Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et année de transition : quel impact pour les finances publiques et l’équité fiscale?

par Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Dans le cadre du Projet de Loi de Finance 2017 présenté et discuté à l’Assemblée nationale à partir du mois d’octobre, le gouvernement Valls propose une réforme fiscale majeure avec la mise en place d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu dès le mois de janvier 2018.

Prélever l’IR à la source s’inscrit dans une démarche de simplification fiscale. Son principal attrait est d’offrir une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est perçu et celui où il est taxé, notamment au moment de la retraite ou à la suite d’un licenciement engendrant une baisse de revenu. La simplification fiscale est totale si le contribuable n’a plus de déclaration à faire et si le prélèvement à la source est libératoire, c’est-à-dire quand l’imposition est définitive et le revenu net perçu est libéré de toute obligation fiscale.

Toutefois, mettre en place un prélèvement à la source se heurte à deux types de difficulté (Cour des comptes, 2012 ; Sterdyniak, 2015 ; Touzé, 2015).

Premièrement, tous les revenus ne sont pas aisément imposables à la source pour la simple raison qu’apprécier leur juste mesure prend du temps et que recueillir ces informations doit se faire dans le respect de la confidentialité des données récoltées. La progressivité de l’IR ainsi que l’usage de quotients conjugal et familial complexifient particulièrement le calcul, ce qui rend difficile le caractère libératoire de l’impôt prélevé à la source.

Deuxièmement, l’année de transition est difficile à fiscaliser car on ne peut pas faire payer deux impôts la même année aux ménages (un qui serait prélevé à la source sur les revenus 2018 et un autre qui serait payé avec retard sur les revenus 2017). Cependant, la non fiscalisation est également problématique car elle pourrait donner lieu à d’importantes stratégies d’optimisation fiscale et rendre inopérants les mécanismes d’incitation fiscale prévus par la loi pour certaines dépenses[1] (dons, emploi à domicile, etc.). Pour les contribuables bénéficiaires d’une année blanche, le gain sera effectif à leurs décès puisque ces derniers auront bien payé une année de moins d’impôt sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Par ailleurs, payer plus tôt l’IR signifie aussi la perte de l’avantage du délai d’un an pour payer. Sans application d’une réduction égale au taux d’intérêt nominal, le prélèvement à la source s’assimile donc à une hausse implicite de l’IR. Pour les générations qui ne paient pas encore d’IR et qui ne bénéficieront pas de l’année blanche, la hausse implicite constitue une perte évidente. La hausse d’impôt relative est égale au taux d’intérêt. Pour les générations qui paient déjà l’IR, il est nécessaire de faire un bilan entre ce qu’elles gagnent (année blanche) et perdent potentiellement (suppression du délai de paiement).

Dans un document de travail de l’OFCE, nous étudions l’impact sur les finances publiques et sur le montant d’IR payé par les ménages d’un prélèvement à la source qui donnerait lieu à une année blanche. Notre étude aboutit à quatre résultats :

  • Si les revenus de l’année 2017 ne sont pas fiscalisés et si la hausse fiscale implicite est neutralisée, la réforme se traduit par un manque à gagner relatif de recettes fiscales annuelles qui est approximativement égal à la différence entre le taux d’intérêt nominal et le taux de croissance nominal ;
  • A l’inverse, si l’année blanche est associée à une hausse implicite de la fiscalité, alors l’Etat est gagnant car il va percevoir un surplus relatif de recettes fiscales qui est égal au taux de croissance nominal de l’économie ;
  • Quelles que soient les modalités de la réforme, la rupture de l’équité devant l’impôt aboutit à un impact générationnel inégalitaire. Cet impact est toujours en faveur des générations les plus âgées au détriment des plus jeunes et futurs contribuables. Cette propriété résulte du fait que les générations les plus âgées (particulièrement les 55-65 ans) ont souvent des niveaux plus élevés d’IR (forte année blanche potentielle) et qu’elles seront moins longtemps impactées par la hausse implicite en raison d’un horizon de vie plus court. Sous l’hypothèse d’une hausse fiscale implicite de 2%, nos calculs prospectifs, réalisés à partir de l’enquête ERFS 2013, montrent que les plus jeunes générations pourraient avoir à payer en plus l’équivalent d’une année d’IR moyen sur l’ensemble de leur cycle de vie tandis que les plus de 60 ans pourraient réaliser une économie d’environ une année moyenne d’impôt sur leur cycle de vie restant (voir graphique ci-après). Sans hausse implicite, le gain serait nul pour les futures générations de contribuables et les plus de 50 ans pourraient économiser un montant d’impôt supérieur à une année d’IR moyen sur leur cycle de vie restant ;
  • Fiscaliser l’année de transition sans modifier fortement la trésorerie des ménages n’est pas simple :
    1. Un paiement échelonné sur une dizaine d’années conduit pour les ménages à une hausse élevée de l’IR (de l’ordre d’une dizaine de pourcent chaque année) ;
    2. Un paiement après le décès conduit à une dette fiscale à payer très variable qui dépend du montant d’IR dû pour l’année 2017 qui est fortement lié à l’âge du contribuable ainsi que du montant des intérêts cumulés qui dépend de façon exponentielle de l’horizon de vie du contribuable ;
    3. Il est, certes, possible de rembourser une partie des charges d’intérêt sur la créance fiscale tout en maintenant une trésorerie inchangée pour les générations de la transition, mais cela se fait, de facto, au prix de la perte de la synchronisation (un des objectifs principaux du prélèvement à la source).

Pour conclure, le législateur fait face à trois options :

  • Considérer que les inconvénients engendrés par l’année blanche et la hausse implicite de la fiscalité sont de second ordre par rapport aux avantages attendus du prélèvement à la source ;
  • Neutraliser ces inconvénients en proposant aux contribuables différentes options de remboursement de l’IR sur les revenus 2017, ce qui n’est pas sans faire apparaître d’autres inconvénients, et en annulant la hausse implicite ;
  • Choisir une solution de moindre mal qui pourrait reposer sur une année 2017 partiellement blanche et une hausse fiscale limitée de façon à avoir un impact nul sur le budget de l’Etat.

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Source : Calculs prospectifs des auteurs d’après ERFS 2013 et projections démographiques de l’INSEE (2010) et sous un scénario d’un taux d’intérêt nominal de 2%, d’un taux d’inflation de 1% et d’une croissance de 1,5%.
Nota : Il est important de souligner que ce scénario prospectif est basé sur une hypothèse d’inflation, de croissance et de taux d’intérêt faibles. Des scénarios plus optimistes sur l’évolution de l’économie, à moyen et long terme, amplifient l’impact de la suppression du délai de paiement. De ce point de vue, notre scénario peut donc être jugé minimaliste sur l’impact d’un prélèvement à la source avec hausse implicite de l’IR.

 

Bibliographie

Cour de Comptes, 2012, Prélèvement à la source et impôt sur le revenu, Rapport, février.

Sterdyniak H., 2015, « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015.

Touzé V., 2015, « Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse », Blog de l’OFCE , 15 septembre 2015.

 

[1] A cet égard, le Projet de Loi de finance 2017 prévoit le maintien des déductions et crédits d’impôt attachés à des dépenses effectuées en 2017. Si cette clause est validée par le Parlement et par le Conseil constitutionnel, alors ces avantages fiscaux donneront droit à une réduction d’impôt en 2018. La Cour des comptes (2012) estime que le maintien de ces dépenses fiscales pour l’année de transition coûterait entre 5 à 10 milliards d’euros.




Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : il y aura bien une « année blanche » !

Céline Antonin, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) faisait partie du programme de campagne de 2012 du président Hollande. Ce projet de réforme est désormais porté par le gouvernement Valls et devrait être prochainement présenté devant l’Assemblée nationale. Si la loi est adoptée, en 2018, les ménages seront taxés à la source sur la base de leurs revenus perçus en 2018. La mise en place de cette mesure nécessite une année de transition. En l’absence de mesures particulières, les revenus perçus en 2017 échapperont au barème de l’IRPP.

L’objectif affiché est de rendre l’imposition sur le revenu plus simple et de permettre une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est perçu et celui où l’impôt est payé (Ayrault et Muet, 2015). Toutefois, cette mesure suscite de nombreux débats (Sterdyniak, 2015 ; Touzé, 2015a) car la simplification pourrait ne pas être au rendez-vous, sans compter que la non fiscalisation des revenus de l’année de transition, la fameuse « année blanche », pose un vrai défi, notamment, pour maintenir l’équité fiscale[1], limiter le risque d’optimisation fiscale (certains contribuables pourraient en profiter pour réaliser des revenus exceptionnels qui ne seraient pas imposés) et éviter une baisse des dons à cause de la non déductibilité pendant l’année de transition.

Pour faire taire de nombreux détracteurs, le Ministre du Budget, Michel Sapin, a déclaré le 16 mars 2016 que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu n’engendrerait pas d’ « année blanche ». Pourtant, pour les ménages, il y aura bien une « année blanche », car tous les contribuables vivant en 2017 auront une année de moins d’impôt sur le revenu à payer sur l’ensemble de leur vie (Touzé, 2015b).

Certes, du point de vue de l’Etat, et le Ministre du Budget a raison de le souligner, il n’y aura pas d’année sans recettes d’impôt sur le revenu. L’opération n’est cependant pas neutre d’un point de vue budgétaire. Pour l’Etat, cette réforme induit deux effets:

  • — Un supplément de recettes : en faisant payer plus tôt l’IRPP, l’Etat n’accorde plus un crédit d’un an aux ménages, ce qui s’assimile à un gain financier implicite égal au taux d’intérêt d’émission des obligations publiques ;
  • — Une perte de recettes : en renonçant à fiscaliser une année de revenu, l’Etat enregistre une perte de recettes fiscales qui sera effective lors du décès des contribuables restés sur le territoire français ou lors de leur domiciliation fiscale à l’étranger pour les autres.

Pour les finances publiques, le gain net est positif dès qu’il y a de la croissance économique. En effet, en termes de trésorerie, l’administration fiscale va percevoir plus tôt des impôts sur les revenus en cours, nécessairement plus élevés en période de croissance économique que ceux sur les revenus de l’année précédente.

Pour les ménages, malencontreusement, le financement de ce gain potentiel pour les finances publiques est très inégalement réparti (Touzé, 2015b) :

  • — Ceux qui payent déjà l’impôt sur le revenu vont gagner une « année blanche » et perdre l’avantage financier de l’impôt différé ;
  • — Ceux qui ne payent pas encore l’impôt sur le revenu (les plus jeunes et les générations futures de contribuables) n’ont aucun gain fiscal et perdent l’avantage financier de l’impôt différé, dont ils auraient bénéficié en l’absence de réforme.

Le paiement actuel avec une année de décalage de l’IRPP constitue indéniablement un avantage financier pour les ménages puisqu’ils peuvent épargner le « crédit » d’impôt implicite octroyé par l’Etat. Cet avantage est égal au taux d’intérêt monétaire :

  • — Pour un contribuable qui épargne, les taux de rémunération de l’épargne sont actuellement faibles : pour l’épargne réglementée et sans risque, ils se situent entre 0 % (dépôt à vue) et 1,5 % (Plan d’épargne logement) ; contre environ 2 % après prélèvements sociaux pour les produits d’assurance-vie en euros.
  • — Pour un contribuable qui rembourse un emprunt, le taux d’intérêt financier dépend des taux d’intérêt débiteurs en vigueur : de 2,5 à 4,4 % pour des crédits à la consommation et entre 1,5 et 2,4 % pour un crédit immobilier.

Pour les ménages, supprimer le délai de paiement implique donc une hausse implicite permanente de l’IRPP. Cette hausse est comprise entre 0 et 4,4 % en se basant sur les taux monétaires observés début 2016. Toutefois, rien n’indique que la faible rémunération actuelle de l’épargne se poursuivra dans le futur, le contexte présent étant principalement lié à la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne qui veut éviter l’entrée en stagnation séculaire (Le Garrec et Touzé, 2016a).

L’impact de la suppression du délai de paiement dépend également de la durée de vie fiscale des contribuables. L’espérance de vie des contribuables âgés étant plus faible que celle des jeunes, les seniors subiront moins longtemps la hausse implicite de la fiscalité.

En 2015, le montant prélevé d’IRPP a été de 76 milliards d’euros. Renoncer à fiscaliser au barème de l’IRPP les revenus de l’année 2017 (année d’élection présidentielle et législative de surcroît) conduira à une baisse d’impôt similaire pour les contribuables vivant en 2017. Ces derniers bénéficieront de facto d’une année de moins d’impôt à payer pendant toute leur durée de vie fiscale. En pratique, au moment de leurs décès, leurs héritiers, contrairement à la situation actuelle, n’auront plus à s’acquitter du montant d’IRPP du défunt dans la mesure où il aura déjà été prélevé à la source. L’année blanche pourrait donc contribuer à grossir le montant des héritages[2]. Cette année blanche sera aussi effective pour les contribuables partis à l’étranger au moment de leur changement de domicile fiscal.

A partir de la distribution observée de l’impôt sur le revenu début 2011 (enquête INSEE, « Budget des familles »), nos calculs montrent que la réduction d’impôt liée à l’année blanche est très mal répartie entre les générations (voir tableau 1) :

  • — Les contribuables seniors âgés de 50 à 69 ans sont ceux qui ont le montant d’impôt sur le revenu le plus élevé et concentrent ainsi près de 47 % de l’année blanche alors qu’ils représentent moins de 35% des contribuables ;
  • — Les jeunes contribuables âgés de moins de 30 ans concentrent très peu de cet avantage en comparaison de leur poids social ;
  • — Les jeunes et futures générations qui ne payent pas encore d’impôt n’en tirent aucun bénéfice.

D’un point de vue générationnel, les seniors sont donc ceux qui bénéficieront le plus du prélèvement à la source : gain de la non-imposition des revenus 2017 potentiellement plus élevé que les autres classes d’âge et moindre impact de la hausse implicite de l’IRPP en raison d’un horizon de vie fiscal plus court.

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Par ailleurs, du fait de la progressivité de l’impôt sur le revenu, le partage du gain de l’année blanche est très mal réparti entre les différents déciles et centiles de revenu (tableau 2) : seuls les 50 % des ménages les plus riches paient l’IRPP sachant que ceux des centiles supérieurs, 1% et 3 % (C98, C99 et top 1%), concentrent respectivement 31,8 % et 47,7 % de l’IRPP.

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Vu le caractère très inégalitaire du partage du bénéfice de l’année blanche et de l’impact temporel de la suppression du délai de paiement, il pourrait être souhaitable que des études approfondies accompagnent le projet de prélèvement à la source et que des corrections soit proposées. Par exemple, deux mesures correctives pourraient être facilement mises en œuvre  (Le Garrec et Touzé, 2016b) :

  • — Réduction de l’impôt prélevé à la source du montant du taux d’intérêt financier en vigueur ;
  • — Imposition des revenus 2017 (pas d’année blanche), créance fiscale qui pourrait être remboursée progressivement tout au long de la vie du contribuable sans altération de son revenu disponible.

Ces deux mesures simples seraient à même de garantir la neutralité et l’équité fiscale.

 

Bibliographie

Ayrault J.-M. et P.-A. Muet, 2015, Pour un impôt juste, prélevé à la source, Fondation Jean Jaurès, Août 2015:

(http://www.jean-jaures.org/content/download/21481/225169/version/3/file/prelev-source.pdf)

Lefebvre D. et F. Auvigne (2014), Rapport sur la fiscalité des ménages, République française:

(http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2014/06/rapport_sur_la_fiscalite_des_menages.pdf)

Le Garrec G. et V. Touzé (2016a), « L’équilibre de stagnation séculaire », Blog de l’OFCE, 26 janvier 2016:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2016/note57.pdf)

Le Garrec G. et V. Touzé (2016b), « Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et année de transition : Quel impact pour les finances publiques et l’équité fiscale? », mimeo OFCE, document de travail à paraître.

Sterdyniak H., « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelevement-la-source-une-reforme-compliquee-un-gain-tres-limite/)

Touzé V. (2015a), “Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse”, Blog de l’OFCE, 15 septembre 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelever-limpot-sur-le-revenu-la-source-une-reforme-compliquee-et-couteuse/)

Touzé V. (2015b),  “Adopter un prélèvement à la source et maintenir l’équité fiscale. Quelques éléments de calculs”, Note de l’OFCE, n°53, 26 novembre 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2015/note53.pdf)

 

[1]Le prélèvement à la source garantit l’équité fiscale si après réforme, le montant d’impôt payé par chaque ménage reste inchangé.

[2] On peut noter au passage que dans un contexte de faible mobilité sociale, les descendants des contribuables les plus fortunés subiront aussi de plein fouet l’abandon du délai d’un an de paiement de l’impôt (hausse implicite de l’IRPP) dans la mesure où ils seront aussi les principaux contributeurs de l’impôt sur le revenu dans le futur. D’un point de vue dynastique, les riches descendants financeront implicitement l’année blanche de leurs parents fortunés (Le Garrec et Touzé, 2016b).




Faut-il aider les PME à embaucher ?

par Sarah Guillou

Dans un regain de mobilisation pour lutter contre le chômage, le gouvernement a annoncé, lundi 18 janvier 2016, de nouvelles mesures qui concernent l’apprentissage, la formation et les PME au sein d’un nouveau « plan emploi ». Concernant les PME –  les entreprises de moins de 250 salariés –, il est prévu le versement de 2 000 euros pour l’embauche d’un salarié payé entre 1 et 1,3 SMIC recruté en CDI ou en CDD de plus de 6 mois. Cette aide sera accordée pour 2 ans et sera relayée en 2018 par la transformation du Crédit Impôt compétitivité emploi (CICE) – pour le moment un crédit d’impôt de 6% de la masse salariale inférieure à 2,5 SMIC – en baisse de charges. Il s’agit ainsi de réduire à zéro les cotisations restant à la charge de l’employeur à proximité du salaire minimum. Bien que réduites à la fois par l’allègement général dit « Fillon » et par les dispositions du Pacte de responsabilité, les charges sociales patronales au niveau du SMIC s’élèvent à un peu moins de 200 euros mensuel (charges dues notamment au titre de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, …). Cette disposition devrait donc assurer l’application du « zéro charge » pour les PME.

Cependant, l’aide à l’embauche aux PME risque fort de ne pas être interprétée comme un dispositif qui modifie l’environnement futur du coût du travail et se trouvera donc peu en phase avec la nature des freins à l’embauche (incertitude sur le futur) que ces entreprises rencontrent. En effet, présenter le caractère pérenne de l’aide à l’embauche aux PME en argumentant sur la transformation du CICE en baisse des charges à l’horizon de 2018 est une pirouette politique. Ou alors cela laisse entendre que le CICE sera requalifié en termes de cibles de salaires et de taille d’entreprises comme le montrent les éléments suivants, ce qui serait également un autre élément d’incertitude.

Les PME ne sont pas des grandes !

Selon le rapport de l’INSEE sur les entreprises en 2015, on recense 3,5 millions de PME (non financières et non agricoles) sur un total de 3,56 millions d’entreprises. Ce sont en grande majorité des microentreprises, c’est-à-dire des entreprises de moins de 10 salariés, voire sans salarié. On ne compte en effet que 138 000 PME non microentreprises, soit 4% des PME mais celles-ci emploient 28 % des salariés.

Plus généralement, les PME  sont toutes les entreprises françaises qui ne sont pas des grandes, ce qui représente plus de 95% des entreprises. Le plan est donc très général, il n’exclut en fait que quelques grandes entreprises mais aussi toutes les microentreprises qui n’ont pas de salariés. Avant la loi de modernisation de l’économie (LME), on trouvait parmi ces PME des entreprises qui, de fait, appartenaient à un groupe et dont le périmètre d’activité et de pouvoir économique et financier dépassait celui des PME indépendantes. A présent, la nouvelle définition retenue par l’INSEE exclut, en principe, une entreprise de la catégorie des PME, si elle appartient à un groupe.

En termes de nombre, la répartition des PME par secteur marchand (hors activités agricoles) est donnée dans le tableau 1. Les PME françaises de plus de 9 salariés se concentrent – en ordre décroissant – dans le commerce, la construction, le secteur hébergement et restauration, le secteur des activités scientifiques et techniques (dont les professions libérales) et le secteur manufacturier. La cible des PME est donc très large mais entraîne cependant un coût budgétaire moindre que si la mesure était généralisée à toutes les tailles d’entreprises.

Les aides aux PME

De nombreux dispositifs existent. Certains sont liés à l’âge des entreprises – comme celui des jeunes entreprises innovantes ou les exonérations de charges sociales associées aux premières années d’existence d’une entreprise – car naturellement les plus jeunes entreprises sont d’abord des PME. De nombreuses aides existent également au niveau local.

Ce soutien de l’Etat aux PME est compatible avec la réglementation européenne concernant les aides publiques puisqu’il s’agit d’un domaine qui bénéficie du régime d’exemption d’obligation déclarative des aides à la Commission européenne. Ce qui signifie que si les aides publiques aux entreprises sont, en régime général, prohibées par les traités européens, les aides aux PME bénéficient d’un régime d’exemption. Comparativement, la France est bien devant l’Allemagne en matière de soutien aux PME en pourcentage du total des aides publiques dites « horizontales » (non sectorielles). Les statistiques des aides publiques aux entreprises reportées par la Commission européenne montrent que, pour un montant total d’aides comparables entre la France (9,726 milliards d’euros) et l’Allemagne (9,395 milliards d’euros) en 2013, les aides aux PME représentent 12% en France et 3% en Allemagne (EU Scoreboard). Si on retient les statistiques européennes comme une bonne mesure de l’échelle des aides aux entreprises, on conclura que plus d’un dixième des aides horizontales françaises concernent des dispositifs d’aides aux PME.

Quelles sont les caractéristiques salariales particulières des PME ?

Dans les microentreprises, 61% des salariés ont des salaires inférieurs ou égaux à 1,3 SMIC, c’est 48% dans les PME de plus de 9 salariés et 42% dans les grandes entreprises.

Comme le montre le graphe ci-dessous, qui présente la distribution des salaires pour chaque taille d’entreprise, plus la taille des entreprises est grande et plus la distribution des salaires s’écarte du salaire minimum. Les entreprises de plus de 250 salariés ont donc une proportion de salariés au SMIC bien plus faible. On observe également que le gros des salariés des entreprises de plus de 250 salariés se situe autour de 1,3 SMIC, ce qui montre que cette limite inférieure exclut de fait de nombreux salariés des entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 4 999 salariés) et des grandes entreprises.

Mais il ne faut pas en conclure que les inclure dans le dispositif n’aurait pas modifié fondamentalement la dépense budgétaire. Car sur le total des salariés dont les salaires sont inférieurs à 1,3 SMIC (ceux ciblés), 50% se trouvent dans les grandes entreprises. Cela tient à la distribution inégale du poids économique selon la taille des entreprises. Les grandes entreprises sont bien moins nombreuses mais elles rassemblent 56% des salariés tous niveaux de salaires confondus.  De leur côté, les PME concentrent 50% des salariés ciblés dont 13% dans les microentreprises.

 

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Par ailleurs, les données par secteur du tableau 1 montre que c’est effectivement là où se concentrent les PME que l’on trouve un fort pourcentage de salariés payés en-dessous de 1,3 SMIC (à l’exception des services scientifiques et techniques) et que le salaire horaire moyen est le plus faible. Sur l’ensemble de l’économie marchande, les salariés payés en dessous de 1,3 SMIC représentent 46% des salariés, dont environ 13% sont payés au SMIC.

 

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La répartition sectorielle de la capture du CICE montre que les secteurs qui en bénéficient le plus ne sont pas forcément ceux les plus à même d’utiliser (étant donné la structure antérieure de leur emploi) la prime à l’embauche. Cela tient au fait que le CICE concerne les salaires au-delà de 1,3 SMIC et jusqu’à 2,5 et concerne toutes les entreprises. Les deux « aides » vont de toute façon se cumuler pour une année jusqu’en 2018. Il est évident que les deux dispositifs ne sont ni complémentaires et ni substituables. Autrement dit, présenter le caractère pérenne de l’aide à l’embauche aux PME en argumentant sur la transformation du CICE en baisse des charges à l’horizon de 2018 est une pirouette politique. Ou bien cela laisse entendre que le CICE sera requalifié en termes de cible de salaires et de taille d’entreprises.

L’aide à l’embauche aux PME risque fort de ne pas être interprétée comme un dispositif qui dessine l’environnement futur du coût du travail et se trouve donc peu en phase avec la nature des freins à l’embauche qu’elles rencontrent. Ces freins sont fortement associés à l’incertitude sur leurs carnets de commandes futurs. Alors que les entreprises réclament l’assouplissement des règles contractuelles afin de concilier cette incertitude et l’ajustement à leur besoin conjoncturel, une prime dont la pérennité n’est absolument pas assurée ne répond pas à cette demande. Une suppression complète des charges sociales qui pèsent encore sur le SMIC aurait été interprétée comme une mesure plus pérenne et satisfaisant à la gestion de l’incertitude qui paralyse la création d’emploi. Cette suppression, compensant les effets négatifs du SMIC sur l’emploi des moins qualifiés, aurait pu restaurer la compétitivité-coût au niveau des bas salaires vis-à-vis de l’Allemagne dont le salaire minimum a été mis en place depuis 2015.

Il y a une forte probabilité que cette obole ne soit en fait qu’une belle aubaine, autrement dit que le soutien à l’embauche ne soit saisi que par les entreprises sur le point d’embaucher.




Restructurer la CSG et la Prime d’activité ? Commentaires sur la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2015

par Henri Sterdyniak

Le 29 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 77 de la Loi de finances 2015. Issu d’un amendement présenté par deux députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, et Pierre-Alain Muet, cet article instaurait le versement d’une fraction de la prime d’activité (PA) sous la forme d’une réduction dégressive de la CSG.

Cette censure était souhaitée et prévue par le gouvernement et la plupart des fiscalistes.  L’amendement rendait encore plus inextricable notre système fiscalo-social.  Une prestation sociale (la prime d’activité, PA), calculée sur une base familiale, devait être versée en partie par l’entreprise sous la forme d’une réduction de la CSG (le montant de la réduction n’ayant aucun lien avec le montant de la PA due), réduction qui devait s’imputer sur la PA versée par la CAF, mais devait être récupérée sous forme de hausse de l’IR l’année suivante pour ceux qui n’auraient pas droit à la PA.  Ainsi, les députés avaient-ils voté en décembre 2015 une réforme de la PA votée en juillet, avant même que cette prime ne soit encore versée. De toute évidence, c’est au moment du vote de la PA que les modalités de versement auraient dues être pensées.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré l’amendement sur un premier grief (la différence de traitement entre les salariés et les non-salariés) sans examiner les autres, de sorte que certains commentateurs (comme Thomas Piketty, « Retour sur la censure de l’amendement Ayrault-Muet », Libération, 31 décembre 2015) ont cru qu’il suffirait d’étendre les bénéfices de l’amendement aux non-salariés. Certains se sont indignés d’une décision qui « empêchait  les parlementaires d’améliorer les conditions de vie des travailleurs modestes ». Nous voudrions ici expliquer pourquoi l’amendement en question n’était pas bien pensé et, plus généralement, pourquoi l’aide aux familles de travailleurs pauvres ne peut pas prendre la forme d’une réduction de la CSG.

Un amendement malvenu

Le système fiscalo-social français est basé sur un principe fondamental, qui est la reconnaissance de la famille, en tant qu’unité de base. Les parents sont censés partager l’ensemble des ressources de la famille entre tous ses membres. La fiscalité comme les prestations sociales évaluent le niveau de vie de la famille en considérant sa composition et l’ensemble de ses revenus. Selon ce principe, tout impôt progressif, toute prestation à visée redistributive doit être familialisée. C’est le cas de l’IR, du RSA, des allocations logement.

Ce principe peut certes être remis en cause ; certains souhaitent que la France passe à un système individuel, qui ne reconnaîtrait pas la famille comme élément de base de la société. Mais, ce choix doit être publiquement posé et démocratiquement décidé. Il doit être pensé de façon cohérente pour les prestations comme pour les impôts comme pour le droit du divorce et de l’héritage. Il suppose, en particulier, que soit clairement établi qui supporte la charge financière des enfants. Il ne peut être introduit en contrebande, par des amendements qui affaiblissent la cohérence du système actuel sans proposer un système alternatif cohérent. Or, l’amendement Ayrault-Muet stipulait que l’imposition des revenus avait deux composantes, l’IR et la CSG, et aboutissait à ce que la progressivité de la seconde se fasse sur une base individuelle, ne tenant pas compte, de plus, des revenus du capital[1].  Aussi, certains économistes comme Piketty, Liem-Hoang-Ngoc (« La réforme fiscale manquée », Libération du 6 janvier 2016), Bargain, Lehmann et  Trannoy (« L’amendement Ayrault sur la fiscalité ne doit pas être repoussé », Le Monde, 9 décembre 2015) soutenaient l’amendement, mais comme une étape vers une réforme fiscale, dont le contenu n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’un débat et d’une décision démocratique. Ce n’est pas une bonne méthode.

Le système français aide fortement les travailleurs à bas-salaires et leurs familles (tableau 1). Le choix fait a été d’instaurer un salaire minimum relativement élevé en en réduisant le coût pour les employeurs par de fortes exonérations de cotisations sociales patronales. Ainsi, la valeur du travail est reconnue ; ainsi, les travailleurs dits non-qualifiés sont incités à travailler. Par ailleurs, les familles de travailleurs pauvres sont aidées par les prestations familiales, les allocations logement,  naguère par le RSA activité, maintenant par la PA.  Ainsi, un célibataire au SMIC supporte un prélèvement négatif (-45 euros) si on fait le solde entre les cotisations sociales non-contributives (maladie, famille, etc.) que verse son employeur (314 euros), sa CSG-CRDS (115 euros), ses impôts indirects (218 euros) d’un côté, sa prime d’activité (94 euros), son allocation logement (67 euros) et les exonérations de cotisations employeurs (531 euros) de l’autre. De même, le prélèvement est négatif (-81 euros) pour une famille de deux adultes payés au SMIC, ayant deux enfants à charge.

Le choix fait en juillet 2015 a été de renforcer la progressivité du système en remplaçant le RSA activité et la PPE par la Prime d’activité.  Comme l’aide aux familles pauvres doit être familialisée et tenir compte de l’ensemble de leurs revenus, elle ne peut pas figurer sur la fiche de paye puisque l’employeur ne connaît pas la situation familiale de ses salariés, leurs autres revenus et que le barème de l’aide souhaitable ne correspond pas à celui de la CSG (tableau 2). Le dispositif mis en place par la PA est beaucoup plus ciblé sur les familles les plus pauvres que ne l’eût été la dégressivité de la CSG.  Il est impossible d’aider fortement les familles les plus pauvres par la dégressivité de la CSG car elles en paient très peu. Cette dégressivité ne peut être familialisée et donc elle diminuerait le niveau de vie relatif des familles avec enfants.

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En contrepartie, le risque est grand que la PA souffre d’un taux de non-recours élevé, puisque c’est une prestation quérable, dont le montant découle d’un calcul compliqué, intégrant le revenu de la famille et les salaires de chacun, difficilement compréhensible par les bénéficiaires potentiels. Le taux de non-recours du RSA activité était certes de 62%, mais celui des allocations logement (une prestation quérable et compliquée) est lui de l’ordre de 10%[2].  Les conditions d’obtention de la PA sont allégées et simplifiées par rapport à celles du RSA activité, de sorte que les 50% de taux de recours prévu pourraient progressivement être augmentés. L’amendement Ayrault-Muet aurait risqué de démobiliser les CAF sur ce que doit dorénavant  être leur objectif: la hausse du taux de recours de la PA.

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L’amendement proposé par Ayrault et Muet souffrait de son ambiguïté. Les entreprises auraient distribué à leurs salariés un acompte à la PA qui aurait pris la forme d’une réduction dégressive de la CSG, soit 90% du montant de la CSG pour les travailleurs au SMIC, pourcentage qui aurait diminué linéairement pour s’annuler à 1,34 fois le SMIC. Les auteurs de l’amendement le défendaient, parfois en soutenant qu’il s’agissait d’un simple acompte à la PA (et donc qu’il n’était pas  gênant qu’il soit réservé aux salariés et qu’il ne tienne pas compte des charges familiales), parfois en soutenant qu’il s’agissait de rendre la CSG progressive, et donc de réduire la charge fiscale des travailleurs à bas-salaires.

Il est trompeur d’écrire comme les auteurs de l’amendement que le taux d’imposition est immédiatement de 9,7% pour le salarié qui perçoit juste le SMIC, puisque c’est ne tenir compte que de la CSG-CRDS en oubliant, dans le cas du célibataire, la PA,  les allocations logement, les cotisations employeurs et leurs exonérations et, dans le cas des familles, les prestations familiales, qui font que le taux d’imposition net est négatif à ce niveau de salaire. Il est trompeur de prétendre que grâce à l’amendement, le taux d’imposition du travailleur au SMIC passait à  1,4%, en confondant un acompte sur prestation avec une baisse d’impôt.

Le mécanisme proposé par l’amendement Ayrault-Muet ne bénéficiait pas aux familles qui reçoivent le plus de PA (tableau 2). Certes, le taux de recours aurait mécaniquement augmenté, mais pas pour les familles les plus pauvres.  La CAF pour verser la PA aux familles de salariés aurait dû connaître la ristourne de CSG dont elles avaient effectivement bénéficié, ce qui aurait encore compliqué le dispositif. L’amendement ne prévoyait pas comment ce transfert d’information se serait effectué, ni comment les pertes de CSG seraient compensées à la Sécurité sociale. Par ailleurs, des salariés auraient bénéficié de la ristourne de la CSG sans avoir droit à la PA, en raison des revenus de leur conjoint ou de revenus du capital ; cette ristourne aurait dû être récupérée par le fisc au moment du versement de l’IR. Encore une nouvelle complication puisque le fisc aurait dû vérifier pour chaque ménage ayant bénéficié de la ristourne CSG sans demander la PA s’il y avait droit.  Mélangeant la CSG, la PA et l’IR, l’amendement accentuait encore la mise en cause de l’autonomie des ressources de la Sécurité sociale. On ne peut  utiliser la CSG comme acompte d’une PA, alors que les deux obéissent à des logiques bien différentes.

Le mieux est l’ennemi du bien. Du moment où le système français comporte des transferts fortement redistributifs (comme l’IR, l’ISF, les cotisations employeurs, la PA, les AL), il n’est pas nécessaire que tous les prélèvements le soient, d’autant qu’un prélèvement progressif obligatoirement familialisé est obligatoirement difficile à gérer. Le choix fait d’aider les travailleurs pauvres par la PA plutôt que par la dégressivité de la CSG (mesure déjà censurée par le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2000) est légitime. Il est bizarre de la remettre en cause cinq mois après son vote.

Il est trompeur d’écrire, comme Laurent Mauduit (Médiapart du 30 décembre 2015, « Le Conseil constitutionnel plombe toute réforme fiscale »), « cette disposition contribuait à rétablir un peu d’équité dans un système français très inégalitaire »  ou la décision du Conseil constitutionnel « conforte le conservatisme néo-libéral ambiant au terme duquel les riches ne doivent surtout pas payer plus d’impôt que les pauvres ». Il est erroné de prétendre que cette décision remet en cause le principe de progressivité de l’impôt ; au contraire, elle conforte la jurisprudence de la Cour : l’impôt progressif  doit être familial.

Le système mis en place est-il pour autant parfait ?  Non, sans doute et pour deux raisons, au moins. La prime d’activité aide les familles de travailleurs pauvres, mais n’est plus versée en cas de chômage, ce qui  augmente fortement la perte de revenus de ces familles en cas de  chômage. Pourquoi ne pas considérer les allocations chômage comme un revenu d’activité et ouvrir aux chômeurs le droit à la PA ?

Il eut été préférable de bien séparer l’objectif d’aide aux familles les plus pauvres (qui nécessite obligatoirement un suivi en temps réel de la composition des familles et de leurs revenus) et l’objectif d’aide à l’emploi non-qualifié (qui dispose déjà d’un instrument spécifique : le couplage SMIC/exonération des cotisations employeurs).  Augmenter le SMIC de 10%, en compensant cette hausse par des exonérations de cotisations employeurs ; créer un complément familial pour les familles à 1 ou 2 enfants sous le seuil de pauvreté aurait permis de limiter fortement le nombre de bénéficiaires potentiels de la PA et de réduire le non-recours puisque le recours aux prestations familiales est nettement plus élevé que celui prévu pour la PA.

L’objectif doit être maintenant d’augmenter le taux de recours à la PA, ce qui suppose une forte volonté politique et une mobilisation des CAF pour que le taux prévu (50 %) soit dépassé.

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Prime d’activité et réduction de la CSG

La prime d’activité est calculée pour un ménage par la formule :

 PA = (montant forfaitaire + bonifications individuelles) – (38% des revenus d’activité + autres ressources + prestations familiales + forfait logement).

Le montant forfaitaire est le montant du RSA et dépend de la composition de la famille ; le forfait logement est soustrait si la famille perçoit les allocations logement ou est propriétaire de son logement ; la bonification individuelle est versée pour les actifs dont les revenus d’activité sont d’au moins 0,5 Smic ; elle atteint 67 euros pour un actif dont les revenus d’activité dépassent 0,8 SMIC.

Soit, pour une famille de deux enfants et un actif au SMIC :

PA=1001+67-(0,38*1142+0+129+67+129)= 449 € par mois.

La CSG est actuellement de 7,5% sur les 98,75% du salaire brut. L’amendement Ayrault-Muet prévoyait une réduction de 90% pour les salariés au SMIC, soit de 6,67% du salaire brut, soit 98 €. Le taux de réduction baissait linéairement jusqu’à 1,34 SMIC.

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[1] Certes, la CSG est déjà quelque peu progressive pour les  retraités, pour des raisons historiques (quand la CSG a été introduite, les pouvoirs publics n’ont pas voulu diminuer le pouvoir d’achat des plus faibles retraites), mais cette progressivité est entièrement calquée sur celle de l’IR, de sorte qu’elle tient compte de l’ensemble des revenus du retraité et de sa situation familiale.

[2] Selon : CAF (2014) : L’Accès aux droits et le non-recours dans la branche Famille des Prestations familiales, Novembre.




Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015t2

Par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite de la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Il s’agit d’un crédit d’impôt qui permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices une somme égale à 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Dans une étude que nous venons de publier (Document de travail OFCE, n° 2015-29), nous utilisons l’information contenue dans les comptes nationaux trimestriels jusqu’au deuxième trimestre 2015 pour 16 branches de l’économie française afin d’obtenir une première analyse des effets du CICE sur l’économie.

Les premiers résultats indiquent que le CICE contribuerait depuis sa mise en place à deux effets significatifs concernant les salaires et l’emploi. Les branches ayant reçu le plus de CICE ont vu une augmentation relative de leurs salaires et davantage de créations ou de sauvegardes d’emplois. Nous trouvons également un effet relatif négatif sur les prix de valeur ajoutée (effet compétitivité-coût) mais cet effet nous semble plus fragile à ce stade, car il nécessite pour être significatif d’exclure trois branches de l’estimation (secteur non marchand, services à la personne, services immobiliers).

Ainsi, selon les résultats de nos estimations sur les 16 branches, pour un montant de CICE équivalent à 1% de la masse salariale, l’emploi d’une branche relativement aux autres branches augmenterait de 0,5% et les salaires augmenteraient de 0,7%. Enfin, à partir des résultats des estimations réalisées simultanément, nous pouvons quantifier ces effets relatifs interbranches, qui seraient de 1,1% pour les salaires et de 120 000 pour l’emploi (création ou sauvegarde).

Mais attention, ces effets relatifs ne doivent pas être interprétés comme un impact macroéconomique global du CICE. Plus précisément, la méthode d’évaluation ne permet ni de déterminer les effets macroéconomiques à moyen et long terme du CICE, ni de donner une répartition précise de son affectation entre hausse des salaires et de l’emploi, baisse des prix et restauration des marges des entreprises. En effet, cette méthode ne prend pas en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE sur l’économie. Or ceux-ci sont de plusieurs ordres : la baisse des prix de valeur ajoutée dans une branche peut se répercuter sur d’autres branches utilisatrices ; les effets positifs du CICE à attendre sur l’activité peuvent se traduire par un surcroît d’emplois et de salaires non mesuré ici (effet de bouclage macroéconomique) ; à contrario, les effets négatifs du financement du CICE via une hausse des impôts et une moindre progression de la dépense publique peuvent peser sur l’activité, l’emploi, les salaires et les prix (effet de financement de la mesure). Plus généralement, l’ensemble des travaux portant sur des données par branche ou microéconomiques ne sera pas à même d’évaluer les effets macroéconomiques du CICE.

Une prochaine étape consistera à intégrer ces élasticités estimées par branche dans des simulations réalisées à l’aide d’un modèle macro-sectoriel de façon à prendre en compte les effets du bouclage macroéconomique, des interdépendances sectorielles et du financement de la mesure. En utilisant le modèle multisectoriel d’équilibre général dynamique ThreeME développé à l’OFCE, et qui intègre notamment des effets tels que ceux du commerce extérieur ou les relations interbranches, il sera possible de présenter les effets macroéconomiques ex post du CICE sur l’emploi, les salaires et les prix, mais aussi sur l’activité économique, les taux de marge, l’investissement et le commerce extérieur.

 

 




Baisse de la fiscalité sur les entreprises mais hausse de celle sur les ménages

par Mathieu Plane et Raul Sampognaro

A la suite de la remise du Rapport Gallois en novembre 2012, le gouvernement a fait le choix, au début du quinquennat de François Hollande, de donner la priorité à la réduction de la fiscalité sur les entreprises. Mais depuis 2015, le Président de la République semble avoir entamé une nouvelle phase de son quinquennat en poursuivant l’objectif d’alléger la pression fiscale sur les ménages, dont le marqueur a été la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (IR) et l’aménagement d’un nouveau mécanisme de décote qui atténue la progressivité du bas du barème  de l’IR. Mais plus globalement, que peut-on dire de l’évolution des prélèvements obligatoires (PO) sur les ménages et sur les entreprises en 2015 et 2016, mais aussi sur une période plus longue ?

A partir des données fournies par l’Insee, nous avons recomposé les évolutions des PO depuis 2001 en distinguant les prélèvements supportés par les entreprises de ceux supportés par les ménages (graphique). Si cette analyse est purement comptable et ne repose pas sur l’incidence finale de l’impôt, elle permet néanmoins d’avoir une vision du découpage de la pression fiscale[1]. En particulier, cet exercice s’attache à identifier les PO par la nature du payeur direct en supposant les salaires et les prix hors taxes constants. Ce découpage comptable ne fait donc pas l’objet d’un bouclage macroéconomique et ne traite pas des effets redistributifs et intergénérationnels[2] de la fiscalité.

De 2001 à 2014, les chiffres sont connus et constatés. Ils sont donc ex post et intègrent à la fois les effets des mesures discrétionnaires votées mais aussi les effets des plus/moins-values fiscales qui sont sensibles au cycle conjoncturel. En revanche, pour 2015 et 2016, les évolutions des PO pour les ménages et les entreprises sont ex ante, c’est-à-dire qu’elles reposent uniquement sur les mesures discrétionnaires ayant un impact en 2015 et 2016 et chiffrées dans le cadre du Rapport économique social et financier du Projet de loi de finances pour 2016.  Elles n’intègrent donc pas, pour ces deux années, les effets potentiels liés aux variations des élasticités fiscales pouvant modifier les taux de PO apparents. Par ailleurs, les crédits d’impôts, tels que le CICE, sont ici considérés comme des baisses de PO et non pas comme une dépense publique au sens des nouvelles normes comptables issues du SEC 2010. De plus, le CICE est comptabilisé au niveau des PO en versement effectif et non en droits constatés.

Sur la période récente, il en ressort quelques éléments majeurs. Tout d’abord, les taux de prélèvements augmentent fortement sur la période 2010-2013, représentant une hausse de 3,7 points de PIB, dont 2,4 points portent sur les ménages et 1,3 point sur les entreprises. Sur cette période, l’austérité fiscale a porté de façon relativement équilibrée sur les ménages et les entreprises, les deux connaissant une hausse de leur fiscalité plus ou moins proportionnelle à leur poids respectif dans les taux de PO[3].

En revanche, à partir de 2014 est apparu un découplage entre l’évolution des PO des ménages et celle des PO des entreprises, et qui se confirme en 2015 et 2016. En effet, en 2014, les taux de PO des entreprises, sous l’effet de la mise en place du CICE (6,4 milliards, soit 0,3 point de PIB), ont commencé à se réduire de 0,2 point de PIB alors que ceux des ménages ont continué d’augmenter de 0,4 point de PIB en raison notamment de la hausse de la TVA (5,4 milliards), de l’augmentation de la fiscalité écologique (0,3 milliard avec la mise en place de la taxe carbone) et de la hausse de la contribution au service de l’électricité (CSPE) (1,1 milliard), ainsi que l’accroissement des cotisations sociales pesant sur les ménages (2,4 milliards), principalement avec la hausse des taux de cotisation du régime général, de ceux des régimes complémentaires ainsi que l’alignement progressif des taux des fonctionnaires sur ceux du privé.

En 2015, le taux de PO des entreprises baisserait de 9,7 milliards (0,5 point de PIB) avec la montée en charge du CICE (6 milliards), les premières mesures du Pacte de responsabilité (5,9 milliards liés à la première tranche d’allègements de cotisations sociales patronales, d’un abattement sur l’assiette de la C3S et du suramortissement fiscal de l’investissement) alors que d’autres mesures, comme celles issues de la réforme des retraites, alourdissent la fiscalité sur les entreprises (1,7 milliard au total). A l’inverse, le taux de PO sur les ménages augmenterait en 2015 de 4,5 milliards (0,2 point de PIB) malgré la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (-2,8 milliards) et l’allègement des cotisations des indépendants (-1 milliard). La hausse de la fiscalité écologique (taxe carbone et TICPE) et de la CSPE, ainsi que la non reconduction en 2015 de la mesure exceptionnelle de baisse d’IR de 2014 représentent respectivement une hausse de la fiscalité sur les ménages de 3,7 et 1,3 milliards. D’autres mesures, comme celles sur les taux de cotisations des régimes de retraites généraux, complémentaires et des fonctionnaires (1,2 milliard), ou celles sur la fiscalité locale (1,2 milliard), avec notamment la modification du plafond des DMTO et les mesures sur les taxes de séjour et de parking, viennent alourdir la fiscalité sur les ménages.

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En 2016, le taux de PO des entreprises se réduirait de 5,9 milliards (0,3 point de PIB), principalement en lien avec la seconde phase du Pacte de responsabilité. Les allègements de cotisations sociales patronales sur les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC (3,1 milliards d’euros), la suppression de la surtaxe IS (2,3 milliards), le deuxième abattement sur l’assiette de la C3S (1 milliard), la montée en charge du CICE (0,3 milliard) et du dispositif de suramortissement de l’investissement (0,2 milliard) ne sont que partiellement compensés par des hausses de fiscalité sur les entreprises, avec principalement la hausse des taux de cotisation retraite (0,6 milliard). En revanche, à l’instar des années précédentes, le taux de PO sur les ménages augmenterait, en 2016, de 4,1 milliards (0,2 point de PIB) malgré une nouvelle baisse de l’IR (2 milliards). Les principales mesures qui augmentent la fiscalité des ménages sont semblables à celles de 2015, que ce soit la fiscalité écologique avec la hausse de la taxe carbone (1,7 milliard) et la CSPE (1,1 milliard), les mesures sur le financement des retraites (0,8 milliard) ou la hausse attendue de la fiscalité locale (1,1 milliard). A noter que la suppression de la Prime pour l’emploi (PPE) en 2016 conduira à augmenter mécaniquement les PO sur les ménages de 2 milliards[4], mais cette hausse serait compensée par la nouvelle Prime d’activité pour un montant équivalent.

Au final, sur la période 2010-2016, les PO sur les ménages augmenteraient de 66 milliards d’euros (3,1 points de PIB) et ceux sur les entreprises de 8 milliards (0,4 point de PIB). Le taux de PO sur les ménages atteindrait un plus haut historique en 2016, à 28,2 % du PIB. A l’inverse, le taux de PO sur les entreprises reviendrait en 2016 à 16,4 % du PIB, soit un niveau inférieur à celui d’avant la crise de 2008. Et en 2017, la dernière phase du Pacte de responsabilité (avec la suppression totale de la C3S et la réduction du taux d’IS) et les remboursements attendus liés au CICE devraient conduire à réduire la fiscalité des entreprises d’environ 10 milliards d’euros, amenant le taux de PO des entreprises à un plus bas historique depuis le début des années 2000.

La nécessité de financer à la fois les mesures de compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public structurel font porter pleinement l’ajustement budgétaire sur les ménages. Ainsi, la baisse de l’impôt sur le revenu en 2015 et 2016 ne permet pas de compenser la hausse des autres mesures fiscales, pour la plupart décidées dans le cadre des Lois de finances antérieures à 2015, et semble bien faible au regard du choc fiscal subi par les ménages depuis 2010. En revanche, l’effet sur la croissance de l’évolution récente de la fiscalité et son impact sur les inégalités va dépendre de l’utilisation faite par les entreprises des nouvelles ressources générées par la baisse massive des PO depuis 2014. Ces ressources peuvent induire une hausse des salaires, de l’emploi, de l’investissement ou une baisse des prix ou bien encore une augmentation des dividendes ou une réduction de l’endettement. Selon les arbitrages réalisés par les entreprises, les effets à attendre sur le niveau de vie en France et sur les inégalités ne seront bien sûr pas les mêmes. L’évaluation de l’effet de ces évolutions des PO ne manquera pas de donner lieu à des études et débats à venir.

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[1] Sont considérés comme des PO sur les ménages, les impôts directs (CSG, CRDS, IRPP, taxe d’habitation, …), les impôts indirects (TVA, TICPE, CSPE, accises…), les impôts sur le capital (ISF, DMTG, taxe foncière, DMTO, …), les cotisations sociales salariées et non salariées. Sont considérés comme des PO sur les entreprises, les impôts divers sur la production (Cotisation sur la VA et Cotisation foncière sur les entreprises (ex-TP), taxe foncière, C3S, …), les impôts sur les salaires et la main-d’œuvre, les impôts sur les sociétés et les cotisations sociales patronales.

[2] Par exemple, les cotisations sociales patronales pour les retraites sont analysées ici comme un PO sur les entreprises et non pas comme un salaire différé pour les ménages ou un transfert de revenu des actifs vers les retraités.

[3] En 2013, 61 % des PO concernaient les ménages et 39 % les entreprises. Or, sur la période 2010-2013, la hausse de la fiscalité portait à 64 % sur les ménages et à 36 % sur les entreprises, soit peu ou prou leur poids respectif dans la fiscalité.

[4] La PPE sera remplacée par la Prime d’activité d’un montant équivalent, englobant aussi le RSA « activité », mais qui est considérée comptablement comme une dépense publique. Or, cette nouvelle mesure ne devrait pas changer macroéconomiquement le revenu des ménages mais seulement la nature du transfert. Ainsi, hors prise en compte de la suppression de la PPE, le taux de PO sur les ménages augmenterait de 2,1 milliards en 2016.

 




Adopter un prélèvement à la source et maintenir l’équité fiscale : quelques éléments de calculs

par Vincent Touzé

Dans une tribune publiée le 15 septembre 2015, j’ai mentionné l’idée que l’adoption d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (IR) au 1er janvier 2018 pouvait conduire à l’abandon d’une créance de 70 milliards sur les ménages du fait que cette réforme nécessite une année de transition, la fameuse « année blanche ». En effet, si les ménages paient dès janvier 2018 l’IR sur les revenus 2018, il sera difficile, pour des raisons de trésorerie, de leur demander de payer également l’IR sur les revenus 2017. Si le gouvernement opte pour une non-fiscalisation des revenus de l’année 2017, les ménages qui paient déjà l’IR seront dispensés d’une année d’impôt sur l’ensemble de leur vie de contribuable[1].

L’abandon de créance pose deux problèmes majeurs : un manque à gagner potentiel pour les finances publiques ainsi qu’un risque de rupture avec le principe d’équité fiscale puisque les générations futures de contribuables ne bénéficieront pas d’une année blanche d’IR.

Dans une Note de l’OFCE (n° 53 du 6 octobre 2015), je propose de répondre aux interrogations posées par l’année blanche à partir de plusieurs calculs financiers. L’objectif de ces calculs est d’évaluer plus précisément quel serait l’impact potentiel d’une réforme fiscale avec un objectif « prélever l’IR à la source » selon qu’elle satisfait ou non la contrainte « garantir l’équité fiscale ».

Ces calculs permettent de mettre en exergue trois éléments importants, éléments sur lesquels les décideurs publics devraient se pencher :

–        la perception plus tôt de l’IR augmente de facto les recettes fiscales dès qu’il y a de la croissance nominale, ce qui peut s’assimiler à une hausse de la pression fiscale ;

–        les bénéfices de l’année blanche sont inégalement répartis et le financement implicite de cette année de transition par une hausse de la pression fiscale est supporté pour l’essentiel par les générations ne payant pas encore l’impôt sur le revenu ;

–        le report dans le temps du paiement de l’IR sur les revenus 2017 devrait permettre de maintenir l’équité fiscale.

 


[1] Dans la législation actuelle de l’IR, lorsqu’un contribuable décède, la dette restante vis-à-vis de l’administration fiscale correspond au montant d’IR restant à payer sur les revenus de l’année précédente auquel s’ajoute le montant d’IR sur les revenus de l’année du décès qui doivent être déclarés. L’impôt dû sur le revenu est payé par les héritiers et il est déductible de l’actif successoral. Avec le prélèvement à la source, l’IR est intégralement (en théorie) payé du vivant du contribuable et lorsqu’il décède sa dette vis-à-vis de l’administration fiscale est nulle. Mécaniquement, les générations qui paient déjà l’IR paieront une année de moins d’IR avec « l’année blanche ».




Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse

par Vincent Touzé

Lors de sa conférence de presse de rentrée du 7 septembre, le Président François Hollande a confirmé son projet de prélever l’impôt sur le revenu à la source dès 2018. Cette mesure était inscrite dans son programme de campagne de 2012. L’objectif serait de rendre l’imposition sur le revenu plus facile et plus moderne.

Invention du début du 20e siècle, l’impôt progressif sur le revenu est souvent jugé comme archaïque. Selon Ayrault et Muet[1] (2015), il manquerait de lisibilité (sa complexité en ferait oublier sa finalité) et de cohérence (sa progressivité ne serait pas optimale). Quant à l’idée de prélèvement à la source, elle n’est pas nouvelle. Elle a déjà suscité de nombreux débats dans le passé. Ces derniers ont d’ailleurs conduit aux innovations que nous connaissons : le prélèvement mensuel, des déclarations pré-remplies, une possibilité de déclarer en ligne, etc.

Que représente aujourd’hui l’impôt sur le revenu ? Qu’apporterait le prélèvement à la source ? Compliquée et coûteuse pour les finances publiques, cette réforme est-elle vraiment utile (Sterdyniak, 2015[2]) ?

L’impôt sur le revenu : un impôt différé ou quand l’administration fiscale fait crédit

L’impôt sur le revenu (IR) rapporte environ 70 milliards d’euros par an. Moins d’un ménage sur deux paie l’IR. La déclaration est cependant obligatoire pour tous.

Aujourd’hui, l’IR en France est payé avec un décalage d’une année. En 2015, on paie ainsi l’impôt relatif aux revenus gagnés pendant l’année 2014. Au préalable, son calcul a nécessité une déclaration de revenus auprès de l’administration fiscale pendant le premier semestre de l’année 2015 et l’application du barème décidé par la Loi de Finance 2015 votée[3] au Parlement en fin d’année 2014.

Le décalage temporel d’une année implique que l’Etat accorde un délai de paiement et donc un crédit aux ménages, ce qui n’est pas négligeable pour un jeune qui débute sa carrière professionnelle. Ce délai de paiement résulte de deux facteurs : la base fiscale d’imposition est annuelle ; recueillir de l’information prend du temps. Il faut donc attendre a minima que l’année soit écoulée pour avoir une juste évaluation du revenu annuel.

L’IR est progressif. Cela signifie que le taux moyen de prélèvement, le rapport entre l’impôt et le revenu, augmente avec le revenu du foyer fiscal. Toutefois, afin de prendre en compte la taille des familles et donc leur véritable niveau de vie (principe d’équité fiscale horizontale), le barème utilise un quotient conjugal (une part pour un célibataire ou un contribuable non marié et deux parts pour un couple marié) ainsi qu’un quotient familial (une demi-part par enfant et une part à partir du troisième pour un couple). L’utilisation de ces quotients induit une légitime réduction d’impôt. Le législateur limite cet avantage fiscal en plafonnant l’impact du quotient familial.

Depuis l’élection de François Hollande à la Présidence de la République, les gouvernements Ayrault puis Valls ont :

i)   amplifié la hausse de l’IR amorcée sous le gouvernement Fillon à partir de 2011 avec une plus grande fiscalisation au barème de l’IR des revenus du capital, la suppression de la non-imposition des heures supplémentaires, la taxation des avantages familiaux des retraités et des cotisations employeurs de complémentaire santé ;

ii)    baissé en deux temps, en 2013, le plafond de quotient familial, ce qui a conduit à taxer davantage les familles des classes moyennes que les contribuables sans enfant à charge ;

iii)   créé une nouvelle tranche d’imposition à 45 % en 2014 ;

iv)    relevé rétroactivement les seuils d’imposition à l’IR (revenu 2014) en 2015 afin de réduire le nombre de foyers imposables.

Le prélèvement à la source : une version allégée après une ambition de révolution fiscale

Le prélèvement de l’IR à la source est l’un des projets électoraux du Président Hollande. Le projet initial s’inspire de l’ouvrage Pour une révolution fiscale de Landais, Saez et Piketty publié en 2011 qui prône :

–        La fusion de l’IR et de la CSG ;

–        Le prélèvement automatique de l’impôt sur le revenu (travail ou capital) à la source c’est-à-dire dès l’attribution du revenu ;

–        Une suppression des quotients conjugal et familial.

Le prélèvement à la source s’inscrit souvent dans une démarche de simplification fiscale. Son principal attrait est d’offrir une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est attribué et celui où il est taxé. La suppression des quotients conjugal et familial facilite le calcul du prélèvement à la source.

L’administration fiscale et les contribuables peuvent y trouver un intérêt. Les contribuables peuvent juger opportun d’estimer en temps réel leurs véritables revenus après impôt. En particulier, pour ceux qui ont des revenus fluctuants, avec par exemple une année de travail (revenu élevé) suivie d’une année de chômage (revenu bas), il y a une meilleure adéquation de leur  revenu à leur capacité à payer l’impôt. Cela évite de devoir payer un impôt élevé les années de « vaches maigres » et faible les années de « vaches grasses ». La gestion de trésorerie est alors facilitée. Pour l’administration fiscale, le gain potentiel est un meilleur recouvrement de l’impôt car le prélèvement à la source réduit les possibilités d’y échapper. Toutefois, en France, ce gain potentiel est nul car le taux de recouvrement de l’IR est déjà de 99 %, soit un niveau supérieur à celui des pays qui pratiquent le prélèvement à la source (cf. rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires, février 2012[4]).

La simplification fiscale est totale si le contribuable n’a plus de déclaration à faire et si le prélèvement à la source est libératoire, c’est-à-dire quand l’imposition est définitive et le revenu net perçu est libéré de toute obligation fiscale.

En juin 2015, puis le 7 septembre dernier, le président Hollande s’est engagé et a confirmé une mise en place du prélèvement à la source dès janvier 2018. Toutefois, le gouvernement a prévenu (Michel Sapin, 17 juin 2015) que le prélèvement à la source « n’est pas destiné à modifier la façon dont est calculé l’impôt » et qu’il « ne remettra pas en cause, par exemple, le quotient familial ». L’idée est de conserver les principes qui régissent la fiscalité actuelle et son niveau. Il n’y aura donc pas de révolution fiscale et donc pas de simplification.

Les difficultés d’une mise en place d’un prélèvement à la source s’annoncent très nombreuses. Dans son discours du 16 janvier 2012, Didier Migaud, président de la Cour des comptes, rappelle que :

–        tous les revenus ne se prêtent pas facilement à un prélèvement à la source ;

–        calculer le taux d’imposition en temps réel[5] est très difficile ;

–        la protection de la confidentialité des informations fiscales transmises au tiers-payeurs (l’employeur pour un salarié) est indispensable ;

–        l’année de transition est problématique d’un point de vue fiscal.

La simplification ne sera pas au rendez-vous

Le mode de calcul de l’IR ne va pas changer. Pour les salariés, à partir des éléments connus (revenus de l’année précédente), l’administration fiscale aura l’obligation d’informer leurs employeurs du taux moyen de prélèvement à la source à appliquer sur les salaires. Pour les pensions et certains revenus financiers, elle pourra procéder de la même façon en informant les caisses de retraite et les institutions financières (banques ou compagnies d’assurance) en charge de gérer les portefeuilles des ménages. Par la suite, dès lors que l’information sur l’ensemble des revenus sera complète, il y aura inévitablement un rattrapage (et donc un décalage entre le moment où le revenu est attribué et l’impôt total prélevé). Le prélèvement à la source ne sera donc pas libératoire et le choc de simplification n’aura pas lieu : les ménages auront toujours des déclarations à déposer auprès de l’administration fiscale ; le montant de l’impôt définitif sera connu avec retard.

Deux tiers des ménages sont déjà mensualisés. Pour ceux avec des revenus réguliers, il n’y aura pas de changement au niveau de leur trésorerie : le montant d’impôt prélevé mensuellement sur leurs revenus courants sera approximativement le même que celui qu’ils auraient eu à payer sur leurs revenus de l’année précédente. Certes, les ménages avec des revenus irréguliers bénéficieront de la meilleure synchronisation, mais en pratique, ils peuvent déjà, s’ils le souhaitent, demander des facilités de paiement auprès de l’administration fiscale.

Une réforme coûteuse en recettes fiscales…

Si le prélèvement à la source est adopté, les ménages paieront en 2017 l’impôt sur les revenus de l’année 2016 et commenceront à s’acquitter de leur impôt sur le revenu pour l’année 2018 dès le mois de janvier. Que se passera-t-il pour les revenus de l’année 2017 ? Seront-ils soumis à l’IR ? Le gouvernement peut-t-il renoncer à une créance de 70 milliards d’euros sur les ménages les plus riches ?

Le gouvernement pourrait naturellement être tenté de faire payer l’IR sur les revenus 2017 en 2018, mais une telle mesure pèserait trop lourd sur la trésorerie des ménages imposables. Ces derniers devraient alors s’acquitter pendant une année de deux montants d’impôt : celui de l’année précédente (2017) et celui de l’année en cours (2018). Le gouvernement a d’ores et déjà renoncé à cette option.

L’autre solution est de ne pas imposer les revenus 2017. Or cette mesure est particulièrement injuste. Elle va bénéficier amplement aux ménages les plus aisés. De plus, ces derniers auront tout loisir de réaliser des plus-values et des revenus exceptionnels pour profiter au maximum de cette opportunité fiscale. Les pertes de recette fiscale seraient alors largement supérieures à 70 milliards. Certes le gouvernement a déclaré qu’il veillerait à imposer suffisamment les revenus exceptionnels mais les autres revenus jugés « non exceptionnels » échapperont quoi qu’il arrive à l’impôt. D’un point de vue social, ce choix est donc à proscrire totalement. L’Etat a le devoir de ne pas renoncer à sa créance fiscale sur les ménages. Deux solutions existent : l’étalement de l’impôt sur le revenu sur plusieurs années ou la récupération sur l’héritage au décès du dernier survivant du ménage.

… et en temps perdu à discuter

Mettre en place le prélèvement à la source dès 2018 signifie l’écriture d’une loi et sa ratification par le Parlement très rapidement. Le soutien du gouvernement Valls par son actuelle majorité à l’Assemblée nationale n’est pas certain. Les débats s’annoncent compliqués et coûteux en temps de mobilisation du Parlement. D’un côté, certains revendiqueront une révolution fiscale totale et rapide tandis que d’autres dénonceront l’injuste cadeau d’une année blanche aux ménages les plus riches.

Le gouvernement mise pour l’instant sur une baisse d’impôt de 2 milliards d’euros qui serait réservée aux ménages faiblement imposables pour défendre le caractère socialement généreux de la réforme fiscale. A 18 mois des élections présidentielles, quel est le sens d’une telle mesure ? N’y-a-t-il pas d’autres priorités pour les finances publiques (réduction du déficit) et le bon fonctionnement de l’Etat (santé, enseignement, recherche, …) ?

Le débat ne va pas se limiter au Parlement. Plusieurs syndicats ont déjà fait savoir qu’ils s’opposaient à la divulgation aux employeurs d’informations fiscales sur les salariés. Par ailleurs, les entreprises et l’administration fiscale s’inquiètent aussi des nouveaux coûts de gestion (vérification, calculs, transfert d’informations, contentieux, …) induits par cette supposée simplification fiscale. Les débats s’annoncent donc longs et houleux.

Le Conseil constitutionnel pourrait aussi invalider certains aspects (fin du secret fiscal pour les salariés, rupture de l’équité fiscale avec l’année blanche) rendant ainsi caduque la loi.

Instaurer un prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source est un projet qui s’annonce coûteux avec des perspectives de gains faibles et incertains. Il n’est pas trop tard pour renoncer à ce projet de réforme mineure. En matière fiscale, il vaudrait mieux se concentrer sur des sujets de premier plan (Sterdyniak et Touzé, 2015[6]) : l’adoption d’une véritable et ambitieuse fiscalité écologique (Chiroleu-Assouline, 2015[7] ; Hourcade, 2015[8]), l’amélioration de la compétitivité fiscale des entreprises (Guillou et Treibich, 2015[9] ; Heyer, 2015[10]), la taxation du capital (Antonin et Touzé, 2015[11]), les droits de successions (Masson, 2015[12]) , la hausse prévisible de la fiscalité locale, etc.

 


[1] Ayrault J.-M. et P.-A. Muet, 2015, Pour un impôt juste, prélevé à la source, Fondation Jean Jaurès, Août 2015.

[2] Sterdyniak H., « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015.

[3] La Loi de Finance 2015 votée fin 2014 a révisé avec effet rétroactif le mode d’imposition des revenus 2014. Ce dernier avait été initialement défini dans la cadre de Loi de Finance 2014 votée fin 2013.

[4] Cour de Comptes, Prélèvement à la source et impôt sur le revenu, Rapport, février 2012.

[5] Sur ce point, on notera la proposition d’Ayrault et Muet (2015) qui préconisent de calculer un taux instantané à partir d’un algorithme qui « ajuste en permanence l’impôt payé depuis le début de l’année au revenu perçu depuis le début de l’année ». Le calcul serait « parfait » pour un célibataire dont le salaire est le seul revenu. Toutefois, une « régularisation » serait nécessaire en raison des inévitables délais de transmission.

[6] Sterdyniak H. et V. Touzé, « Fiscalité des ménages et des entreprises : quels débats pour quels choix politiques ? », Blog de l’OFCE, 1er juillet 2015.

[7] Chiroleu-Assouline M., « La fiscalité environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions d’acceptabilité », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[8] Hourcade J.-C., 2015, « La taxe-carbone : une idée toujours d’avenir si… », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[9] Guillou S. et T. Treibich, « Impôts, charges sociales et compétitivité – Le CICE : un instrument mixte », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[10] Heyer E., « Fiscalité des entreprises en France : un état des lieux et quatre propositions », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[11] Antonin C. et V. Touzé, « Fiscalité du capital : principes, propriétés et enjeux de taxation optimale », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[12] Masson A., « Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.




Fiscalité des ménages et des entreprises : quels débats pour quels choix politiques ?

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

La forte augmentation de la fiscalité entre 2010 et 2013 (hausse de 3 points du taux de prélèvements obligatoires) a fait que la France occupe aujourd’hui le deuxième rang mondial en termes de taux de prélèvements obligatoires derrière le Danemark, après avoir occupé la quatrième place. Un tel niveau d’imposition doit être économiquement soutenable et socialement accepté : les dépenses publiques doivent être efficaces ; la fiscalité doit être juste et transparente. Reste que ce niveau de prélèvements est difficile à maintenir dans  une économie ouverte où la tentation et les possibilités d’exil fiscal sont importantes pour les ménages les plus riches comme pour les grandes entreprises.

Cette hausse de la pression fiscale a rapproché la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail ; elle a permis la suppression de nombreuses niches fiscales ou sociales injustifiés. Elle n’en a pas moins provoqué de nombreux mouvements de protestation, tant pour réagir à la taxation des dirigeants d’entreprises (le mouvement « Les pigeons ») qu’à la mise en place d’une fiscalité plus verte (actions contre l’écotaxe).

Depuis juin 2012, de nombreuses mesures en matière de fiscalité ont été prises sans toutefois conduire à une réforme fiscale d’envergure, pourtant souvent évoquée et figurant dans le programme du candidat François Hollande. Dès novembre 2012, à la suite du rapport Gallois préconisant une politique de l’offre comportant en particulier un « choc de compétitivité », le gouvernement avait annoncé la mise en place du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En Janvier 2014, s’y est ajouté le Pacte de responsabilité. Au total, les entreprises bénéficieront d’une baisse de 30 milliards d’euros du coût du travail et de 10 milliards de leur fiscalité (suppression de la C3S, diminution du taux de l’IS) ; cette baisse devrait être financée par une augmentation de la TVA, par une hausse de la fiscalité écologique malgré l’abandon de l’écotaxe et surtout par une baisse des dépenses publiques de l’ordre de 50 milliards d’euros (qui risque de peser sur la demande). Elle aboutit cependant à reporter les objectifs de diminution du déficit public (mais ceux-ci étaient-ils justifiés ?).

Au Conseil des ministres du 17 juin 2015, le gouvernement s’est engagé à rendre irréversible le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, ceci dès 2018. Bien que réclamée par des économistes comme Piketty, cette réforme s’annonce compliquée avec un gain très limité, d’autant qu’elle ne s’accompagne d’aucune réforme de l’impôt (Sterdyniak, 2015).

Dans quelles directions faire évoluer maintenant la fiscalité française ? Faut-il poursuivre la baisse des impôts sur les entreprises ? Comment faire monter en puissance la fiscalité écologique ? Faut-il toujours envisager une grande réforme de la fiscalité des ménages ? Faut-il augmenter la fiscalité des revenus du capital (dans un souci de redistribution) ou au contraire la réduire (pour encourager l’investissement) ?

Dans le cadre de sa mission d’animation du débat public en économie, l’OFCE vient de publier en juin 2015 un numéro spécial de la Revue de l’OFCE (n°139) sur la fiscalité des ménages et des entreprises. Ce numéro trouve son origine dans la Conférence de consensus  organisée le vendredi 20 mai 2014. L’objectif de cette conférence était de contribuer aux débats actuels sur le niveau, la structure et l’évolution de la fiscalité française.

Ce numéro débute par un compte rendu de la conférence rédigé par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé. Huit contributions approfondissent les différents sujets de réforme fiscale en débat ; elles sont réparties en quatre thèmes : la compétitivité fiscale, la taxation écologique, la fiscalité des ménages et une mise en perspective générale.

Le débat sur la fiscalité des entreprises est crucial aujourd’hui car les entreprises françaises sont lourdement imposées et la France semble souffrir d’un déficit de compétitivité-prix. En sens inverse, une stratégie généralisée de concurrence fiscale en Europe (baisse des impôts des entreprises financées par la baisse des dépenses publiques) serait contreproductive. Sarah Guillou et Tania Treibich, (« Impôts, charges sociales et compétitivité. Le CICE : un instrument mixte »), fournissent la première évaluation microéconomique du CICE réalisée à partir de données d’entreprises. Elles constatent que le CICE devrait doublement bénéficier aux entreprises exportatrices grâce à une amélioration de leur marge (compétitivité-prix) ainsi que de leur aptitude à recruter de la main-d’œuvre qualifiée (compétitivité hors-prix). Eric Heyer (« Fiscalité des entreprises en France : un état des lieux et quatre propositions »,) procède à un examen macroéconomique de la fiscalité des entreprises françaises dans une perspective comparative internationale, analyse l’impact du CICE et du pacte de responsabilité (choc d’offre positif et choc de demande négatif) et énonce plusieurs propositions de réforme.

Les études sur les liens entre environnement, changement climatique, développement durable et bien-être montrent que la transition écologique est nécessaire pour l’Humanité. Dans ce cadre, l’usage d’une fiscalité écologique est indispensable. En même temps, le bas niveau actuel de cette fiscalité et les reculs politiques dans ce domaine montrent la difficulté à la mettre en œuvre. Cette question du rôle de la fiscalité verte dans la transition écologique est traitée dans deux articles. Mireille Chiroleu-Assouline (« La fiscalité environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions d’acceptabilité ») estime qu’en France, la fiscalité écologique n’a pas la place qui est la sienne, qu’il faut réaffirmer le principe « pollueur-payeur » et que les recettes fiscales de la taxe carbone devraient être employées pour financer la transition écologique. Jean-Charles Hourcade (« La taxe-carbone : une idée toujours d’avenir si… ») explique pourquoi la fiscalité écologique est en général vouée à l’échec car elle suscite une très forte hostilité des payeurs. Toutefois, il souligne que le double dividende (impact positif sur l’environnement et gain en emplois) est potentiellement élevé et qu’il devient urgent d’agir.

Si les impôts payés par les entreprises interrogent quant à leurs éventuels impacts préjudiciables sur la compétitivité, la croissance et la création d’emploi, la fiscalité des ménages est, elle, source de débats intenses pour déterminer le juste mode de calcul de l’impôt sur le revenu, voire de débats passionnés dès lors qu’il s’agit de taxer le patrimoine.

Guillaume Allègre (« Pourquoi les économistes sont-ils en désaccord ? Faits, valeurs et paradigmes : revue de littérature et exemple de la fiscalité ») montre, au travers d’une revue de la littérature, pourquoi les économistes peuvent ne pas être d’accord en matière fiscale (légitimité du quotient familial, pertinence de la théorie de l’impôt optimal, taxation des revenus du capital) : ils divergent sur les faits, les valeurs et surtout les paradigmes, c’est-à-dire la conception de l’économie. Céline Antonin et Vincent Touzé (« Fiscalité du capital : principes, propriétés et enjeux de taxation optimale ») s’intéressent à la fiscalité du capital et répondent à trois questions : Comment cette fiscalité opère-t-elle ? Quelle est son incidence dynamique ? Quels sont les enjeux de taxation optimale ? Enfin, André Masson (« Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession ») discute de la fiscalité du patrimoine, en se concentrant sur la question des droits de succession. Son programme de réforme fiscale intitulé Taxfinh (Tax family inheritances) propose de taxer plus lourdement les héritages familiaux afin d’encourager les donations aux enfants ou aux œuvres.

Dans un article synthétique, Henri Sterdyniak (« La grande réforme fiscale, un mythe français ») dresse un bilan global de la fiscalité française. Lourde et complexe, elle donne naissance à des sentiments d’opacité et d’injustice. Toutefois, il rappelle que ce niveau de fiscalisation est aussi la conséquence d’un choix de société, comportant un haut niveau de redistribution comme de dépenses publiques et sociales. En conclusion, il analyse quatre stratégies de réforme fiscale.