et les autres. Ceci milite pour une application rapide du rapport Liikanen. Mais y-aura-t-il un accord en Europe sur la future structure du secteur bancaire entre des pays dont les systèmes bancaires sont très différents ?

Les banques chypriotes ont perdu beaucoup d’argent en Grèce. Ceci milite une nouvelle fois pour une certaine renationalisation des activités bancaires. Les banques courent des risques importants en prêtant sur des marchés étrangers qu’elles connaissent mal. Permettre aux banques d’attirer des dépôts de non-résidents par des taux d’intérêt élevés ou des facilités fiscales ou réglementaires aboutit à des faillites bancaires. L’Union bancaire devra choisir entre la liberté d’établissement (chaque banque peut s’installer librement dans un pays de l’UE et y faire les activités de son choix) et un principe de responsabilité (les pays sont responsables de leur système bancaire, qui doit conserver une taille correspondant à celle du pays).

Ainsi, dans les années à venir, la nécessaire réorganisation du système bancaire européen risque-t-elle de nuire à la capacité des banques de distribuer du crédit à un moment où les entreprises sont déjà réticentes à investir et où les pays sont contraints de mettre en œuvre des plans drastiques d’austérité.

Au total, le principe de faire payer le secteur financier pour ses excès commence à prendre forme en Europe. Malheureusement, la crise chypriote montre une fois encore les incohérences de la gouvernance européenne : il aura fallu attendre d’être au pied du mur pour déclencher la solidarité européenne, au risque de faire trembler tout l’édifice. De plus, cette solidarité risque de plonger Chypre dans la misère. Les leçons des trois dernières années ne semblent pas avoir été pleinement tirées par les dirigeants européens.

 

 

 

 

 

 


[1] La réduction de plus de 50 % de la valeur faciale des titres grecs subie par les détenteurs privés en février 2012 allait déjà dans ce sens.




Le cas « chypri-hot » !

par Jérôme Creel

Avant une étude plus approfondie de la crise chypriote, et de ses conséquences sur la zone euro, voici quelques réflexions sur le projet d’accord intervenu ce matin entre la Présidence chypriote et certains bailleurs de fonds.

Ce projet prévoit la faillite d’une banque privée, la Laiki, et la mise à disposition de ses dépôts sécurisés (en deçà de 100 000 euros) auprès d’une autre banque privée, la Bank of Cyprus afin de participer à sa recapitalisation. Dans cette banque, les dépôts au-delà de 100 000 euros seront gelés et convertis en actions. In fine, la Bank of Cyprus devrait pouvoir atteindre un ratio de fonds propres de 9%, conformément à la législation bancaire appliquée dans l’UE. En échange de ces dispositions, auxquelles s’ajoutent des augmentations des taxes sur les revenus du capital et sur les bénéfices des entreprises, les institutions européennes verseront 10 milliards d’euros à Chypre. Les dépôts bancaires garantis selon les règles en vigueur dans l’UE vont le rester, en même temps que la hausse des taxes sur les revenus du capital va réduire la rémunération excessivement attractive des dépôts chypriotes au regard de la moyenne européenne.
En une semaine, les négociations entre les autorités chypriotes, le FMI et les institutions européennes ont abouti à des résultats radicalement différents. Pour le volet du plan de sauvetage correspondant à la viabilité du système bancaire, le président chypriote a semble-t-il été confronté à un arbitrage entre la taxation de tous les déposants, y compris les « petits épargnants », et la faillite bancaire n’entraînant de pertes financières que pour les actionnaires, les détenteurs d’obligations et les « grands épargnants » (ceux dont les dépôts dépassent 100 000 euros). Il aura donc fallu une semaine pour que le représentant démocratiquement élu d’un Etat membre de l’Union européenne cède et défende l’intérêt du plus grand nombre (l’intérêt général ?) au détriment des intérêts particuliers de quelques banquiers.

Dans le projet d’accord intervenu ce matin figure aussi une mention fort intéressante aux questions de blanchiment d’argent. Les banques chypriotes vont subir des audits permettant de mieux connaître l’origine des fonds perçus. Cette fois-ci, il n’aura pas fallu une semaine, mais bien plutôt des années pour que les membres de l’Eurogroupe s’emparent aussi officiellement d’une question fondamentale sur le fonctionnement de l’économie chypriote. Au-delà du cas chypriote, il est permis de douter que l’argent n’ait pas d’odeur dans l’UE.

Dernière réflexion à propos du Fonds monétaire international, bailleur de fonds associé dans la troïka à la Banque centrale européenne et à la Commission européenne. Il semblerait que ses exigences aient été très nombreuses : doit-on en conclure que le FMI a un pouvoir de négociation bien supérieur à ceux de la BCE et de la Commission européenne, qu’il est le leader de cette troïka ? Si tel était le cas, cela poserait problème : d’une part, la BCE et la Commission sont supposés défendre les intérêts européens, ce qui serait infirmé si ces deux institutions étaient sous la coupe du FMI. D’autre part, il ne faudrait pas oublier que lors de sa recapitalisation d’avril 2009, le FMI a bénéficié de fonds supplémentaires en provenance des pays de l’UE, sage décision de leur part si leurs représentants anticipaient d’avoir bientôt recours à des plans de sauvetage, les fonds attribués au FMI revenant dans l’UE sous forme de prêts. Ceci étant, se voir dicter par le FMI des conditions drastiques pour bénéficier de plans de sauvetage au financement duquel on a somme toute largement contribué, est contestable; et ceci fragilise le processus d’intégration européenne.




Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ?

par Céline Antonin et Vincent Touzé

Imprudence, aléa moral et engrenage systémique ont été les maîtres-mots de la crise bancaire. Mécontents de n’avoir eu d’autre choix que de venir à la rescousse des banques, les gouvernements tentent aujourd’hui de reprendre le contrôle et d’imposer de nouvelles réglementations. La plus emblématique d’entre elles concerne la séparation des activités de marché (trading pour compte propre ou compte de tiers) des autres activités bancaires (dépôts, crédits, conseil stratégique et financier, etc.). L’avantage attendu d’une séparation est une plus grande étanchéité entre les activités. Cette dernière pourrait protéger les épargnants en cas de mauvaises opérations des banques sur les marchés financiers. Le 19 février 2013, le Parlement français a voté une loi de séparation bancaire. Malgré des objectifs initiaux ambitieux, la séparation sera partielle puisque seules les activités financières en compte propre seront filialisées. Concernant moins de 1 % des revenus bancaires, cette mesure a un caractère plutôt symbolique. Toutefois, en inscrivant un principe de séparation dans la loi, l’Etat montre sa volonté d’être un superviseur plus actif.

 

L’idée de cloisonner les activités bancaires n’est pas nouvelle. Au lendemain de la crise de 1929, les Etats-Unis adoptèrent le Glass Steagall Act (1933), obligeant à une stricte séparation entre banques commerciales (spécialisées dans les activités de crédit et de gestion des dépôts) et banques d’affaires (spécialisées dans les activités financières) ; la France leur emboîta le pas avec la loi bancaire[1] de 1945. Les avantages attendus d’une séparation bancaire sont doubles. D’une part, les dépôts des clients seraient mieux protégés, car ils ne pourraient plus être sollicités pour éponger les éventuelles pertes de l’activité de marché ; d’autre part, en cas de faillite, l’aide de l’Etat serait limitée, car seule la partie banque de détail des établissements bénéficierait d’une garantie publique.

Quarante ans plus tard, à la faveur du grand mouvement de dérégulation des années 1980-1990, la France fut l’une des premières à abolir la distinction avec la loi bancaire de 1984, posant ainsi le principe de banque universelle. Ce principe conduit à regrouper les activités à fort besoin de liquidité (financement de l’économie) avec celles qui permettent de recueillir la liquidité (activités de dépôts). Ce regroupement présente l’indéniable mérite d’offrir une plus grande solidité financière aux banques. D’autres avantages en découlent : l’effet de levier se trouve renforcé ; le facteur taille conduit à des économies d’échelle ; la capacité d’internationalisation permet aux banques de rentrer dans la catégorie « too big to fail ». Outre-Atlantique, ces arguments ont certainement joué en faveur de l’abolition du Glass Steagall Act en 1999 par l’administration Clinton.

A partir de 2008, les banques ont subi plusieurs chocs : crise des subprimes, chute des valeurs financières, baisse de la croissance économique et crainte d’insolvabilité des dettes souveraines (pour les banques de la zone euro). Ces chocs ont montré que certains avantages de la banque universelle pouvaient se transformer en inconvénients dès lors que le levier financier avait été utilisé de façon trop systématique et que des banques de grande taille en situation difficile faisaient peser un risque systémique. De nombreuses voix vont alors plaider pour un nouveau Glass Steagall Act, voyant dans la séparation entre activités de marché[2] et autres activités bancaires, un moyen de se prémunir contre les crises bancaires d’ampleur. Les activités en compte propre concentrent l’essentiel des dysfonctionnements des banques : prise de risque inconsidérée et quelques cas de traders « fous »[3]. Par conséquent, ce compartiment fait, aujourd’hui, l’objet d’une attention accrue de la part des régulateurs.

Le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act[4] adopté aux Etats-Unis en 2010 n’instaure pas une séparation bancaire stricto sensu mais reprend la « Volcker rule » qui interdit aux banques de « jouer » avec l’argent des déposants, ce qui conduit à une quasi-interdiction des activités de spéculation pour compte propre des entités bancaires ainsi que d’investissement dans les fonds spéculatifs (hedge fund) ou d’investissement privés (private equity fund). Au-delà de cette règle, cette loi est aussi une vaste réforme en faveur d’une réglementation accrue de l’ensemble des agents financiers (banques, assurances, hedge funds, agences de notation, etc.) ainsi que d’une plus grande surveillance des risques systémiques.

L’Europe envisage à son tour de légiférer sur la séparation bancaire. A la demande du commissaire européen Michel Barnier, le groupe d’experts dirigé par le gouverneur de la Banque centrale de Finlande, Erkki Liikanen, a remis un rapport le 2 octobre 2012. Ce dernier préconise  un cloisonnement bancaire strict[5] mais revient aussi sur les rémunérations des dirigeants et des traders, dont les modalités actuelles pourraient être de véritables « pousses au crime » en matière de spéculation à outrance, afin de les rendre plus compatibles avec des objectifs de long terme. Si ce rapport est transformé en directive européenne, cette dernière devra alors faire l’objet d’une retranscription en droit national dans chaque Etat membre. Cependant, la démarche européenne risque fort d’être devancée par les processus législatifs de plusieurs pays européens. En Allemagne, un projet de loi de régulation bancaire[6] vient d’être présenté par le gouvernement le 6 février 2013, et pourrait entrer en vigueur en janvier 2014 (pour une mise en œuvre d’ici juillet 2015). Le Royaume-Uni s’est illustré en 2011 avec la publication du rapport Vickers[7], mais le gouvernement britannique ne semble pas pressé de mettre ces recommandations en œuvre avec une probable échéance 2019. La France n’est pas en reste avec la « loi de séparation et de régulation des activités bancaires ».

 

UN PROJET DE LOI FRANÇAIS MODESTE…

 

La loi française comporte plusieurs volets. En plus de l’inclusion d’un principe de séparation, elle prévoit aussi des mesures de protection du consommateur bancaire ainsi que le renforcement de la surveillance et du contrôle des banques, à travers plusieurs mesures :

–          Chaque établissement bancaire sera obligé d’élaborer un plan préventif de rétablissement[8] en cas de crise, et de résolution en cas de défaillance (testament bancaire). Le plan de résolution sera soumis à l’appréciation de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), qui devient Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

–          Le Fonds de garantie des dépôts devient fonds de garantie des dépôts et de résolution, et voit sa capacité d’intervention augmentée pour pouvoir intervenir en cas de défaillance d’une banque.

–          La surveillance macro-prudentielle est renforcée, avec l’instauration du Conseil de la stabilité financière.

–          Les droits du consommateur bancaire sont renforcés (transparence sur le coût de l’assurance emprunteur, libre choix de l’assurance emprunteur, droit à un compte bancaire, etc.).

 

Cependant la mesure-phare de la réforme reste la séparation entre « activités utiles à l’économie » et activités spéculatives. Les établissements bancaires devront cantonner leurs activités dites « pour compte propre » dans une filiale ad hoc, soumise à une régulation spécifique et financée de manière autonome. Ces filiales auront interdiction de pratiquer certaines activités spéculatives jugées « trop risquées ou qui peuvent être nuisibles à l’économie ou à la société », comme celles portant sur les marchés de produits dérivés ayant comme sous-jacent les matières premières agricoles et le trading à haute fréquence. Seront néanmoins épargnées de nombreuses activités, comme  la fourniture de services aux clients, l’activité de tenue de marché, la gestion de trésorerie, les opérations d’investissement ou la couverture par l’établissement de ses propres risques.

Cette loi de cloisonnement bancaire, présentée au départ comme ambitieuse, sera finalement d’un impact limité. Le modèle de banque universelle n’est pas remis en question. L’aveu du PDG de la Société Générale ne peut être plus clair[9] : moins de 1 % des revenus seraient concernés. On est donc loin du retour au cloisonnement bancaire d’avant 1984. Le critère de cantonnement est ambigu. En effet, la frontière est poreuse entre la couverture du risque et la pure spéculation : la loi avance un principe flou de « pertinence économique », et les banques pourraient être tentées de jouer sur ce vide juridique. Quant à la tenue de marché[10], il est difficile de faire la différence entre les activités spéculatives pour compte propre, qui devront être filialisées, et les activités permettant au marché de rester liquide : le trading à haute fréquence est ainsi le plus souvent pratiqué sous couvert d’accords de tenue de marché, donc la loi risque d’être un coup d’épée dans l’eau si le statut de teneur de marché n’est pas plus précisément défini[11].

La loi prévoit également d’interdire au groupe bancaire de détenir des parts d’un fonds spéculatif de type hedge fund. Or, les crédits accordés par les banques aux fonds spéculatifs sont toujours accompagnés de garanties. De ce point de vue, la loi aura également un faible impact.

 

… MAIS POUVAIT-ON ALLER PLUS LOIN ?

 

Trouver un autre paradigme économique pour le modèle bancaire est un exercice complexe. En pratique, une séparation bancaire pure et simple n’est pas sans inconvénient et, de façon générale, les limites aux réformes bancaires sont nombreuses.

Tout d’abord, limiter, voire priver, les banques d’investissement d’un accès aux dépôts comme source de liquidité les conduirait à un financement par endettement accru, ce qui pourrait être difficile à concilier avec les contraintes liées à la réglementation prudentielle Bâle III. Cette dernière vient d’être mise en place au 1er janvier 2013. Elle est déjà très exigeante en matière de fonds propres.

Ensuite, il est important de noter que le risque bancaire n’est pas seulement inhérent aux activités de marché. Les contre-exemples récents sont nombreux. L’activité de crédit immobilier a été une source importante de risque : en Espagne, la chute des prix immobiliers et l’insolvabilité des emprunteurs ont mis les banques en quasi-faillite ; aux Etats-Unis, la crise des subprimes est une crise du crédit immobilier qui a affecté les marchés grâce à des mécanismes sophistiqués de titrisation qui ont permis aux banques de sortir le risque de leur bilan (du moins en apparence) ; au Royaume-Uni, la Northern Rock est une banque de détail spécialisée dans les crédits immobiliers qui a subi de plein fouet la crise de liquidité et la crise immobilière. Dans une certaine mesure, les banques universelles ont joué un rôle important pour sauver les banques trop spécialisées : par exemple, JPMorgan Chase (universelle) a repris Washington Mutual (caisse d’épargne) et Bear Stearns (affaires), et Bank of America (universelle) a secouru Merrill Lynch (affaires).

De plus, la séparation est censée rendre plus étanches les activités bancaires. Mais, que se passera-t-il si la filiale qui gère la spéculation pour compte propre fait faillite et engendre de lourdes pertes pour la maison mère? Par le passé, deux des quatre principaux groupes français, BPCE et Crédit Agricole, ont déjà isolé leurs activités de marché dans leurs filiales respectives, Natixis et Cacib, et ont dû venir à leur rescousse en 2008 et 2011 respectivement. L’isolation semble donc très perméable.

Dans un contexte de globalisation financière, la compartimentation risque de ne jamais être effective. La finance globalisée permet, en principe, de tout interconnecter. C’est notamment le rôle des marchés interbancaires[12].

En pratique, il semble difficile pour un gouvernement de réformer, sans coordination avec les autres Etats, son secteur bancaire. Les banques nationales ont des filiales étrangères qui pourraient ne pas être soumises à cette réglementation. Et surtout, les banques étrangères concurrentes pourraient afficher une meilleure rentabilité, ce qui affaiblirait la compétitivité des banques nationales. Au niveau européen, les intérêts nationaux diffèrent et chacun pourrait être tenté d’imposer son projet de loi. Si le rapport Liikanen est transformé en directive, chaque Etat membre aura l’obligation de la retranscrire en droit national. Pour l’instant, les législations de l’Allemagne et de la France prennent de l’avance. Il est possible que ces changements influencent une éventuelle directive future.

A trop vouloir compartimenter, on risque aussi de reporter les interconnections vers des échelons moins visibles. Il ne faudrait pas tomber dans le piège d’une dangereuse illusion : on pense avoir éliminé un risque, en réalité, on l’a juste déplacé.

Enfin, trop de réglementation peut parfois tuer la réglementation. Dans le domaine financier, les contraintes réglementaires peuvent servir de support de spéculation. Ainsi, lorsqu’une banque a des difficultés pour respecter certaines contraintes réglementaires, les marchés sont particulièrement encouragés à spéculer pour provoquer et profiter de la défaillance. La prudence est donc de mise avant d’introduire de nouvelles réglementations.

A vouloir être trop strict sur l’application d’un principe de séparation, on pourrait aussi être amené à ne pas soutenir une banque d’affaires qui fait face à d’importants problèmes de liquidité. Pourtant, selon le principe « too big to fail », une telle décision n’est pas toujours judicieuse. Ne pas avoir soutenu Lehman Brothers est une punition qui a eu des effets collatéraux considérables et durables. Cette faillite a affecté toute la sphère économique et financière.

On notera au passage qu’une réglementation bancaire et financière interprétée comme un remède miracle peut avoir des effets délétères en matière de responsabilité individuelle et collective. On attend tout de la loi et on pense qu’elle résout tout. En même temps, il est très vraisemblable que les vecteurs de la prochaine crise financière réussiront à contourner les contraintes réglementaires, d’où l’importance pour les autorités de contrôle de rester vigilantes et d’adopter en permanence une analyse critique.

 

DEPASSER LE SYMBOLE POLITIQUE

Les marges de manœuvre du gouvernement pour séparer les activités bancaires sont indéniablement limitées car trop réglementer pourrait s’avérer inefficace, voire dangereux. Par conséquent, cette loi de séparation bancaire n’est pas radicale et aura une portée modérée sur les banques. D’un côté, le gouvernement peut avoir la bonne conscience d’avoir fait quelque chose à l’instar de ses homologues étrangers. D’un autre côté, les banquiers ne sont probablement pas mécontents de donner le sentiment d’avoir servi, et surtout à moindres frais, l’intérêt général.

Certains n’y verront qu’un piètre symbole politique. D’autres chercheront à voir au-delà avec l’espoir que cette réforme soit perçue comme un signal fort adressé au monde bancaire. L’espoir ne sera peut-être pas vain puisque le principe de séparation est désormais inscrit dans la loi et un gouvernement futur aura tout loisir de le durcir.

En pratique, un changement de paradigme économique, qui conduirait à la raréfaction des spéculations dommageables, ne peut résulter d’une simple séparation des activités. Les lois bancaires ne doivent pas être trop compliquées car le diable a tendance à se cacher dans le détail. Les autorités de contrôle doivent en permanence conserver un regard critique sur le fonctionnement des marchés et la loi doit leur donner une certaine souplesse d’initiative pour définir quand et comment elles peuvent intervenir. Sur ces sujets, la déclaration de Volcker en 2011 est sans ambiguïtés[13] : « J’aurais écrit un projet de loi beaucoup plus simple. J’aurais adoré voir un projet de loi de quatre pages qui interdit le trading pour compte propre et qui rend le conseil d’administration et le directeur général responsables de la mise en conformité. Et j’aurais voulu des régulateurs forts. Si les banques ne s’étaient pas conformées à l’esprit de la loi, elles les auraient eu à leurs trousses ». De nombreuses mesures visant à responsabiliser les professionnels de la finance (dirigeants et opérateurs de marchés) méritent également d’être étudiées. A ce titre, le rapport Liikanen propose de revoir les modes de rémunération des dirigeants et financiers des banques afin de les rendre plus compatibles avec une vision de long terme. La piste d’une responsabilité pénale[14] accrue des dirigeants du monde financier doit également être explorée. On peut également s’interroger sur la perméabilité des carrières professionnelles du secteur régulateur vers le secteur régulé. Dans ce domaine, il y a sûrement matière à rendre plus étanche le système. L’histoire récente n’a-t-elle pas montré qu’il était possible d’être tour à tour Président de la Fed puis conseiller avisé d’un riche et puissant hedge fund


[1] La loi 45-15 du 2 décembre 1945 instaurait la spécialisation des institutions financières en classant les banques en trois catégories : les banques de dépôts, les banques d’affaires, les banques de crédit à long terme et à moyen terme (articles 4 et 5).

[2] La gestion d’actifs peut être exercée :

– soit pour compte propre (proprietary trading) : la banque achète ou vend des instruments financiers, financés directement par ses ressources. Ces ressources n’incluent pas seulement les fonds propres de la banque, mais aussi les dépôts des épargnants et les emprunts. Cela veut donc dire que, outre les fonds propres, les autres strates de financement de la banque, notamment les dépôts de la clientèle supportent indirectement un risque.

– soit pour compte de tiers (non proprietary trading) : contrairement à la gestion pour compte propre, les risques de crédit et de marché sont principalement pris par le client. Mais, sur certains produits, la banque peut toutefois supporter d’importants risques opérationnels.

[3] http://lexpansion.lexpress.fr/economie/trading-pour-compte-propre-la-face-cachee-des-banques_233686.html.

[4] Le titre VI de la loi propose d’améliorer la régulation et est considéré comme une application de la « Volcker Rule », http://useconomy.about.com/od/criticalssues/p/Dodd-Frank-Wall-Street-Reform-Act.htm.

[5] Le rapport recommande une séparation des activités de marché pour compte propre mais aussi de certaines activités sur les marchés financiers et de produits dérivés pour compte de tiers.

[6] L’Allemagne prépare aussi un projet de loi, dans lequel les banques allemandes seront contraintes d’isoler leurs activités pour compte propre. Comme en France, le modèle de banque universelle ne sera pas remis en question. http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=reuters_00495696&fw=1.

[7] Le rapport Vickers de septembre 2011 préconise un cloisonnement des activités de banque de détail et d’investissement, via une filialisation de l’activité banque de détail, complétée par une exigence de fonds propres de 10 % pour les banques de détail. Le gouvernement britannique s’est engagé à introduire ces réformes dans la loi en 2015, pour une mise en œuvre prévue d’ici 2019.

[8] Ce plan présente les différentes modalités possibles de rétablissement (recapitalisation, plan d’économie, restructuration, etc.) et doit exclure tout appel à un soutien financier public.

[9] « Nous estimons que, si en 2006-2007, 15 % des activités relevaient des activités de marché, parmi lesquelles 15 % à 20 % pouvaient être classées comme déconnectées de la clientèle, et par  conséquent transférées à une filiale, cette proportion est désormais inférieure à 10 %, se situant autour de  3,5 % à 5 % en moyenne », Frédéric Oudéa, 30 janvier 2013, audition devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-cfiab/12-13/c1213060.pdf.

[10] L’activité de tenue de marché (« market making ») correspond à la présence permanente d’un intervenant qui apporte de la liquidité au marché.

[11] A cet égard, mentionnons l’amendement déposé par Karine Berger qui souhaite que Bercy fixe le seuil à partir duquel les activités de marché doivent impérativement être filialisées.

[12] Depuis 2008, la crise de confiance sur le marché bancaire a posé de grosses difficultés d’accès aux liquidités à certaines banques, bien que parfaitement solvables, ce qui a contraint les banques centrales à intervenir et à se substituer au marché interbancaire.

[13] “I’d write a much simpler bill. I’d love to see a four-page bill that bans proprietary trading and makes the board and chief executive responsible for compliance. And I’d have strong regulators. If the banks didn’t comply with the spirit of the bill, they’d go after them”, 22 octobre 2011, http://www.nytimes.com/2011/10/22/business/volcker-rule-grows-from-simple-to-complex.html?pagewanted=all&_r=0.

[14] A ce titre, la justice américaine n’hésite pas à entreprendre des actions contre les institutions financières qui ont failli à leurs devoirs. Voir par exemple, l’action récente contre Standard & Poor’s, http://www.bloomberg.com/news/2013-02-06/s-p-lawsuit-portrays-cdo-sellers-as-duped-victims.html. Voir aussi, les poursuites engagées contre un ancien employé de Goldman Sachs : http://www.sec.gov/litigation/complaints/2010/comp-pr2010-59.pdf et http://dealbook.nytimes.com/2013/01/31/trader-accused-of-misleading-clients-leaves-goldman/ ainsi que l’enquête sur la fameuse « baleine » de Londres : http://www.reuters.com/article/2013/02/15/us-lehman-jpmorgan-londonwhale-idUSBRE91E00W20130215.




Quelle politique monétaire pour la BCE en 2013 ?

par Paul Hubert

La Banque centrale européenne (BCE), après sa réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs du 7 février 2013, a décidé de maintenir son principal taux directeur à 0,75%. L’analyse de la situation économique faite par Mario Draghi lors de la conférence de presse qui a suivi révèle des développements contrastés qui justifient ce statu quo. Dans une récente étude, nous montrons que les projections d’inflation de la BCE permettent d’apporter un autre éclairage sur les évolutions futures du taux directeur.

Le statu quo actuel s’explique par plusieurs facteurs qui se compensent mutuellement. Les banques ont commencé à rembourser une partie des liquidités obtenues à travers le mécanisme du LTRO (140 milliards d’euros sur 489), ce qui reflète une amélioration de leur situation financière, mais dans le même temps les prêts accordés aux entreprises non financières continuent de se contracter (-1,3% en décembre 2012) tandis que les prêts aux ménages restent à des niveaux très faibles.

D’un point de vue macroéconomique, la situation au sein de la zone euro ne donne pas de signaux clairs sur la politique monétaire à venir : après une contraction de 0,2% au deuxième trimestre 2012, le PIB réel de la zone euro a encore baissé de 0,1% au troisième trimestre, tandis que l’inflation, mesurée en rythme annuel, est passée de 2,6% en août 2012 à 2% en janvier 2013 et devrait repasser sous la barre des 2% dans les mois à venir sur la base des chiffres de croissance du PIB et des prix du pétrole actuels et anticipés.

De plus, les anticipations d’inflation des agents privés, mesurées par le Survey of Professional Forecasters, restent solidement ancrées autour de la cible d’inflation de la BCE. Au quatrième trimestre 2012, elles étaient de 1,9% pour les années 2013 et 2014. Avec un objectif d’inflation « inférieur à, mais proche de 2% » atteint en l’état actuel, une zone euro en récession et un chômage à des niveaux records, la BCE pourrait porter soutien à l’activité réelle. Cependant, la BCE anticipe que l’activité économique devrait reprendre graduellement au second semestre 2013, en partie grâce au caractère accommodant de la politique monétaire actuelle.

De cette anticipation, et compte tenu du niveau historiquement bas auxquels sont les taux directeurs aujourd’hui et des délais de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle[1], la probabilité d’une future baisse des taux paraît bien faible. Un dernier élément vient finir de brouiller les pistes: la hausse récente de l’euro  – même si on est encore bien loin des niveaux records – pourrait tuer dans l’œuf la faible reprise économique qui s’annonce et justifierait, selon certains, un soutien aux secteurs exportateurs[2].

Dans un récent document de travail de l’OFCE (n°2013-04), nous discutons de l’utilisation que peut faire la BCE de ses prévisions d’inflation pour améliorer la mise en œuvre de sa politique monétaire. Nous proposons un nouvel élément d’éclairage sur les évolutions futures du taux directeur basé sur les projections macroéconomiques que publie la BCE trimestriellement. Dans cette étude consacrée aux effets de la publication des projections d’inflation de la BCE sur les anticipations d’inflation des agents privés, nous montrons qu’une baisse des projections d’inflation de la BCE de 1 point de pourcentage est associée à une baisse du taux directeur de la BCE de 1,2 point de pourcentage dans les deux trimestres suivants. Nous concluons que les projections d’inflation de la BCE sont un outil qui permet de mieux comprendre les décisions de politique monétaire courantes ainsi que de mieux anticiper les décisions futures.

Les dernières projections d’inflation pour les années 2013 et 2014, publiées en décembre 2012, s’établissent respectivement à 1,6% et 1,4%. La publication, le 7 mars prochain, des nouvelles projections pourrait donner une indication complémentaire sur l’orientation de la politique monétaire à attendre en 2013.


[1] En moyenne, une variation des taux directeurs est estimée produire ses effets sur l’inflation après 12 mois et sur le PIB après 18 mois.

[2] Rappelons tout de même qu’environ 64% du commerce de la zone euro se fait avec des partenaires de la zone euro et est donc indépendant des variations de change.




Entrée en vigueur de l’interdiction des CDS à nu

par Anne-Laure Delatte

Le petit marché des CDS sert d’instrument de coordination pour spéculer contre les Etats européens. Pour casser la spéculation, l’Union Européenne vient de se doter d’une nouvelle réglementation entrée en vigueur le 1er novembre. Malheureusement cette  nouvelle loi pionnière et ambitieuse souffre de failles qui la rendent inefficace. Elle offre un exemple de capture du politique par les intérêts d’un seul secteur économique.

Petit précis de finance : comment spéculer contre un Etat ?

Deux méthodes ont fait leurs « preuves » : la vente à découvert sur le marché obligataire ou les ventes à nu sur le marché des CDS. Prenons deux exemples. Si vous pensez que l’Espagne ne sera pas capable de réduire son déficit en 2013 comme elle s’y est engagée, vous pourriez gagner de l’argent en pariant contre ce pays lors de sa prochaine émission obligataire. Pour ce faire, il vous faut trouver un investisseur sur le marché qui souhaiterait acquérir des obligations espagnoles au moment de sa prochaine émission. Vous lui vendez à terme ces obligations en pariant que leur prix sera plus bas que ce que pense votre client. Vous n’achetez pas les titres aujourd’hui.  Vous pourrez les acheter à la date de livraison. Vous gagnerez si vos anticipations étaient justes : si le prix des titres espagnols a baissé à cause de la détérioration de la situation économique alors vous les achèterez moins cher que le prix de vente auquel vous vous êtes engagé aujourd’hui. Vous venez d’effectuer une vente à découvert.

Il y a un autre moyen d’opérer que la nouvelle loi européenne tente de contrer. Faites vos paris sur le marché des CDS, c’est-à-dire le marché d’assurance contre le défaut de l’Espagne. Celui-ci est plus petit, il est concentré, il est donc plus facile de le faire bouger que le marché obligataire. Nul besoin que l’Espagne se déclare en faillite pour empocher vos gains ! Achetez des CDS espagnols (sur l’Etat ou sur Santander) aujourd’hui et revendez-les quand le risque aura augmenté : vous revendrez la protection plus cher… Un détail : ne vous encombrez pas des obligations espagnoles. Elles ne vous servent à rien puisque c’est sur la revente de CDS que vous dégagez du profit. Vous n’avez jamais eu l’intention d’assurer des titres…  Les CDS sont des produits échangeables et dont le prix évolue selon l’offre et la demande. Et c’est justement l’intérêt d’un petit marché liquide : moins de quantité nécessaire pour faire bouger les prix…

La directive entrée en vigueur le 1er novembre 2012 interdit ces deux stratégies : ventes à découvert de titres obligataires souverains  et échange de CDS souverains à nu. Aujourd’hui si vous voulez parier sur le marché des CDS, vous êtes tenu de détenir dans votre portefeuille les titres que le CDS protège ou au moins des titres très proches.

Enfin une loi courageuse ! L’interdiction des CDS à nu, envisagée aux Etats-Unis puis abandonnée en 2009 est une décision européenne pionnière ! Plus possible de spéculer contre les Etats européens…

Sauf que :

L’interdiction n’est pas appliquée aux « teneurs de marché » (market makers). Qui sont-ils ? Pour être certains qu’un marché fonctionne, certains opérateurs s’engagent à toujours acheter ou vendre un titre à quiconque le souhaite (ils déterminent simplement le prix de la transaction). Cela  assure la liquidité du marché. Par exemple Morgan Stanley est un market maker très actif sur tout le marché des CDS ; la banque fournit en permanence des prix pour toutes les transactions sur le marché. « Ils sont donc utiles ces market makers. Vous imaginez si on interdisait les CDS à nu à ces opérateurs en particulier ? Il n’y aurait plus de liquidité ! » C’est en substance l’argument utilisé par les grandes banques pour négocier des exemptions. En particulier c’est l’argument qui justifie l’exemption de ces market makers sur l’interdiction des CDS souverains à nu en Europe. Les market makers ont gagné : ils peuvent continuer à échanger des CDS sans détenir les obligations sous-jacentes.

Mais dans le post précédent n’a-t-on pas écrit que le marché était justement très concentré ? Que 87,2% des transactions étaient réalisées par les 15 plus grandes banques du monde… qui sont toutes market makers ? Autrement dit la règle va s’appliquer à tous… sauf aux principaux acteurs du marché. Il semblerait d’ailleurs que de grandes banques françaises discutent actuellement avec l’Autorité des marchés financiers européenne (l’ESMA) la définition exacte de market maker pour s’assurer d’être elles aussi exemptées :

Certes. Mais les Hedge Funds alors ? Ceux-là ne sont pas market makers, ils sont clients. La directive sera donc appliquée à eux !

Sauf que :

Seul le marché des CDS souverains est concerné. Il est toujours possible de détenir des CDS sur un titre bancaire sans détenir ce titre. Il sera donc aisé de contourner l’interdiction de parier contre un Etat en pariant contre une de ses banques (Santander dans l’exemple du haut). Quand on pense à la fragilité des banques espagnoles, on frémit…

En conclusion, l’idée d’adopter une telle loi était louable. Mais le diable est toujours et encore dans les détails. Le secteur financier a défendu ses intérêts pendant l’élaboration de la loi. Il est urgent de se doter des moyens pour faire contrepoids dans les négociations. L’association Finance Watch a été précisément créée avec cet objectif : être présente et faire entendre la voix de la société civile pendant l’élaboration des réformes financières. Seulement c’est David contre Goliath…