Financement de Pôle Emploi par l’assurance chômage : une proposition, une révolution

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par Bruno Coquet

Parmi les trois propositions qui constituent le Big Bang de l’assurance chômage que vient d’annoncer le Medef, les deux les plus commentées sont la création d’un système de solidarité sous la responsabilité de l’État et d’un régime assurantiel délégué aux partenaires sociaux. Elles occultent la troisième qui mettrait Pôle Emploi sous la responsabilité exclusive de l’État, impliquant une baisse drastique de la contribution que verse l’Unedic à Pôle Emploi, qui diminuerait de 4 milliards à 500 millions par an[1].

Ce serait une avancée essentielle. Car ce ne sont pas les moyens dont Pôle Emploi doit disposer qui sont en cause mais la manière de les financer, comme l’expliquait la Note de l’OFCE n° 58 « L’assurance chômage doit-elle financer le service public de l’emploi ? », seule étude publiée à ce jour sur ce sujet qui, déjà en 2016, proposait une évolution aboutissant à un chiffrage similaire à celui de la réforme aujourd’hui proposée par le Medef.

Depuis 20 ans, la répartition du financement du service public de l’emploi entre l’État et l’Unedic a biaisé le diagnostic des problèmes de l’assurance chômage, nourrissant faux débats et malentendus, freinant les réformes et ouvrant la voie à la reprise en mains par l’État.

Sur un plan théorique, il n’y a pas de raison que l’Unedic finance 80 % du service public en charge du suivi et de l’accompagnement des chômeurs ou de la collecte des offres d’emploi. En effet, il s’agit d’un « service public », ouvert à tous les employeurs publics ou privés, affiliés ou non, et à tous les chômeurs, indemnisés ou non. La théorie économique est claire : accessibles à tous, ces prestations doivent être financées par l’impôt, et si un usager demande un service spécial, celui-ci est tarifé au coût marginal.

Ce coût marginal est connu et faible : ce sont les « frais de gestion » que Pôle Emploi facture aux employeurs publics non-affiliés à l’assurance chômage. « Ils sont calculés à l’acte sur la base de deux actes métiers :

  • Le traitement d’un calcul de droit (82,33€) : ouverture de droit initiale, rechargement ;
  • Le traitement mensuel de l’actualisation (6,67€) : qu’il y ait ou non versement d’une allocation ».

Soit 162 euros par an environ pour un chômeur présent toute l’année. Pour sa part, l’Unedic est facturée près de 1 500 euros par chômeur indemnisé, donc dix fois plus cher pour les mêmes services. Au total 450 millions d’euros suffiraient pour indemniser tout au long de l’année environ 2,7 millions de chômeurs, quand l’Unedic paye 4,3 milliards. Ce montant pourrait être financé (comme c’est le cas pour l’APEC) par une taxe dédiée de 0,45% sur la masse salariale de l’ensemble des secteurs, dans la mesure où tous les actifs et tous les employeurs peuvent recourir aux services de Pôle Emploi.

La révolution vient de ce que la lecture du financement de Pôle Emploi qui mène à cette proposition change du tout au tout le diagnostic que l’on peut faire du problème de l’assurance chômage, des réformes à accomplir.

De 2008 à 2019 l’Unedic a transféré 42 milliards d’euros à Pôle Emploi, alors qu’avec la formule au coût marginal proposée par le Medef le transfert n’aurait été que de 5,2 milliards d’euros. Dans ces conditions l’Unedic n’aurait pas accumulé dans sa dette ces 27,5 milliards d’euros de déficit, mais 13,5 milliards… d’excédents ! Avec une focale un peu plus longue, car le problème existait déjà avant 2008, il apparaît qu’avec des modalités de financement claires de Pôle Emploi, l’Unedic n’aurait jamais eu de dette.

Ce prélèvement s’est fait aux dépens des allocations chômage. En effet, ce sont pour le moment les chômeurs indemnisés qui assument l’essentiel de cette charge, car le versement à Pôle Emploi est prélevé sur le budget normalement dédié aux allocations, lui-même financé par des contributions prélevées au motif de l’assurance-revenu. Ces contributions s’élèvent à 6,4% de la masse salariale privée sous plafond, soit le même taux depuis 2003 (la part employeur a même légèrement augmenté de 0,05% en 2017 et le remplacement de la cotisation salariale par la CSG a déplafonné l’assiette). Les gains de productivité issus de la fusion Assédic-ANPE et du transfert du prélèvement des cotisations à l’Urssaf n’ont pas bénéficié à l’Unedic, et la part du budget de Pôle Emploi couverte par l’Unedic n’a jamais cessé de progresser (de 60% à 80% en 10 ans).

Changer le mode de financement de Pôle Emploi change donc toute la perspective, le point de départ et les objectifs des réformes à accomplir : en réalité il le problème n’était pas de résorber un déficit structurel lié à la « générosité » supposée des allocations, ni de rembourser la dette ainsi créée, mais de gérer un excédent financier structurel, obtenu malgré un nombre record de chômeurs indemnisés.

Grâce à cette révolution, l’objectif des réformes redeviendra ce qu’il aurait toujours dû être durant toutes ces années, la recherche d’efficience plutôt que la recherche d’économies.


[1] A ce stade les propositions du Medef n’ont pas fait l’objet d’un document officiel, ce billet de blog se fonde donc sur les éléments largement relayés par la presse, mais non-détaillés à ce stade, à la suite de l’audition du président du Medef par l’AJIS.

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