Revenu universel : l’état du débat

Par Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak

Dans une situation de maintien d’un niveau élevé de chômage et de pauvreté, d’extension de la précarité du travail, de crainte de disparition des emplois du fait de l’automatisation, le projet de revenu universel s’est installé dans le débat économique et social en France comme dans d’autres pays développés. Il s’agirait de verser à  toute personne résidante dans le pays une allocation mensuelle sans aucune condition de ressources, d’activité, de contrepartie. Dans le cadre de sa mission d’animation et d’éclairage  du débat économique, l’OFCE a organisé, le 13 octobre 2016, une journée d’étude à laquelle ont été conviés des chercheurs qui avaient travaillé sur ce projet, pour le développer, le soutenir ou le critiquer. Un e-book rassemble la plupart des contributions qui ont été présentées et discutées durant cette journée, parfois revues compte-tenu des enseignements de la discussion.

Les débats ont porté sur plusieurs points :

  • Dans quel projet de société les propositions de revenu universel s’inscrivent-elles ? Quelles sont les modalités précises des projets en présence en termes de montant de l’allocation et d’insertion dans les dispositifs actuels de protection sociale ?
  • Le revenu universel est-il finançable ?
  • Quelles en seraient les conséquences financières pour les différentes catégories de ménages, en particulier pour ceux en situation de précarité financière ?
  • Quel serait l’impact sur l’activité, l’emploi, le chômage, les salaires, les conditions de travail, en particulier sur les emplois pénibles, le travail à temps partiel, le travail précaire, les bas-salaires ?
  • Le revenu universel est-il une réponse à la « fin du travail » ? Cette dernière est-elle une hypothèse crédible ?
  • Quels sont les projets alternatifs pour lutter contre la pauvreté et la précarité du travail ?

L’article d’Henri Sterdyniak, « Des minima sociaux au revenu universel ? », présente la situation actuelle des prestations d’assistance, des minimas sociaux et de la Prime d’activité en France. Ceux-ci sont ciblés et relativement généreux, mais le système est compliqué, s’accompagne de  contrôles intrusifs ;  les minima sociaux sont souvent ressentis comme stigmatisants. L’article plaide pour le maintien du caractère familial des impôts et des prestations d’assistance. L’article discute les divers justificatifs des projets de revenu universel et présente leurs modalités. Si on souhaite maintenir les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite) et les prestations universelles (santé), le revenu universel devrait essentiellement être financé par la hausse des prélèvements directs sur les ménages, ce qui le rend peu réalisable. Par ailleurs, il n’est pas socialement souhaitable de renoncer à l’objectif de plein-emploi et d’écarter durablement une partie importante de la population du travail même en lui assurant un revenu à la lisière de la pauvreté. L’article plaide pour un revenu minimum garanti (sous conditions de ressources), à court terme pour la relance économique, pour la création d’emplois publics, pour des emplois de « dernier ressort », à plus long terme pour le partage du travail par la réduction du temps de travail et des cadences de travail.

L’article de Guillaume Allègre, « Le revenu universel : utopique ou pragmatique ?» souligne que deux objectifs sont souvent assignés au revenu universel : d’une part, gérer la fin du travail et, d’autre part, simplifier le système socio-fiscal et supprimer le non-recours. Pour les uns, il devrait être suffisant pour vivre, pour les autres, relativement faible pour ne pas bouleverser le système socio-fiscal. Des doutes subsistent sur la réalité de la raréfaction du travail. De plus, la réduction généralisée du temps de travail semble une stratégie plus soutenable que le revenu universel car elle concerne tous les salariés au lieu de couper la société en deux. Peut-être, faut-il envisager le revenu universel comme une réforme socio-fiscale qui permet surtout de lutter contre le non-recours aux prestations sociales. On passerait d’une prestation d’assistance quérable à une prestation universelle automatique. Se pose alors la question corollaire de l’individualisation du système socio-fiscal. Les pouvoirs publics font face à un arbitrage entre la simplicité et l’automaticité d’une part ou la réponse fine aux besoins d’autre part.

L’article de Gaspard Koenig,  « Revenu d’existence », dénonce le système actuel du RSA, le jugeant paternaliste, injuste et stigmatisant. Il défend une conception libérale du revenu d’existence qui permet à chaque individu d’être responsable et autonome, de définir ses propres besoins. Le revenu universel serait de 500 euros (250 euros pour les enfants), sous forme de crédit d’impôt,  tandis qu’une taxe de 25 % serait le seul impôt sur le revenu. La réforme ne changera pas fondamentalement la répartition des richesses mais libérera les plus pauvres de la hantise de la pauvreté en leur procurant stabilité et sécurité.

 L’article de Guillaume Mathelier, « Un pas vers l’égalité des dotations initiales : vers une  existence bien vécue », assigne à la société l’objectif philosophique et politique de garantir à chaque individu « une existence bien vécue ». L’exigence morale d’ « égalité des dotations initiales » s’inscrit dans trois mesures. La première mesure articule la mise en place d’un revenu d’existence pour couvrir les besoins fondamentaux à partir de 18 ans comprenant d’une part un revenu égalitaire, universel, sans condition ni contrepartie auquel s’ajoute d’autre part un montant équitable qui entend répondre aux besoins locaux et spéciaux des individus bénéficiaires. Sa deuxième mesure envisage qu’un revenu d’existence puisse être capitalisé pendant l’enfance et serait versé à 18 ans sous la forme d’un « capital d’émancipation » dont la contrepartie serait un service civique obligatoire. Enfin, des droits non monétaires (services publics, préservation des ressources vitales naturelles, biens communs), doivent s’y ajouter pour garantir l’objectif philosophique et politique d’une « existence bien vécue ».

Après avoir remis en cause dans leur article, «  Le revenu de base comme revenu primaire », la thèse de la fin du travail, Jean-Marie Monnier et Carlo Vercellone  proposent un réexamen de la notion de travail productif dans le capitalisme cognitif où le travail cognitif, immatériel et collectif tend à se déployer sur l’ensemble des temps sociaux et de vie. Cette mutation rend impossible la mesure de la quote-part que chaque individu apporterait à la production en raison du caractère de plus en plus social et collectif du travail. Aussi le revenu de base serait un revenu primaire directement lié à la production, c’est-à-dire la contrepartie d’activités créatrices de valeur et de richesse, actuellement non reconnues et non payées.

L’article de Jean-Éric Hyafil, «  Mise en place d’un revenu de base : difficultés et solutions » propose un exemple de réforme simple introduisant un revenu universel au niveau de l’actuel RSA pour une personne seule (475 €) en le finançant par une restructuration de l’IR. L’objectif de l’exercice est de partir de cet exemple pour mettre en évidence les enjeux, les difficultés et les éventuelles solutions pour rendre possible une réforme fiscale introduisant un revenu universel. La réflexion concerne la comptabilisation budgétaire d’une telle réforme, ses effets redistributifs, la question de l’avenir des dépenses fiscales sur l’IR (« niches fiscales »), la question de l’individualisation ou de la conjugalisation de l’impôt, la mobilisation d’autres ressources financières que l’IR pour financer le revenu universel, etc.

L’article de Anne Eydoux, « Conditionnalité et inconditionnalité : discussion de deux mythes sur l’emploi et la solidarité », dénonce deux mythes : celui selon lequel le RSA et les allocations chômage décourageraient le travail et celui de la fin de l’emploi salarié qui pourrait être remplacé par un revenu universel. L’article montre que c’est la faiblesse de l’offre d’emploi et les réformes de l’emploi qui expliquent la persistance du chômage et le développement de l’emploi précaire. Le projet de revenu universel revient à distribuer des ressources sans organiser la production nécessaire à les générer. Il oublie la centralité du travail et renonce à l’objectif de plein-emploi. L’article suggère d’autres pistes que le revenu universel, en particulier de réduire la conditionnalité des prestations sociales, mais aussi d’augmenter les salaires des emplois réputés non-qualifiés et de réduire la durée du travail.

Jean-Marie Harribey dans « Le revenu d’existence : un remède ou un piège ? »  dénonce les incohérences du projet de revenu d’existence. Il récuse la thèse de la fin du travail et l’abandon de l’objectif de plein-emploi. Il soutient que le travail socialement validé par le marché ou par une décision politique est la seule source de valeur, contrairement au travail domestique, au bénévolat ou aux activités libres, de sorte que le revenu d’existence serait obligatoirement un revenu de transfert. Mais distribuer plus de revenus nécessite obligatoirement de produire plus, ce qui est contradictoire avec la thèse selon laquelle le revenu universel permettrait d’échapper à la nécessité du travail.  L’article dénonce les risques du projet : la fracture entre ceux qui auraient un emploi et les exclus, la mise en cause des droits sociaux. Il propose la réduction collective du temps de travail et une allocation garantie pour les adultes.

L’article de Denis Clerc, « Le revenu d’existence : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ? », présente une analyse critique des propositions de revenu universel. Il lui reproche de nécessiter beaucoup de transferts bruts pour des faibles effets redistributifs. On pourrait parvenir au même résultat de façon beaucoup plus simple en augmentant les revenus des plus pauvres (par l’aide sociale ou la création d’emplois socialement utiles financés en partie par la collectivité) tout en taxant davantage les plus riches. Il craint que la hausse de la fiscalité sur les plus riches se heurte à des obstacles politiques et économiques. Il souhaite que des expérimentations soient mises en place et que des décisions ne soient pas prises avant que leurs résultats ne soient connus.

Paul Ariès  dans « Pour un revenu universel démonétarisé : défendre et étendre la sphère de la gratuité » propose une dotation individuelle d’autonomie (DIA) qui serait donnée au maximum sous une forme démonétarisée : une partie en monnaie nationale, une partie en monnaie régionale si possible fondante pour faciliter la relocalisation des activités vers des activités à forte valeur ajoutée sociale et écologique et la partie essentielle sous forme de droit d’accès à des biens communs. L’objectif est d’étendre la sphère de la gratuité. Cette gratuité serait utilisée pour démocratiser le fonctionnement des services publics, pour repenser écologiquement et socialement les produits et services existants, pour décider ce qui doit être gratuit et donc produit en priorité, pour mettre en place des communs, des relations de dons réciproques.

Le texte de Bernard Friot, « Continuer d’affirmer une production non capitaliste de valeur grâce au statut politique du producteur », récuse tant le projet de revenu de base (qui permettrait au capital de ne plus assumer les responsabilités d’employeurs, d’organiser la baisse des salaires et l’insécurité de l’emploi) que la réponse keynésienne de plein emploi, de baisse de la durée du travail et de fiscalité redistributive. Les travailleurs ne doivent pas se battre pour une meilleure répartition de la valeur, mais sur la production d’une valeur alternative. Ils doivent remplacer les institutions capitalistes (propriété lucrative, crédit, marché du travail) par des institutions inspirées de la Sécurité sociale et de la fonction publique : la production non capitaliste, la qualification personnelle, le salaire à vie, le financement de l’investissement par une cotisation économique.

L’article de Mathieu Grégoire, « Le régime des intermittents : un modèle salarial pour l’ensemble de l’emploi discontinu ? » part de l’expérience de la mise en place puis du maintien du régime des intermittents du spectacle. Celui-ci organise la socialisation du salaire dans le cadre des mécanismes de solidarité interprofessionnelle et non par une subvention publique  financé par le contribuable. Aussi, la lutte pour un revenu inconditionnel doit passer par l’extension du rapport salarial et l’exigence d’un salaire pour tous et non par des mécanismes redistributifs. En s’appuyant sur le régime des intermittents, il convient de fournir à l’ensemble des salariés en emploi discontinu, un droit à un salaire indirect socialisé.

En tout état de cause, le débat sur le revenu universel n’aura pas été inutile s‘il permet de faire progresser la réflexion sur deux points importants : le niveau et les conditions d’accès aux minima sociaux, ainsi que l’évolution du travail.

Pour en savoir plus : Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak (coord.), 2017 : “Revenu universel : l’état du débat”, OFCE ebook 




Assurance chômage des seniors, peu de problèmes, beaucoup de solutions

par Bruno Coquet (IZA et OFCE)

Depuis le début des années 1960 les seniors bénéficient d’un accès privilégié à l’assurance chômage et de dispositions spécifiques d’indemnisation, notamment une durée potentielle de leurs droits très étendue. Ce type de pratique est commun à de nombreux régimes d’assurance chômage dans le monde.

Jusqu’au milieu des années 1990 ces règles n’ont pas suscité de débat. Les seniors étaient en effet très souvent orientés vers des dispositifs de préretraites qui occultaient les comportements indésirables que peuvent susciter – tant de la part des employeurs, des salariés que des chômeurs – des règles d’assurance chômage inadaptées ou mal contrôlées. Avec l’abandon des préretraites, ces comportements sont apparus plus clairement, créant un débat sur la responsabilité et la suppression des règles d’indemnisation du chômage spécifiques aux seniors.

Les droits dont bénéficiaient les chômeurs seniors ont en conséquence été progressivement réduits ; leur suppression totale figure toujours parmi les demandes de réforme les plus régulièrement mises en avant, que ce soit au nom de la rectification des comportements indésirables qu’elles engendrent ou du redressement des comptes de l’Unedic. C’est cette question qu’analyse la Note de l’OFCE n°XX.

Les seniors n’apparaissent cependant pas surreprésentés au chômage, ni en particulier au chômage indemnisé. Il n’est pas aisé d’illustrer que ces chômeurs indemnisés fassent preuve d’un aléa moral particulièrement fort, en dépit des longues durées d’indemnisation dont beaucoup d’entre eux bénéficient (pas tous car seulement la moitié des seniors qui entrent au chômage sont éligibles à une durée potentielle des droits de 36 mois).

Les « préretraites Unedic » apparaissent comme un phénomène marginal tant en termes quantitatifs, car elles ne concernent à peine plus de 5% des seniors indemnisés par l’assurance chômage, qu’en termes financiers puisque leur poids dans les dépenses de l’Unedic est du même ordre de grandeur.

On oublie souvent de le mentionner mais les 50 ans et plus sont un groupe contributeur net à l’assurance chômage : moins exposé à ce risque que d’autres tranches d’âge, les seniors qui subissent ce risque ont cependant besoin d’une protection adaptée aux difficultés particulières qu’ils rencontrent sur le marché du travail. Dans ces conditions, toute réduction de leurs droits qui ne se traduirait par une diminution significative de leurs cotisations devrait être considérée avec prudence.

Sur la base de ces éléments de diagnostic, nous montrons que l’assureur a de nombreuses possibilités pour renforcer l’efficacité l’assurance chômage des seniors, à moindre coût. Nous proposons pour cela des solutions techniques, certaines très ciblées, d’autres plus ambitieuses, que l’assureur pourrait mettre en œuvre afin de réduire les défauts que les partenaires sociaux jugent prioritaires. Ces propositions sont de deux ordres :

  • Traiter les problèmes avérés… sans affecter la logique d’ensemble

❶ Réduire l’incitation aux préretraites Unedic, sachant que pour cela il est inutile et inefficace de taxer tous les seniors ;

❷ Réexaminer l’opportunité de maintenir l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS), avant de modifier la réglementation de l’assurance chômage ;

❸ Revoir les modalités de maintien des droits au-delà de la durée maximale d’indemnisation, jusqu’à la retraite ;

❹ Renforcer l’accompagnement, dans la mesure où il s’avérerait que c’est sa faiblesse qui serait à l’origine d’un aléa moral chez les chômeurs seniors.

  • Revoir la logique d’ensemble pour réduire les problèmes avérés et futurs

❺ Créer un plafond de durée potentielle des droits continûment croissant avec l’âge ;

❻ Plafonner les possibilités de la validation des trimestres de retraite grâce à des trimestres de chômage indemnisé ;

❼ Créer un compte individuel partiel, afin de lutter contre l’aléa moral, de réintroduire plus de contributivité et d’équité dans le système, pour les seniors tels qu’ils sont actuellement définis, ou plus largement ;

❽ Dans le périmètre actuel d’affiliation à l’assurance chômage, poser la question des cotisations des seniors à l’assurance chômage.

Ces solutions sont parfois complémentaires, parfois exclusives les unes des autres. Elles montrent que de nombreuses solutions à la fois incitatives et économiques sont possibles en dehors de la réduction paramétrique de la « générosité » des droits des seniors. Le paramétrage de ces solutions pourrait être ajusté pour trouver des points d’équilibre lors de la négociation.

 

Pour en savoir plus : Coquet Bruno, 2016, « Assurance chômage des seniors : peu de problèmes, beaucoup de solutions », OFCE policy brief 3, 8 septembre

 




La question des minima sociaux

par Henri Sterdyniak

Fin 2014, 4,1 millions de personnes recevaient en France un minimum social, ce qui représentait au total 7,1 millions de bénéficiaires en tenant compte des personnes à charge (enfants ou conjoints), soit près de 11 % de la population. En même temps, le taux de pauvreté reste élevé (13,3 % en 2014 selon Eurostat) et ne montre pas de tendance à la baisse. Pourtant, certains dénoncent le « cancer de l’assistanat », d’autres proposent de diminuer de façon importante le montant des prestations pour creuser l’écart avec les revenus d’activité. Le débat sur les minimas sociaux est donc important et on ne peut que se réjouir de la parution du rapport  de Christophe Sirugue : « Repenser les minima sociaux, vers une couverture socle commune ». Celui-ci préconise la fusion à terme des minimas sociaux en une couverture socle commune, ouverte aux 18-25 ans. Nous voudrions ici discuter de cette proposition[1]. Par ailleurs, le rapport ne traite pas de la situation des enfants (qui connaissent pourtant des taux de pauvreté élevés) ; il ne discute ni le montant, ni les modalités d’indexation des prestations.

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Au sens large, notre système distribue 10 minima sociaux, avec des montants et des réglementations spécifiques. C’est beaucoup certes, mais les situations des bénéficiaires de chaque type de minimum diffèrent, en particulier quant à  leur situation vis-à-vis de l’emploi. Le rapport Sirugue présente deux scénarios pour le moyen terme. Dans le deuxième qui a sa préférence, une couverture socle unique serait mise en place, mais avec des compléments différenciés pour les retraités, les handicapés, les actifs engagés dans un processus d’insertion. Ce ne serait pas une simplification puisque les bénéficiaires auraient à demander deux prestations (la couverture socle plus le complément) et, surtout, la spécificité des situations serait niée : un retraité pauvre, un chômeur en fin de droit, une mère isolée sans ressources, un jeune ne trouvant pas d’emploi relèvent d’un traitement social différencié, de sorte que la couverture socle unique serait fictive. Nous préférons donc le premier scénario de réduction du nombre de minimas sociaux, mais cette réduction peut être obtenue de plusieurs façons qu’il convient de discuter.

Un pays riche comme la France pourrait se donner des objectifs précis et ambitieux en matière de baisse de la pauvreté, sachant que celle-ci dépend de deux facteurs : les divers transferts sociaux d’un côté (les minima sociaux, mais aussi les allocations logement et les prestations familiales), la situation de l’emploi de l’autre. En période de chômage de masse, le problème n’est pas tant d’inciter les chômeurs à reprendre un emploi, même s’il faut toujours maintenir un certain gain à l’emploi, que celui d’inciter les entreprises à en créer. La politique de flexibilisation de l’emploi et de développement des emplois à bas salaires a des effets contradictoires sur la pauvreté puisque les emplois précaires, à temps partiel subi, ne permettent souvent pas de sortir de la pauvreté. En 2013, le revenu médian par unité de consommation était de 1 667 euros par mois. Le seuil de pauvreté à 60 % était donc de 1 000 euros par mois ; celui à 50 % de 833 euros par mois. L’objectif pourrait être de faire échapper à la pauvreté à 60 % les personnes dans l’incapacité de travailler, à celle à 50 % les autres. Reste, nous le verrons,  la question des enfants.

Le système français est mixte, la solidarité nationale s’ajoute à la solidarité familiale, selon des modalités différentes selon les âges et les niveaux de revenu. Les enfants et les jeunes sont principalement à la charge de leurs parents ; les personnes âgées bénéficient de prestations publiques. Ce partage doit sans doute évoluer pour tenir compte de l’allongement de la période de la jeunesse. Mais l’abolition de la solidarité familiale serait trop coûteuse aujourd’hui. Il faut en rester à un compromis.  Contrairement à ce qu’écrit le rapport Sirugue, on ne peut donner une couverture socle unique à tout individu dès 18 ans, « sans tenir compte de la composition de son foyer », car les personnes vivent dans des familles qui partagent leurs revenus ; il faut tenir compte de la solidarité conjugale et des besoins des enfants. Actuellement, le principe du RSA et du minimum vieillesse est que la prestation pour un couple est 1,5 fois celle d’une personne seule. L’étude de l’ONPES sur les budgets de référence estime que les besoins d’un couple sont de 1,4 fois ceux d’une personne seule. Aussi, la suggestion du rapport de donner aux couples deux fois la prestation de la personne isolée nous semble coûteuse et nous éloigne de l’équité. Il vaut mieux aider les familles avec enfants que les couples.

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Toute réforme doit bien distinguer entre les prestations destinées aux personnes qui ne reviendront pas à l’emploi, les prestations destinées aux personnes qui ne trouvent pas temporairement d’emploi et le filet de sécurité du revenu minimum.

Le minimum vieillesse est actuellement de 801 euros par mois pour une personne seule, de 1 242 euros pour un couple. Il est versé à partir de 65 ans (ou de l’âge minimum de la retraite pour les personnes inaptes au travail). Les personnes âgées, qui ne sont pas propriétaires de leur logement, ont droit à une allocation logement de l’ordre de 300 euros. Aussi, toutes les personnes âgées sont en principe au-dessus du seuil de pauvreté à 60 %.  Toutefois, 8,6 % des plus de 65 ans restent sous ce seuil, sans que l’on sache s’il s’agit de personnes propriétaires[2] ou de personnes n’ayant pas demandé le minimum vieillesse en raison de ressources non mesurées (l’aide des enfants), de l’ignorance des droits (en particulier au moment du veuvage), du refus d’une prestation jugée stigmatisante ou de la crainte d’une récupération sur l’héritage (sur la partie de celui-ci qui dépasse 39 000 euros). Contrairement aux préconisations du rapport Sirugue, il ne nous semble pas utile de couper cette prestation en couverture de base et en complément de soutien. Le plafond  de récupération sur l’héritage devrait cependant être relevé pour permettre la transmission du patrimoine familial de faible valeur à des héritiers à faible revenu. Notons que ce montant de 800 euros (1 100 avec l’allocation logement) est un plancher pour tout projet d’allocation universelle ou de revenu de base.

L’Allocation aux adultes handicapés (AAH) est d’un montant très légèrement supérieur à celui de l’ASPA (808 euros) ; peuvent s’y ajouter, outre les allocations logement, une majoration pour la vie autonome ou un complément de ressources. C’est une allocation individuelle, mais son attribution dépend d’un plafond de ressources tenant compte de la composition du foyer (1 616 euros pour un couple). Statistiquement, l’adulte handicapé échappe à la pauvreté (mais l’indicateur de pauvreté ne tient pas compte des besoins spécifiques des handicapés). Le système apparaît relativement généreux pour les couples d’handicapés (ils ont des besoins spécifiques), mais peu satisfaisant pour les couples actif/handicapé puisque les ressources du conjoint s’imputent pour 80 % sur l’AAH. Ne pas tenir compte des ressources du conjoint serait une réforme nécessaire, du point de vue de l’incitation au travail du conjoint, mais aussi de la justice sociale : la personne handicapée a droit à la solidarité nationale et pas seulement à celle de son conjoint.

L’allocation  supplémentaire d’invalidité est versée aux personnes titulaires d’une pension d’invalidité, n’ayant pas atteint l’âge minimum de la retraite, mais qui n’ont pas vocation à retourner à l’emploi. Elle est au maximum de 404 euros pour une personne seule, de 666 euros pour un couple ; c’est une allocation différentielle jusqu’à un plafond de 702 euros pour une personne seule, de 1 230 euros pour un couple.  Il est difficile de comprendre ce qui justifie la différence de montant avec l’AAH. Une réforme simplificatrice serait d’en faire une allocation individuelle du même montant et même réglementation que l’AAH.

L’allocation de solidarité spécifique est destinée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits à l’assurance-chômage. Elle est d’un faible montant (494 euros par mois contre 872 euros pour le montant minimal de l’Allocation de retour à l’emploi (ARE), et son attribution est soumise à un plafond de ressources : 1 138 euros pour une personne seule, 1 788 euros pour un couple. Comme c’est une allocation différentielle, elle aboutit à un effet pervers : le revenu du ménage reste le même quand le salaire du conjoint passe de 1 294 à 1 788 euros. Une réforme simplificatrice consisterait à la transformer en un prolongement de l’Allocation de retour à l’emploi, donc en une prestation individuelle gérée par Pôle emploi comme l’ARE, mais prise en charge par le budget de l’Etat.

L’Allocation veuvage, destinée aux personnes d’âge actif (moins de 55 ans) venant de perdre leur conjoint, est aujourd’hui une prestation d’assistance, versée pendant deux ans aux veuves sans ressources propres. Elle est de 602 euros avec un plafond de ressources de 753 euros. Elle ne laisse donc guère échapper à la pauvreté.  L’aide aux veuves et aux orphelins, en cas de décès précoce, est en fait mieux assurée par les contrats de prévoyance (qui se sont généralisés et devraient être rendu obligatoires), de sorte que l’allocation veuvage ne joue plus qu’un rôle très limité. Comme le suggère le rapport Sirugue, elle pourrait être fondue dans le RSA. Il en va de même pour l’Allocation temporaire d’attente et le Revenu de solidarité d’outre-mer.

Le RSA pour une personne seule est actuellement de 525 euros par mois, soit de 463 euros hors forfait logement, ou de 785 euros (y compris les allocations logement). En 1990, le RMI représentait 35 % du revenu médian (52 % avec les allocations logement) ; en 2015, le RSA est à 31 % du revenu médian (47 % avec les allocations logement). En 2013, le gouvernement avait annoncé une revalorisation de 10 % du RSA en 5 ans, dont 6 % ont déjà été effectué. En 2017, le RSA n’aura pas rattrapé le niveau relatif de 1990. Il serait souhaitable que le montant du RSA, comme celui des autres minimas sociaux, évolue en permanence comme le revenu médian. Le RSA laisse une personne seule en dessous du seuil de pauvreté à 50 %. Il est nettement plus faible que le minimum vieillesse ou l’AAH car la société considère que la personne d’âge actif est responsable de sa situation ; elle  pourrait travailler ; elle doit être incitée à le faire. Grâce à la prime d’activité, travailler à un demi-smic rapporte 278 euros par mois et fait sortir de la pauvreté à 60 %.

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Dans le cas d’un couple avec deux enfants, le RSA n’assure qu’un niveau de vie de l’ordre de 43 % du revenu médian. Grâce à la prime d’activité, le travail rapporte (309 euros pour un demi-SMIC, 596 euros pour un SMIC), mais  il faut un SMIC pour sortir de la pauvreté à 60 %. Le chômage (qui fait perdre la prime d’activité) fait retomber dans la pauvreté. Les enfants de Rmistes ou de travailleurs précaires vivent donc dans la pauvreté alors qu’ils ne sont pas responsables de leur situation et que vivre dans la pauvreté ne leur permet pas de s’épanouir et risque de compromettre leurs études. Leurs parents jouent un rôle social (élever des enfants) et il n’est pas illégitime qu’ils aient un niveau de vie plus élevé qu’un couple sans enfant. Aussi, la question des minima sociaux ne peut faire l’impasse de la question des enfants. Les allocations familiales devraient être revalorisées ; elles sont de 189 euros pour deux enfants alors qu’assurer à chaque enfant une prestation correspondant au seuil de pauvreté à 60 % voudrait qu’elles soient de 350 euros par enfant.  En l’absence de cette revalorisation générale, il faudrait un complément familial de montant élevé pour aider les familles de travailleurs pauvres dès le premier enfant et un RSA nettement revalorisé pour les familles avec enfants. Enfin, la prime d’activité devrait être versée aussi aux chômeurs.

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Les jeunes de 18 à 25 ans apparaissent aujourd’hui comme la classe d’âge la plus pauvre (même si cela doit être relativisé puisque les transferts familiaux sont mal pris en compte ; par ailleurs, ce n’est pas une spécificité française). Les jeunes, étudiants ou chômeurs, sont à la charge de leurs parents, ce qui est source d’injustice sociale entre les jeunes des classes populaires et ceux de familles aisées. Il n’est guère possible aujourd’hui, pour des raisons budgétaires, de créer une allocation d’autonomie, qui socialiserait totalement  la prise en compte des jeunes. Par ailleurs, il serait injuste d’attribuer une allocation aux jeunes étudiants et pas aux jeunes travailleurs.

Le rapport Sirugue propose, et on ne peut que l’approuver, d’étendre le RSA aux jeunes non étudiants  à partir de 18 ans (ou de 21 ans). Il n’y a en effet aucune raison pour qu’un jeune de 23 ans, sans aide de sa famille, vive dans la misère jusqu’à ses 25 ans. Pour une famille pauvre, le jeune toucherait 463 euros au lieu que sa famille touche 210 euros pour lui. En contrepartie, les familles aisées dont le jeune demanderait le RSA perdraient le droit au quotient familial (mais celui-ci ne « rapporte » que 125 euros par mois). Le jeune perdrait lui le droit à l’aide de ses parents (qu’il peut aujourd’hui réclamer en justice). Il faudra donc choisir entre deux formules : le RSA est un droit pour les jeunes qui délie les parents de l’obligation de les aider ; le RSA est versé sous condition de ressource des parents, les parents qui le peuvent doivent continuer à aider leurs jeunes adultes.

Une solution alternative et qui serait sans doute préférable est de donner aux jeunes à la recherche d’un emploi et n’ayant pas droit aux allocations chômage une Allocation d’insertion, équivalente à l’ASS, qui leur donnerait droit à valider des points pour la retraite.

Le RSA est actuellement le dernier filet de sécurité de notre système social. Il est faible pour ne pas désinciter au travail, mais ce souci est peu pertinent en situation de chômage de masse. Les entreprises sont devenues plus exigeantes. Beaucoup de personnes ne peuvent espérer retrouver un emploi. On pourrait rendre le système plus généreux en ouvrant un choix aux personnes qui ne peuvent espérer retrouver un emploi normal dans le secteur privé pour des raisons personnelles et professionnelles (trop âgées, professions en déclin, qualifications périmées, etc.) entre toucher une allocation invalidité (comme dans les pays anglo-saxons) qui pourrait être de l’équivalent de l’AAH (800 euros par mois)  et bénéficier d’un emploi dans une collectivité locale ou une association.

Le système actuel peut être jugé compliqué et inquisiteur. Il cherche à tenir compte de la diversité des situations. Un système plus simple (une allocation universelle versée à chacun[3]) serait moins précis et devrait choisir entre être beaucoup plus coûteux (800 euros par adulte, 400 par enfant) ou beaucoup moins généreux (400 et 200 euros) au détriment des personnes âgées et des handicapés.

 

[1] Une Lettre de l’OFCE avait déjà été consacrée à cette question : Hélène Périvier, 2006, « Quel sort pour les allocataires de minima sociaux », mars, n° 273.

[2] Malheureusement, l’INSEE n’impute pas de loyers fictifs aux propriétaires de leur logement ; aussi, une personne âgée propriétaire touchant le minimum vieillesse peut être classée comme pauvre alors qu’elle a un niveau de vie supérieur à celui d’une personne locataire qui touche les allocations logements.

[3] Voir Guillaume Allègre, 2013,« Comment peut-on défendre un revenu de base ? » Note de l’OFCE,  décembre 2013.




Le salaire national de subsistance : un nouveau dispositif de revalorisation des bas salaires au Royaume-Uni

par Catherine Mathieu

Le 1er avril 2016 est entré en vigueur un salaire national de subsistance au Royaume-Uni. Cela pourrait surprendre en France, où le marché du travail britannique est considéré comme le modèle même du marché dérégulé. Ce nouveau salaire minimum (National Living Wage, NLW) consiste en fait à ajouter un complément de 50 pences au taux horaire du salaire minimum (National Minimum Wage, NMW) des plus de 25 ans, porté ainsi de 6,7 £ à 7,2 £, soit une hausse de 7,5 %. Ceci fait suite à une augmentation de 3,1 % du salaire minimum des plus de 25 ans, en octobre 2015 (de 6,5 £ à 6,7 £), soit au total une hausse de 10,8 % en un an. Cette forte revalorisation du salaire minimum ne constitue pas un changement de cap soudain du gouvernement. Le programme électoral des Conservateurs pour les élections législatives de 2015 comprenait déjà la revalorisation du salaire minimum et souhaitait l’instauration d’un salaire de subsistance. L’annonce de la mise en place du NLW a été faite en juillet 2015, lors de la présentation du budget, par George Osborne, redevenu chancelier de l’Echiquier après la victoire des Conservateurs aux élections. Ce n’est d’ailleurs qu’une première étape de la revalorisation des bas salaires, le gouvernement ayant l’objectif de porter le NLW à 60 % du salaire médian en avril 2020 (contre 55% actuellement), soit environ 9 £.[1]

La revalorisation des bas salaires s’intègre dans une stratégie plus globale du gouvernement britannique : d’une part le gouvernement dit souhaiter « récompenser » le travail ; non seulement le salaire minimum est augmenté, mais, à terme, les salariés rémunérés au salaire minimum ne paieront plus d’impôt sur le revenu (c’était l’un des  engagements de campagne des Conservateurs en 2015). Par ailleurs, le gouvernement prend des mesures de réduction de la fiscalité des entreprises, dont l’emblématique baisse du taux de l’imposition sur les sociétés, qui ne sera plus que de 17 % en 2020 (au lieu de 20 % seulement actuellement), ce qui compensera la hausse des salaires, du moins pour certaines entreprises (les plus profitables). Enfin, le gouvernement s’est fixé un objectif ambitieux de réduction du déficit public, souhaitant le ramener de 5 % du PIB en 2015 à l’équilibre en 2020, ceci  en partie par la baisse des dépenses publiques, et en particulier des prestations sociales. La revalorisation du salaire minimum apparaît ainsi comme une compensation, au moins partielle, de la baisse future des prestations.

Le processus de fixation du salaire minimum au Royaume-Uni est bien codifié. Le gouvernement revalorise chaque année le salaire minimum au premier octobre, sur la base des recommandations de la Commission sur les bas salaires (Low Pay Commission, LPC), organisme indépendant, composé d’universitaires, de représentants des organisations syndicales de salariés et d’employeurs. Le salaire minimum n’existe au Royaume-Uni que depuis 1999. Sa mise en place s’est faite selon les recommandations de la Low Pay Commission, à des niveaux qui correspondaient aux bas salaires pratiqués à l’époque, après une large consultation des entreprises des secteurs concernés. La mise en place du salaire minimum n’a pas suscité de vagues de protestation du côté des employeurs et n’aurait pas eu d’impact significatif sur l’emploi, selon les différentes évaluations réalisées par la LPC au cours du temps. Le niveau du salaire minimum était initialement faible ;  dès le départ un taux adulte et des taux jeunes ont été fixés. La LPC a pour mandat de réaliser un rapport annuel sur les bas salaires et de faire des recommandations au gouvernement en matière de revalorisation du salaire minimum, pour éviter que celles-ci n’aient des impacts négatifs importants sur l’emploi des salariés concernés. Le gouvernement a dorénavant chargé la LPC de suivre aussi la mise en place du NLW et d’en proposer les prochaines revalorisations, qui auront lieu chaque année en avril.

Le NLW ne concerne que les plus de 25 ans. Les salaires minima des jeunes restent au niveau fixé en octobre dernier. Ainsi, aujourd’hui il existe cinq salaires minimums : pour les apprentis (3,30 £ de l’heure) ; les 16-17 ans (3,87 £ de l’heure) ; les 18-20 ans (5,3 £) ; les 21-25 ans (6,7 £) ; et les plus de 25 ans (7,2 £). L’écart est important ; les analyses de la LPC, dès 1998, plaidaient pour des taux de salaires réduits pour les jeunes, l’argument étant d’éviter que ceux-ci soient évincés du marché du travail à cause de salaires trop élevés. Contrairement à la situation française, cet écart a été accepté ; il favorise le développement de petits boulots pour les jeunes. Le taux d’emploi des jeunes britanniques (15-24 ans) est très élevé (51,4 % fin 2015, contre 27 % en France et 31 % dans la zone euro) ; il est en hausse sensible (il était de 46,8 % fin 2010).

Dans son rapport de mars 2016,[2] la LPC fait un premier point sur les impacts possibles du NLW. En avril 2016, environ 1,8 million de salariés (sur 29 millions d’emplois salariés)  pourraient bénéficier du NLW, alors qu’un million d’adultes de plus de 25 ans touchaient le salaire minimum en 2015. Le NLW représenterait une hausse de salaire annuelle de 680 livres (pour la durée de travail moyenne des personnes concernées, 1 360 heures par an, 26h15 par semaine). Les impacts seront très différents selon les secteurs. C’est dans les secteurs des services que les bas salaires sont les plus nombreux (40 % des emplois sont rémunérés au salaire minimum dans les entreprises de nettoyage, 30 % dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants, 34 % dans la coiffure). Selon la LPC, la mise en place du NLW aura un impact sur la masse salariale de l’ordre de 0,7 milliard de livres en année pleine cette année, soit 0,1 % [3]; sa hausse jusqu’à 60% du salaire médian coûterait 2,4 milliards de livres supplémentaires, soit 0,4 % de la masse salariale en année pleine en avril 2020. Ces chiffres prennent en compte un effet de diffusion sur les 25 premiers centiles des salaires. L’impact de l’introduction du NLW sur les salaires versés serait proche de 4 %, dans le secteur du nettoyage,  de 3 % dans les secteurs des hôtels-cafés-restaurants et de la coiffure. En tenant compte d’un effet de diffusion similaire, les services de la Banque d’Angleterre[4] estimaient eux-aussi que le NLW conduirait à une hausse graduelle de la masse salariale de moins de 0,5 % d’ici cinq ans. Environ 3 millions de salariés percevraient le NLW à l’horizon 2020.

L’Office for Budget Responsibility avait estimé, en juillet 2015, qu’à l’horizon 2020, la mise en place du NMW pourrait entraîner 60 000 suppressions d’emplois ; selon des hypothèses moyennes d’élasticité de l’emploi à son coût de – 0,4[5], tout en prévoyant que, sur la même période, l’économie britannique créerait 1,1 million d’emplois. La mise en place du salaire national de subsistance intervient après plusieurs années de croissance et de créations d’emplois qui ont ramené le taux de chômage (au sens du BIT) à son niveau d’avant-crise (5,2 %), de sorte que les éventuelles pertes d’emplois dans certains secteurs sont tout à fait supportables.

Aujourd’hui, les critiques vis-à-vis du NLW viennent de deux camps : d’un côté, les syndicats de salariés reprochent à la mesure de creuser plus encore l’écart entre les salaires des jeunes et ceux des adultes ; de l’autre, les employeurs, notamment dans les secteurs à bas salaires,  alertent sur le risque de développement de l’économie informelle, si le NMW est effectivement augmenté à 9 livres par heure d’ici 2020, mais le niveau actuel du NLW est de façon générale considéré acceptable.

Progressivement, les revalorisations du salaire minimum britannique ont amené le Royaume-Uni à faire partie des pays de l’OCDE où le salaire horaire minimum est le plus élevé mais il reste derrière la France, par exemple (graphique 1). Aujourd’hui, le salaire national de subsistance laisse encore le salaire minimum britannique inférieur au salaire minimum français (qui représente 60 % du salaire médian). A 7,2 £, soit 9 euros, le taux horaire du salaire national de subsistance britannique est actuellement inférieur de près de 7 % au SMIC français. Compte tenu des cotisations sociales employeurs, le coût horaire du NLW est aussi inférieur à celui du SMIC horaire, car, bien que la France ait mis en place d’importantes exonérations de cotisations sociales employeurs  (exonération Fillon, Pacte de responsabilité, CICE, prime zéro charge) sur les bas salaires, les cotisations sociales sont aussi très basses au Royaume-Uni. Prenons le cas d’un adulte de plus de 25 ans, célibataire et sans enfant travaillant 35h par semaine (tableau).  Le coût horaire pour l’employeur est de 9,48 euros au Royaume-Uni contre 10,43 euros en France ; le coût horaire pour l’employeur baisse à 9,21 euros au Royaume-Uni si le salarié travaille 26h15 par semaine, ce qui représente le temps de travail moyen des salariés au salaire minimum outre-Manche. Si l’on considère maintenant le salaire perçu par le salarié, net des cotisations sociales salariés et de l’imposition sur le revenu, le NLW est plus élevé que le SMIC, surtout dans le cas où le salarié travaille plus de 30 heures par semaine, ce qui le rend éligible au crédit d’impôt (Working tax credit) qui est plus important que la prime d’activité. En contrepartie, le salarié français bénéficie d’un système public de prestations retraite et chômage nettement plus généreux.

Il faut donc voir dans la mise en place du salaire national de subsistance au Royaume-Uni, un rattrapage des salaires dans les secteurs où  bas salaires, temps partiel et précarité sont les plus répandus. Cette hausse de salaire, telle qu’elle est aujourd’hui mise en place, n’aura qu’un impact macroéconomique marginal sur l’économie britannique.

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[1] L’objectif étant d’atteindre 60 % du salaire médian, ce chiffre de 9 £ n’est donné qu’à titre indicatif, sur la base des projections des hausses de salaires réalisées en mars dernier par l’Office for Budget responsibility (OBR). L’OBR est l’organisme indépendant chargé depuis 2010 de réaliser les prévisions macro-économiques de moyen terme qui seront utilisées pour l’élaboration du budget britannique et d’analyser les finances publiques britanniques.

[2] Voir : National minimum wage, Low Pay Commission Report Spring 2016, mars 2016.

[3] Compte tenu de la faible durée du travail et du bas niveau du salaire horaire, les salariés au salaire minimum ne touchaient que le quart du salaire moyen fin 2015. Le salaire horaire minimum représentait 42,8 % seulement du salaire horaire moyen (6,7 £ contre 15,7 £).

[4] Voir : Inflation report, Bank of England, août 2015.

[5] Cette élasticité correspond à l’estimation médiane des estimations empiriques réalisées sur données britanniques.  Les pertes d’emplois passent à 110 000 si l’on retient l’hypothèse d’une élasticité à -0,75 et ne sont que de 20 000 pour une élasticité de -0,15.




Dette de l’assurance chômage : quel est le problème ?

par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE, & IZA

La dette de l’assurance chômage atteint 25,8 Md€ à la fin de 2015. Sous la pression d’un chômage élevé, elle va continuer de s’accroître jusqu’à dépasser 35 Md€ en 2018 (Unedic, 2015b), un niveau inédit qui représentera près de 1,5% du PIB et 100% des recettes annuelles de cotisations.

L’Unedic peut-elle rembourser cette dette ?

La Note de l’OFCE (n°60 du 10 mars 2016) montre que même en faisant l’hypothèse d’une conjoncture très favorable, et compte-tenu de la difficulté d’augmenter le taux de cotisation qui est déjà l’un des plus élevés au monde, les réformes des règles d’indemnisation susceptibles de produire suffisamment d’économies pour rembourser la dette et assainir les comptes au cours du cycle conjoncturel à venir devraient être drastiques. Il faudrait en effet réduire au minimum de 50% les droits potentiels des chômeurs, tout en préservant la paix sociale, ce qui apparaît très improbable.

L’Unedic, ne remboursera donc pas sa dette avec les recettes qu’elle a utilisées par le passé. Le régime qui survivrait ce tsunami paramétrique serait très loin de l’assurance optimale nécessaire au bon fonctionnement du marché du travail et de l’économie.

L’Unedic doit-elle rembourser cette dette ?

L’assurance est facturée bien plus cher qu’elle ne coûte, ce qui a pour conséquence que les allocations de droit commun sont largement financées par les recettes de cotisations. L’activité d’assurance de l’Unedic dégage donc un excédent annuel, dont le cumul se monte à 58 Md€ depuis 1990.

Mais au-delà du paiement des allocations, des charges qui devraient relever du droit conventionnel ou des politiques publiques, tels les régimes spéciaux intermittents et intérimaires, le financement du service public de l’emploi, des dépenses mises à la charge de l’Unedic par l’Etat, etc. ont engendré un besoin de financement total de près de 83 Md€ depuis 1990.

La dette de l’assurance chômage ne peut donc pas être attribuée aux règles de droit commun, et donc a fortiori à leur générosité supposée. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des réformes qui ont réduit les droits pour enrayer l’accumulation de déficits aient échoué au cours des 15 dernières années : le remède n’est pas adapté au mal qu’il est sensé soigner. Non seulement les réformes paramétriques nécessaires à résorber le déficit et la dette de l’Unedic ne résoudraient aucun des problèmes structurels et techniques qui en sont à l’origine ; bien au contraire, ceux-ci seraient exacerbés, au détriment de l’efficacité du régime, de la justice sociale et au profit de la segmentation du marché du travail.

Le droit commun doit-il évoluer et comment ?

Cela ne signifie pas que tout va pour le mieux dans le droit commun. Tant en matière de cotisations que de prestations, certaines règles essentielles sont devenues inadaptées, voire incompatibles avec la mission de l’assureur et l’intérêt des assurés. Une analyse stratégique et une comptabilité précise montrent qu’il existe des pistes simples, certaines, équitables pour refonder l’assurance chômage, et notamment ses règles essentielles.

Une réforme structurelle de l’assurance chômage devrait viser à recentrer son intervention sur des règles de droit commun consolidées et assainies. Cette stratégie devrait reposer sur quatre piliers :

  • La reprise de la dette par l’Etat. La dette n’est pas le fait des règles d’assurance de droit commun, mais elle empêche de réformer celui-ci de manière efficace et économique. L’Etat n’y perd rien, car cette dette est déjà comptabilisée dans la dette publique.
  • La suppression des dépenses non-assurantielles. Les dépenses indûment imputées à l’assurance chômage doivent être financées par d’autres ressources que des taxes sur les chômeurs.
  • Une assurance obligatoire. Tous les employeurs et tous salariés doivent être affiliés, car la solidarité interprofessionnelle, l’équité et l’efficacité justifient que le financement de l’assurance chômage s’appuie sur des ressources larges et diversifiées.
  • Une assurance universelle. L’unicité des règles est un principe intangible. L’assureur doit prioriser l’assurance du risque de chômage et sa mutualisation, ce qui implique de ne plus financer des politiques publiques avec des cotisations d’assurance chômage assises sur le coût du travail marchand.

Les partenaires sociaux n’ont bien entendu pas la latitude de prendre seuls l’ensemble de ces décisions. Mais, si le contexte de la négociation pouvait être ainsi éclairci, les partenaires sociaux pourraient à nouveau se concentrer sur les missions fondamentales et le pilotage de l’Unedic, ainsi que sur les leviers qui importent : objectifs de l’assurance, règles appropriées pour les atteindre, maîtrise des droits et des incitations, taux de cotisation, etc. pour le bénéfice de tous.




L’assurance chômage doit-elle financer le Service public de l’emploi ?

Par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE, & IZA

L’Unedic est le principal financeur du Service public de l’emploi, qui est un service universel ouvert à tous les actifs, qu’ils soient chômeurs indemnisés ou non, et à tous les employeurs, privés et publics. Le fait que les deux tiers de ses ressources proviennent de l’assurance chômage, et donc d’un prélèvement sur le coût du travail marchand, ne va donc pas de soi.

L’analyse détaillée de l’évolution des frais de fonctionnement et d’interventions de l’Unedic conditionne fortement l’interprétation que l’on peut faire de sa situation financière, ainsi que des moyens susceptibles de la redresser : si ces dépenses pèsent excessivement sur les comptes, il est illusoire et sous-optimal de réduire la « générosité » des règles d’indemnisation pour rétablir l’équilibre financier.

Dans la dernière Note de l’OFCE (n°58 du 22 février 2016), nous montrons que la structure des ressources du Service public de l’emploi s’est radicalement transformée au cours des deux dernières décennies : nulle avant 1996, la contribution de l’Unedic représentait 10,8 % des ressources de l’ANPE en 2001, et 62,9 % de celles de Pôle emploi en 2015. La contribution de l’Unedic, qui s’élève à 3,3 Md€ en 2016, est désormais plus de deux fois supérieure à la dotation budgétaire versée par l’État (1,5 Md€ en 2016) ; et elle continuera d’augmenter jusqu’à plus de 3,6 Md€ en 2018.

Ce financement représente aujourd’hui 1 400 € par an pour un chômeur indemnisé par l’Unedic, mais seulement 10 € pour un chômeur de longue durée indemnisé par le Fonds de solidarité, qui verse l’ASS. De manière générale les dépenses autres que les allocations, qui leur sont spécifiquement attribuables, ne se justifient que si elles accroissent les perspectives d’emploi à moyen terme au point de réduire la probabilité de chômage de ces assurés, et par conséquent les dépenses d’indemnisation des chômeurs. En effet si les salariés cotisent à l’assurance chômage, c’est uniquement pour se garantir un revenu de remplacement en cas de chômage, jusqu’à retrouver un emploi conforme à leurs compétences. Par conséquent, les salariés, qui pensent épargner 6,4% de leur salaire à cette fin, versent en réalité un maximum de 5,76 % de leur salaire pour cet objectif. Par ailleurs une taxe 0,64% du salaire va à Pôle emploi, dont la quasi-totalité finance les services universels à tous les chômeurs, indemnisables ou non.

A l’échelle de l’Unedic les montants financiers en jeu sont très importants : même en retenant des hypothèses très prudentes, les besoins de financement que ces charges ont créés peuvent à eux seuls expliquer la totalité de la dette à fin 2015, soit 25,9 Md€.

Ce travail est une contribution à l’analyse structurelle de l’assurance chômage. Son but n’est pas d’analyser au fond ni en opportunité les missions de Pôle emploi, les politiques que cette agence met en œuvre, les moyens dont elle dispose, ou la nécessité de l’activation des chômeurs indemnisés. La question posée ici est celle du financement de ces actions, en raison de leur contribution au déséquilibre des comptes de l’Unedic. Il apparaît clairement que les transferts financiers de l’assurance chômage vers le Service public de l’emploi sont un de ces problèmes qu’une réforme des règles d’indemnisation ne peut résoudre ; la réforme du financement du Service public de l’emploi apparaît donc comme une composante et un préalable indispensable de la réforme structurelle de l’assurance chômage.




Restructurer la CSG et la Prime d’activité ? Commentaires sur la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2015

par Henri Sterdyniak

Le 29 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 77 de la Loi de finances 2015. Issu d’un amendement présenté par deux députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, et Pierre-Alain Muet, cet article instaurait le versement d’une fraction de la prime d’activité (PA) sous la forme d’une réduction dégressive de la CSG.

Cette censure était souhaitée et prévue par le gouvernement et la plupart des fiscalistes.  L’amendement rendait encore plus inextricable notre système fiscalo-social.  Une prestation sociale (la prime d’activité, PA), calculée sur une base familiale, devait être versée en partie par l’entreprise sous la forme d’une réduction de la CSG (le montant de la réduction n’ayant aucun lien avec le montant de la PA due), réduction qui devait s’imputer sur la PA versée par la CAF, mais devait être récupérée sous forme de hausse de l’IR l’année suivante pour ceux qui n’auraient pas droit à la PA.  Ainsi, les députés avaient-ils voté en décembre 2015 une réforme de la PA votée en juillet, avant même que cette prime ne soit encore versée. De toute évidence, c’est au moment du vote de la PA que les modalités de versement auraient dues être pensées.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré l’amendement sur un premier grief (la différence de traitement entre les salariés et les non-salariés) sans examiner les autres, de sorte que certains commentateurs (comme Thomas Piketty, « Retour sur la censure de l’amendement Ayrault-Muet », Libération, 31 décembre 2015) ont cru qu’il suffirait d’étendre les bénéfices de l’amendement aux non-salariés. Certains se sont indignés d’une décision qui « empêchait  les parlementaires d’améliorer les conditions de vie des travailleurs modestes ». Nous voudrions ici expliquer pourquoi l’amendement en question n’était pas bien pensé et, plus généralement, pourquoi l’aide aux familles de travailleurs pauvres ne peut pas prendre la forme d’une réduction de la CSG.

Un amendement malvenu

Le système fiscalo-social français est basé sur un principe fondamental, qui est la reconnaissance de la famille, en tant qu’unité de base. Les parents sont censés partager l’ensemble des ressources de la famille entre tous ses membres. La fiscalité comme les prestations sociales évaluent le niveau de vie de la famille en considérant sa composition et l’ensemble de ses revenus. Selon ce principe, tout impôt progressif, toute prestation à visée redistributive doit être familialisée. C’est le cas de l’IR, du RSA, des allocations logement.

Ce principe peut certes être remis en cause ; certains souhaitent que la France passe à un système individuel, qui ne reconnaîtrait pas la famille comme élément de base de la société. Mais, ce choix doit être publiquement posé et démocratiquement décidé. Il doit être pensé de façon cohérente pour les prestations comme pour les impôts comme pour le droit du divorce et de l’héritage. Il suppose, en particulier, que soit clairement établi qui supporte la charge financière des enfants. Il ne peut être introduit en contrebande, par des amendements qui affaiblissent la cohérence du système actuel sans proposer un système alternatif cohérent. Or, l’amendement Ayrault-Muet stipulait que l’imposition des revenus avait deux composantes, l’IR et la CSG, et aboutissait à ce que la progressivité de la seconde se fasse sur une base individuelle, ne tenant pas compte, de plus, des revenus du capital[1].  Aussi, certains économistes comme Piketty, Liem-Hoang-Ngoc (« La réforme fiscale manquée », Libération du 6 janvier 2016), Bargain, Lehmann et  Trannoy (« L’amendement Ayrault sur la fiscalité ne doit pas être repoussé », Le Monde, 9 décembre 2015) soutenaient l’amendement, mais comme une étape vers une réforme fiscale, dont le contenu n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’un débat et d’une décision démocratique. Ce n’est pas une bonne méthode.

Le système français aide fortement les travailleurs à bas-salaires et leurs familles (tableau 1). Le choix fait a été d’instaurer un salaire minimum relativement élevé en en réduisant le coût pour les employeurs par de fortes exonérations de cotisations sociales patronales. Ainsi, la valeur du travail est reconnue ; ainsi, les travailleurs dits non-qualifiés sont incités à travailler. Par ailleurs, les familles de travailleurs pauvres sont aidées par les prestations familiales, les allocations logement,  naguère par le RSA activité, maintenant par la PA.  Ainsi, un célibataire au SMIC supporte un prélèvement négatif (-45 euros) si on fait le solde entre les cotisations sociales non-contributives (maladie, famille, etc.) que verse son employeur (314 euros), sa CSG-CRDS (115 euros), ses impôts indirects (218 euros) d’un côté, sa prime d’activité (94 euros), son allocation logement (67 euros) et les exonérations de cotisations employeurs (531 euros) de l’autre. De même, le prélèvement est négatif (-81 euros) pour une famille de deux adultes payés au SMIC, ayant deux enfants à charge.

Le choix fait en juillet 2015 a été de renforcer la progressivité du système en remplaçant le RSA activité et la PPE par la Prime d’activité.  Comme l’aide aux familles pauvres doit être familialisée et tenir compte de l’ensemble de leurs revenus, elle ne peut pas figurer sur la fiche de paye puisque l’employeur ne connaît pas la situation familiale de ses salariés, leurs autres revenus et que le barème de l’aide souhaitable ne correspond pas à celui de la CSG (tableau 2). Le dispositif mis en place par la PA est beaucoup plus ciblé sur les familles les plus pauvres que ne l’eût été la dégressivité de la CSG.  Il est impossible d’aider fortement les familles les plus pauvres par la dégressivité de la CSG car elles en paient très peu. Cette dégressivité ne peut être familialisée et donc elle diminuerait le niveau de vie relatif des familles avec enfants.

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En contrepartie, le risque est grand que la PA souffre d’un taux de non-recours élevé, puisque c’est une prestation quérable, dont le montant découle d’un calcul compliqué, intégrant le revenu de la famille et les salaires de chacun, difficilement compréhensible par les bénéficiaires potentiels. Le taux de non-recours du RSA activité était certes de 62%, mais celui des allocations logement (une prestation quérable et compliquée) est lui de l’ordre de 10%[2].  Les conditions d’obtention de la PA sont allégées et simplifiées par rapport à celles du RSA activité, de sorte que les 50% de taux de recours prévu pourraient progressivement être augmentés. L’amendement Ayrault-Muet aurait risqué de démobiliser les CAF sur ce que doit dorénavant  être leur objectif: la hausse du taux de recours de la PA.

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L’amendement proposé par Ayrault et Muet souffrait de son ambiguïté. Les entreprises auraient distribué à leurs salariés un acompte à la PA qui aurait pris la forme d’une réduction dégressive de la CSG, soit 90% du montant de la CSG pour les travailleurs au SMIC, pourcentage qui aurait diminué linéairement pour s’annuler à 1,34 fois le SMIC. Les auteurs de l’amendement le défendaient, parfois en soutenant qu’il s’agissait d’un simple acompte à la PA (et donc qu’il n’était pas  gênant qu’il soit réservé aux salariés et qu’il ne tienne pas compte des charges familiales), parfois en soutenant qu’il s’agissait de rendre la CSG progressive, et donc de réduire la charge fiscale des travailleurs à bas-salaires.

Il est trompeur d’écrire comme les auteurs de l’amendement que le taux d’imposition est immédiatement de 9,7% pour le salarié qui perçoit juste le SMIC, puisque c’est ne tenir compte que de la CSG-CRDS en oubliant, dans le cas du célibataire, la PA,  les allocations logement, les cotisations employeurs et leurs exonérations et, dans le cas des familles, les prestations familiales, qui font que le taux d’imposition net est négatif à ce niveau de salaire. Il est trompeur de prétendre que grâce à l’amendement, le taux d’imposition du travailleur au SMIC passait à  1,4%, en confondant un acompte sur prestation avec une baisse d’impôt.

Le mécanisme proposé par l’amendement Ayrault-Muet ne bénéficiait pas aux familles qui reçoivent le plus de PA (tableau 2). Certes, le taux de recours aurait mécaniquement augmenté, mais pas pour les familles les plus pauvres.  La CAF pour verser la PA aux familles de salariés aurait dû connaître la ristourne de CSG dont elles avaient effectivement bénéficié, ce qui aurait encore compliqué le dispositif. L’amendement ne prévoyait pas comment ce transfert d’information se serait effectué, ni comment les pertes de CSG seraient compensées à la Sécurité sociale. Par ailleurs, des salariés auraient bénéficié de la ristourne de la CSG sans avoir droit à la PA, en raison des revenus de leur conjoint ou de revenus du capital ; cette ristourne aurait dû être récupérée par le fisc au moment du versement de l’IR. Encore une nouvelle complication puisque le fisc aurait dû vérifier pour chaque ménage ayant bénéficié de la ristourne CSG sans demander la PA s’il y avait droit.  Mélangeant la CSG, la PA et l’IR, l’amendement accentuait encore la mise en cause de l’autonomie des ressources de la Sécurité sociale. On ne peut  utiliser la CSG comme acompte d’une PA, alors que les deux obéissent à des logiques bien différentes.

Le mieux est l’ennemi du bien. Du moment où le système français comporte des transferts fortement redistributifs (comme l’IR, l’ISF, les cotisations employeurs, la PA, les AL), il n’est pas nécessaire que tous les prélèvements le soient, d’autant qu’un prélèvement progressif obligatoirement familialisé est obligatoirement difficile à gérer. Le choix fait d’aider les travailleurs pauvres par la PA plutôt que par la dégressivité de la CSG (mesure déjà censurée par le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2000) est légitime. Il est bizarre de la remettre en cause cinq mois après son vote.

Il est trompeur d’écrire, comme Laurent Mauduit (Médiapart du 30 décembre 2015, « Le Conseil constitutionnel plombe toute réforme fiscale »), « cette disposition contribuait à rétablir un peu d’équité dans un système français très inégalitaire »  ou la décision du Conseil constitutionnel « conforte le conservatisme néo-libéral ambiant au terme duquel les riches ne doivent surtout pas payer plus d’impôt que les pauvres ». Il est erroné de prétendre que cette décision remet en cause le principe de progressivité de l’impôt ; au contraire, elle conforte la jurisprudence de la Cour : l’impôt progressif  doit être familial.

Le système mis en place est-il pour autant parfait ?  Non, sans doute et pour deux raisons, au moins. La prime d’activité aide les familles de travailleurs pauvres, mais n’est plus versée en cas de chômage, ce qui  augmente fortement la perte de revenus de ces familles en cas de  chômage. Pourquoi ne pas considérer les allocations chômage comme un revenu d’activité et ouvrir aux chômeurs le droit à la PA ?

Il eut été préférable de bien séparer l’objectif d’aide aux familles les plus pauvres (qui nécessite obligatoirement un suivi en temps réel de la composition des familles et de leurs revenus) et l’objectif d’aide à l’emploi non-qualifié (qui dispose déjà d’un instrument spécifique : le couplage SMIC/exonération des cotisations employeurs).  Augmenter le SMIC de 10%, en compensant cette hausse par des exonérations de cotisations employeurs ; créer un complément familial pour les familles à 1 ou 2 enfants sous le seuil de pauvreté aurait permis de limiter fortement le nombre de bénéficiaires potentiels de la PA et de réduire le non-recours puisque le recours aux prestations familiales est nettement plus élevé que celui prévu pour la PA.

L’objectif doit être maintenant d’augmenter le taux de recours à la PA, ce qui suppose une forte volonté politique et une mobilisation des CAF pour que le taux prévu (50 %) soit dépassé.

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Prime d’activité et réduction de la CSG

La prime d’activité est calculée pour un ménage par la formule :

 PA = (montant forfaitaire + bonifications individuelles) – (38% des revenus d’activité + autres ressources + prestations familiales + forfait logement).

Le montant forfaitaire est le montant du RSA et dépend de la composition de la famille ; le forfait logement est soustrait si la famille perçoit les allocations logement ou est propriétaire de son logement ; la bonification individuelle est versée pour les actifs dont les revenus d’activité sont d’au moins 0,5 Smic ; elle atteint 67 euros pour un actif dont les revenus d’activité dépassent 0,8 SMIC.

Soit, pour une famille de deux enfants et un actif au SMIC :

PA=1001+67-(0,38*1142+0+129+67+129)= 449 € par mois.

La CSG est actuellement de 7,5% sur les 98,75% du salaire brut. L’amendement Ayrault-Muet prévoyait une réduction de 90% pour les salariés au SMIC, soit de 6,67% du salaire brut, soit 98 €. Le taux de réduction baissait linéairement jusqu’à 1,34 SMIC.

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[1] Certes, la CSG est déjà quelque peu progressive pour les  retraités, pour des raisons historiques (quand la CSG a été introduite, les pouvoirs publics n’ont pas voulu diminuer le pouvoir d’achat des plus faibles retraites), mais cette progressivité est entièrement calquée sur celle de l’IR, de sorte qu’elle tient compte de l’ensemble des revenus du retraité et de sa situation familiale.

[2] Selon : CAF (2014) : L’Accès aux droits et le non-recours dans la branche Famille des Prestations familiales, Novembre.




Le contrat unique : une auberge espagnole

Par Jacques Barthélémy et Gilbert Cette

Le débat sur le contrat unique découle le plus souvent du constat d’une dualité du marché du travail, avec d’un côté des salariés qui seraient très protégés, les CDI et tout particulièrement les fonctionnaires, et de l’autre côté les actifs alternant emplois précaires peu protégés et périodes de chômage. Ce contraste traduit des inégalités flagrantes, avec des conséquences sociales et économiques importantes.

En réponse à cette dualité, des propositions sont souvent avancées qui consisteraient à créer un « contrat unique » atténuant les écarts de statut et de droits entre emplois précaires (CDD et intérim) et emplois en CDI. Mais ce concept de « contrat unique » est souvent peu défini. C’est même une auberge espagnole si l’on prend en considération les différences importantes de contenu constatées dans les propos des uns ou des autres !

Les trois objectifs déclarés de la proposition de contrat unique sont : (i) de réduire les inégalités de statuts liées à la coexistence de contrats dits précaires (CDD et intérim) et de CDI ; (ii) de réduire la complexité et les incertitudes coûteuses de la judiciarisation des licenciements ; (iii) d’internaliser en partie le coût social des licenciements. Dans un article de la Revue de l’OFCE, nous montrons qu’un contrat unique ne peut pas répondre véritablement à ces objectifs, mieux servis par d’autres voies, et qu’il présenterait des risques juridiques majeurs.

Pour en savoir plus : J. Barthélémy et G. Cette, 2015, « Le contrat unique: une auberge espagnole », Revue de l’OFCE n°146.

 




Salaire minimum en Allemagne : un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne

par Odile Chagny  (Ires) et Sabine Le Bayon

Après plusieurs mois de débats parlementaires, le salaire minimum entrera progressivement en vigueur en Allemagne entre 2015 et 2017.  Ce débat n’a que peu modifié le projet de loi présenté en avril dernier et issu de l’accord de coalition entre le SPD et la CDU. Le montant du salaire minimum s’élèvera en 2017 à 8,5 euros bruts de l’heure, soit environ 53% du salaire horaire médian.  Dans un pays qui garantit constitutionnellement aux partenaires sociaux leur autonomie à déterminer les conditions de travail, la rupture est majeure. Pour autant, l’importance de l’introduction du salaire minimum ne se situera pas tant dans les effets de relance de la croissance en Allemagne et en zone euro que l’on peut en attendre, que dans le tournant opéré du point de vue de la conception de la valeur du travail, dans un pays qui a historiquement toléré que celle-ci pouvait différer selon le statut de celui (ou celle) qui l’exerce[1].

La loi sur le salaire minimum en Allemagne est l’aboutissement d’un long processus initié au milieu des années 2000 et qui a conduit à un relatif consensus sur la nécessité de mieux protéger les salariés du dumping salarial en vigueur dans certains secteurs ou certaines entreprises. Contrairement à la France où le SMIG (puis le SMIC) a été institué dès 1951, l’Allemagne n’avait pas de salaire minimum légal interprofessionnel. La mise en place de ce salaire minimum par l’Etat, pourtant contraire au principe d’autonomie des partenaires sociaux, est le signe que les différents acteurs reconnaissent désormais explicitement que le système de négociations collectives ne permet plus de garantir des conditions de travail décentes pour un nombre croissant de salariés, notamment ceux qui ne sont pas couverts par des conventions collectives mais aussi les salariés travaillant dans des secteurs où l’affaiblissement des syndicats est tel que les minima de branche se situent à des niveaux excessivement bas.

L’intervention de l’Etat constitue donc un vrai bouleversement dans le système de relations professionnelles. Cependant cette dernière se veut seulement ponctuelle. Les partenaires sociaux garderont en effet un rôle prépondérant, et ce pour plusieurs raisons :

  • D’ici la fin de l’année 2014, ils peuvent négocier des accords de branche visant à faire converger d’ici fin 2016 les minima vers 8,5 euros, dans les secteurs où ils sont inférieurs à ce seuil[2].
  • Une fois la loi en vigueur, ce sont eux qui décideront, dans le cadre d’une commission bipartite, de l’évolution de ce salaire minimum tous les deux ans. La commission se réunira pour la première fois en 2016 et la première revalorisation interviendra éventuellement en 2017.
  • De plus, les accords de branche qui fixent les conditions de travail (grilles salariales, congés, horaires maxima…) seront plus facilement étendus à l’ensemble des salariés d’une branche (car la loi sur le salaire minimum vise aussi à renforcer les procédures d’extension des conventions collectives, très rarement utilisées à l’heure actuelle). Le résultat des négociations concernera donc plus de salariés.

L’application du salaire minimum interprofessionnel se fera par étapes. En 2015, seuls les salariés non couverts par une convention collective seront concernés. Pour les autres, soit ce plancher de salaire s’applique déjà, soit il s’appliquera progressivement dans le cadre des négociations de branche. C’est par exemple le cas dans le secteur de la viande et des abattoirs où, en janvier 2014, les partenaires sociaux ont signé un accord prévoyant l’entrée en vigueur au 1er juillet 2014 d’un salaire minimum de 7,75 euros, et qui sera revalorisé à 8,6 euros en octobre 2015. Dans la branche de l’intérim également, un accord d’octobre 2013 a porté le niveau du salaire minimum à 8,5 euros en janvier 2014 dans les anciens Länder et prévoit de l’introduire en juin 2016 dans les nouveaux Länder.

Les débats concernant les exceptions ont été houleux mais finalement peu de personnes seront hors du champ d’application du salaire minimum : certains jeunes (apprentis, stagiaires en études), les chômeurs de longue durée durant les six premiers mois suivant la reprise d’un emploi. Concernant les travailleurs saisonniers (environ 300 000 emplois), très présents dans le secteur agricole, le salaire de 8,5 euros s’appliquera bien, mais l’employeur pourra déduire le coût de l’hébergement et de la nourriture. Cela devrait tout de même limiter le dumping salarial dans ce secteur, même si le respect de la loi sera plus difficile à contrôler.

La question n’est pas tant celle des exceptions qui sont mises en avant par divers protagonistes (la confédération syndicale DGB, Die Linke et les Verts les critiquent, le patronat et certains conservateurs les jugent trop limitées) que l’application concrète de la loi.

Car l’impact de la loi sur le salaire minimum dépendra tout d’abord de la définition et du champ retenus pour les éléments de rémunération et le temps de travail, deux points laissés jusqu’ici en suspens. Or, selon que l’on prend en compte ou non les heures supplémentaires et d’autres éléments variables de rémunération, que l’on se base sur la durée du travail contractuelle ou effective, les enjeux et la portée de la loi seront très différents. Pour 2012, selon les définitions retenues, la fourchette d’estimation du nombre de personnes potentiellement concernées par le salaire minimum allait ainsi de 4,7 à 6,6 millions, soit un écart de 40%.

Ensuite, les moyens mis en place au niveau de l’inspection du travail pour contrôler l’application de la loi devront être conséquents puisqu’à l’heure actuelle, 36% des salariés percevant moins de 8,5 euros brut par heure n’ont pas de durée du travail fixée dans leur contrat de travail, ou bien effectuent des heures supplémentaires non rémunérées. Les contrôles de l’inspection du travail seront donc primordiaux, d’autant plus que 70% des salariés qui perçoivent moins de 8,5 euros de l’heure travaillent dans des établissements sans conseil d’établissement[3], ce qui rend le contrôle de l’application du droit particulièrement ardu. Enfin, le risque est élevé de voir augmenter le recours au travail indépendant payé à la tâche (i.e. sans durée du travail prévue) au détriment des contrats salariés classiques, ou aux embauches en mini-jobs, emplois pour lesquels il n’est tout simplement pas obligatoire de fixer une durée du travail et dont les salariés ne paient ni cotisations sociales salariés ni impôt sur le revenu.

Sur un plan plus macro-économique, et contrairement à ce qu’espèrent plusieurs partenaires européens de l’Allemagne, l’effet de l’introduction du salaire minimum sur la demande intérieure devrait être limité, non seulement car il est loin d’être établi que la législation s’applique réellement partout, mais aussi du fait d’un impact limité sur le revenu des ménages. A la suite de l’augmentation de leur taux marginal d’imposition et de la baisse de leurs prestations sociales, le revenu effectif des ménages concernés par le salaire minimum n’augmenterait que d’un quart seulement de la hausse initiale de leur salaire. Concernant les 1,3 million d’« Aufstocker », ces personnes qui cumulent revenus du travail et allocation de solidarité destinée aux personnes dans le besoin et aux chômeurs de longue durée (réforme Hartz IV), leur nombre ne baisserait que de 60 000[4].

L’impact sur la compétitivité devrait différer largement selon les secteurs. Selon Brenke et Müller (2013), la masse salariale globale progresserait de 3 %. A l’exception de l’industrie agro-alimentaire, dont la compétitivité reposait sur un dumping salarial important et qui devrait ressentir assez nettement la mise en place d’un salaire minimum (sauf en cas de contournement de la loi sous une forme ou une autre), les entreprises industrielles exportatrices, où les salaires sont globalement élevés (INSEE, 2012), seraient peu affectées par l’introduction d’un salaire minimum. Il n’en reste pas moins qu’elles en subiraient indirectement les effets, puisqu’elles ont externalisé un certain nombre d’activités durant la dernière décennie dans des entreprises de services où les coûts sont plus faibles. Dans beaucoup d’entreprises, le niveau élevé des marges devrait cependant leur permettre de limiter les augmentations des prix de production. Pour les secteurs  intensifs en main-d’œuvre (coiffure, taxi…) non délocalisables, les prix devraient en revanche sensiblement augmenter, ce qui pourrait limiter l’impact positif en termes de pouvoir d’achat sur les salariés bénéficiant du salaire minimum.

Si les effets de l’introduction du salaire minimum devraient rester relativement limités sur le plan macro-économique, en particulier en termes de relance pour la zone euro, il ne faudrait pas passer à côté du signal fort en termes d’économie politique. Car la mise en place d’un salaire minimum de large portée – les exceptions seront finalement très circonscrites – et interprofessionnel – le plancher s’appliquera à toutes les branches – renvoie avant tout à cette idée qu’un salarié doit pouvoir vivre de son travail et que ce n’est pas nécessairement à l’Etat de subventionner les bas salaires sous forme de prestations sociales pour préserver la compétitivité des salariés peu qualifiés notamment. C’est ainsi que M. Sigmar Gabriel, président du SPD et ministre de l’Economie du nouveau gouvernement de coalition, déclarait en février 2014 au Bundestag, que le salaire minimum n’était pas tant important pour ce qui concerne son niveau ou la date de son entrée en vigueur, que parce qu’il renvoie à cette question centrale de l’économie sociale de marché que « tout travail doit avoir sa valeur».

 

Ce billet paraît parallèlement à la publication d’un article consacré à ce sujet: Chagny O. et S. Le Bayon, 2014 : « L’introduction d’un salaire minimum légal : genèse et portée d’une rupture majeure », Chronique internationale de l’IRES, n°146, juin.

 


[1] Selon le principe qu’un retraité, un étudiant ou une femme au foyer n’ont pas nécessairement besoin de couverture sociale et travaillent essentiellement pour un revenu d’appoint.

[2] Le secteur des livreurs de journaux constitue une exception dans la mesure où c’est l’Etat qui a fixé dans la loi une augmentation progressive des minima vers 8,5€ en 2017.

[3] Les conseils d’établissement assurent la représentation des salariés dans les entreprises d’au moins 5 salariés. Ce sont eux qui déterminent les conditions d’application des conventions collectives.

[4] Ce qui renvoie à différentes caractéristiques du système socialo-fiscal allemand : taux marginaux d’imposition élevés pour le second apporteur de revenu en lien avec le quotient conjugal, taux marginal d’imposition plus élevé qu’en France pour les bas revenus et, pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité Hartz IV taux d’imputation élevé (80 % au-dessus de 100 euros) des revenus du travail sur l’allocation. Pour plus d’informations, voir Brenke et Müller (2013) et Bruckmeier et Wiemers (2014).




Une assurance chômage pour la zone euro ?

Par Xavier Timbeau

Dans la dernière parution de la Direction générale du Trésor,  Lettre Trésor-Eco, n° 132, juin 2014 (Ministère des Finances et des Comptes publics et Ministère de l’Économie du Redressement productif et du Numérique), Thomas Lellouch et Arthur Sode développent le mode de fonctionnement et les mérites d’une assurance chômage commune à la zone euro. Ils en précisent les modalités d’application, par grandes étapes, qui en assurent la neutralité entre Etats membres. Ils plaident pour des politiques de l’emploi et du marché du travail harmonisées, conduisant à long terme à un taux de cotisation unique dans la zone euro :

– « La mutualisation au niveau de la zone euro d’une composante de l’assurance chômage permettrait de doter la zone euro d’un instrument de solidarité nouveau, à même de donner une véritable incarnation à l’Europe sociale tout en renforçant la stabilisation de la zone dans son ensemble …

– Ce socle commun indemniserait par exemple les chômeurs de moins d’un an (la composante la plus cyclique) à hauteur de 50 % de leur salaire passé, avec un financement reposant sur une base harmonisée (par exemple la masse salariale). Il serait complété par une indemnisation nationale en fonction des préférences de chaque État, et assurerait ainsi le maintien du niveau actuel de l’indemnisation …

– Une modulation des taux de cotisation de chaque État membre en fonction de son niveau de chômage, avec des mises à jour régulières en fonction des tendances passées, assurerait une neutralité budgétaire ex ante entre États membres …

– À plus long terme, et après une convergence des taux de chômage entre les différents États membres, un système marquant une solidarité accrue entre États membres pourrait être envisagé, avec un financement via un taux de cotisation unique… ».

Une solidarité nouvelle, mais trois problèmes se posent…

L’assurance chômage est un important stabilisateur automatique. Sa mutualisation par les États membres de la zone euro aurait permis d’importants transferts au cours de la crise que nous venons de traverser. Suivant le schéma proposé par les auteurs (mutualisation de la composante la plus cyclique), l’Espagne aurait pu bénéficier de presque 35 milliards d’euros à la fin 2012, provenant essentiellement de l’Allemagne et de la France. Ce n’est pas de nature à annuler le déficit public de l’Espagne, mais cela aurait contribué à ce qu’il soit moins important.

Un tel dispositif pourrait avoir un rôle majeur pour éviter les crises de dette souveraine par lesquelles le crédit d’un État est asséché. Il introduirait une solidarité et des transferts neutres au cours des cycles, mais réactifs à la conjoncture.

Trois problèmes se posent cependant : le premier est que les systèmes d’assurance chômage sont le fruit de compromis sociaux nationaux, bien perçus et en cohérence avec le reste des politiques nationales sur le marché du travail, actives ou non. Une assurance chômage européenne s’ajoutant sur les systèmes nationaux pourrait conduire à de la confusion et la remise en cause de l’équilibre national. Le dialogue social en serait perturbé, puisque les partenaires sociaux disposeraient d’une ressource potentielle dont ils ne sont pas responsables, sans compter que les autorités européennes, ou les pays partenaires, pourraient estimer avoir leur mot à dire. Or, l’assurance chômage est souvent un sujet sensible comme l’illustre la question des intermittents en France en ce début d’été 2014.

Ceci pourrait être résolu en limitant la mutualisation à des transferts macroéconomiques, indépendamment des modalités nationales. Mais, et c’est le second problème, pour éviter que les transferts entre Etats ne deviennent pérennes, il faut équilibrer les transferts sur le « cycle économique ». Cela demande une procédure d’identification de ce cycle, partagée par les parties prenantes.. L’expérience récente de la crise, ou encore celle du calcul des déficits structurels, montre que c’est loin d’être acquis. Une autre option serait de « recharger » le dispositif avant d’y recourir, en accumulant des contributions avant un retournement majeur pendant quelques années. Il suffirait alors d’en limiter l’usage à ce qui a été accumulé pour résoudre les conflits. Mais alors, le dispositif n’a plus aucun intérêt face à une crise systémique. Le jour où le matelas a fondu, les rois sont aussi nus qu’avant. Au mieux on retarde la crise, au pire on l’aggrave.

Une dernière option est de renoncer à l’équilibre des transferts a priori (ou par la mécanique de fonctionnement), en le laissant au fil de l’eau se polariser dans un sens ou dans un autre et d’en assurer la convergence asymptotique. Mais alors, le dispositif peut conduire à une situation de transfert structurel non désirée qui pourrait précisément le remettre en cause.

L’Espagne a ainsi un chômage élevé, largement au-dessus de son taux structurel ; entrer dans un dispositif de transfert assis sur les écarts entre le chômage courant et le chômage structurel ne peut que se faire à l’équilibre, ou bien demande de prendre le risque d’un transfert initial durable.

C’est alors que surgit le troisième problème, la gouvernance. Il est difficile de concevoir un tel dispositif sans qu’il implique au moins potentiellement des transferts importants entre États. Comment justifier ces transferts sans représentation commune légitime ? Et, comment éviter que ces transferts ne soient l’instrument d’un contrôle de l’ensemble de la politique macroéconomique. La mise en place de l’Union bancaire rappelle que cette difficulté est centrale. De même, le refus de l’Espagne de se soumettre aux conditions posées dans le cadre d’un programme d’assistance classique (UE/FMI) indique bien qu’en l’absence d’une solidarité sincère et légitime, les bénéficiaires des transferts seront tout aussi méfiants que les payeurs.