Pour une réforme de l’imposition des couples

par Guillaume Allègre, Hélène Périvier et Muriel Pucci, CES, Université Paris 1

Le passage à l’imposition à la source en janvier 2019 a modifié le mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu (IR) en appliquant un paiement de l’impôt directement sur la fiche de paie individuelle. Mais, les couples mariés ou pacsés déclarent toujours leurs revenus conjointement et se voient attribuer deux parts fiscales (système de quotient conjugal, qui applique au barème de l’IR le revenu moyen du couple), alors que les couples vivant en union libre déclarent leurs revenus séparément avec une part fiscale chacun. Ainsi, le mode de prélèvement de l’IR a été individualisé alors que son calcul reste fondé sur les revenus du couple pour ceux qui sont mariés ou pacsés. Ce mode de prélèvement applique par défaut le taux moyen du couple aux deux salaires. Lorsque les revenus des deux époux ou pacsés sont très différents, cela ampute alors fortement le salaire net d’IR de celui, ou le plus souvent de celle, ayant le revenu le plus faible et réduit fortement l’IR de son conjoint mieux rémunéré. Les couples mariés ou pacsés peuvent réduire le taux d’imposition appliqué au revenu le plus faible en optant pour les taux d’imposition individualisés. Dans ce cas, celui qui a le revenu le plus faible se voit appliquer le taux d’imposition calculé sur ses seuls revenus et son conjoint bénéficie seul de l’avantage de l’imposition commune, le montant global d’impôt dû par le couple restant inchangé. Ce mode d’imposition commune est le plus souvent plus avantageux que l’imposition séparée lorsque les revenus des conjoints sont inégaux. Le prélèvement à la source aura peut-être la vertu de mettre au jour une partie des effets de l’imposition commune et du quotient conjugal.

Le quotient conjugal en vigueur depuis 1945 implique une redistribution importante de la charge fiscale en faveur des couples mariés/pacsés lorsque les revenus des conjoints sont inégaux. L’avantage fiscal qui en découle est d’autant plus important que les revenus du couple sont élevés. Or, contrairement au quotient familial (parts attribuées pour les personnes à charge), dont l’avantage ne peut dépasser 1 527 euros par an et par demi part, la réduction d’impôt associée au quotient conjugal n’est pas plafonnée et peut atteindre plus de 32 000 euros par an dans des cas extrêmes.

Alors que la justice fiscale est au cœur des débats actuels, cette redistribution des célibataires et des couples concubins vers les couples mariés ou pacsés mérite d’être évaluée et discutée. Revenir sur le quotient conjugal ou réduire l’avantage qui lui est associé peut prendre plusieurs formes selon les principes retenus et la façon dont ils sont appliqués. Le premier principe est celui du choix de l’unité fiscale de référence : le couple ou l’individu. Puis dans le cas où l’unité fiscale reste le couple, la question du statut marital se pose : souhaite-on imposer les couples mariés/pacsés et ceux vivant en union libre différemment ? Autrement dit accorde-t-on une reconnaissance fiscale aux couples vivant en union libre ou considère-t-on qu’il s’agit de deux personnes célibataires (donc deux foyers fiscaux distincts) ? Le nombre de parts attribuées aux couples peut être modifié conformément aux échelles d’équivalence utilisées pour le calcul des niveaux de vie (soit 1 part pour une personne seule, 1.5 pour un couple au lieu des 2 parts du quotient conjugal). Enfin, l’avantage associé au quotient conjugal peut être plafonné à l’instar de celui associé au quotient familial.

Pour enrichir le débat autour d’une réforme de l’imposition des couples, nous avons estimé la masse financière associée à l’avantage du quotient conjugal et simulé trois réformes possibles. Ces scénarios de réforme corrigent une ou plusieurs critiques faites au quotient conjugal. Dans chaque cas, les parts accordées aux enfants (quotient familial) restent inchangées. Les trois scénarios sont :

  1. L’individualisation de l’IR : l’unité fiscale devient l’individu et non plus couple marié/pacsé et à l’instar des couples concubins, les couples mariés/pacsés peuvent répartir les parts fiscales associées aux personnes dépendantes entre leurs deux foyers fiscaux respectifs de façon à limiter le montant d’impôt global dont le couple doit s’acquitter ;
  2. L’attribution de 1,5 part aux couples mariés/pacsés au lieu des 2 parts dans la législation actuelle, avec la possibilité pour ces couples d’opter pour une déclaration séparée si celle-ci est plus avantageuse ;
  3. Le plafonnement de l’avantage fiscal associé au quotient conjugal au même niveau que celui associé au quotient familial (soit 1 527 euros par demi-part, ou 3 054 euros pour la part entière du conjoint)

Nous avons mobilisé le modèle de microsimulation Ines, mis à disposition par l’Insee, la Drees et la Cnaf. Le modèle reproduit la législation socio-fiscale de 2016 et s’appuie sur l’enquête ERFS 2014 actualisée pour être représentative de l’année 2016.

Si on appliquait le principe de l’imposition séparée aux couples mariés ou pacsés en partageant égalitairement les demi-parts pour les personnes à charge, le gain en recettes fiscales qui en découlerait est estimé à environ 10 milliards d’euros. Mais cela ne tient pas compte de l’optimisation des parts fiscales associées aux personnes à charge à laquelle les couples mariés et pacsés auraient recours comme les concubins peuvent le faire actuellement. L’individualisation avec optimisation des parts impliquerait donc un surcroît de recettes fiscales plus faible, de 7 milliards environ. La réduction du nombre de parts à 1,5 pour les couples mariés/pacsés avec option d’individualisation conduirait à un gain fiscal de 4,8 milliards d’euros et le plafonnement du quotient conjugal augmenterait les recettes fiscales d’environ 3 milliards.

Pour chaque réforme, nous estimons le nombre de perdants et de gagnants par décile de niveau de vie, ainsi que la perte ou le gain moyen et médian. Pour les trois réformes, la proportion de couples perdants est plus importante dans le dernier décile de niveau de vie avec une perte moyenne plus élevée (voir les graphiques ci-dessous).

L’accroissement des recettes fiscales pourrait être utilisé de plusieurs manières :

  1. Afin de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires sur les ménages, les reformes peuvent être réalisées à rendement d’impôt constant. Pour cela, les gains en recettes fiscales seraient redistribués :
    • soit à l’ensemble des contribuables (baisse des taux marginaux, relèvement des seuils des différentes tranches…) ;
    • soit aux couples uniquement (via différent mécanismes en calibrant les paramètres de prise en charge du conjoint, comme par exemple un abattement pour conjoint, ou un crédit d’impôt …) ;
    • soit aux couples mariés/pacsés uniquement.
  2. Les gains fiscaux issus de ces réformes pourraient être utilisés pour financer des politiques publiques liés à la famille et à l’égalité femmes-hommes (garde d’enfant, congés parentaux etc.).

Un mixte de ces deux options est également possible.

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Vous pouvez accéder à l’intégralité de l’article en cliquant ici :

Allègre G., H. Périvier et M. Pucci, 2019, « Imposition des couples en France et statut marital : simulation de trois réformes du quotient conjugal », Sciences Po, OFCE Working Paper n°05-2019.

 




Justice climatique et transition sociale-écologique

par Éloi Laurent

Il y a quelque chose de profondément rassurant à voir l’ampleur grandissante des marches pour le climat dans plusieurs pays du globe. Une partie de la jeunesse prend conscience de l’injustice qu’elle subira de plein fouet du fait de choix sur lesquels elle n’a pas (encore) de prise. Mais la reconnaissance de cette inégalité intergénérationnelle se heurte au mur de l’inégalité intra-générationnelle : la mise en œuvre d’une véritable transition écologique ne pourra pas faire l’économie de la question sociale ici et maintenant et notamment de l’impératif de réduction des inégalités. Autrement dit, la transition écologique sera sociale-écologique ou ne sera pas. C’est le cas en France, où la stratégie écologique nationale, à 90% inefficace aujourd’hui, doit être revue de fond en comble, comme proposé dans le nouveau Policy Brief de l’OFCE (n° 52, 21 février 2019).

C’est aussi le cas aux États-Unis où une nouvelle génération rouge-verte de responsables engage un des combats politiques les plus décisifs de l’histoire du pays contre l’obscurantisme écologique d’un Président qui est à lui seul une catastrophe naturelle. Dans un texte concis, remarquable de précision, de clarté analytique et de lucidité politique, la démocrate Alexandria Ocasio-Cortez vient ainsi de proposer à ses concitoyen(ne)s une « Nouvelle donne écologique » (« Green New Deal »).

Le terme peut paraître mal choisi : le « New Deal » porté par Franklin Delano Roosevelt à partir de 1933 visait à relancer une économie dévastée par la Grande Dépression. Or l’économie américaine n’est-elle pas florissante ? Si on se fie aux indicateurs économiques du XXe siècle (taux de croissance, finance, profit), sans doute. Mais si on traverse ces apparences, on discerne la récession du bien-être qui mine le pays depuis trente ans et qui ne fera que s’aggraver avec les crises écologiques (l’espérance de vie recule désormais structurellement aux États-Unis). D’où le premier levier de la transition écologique : sortir de la croissance pour compter ce qui compte vraiment et améliorer le bien-être humain aujourd’hui et demain.

Deuxième levier : articuler réalités sociales et défis écologiques. La « Nouvelle donne écologique » identifie comme cause fondamentale du mal-être américain les « inégalités systémiques », sociales et écologiques. Réciproquement, elle entend mettre en œuvre une « transition juste et équitable » en priorité au bénéfice des « communautés exposées et vulnérables » (« frontline and vulnerable communities »), que l’on pourrait nommer les « sentinelles écologiques » (enfants, personnes âgées isolées, précaires énergétiques, etc.). Ce sont celles et ceux qui préfigurent notre devenir commun si nous laissons les crises écologiques dont nous sommes responsables se dégrader encore. C’est cette articulation sociale-écologique que l’on retrouve au cœur de la proposition de plusieurs milliers d’économistes d’instaurer des « dividendes carbone » (une idée initialement proposée par James Boyce, un des meilleurs spécialistes au monde de l’économie politique de l’environnement).

Troisième levier, justement : intéresser les citoyen(ne)s au lieu de les terroriser. Le Rapport détaillé publié par le think tank Data for Progress est redoutablement efficace à cet égard dans la séquence argumentaire qu’il déploie : la nouvelle donne écologique est nécessaire pour la préservation du bien-être humain, elle créera des emplois, elle est souhaitée par la communauté des citoyens, elle réduira les inégalités sociales et le pays a parfaitement les moyens financiers de la mettre en œuvre. Concret, cohérent, convaincant.

L’Europe et la France avaient en 1933 un demi-siècle d’avance sur les États-Unis en matière de « nouvelle donne ». C’est en Europe et en France qu’ont été inventées, développées et défendues les institutions de la justice sociale. C’est aux États-Unis que s’invente aujourd’hui la transition sociale-écologique. N’attendons pas trop longtemps pour nous en emparer.




Hypergamie et célibat selon le statut social en France depuis 1969: une convergence entre femmes et hommes ?

Dans la dernière livraison de sa revue (Revue de l’OFCE, VARIA, n°160-2018), l’OFCE présente une étude de Milan Bouchet-Valat qui soulève deux paradoxes liés à l’augmentation du niveau d’éducation des femmes :

Le premier est que la disparition des différences entre hommes et femmes en termes de célibat et d’hypergamie relative selon la classe sociale s’est réalisée sans que les inégalités de genre en termes de carrières professionnelles ne se soient résorbées. Le marché conjugal semble de ce point de vue nettement en avance sur le marché du travail, …

Le second paradoxe tient à ce que la diminution des inégalités de genre s’est accompagnée d’un renforcement des inégalités de classe du point de vue du célibat. Si vivre en couple était déjà plus fréquent pour les hommes occupant une position sociale élevée dans les années 1960, c’est bien l’inverse qui était vrai chez les femmes. Or, l’augmentation du taux de célibat a frappé d’abord les femmes et les hommes les moins socialement favorisés, mettant fin à ce qu’on peut considérer comme une anomalie dans le système des inégalités sociales. Désormais, les individus des deux sexes disposant de moins de ressources culturelles et économiques sont aussi ceux qui mettent le moins en commun ces ressources au sein d’un couple.

Vous pouvez accéder à l’intégralité de l’article de Milan Bouchet-Valat en cliquant ici.




Pensions de réversion : pour une réforme unificatrice

par Henri Sterdyniak

Dans son dernier Policy Brief (n° 51-2019) l’OFCE analyse la réglementation des pensions de réversion et soumet quelques pistes de réforme. Le texte complet est téléchargeable ici.

Les pensions de réversion constituent un élément important du système français de retraite. En 2016, elles ont représenté 36,3 milliards d’euros, soit 12% des pensions de vieillesse, 1,6 % du PIB. Les écarts de durée de vie et d’âge au mariage font que 89 % des bénéficiaires sont des femmes. La question des pensions de réversion est donc liée à celles des inégalités femmes/hommes de niveau de retraite. Les pensions de réversion font passer les retraites des femmes de 58 à 71% de celles des hommes. Elles apparaissent indispensables puisqu’elles permettent aux veuves de conserver un niveau de vie satisfaisant. Elles peuvent être considérées comme la survivance d’un modèle patriarcal périmé, mais elles sont aussi une composante logique du caractère familial du système socio-fiscal français.

Chaque régime de retraite a actuellement une réglementation différente en matière de pension de réversion : le taux est de 50% (fonction publique, sans condition d’âge), 54% (régime général, avec condition de ressources et condition d’âge), 60% (régime complémentaire), avec condition d’âge). Cette disparité est peu justifiable et source d’injustices, réelles ou ressenties. Par ailleurs, en cas de divorce ou de remise en couple, les législations sont disparates, compliquées et contestables. La réforme des retraites, annoncée par Emmanuel Macron, met obligatoirement en question les pensions de réversion. Elle obligera heureusement à uniformiser la réglementation. Elle devrait être l’occasion de repenser l’ensemble du système à partir d’un choix social ouvert auquel ce texte se propose de contribuer.

Selon nous, les pensions de réversion doivent être maintenues. Leur législation doit s’appuyer sur les principes de l’assurance sociale. La pension de réversion doit assurer au conjoint survivant le même niveau de vie qu’avant le décès de son conjoint, sans que le couple n’ait besoin de recourir à l’assurance privée. Le montant de la pension de réversion devrait donc être des deux tiers de la pension du conjoint décédé moins un tiers de la pension du conjoint survivant. La condition d’âge devrait être uniformisée, d’abord à 55 ans puis progressivement vers 60 ans. Les allocations de veuvage précoce et d’éducation des enfants devraient être couvertes par des dispositifs de prévoyance à généraliser. Le divorce ferait perdre les droits à la pension de réversion, mais cela serait pris en compte dans le jugement de divorce, pour la fixation de la prestation compensatoire ou par un partage arbitré des points acquis durant le mariage. Nous discutons et écartons les projets de prise en compte de la durée du mariage, de partage des droits (splitting), d’extension au Pacs (tel qu’il est actuellement), de sur-cotisation ou de baisse des pensions des couples mariés.




Gilets Jaunes: Is the Energy Transition Possible while still Reducing Inequality?

by Evens Salies

The gilets jaunes (“yellow vests”)[1] movement offers a striking opportunity to ask whether the Sustainable Development Goals for achieving an energy transition and reducing income inequalities are fundamentally incompatible. Our answer is no! Both objectives must and can be met simultaneously: the political acceptability of environmental policies, such as carbon pricing and subsidies for green technologies, crucially hinges upon their distributional effects. While the concept of the ‘just (fair) transition to low-carbon energy’ for workers has figured in the climate debate at the annual COP meetings[2], the issue of how to spread the cost burden of this transition among end-consumers remains somewhat out of the frame. Clear guidelines on the design of energy transition policies that have adverse effects on low-income households are still needed in France.[3]

To give some context, the yellow vests movement began in November 2018 in response to a programmed rise in carbon taxes, which coincided with a 25% increase in car fuel prices (see the figure below) and followed previous hikes in oil prices and fuel taxes. The government ended up cancelling this measure in December in response to street pressure.

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The higher carbon tax was part of a package previously issued under the Hollande presidency, which consisted of two main measures to reduce greenhouse gas emissions in the automobile sector. The first measure consisted in increasing the taxes on gasoline and diesel fuels by nearly 5 and 8 cents (€) per litre (excl. value-added tax), respectively. That is an approximate increase of between 3% and 5% on the final price paid at the pump, which currently averages €1.40/litre. The so-called TICPE (domestic tax on the consumption of oil products) is the main tax on car fuels. The 2015 Finance Bill split TICPE into two components, an ‘energy’ component (new TICPE) and a ‘carbon tax’ component, the future values of which are already planned until 2022 based on a trajectory determined by the Quinet commission.[4] On top of the TICPE, a value-added tax of 20% is applied so that two-thirds of car fuel prices are now made up of taxes.

Second, the policy package envisaged a flat subsidy of up to €2,500 on the purchase of an electric vehicle (“EV”) for people who scrap their old car. The French government went in the right direction by reforming this subsidy following protests earlier in December last year; it is now twice as much for the most vulnerable households. From a welfare economics perspective, there are clear reasons to oppose the government’s original policy package.

Despite the existence of an ‘energy cheque’ for domestic gas and electricity consumers, and a bonus-malus scheme on the purchase of new cars depending on their CO2 emission rate, car fuel taxes disproportionately affect the poor. There are also clear differences between small and large cities, as shown by Paul Malliet, who examined the carbon tax equity puzzle using the 2011 Family Expenditure Survey. Taxes on fuels are regressive, as is car fuel pricing. Like other necessity goods, their share in the budget is higher for poorer households. Using the previous version of the Family survey, more precisely that for 2006, we find results that are qualitatively similar to Malliet’s: the income share of car fuel expenditure is 9.2% for households with income in the 0-20% bracket and 3.2% for those in the 80-100% bracket. In the case of diesel fuel, the incidence of a 5% price increase is roughly twice as much for the bottom 20% of households as for the median household; indeed, it amounts to approximately 0.4% of the annual income of the former.

In addition, financial constraints (access to capital and loans) make it more difficult for poorer households to switch to low-emission vehicles, even subsidized ones, if the subsidy is insufficient to help consumers reach a certain threshold. This is reflected in the low estimated short-run value for the percentage decrease in car fuel consumption, -0.2%, in response to a 1% increase in fuel prices.[5] Furthermore, the environment is likely an inferior good for poorer consumers, who must first satisfy basic needs, such as food, housing and health care. The degree to which consumers have patience to wait the implications of a policy effect is correlated with income; thus, policies that have long-term effects receive less support from poorer strata than those that have immediate effects.

However, one could argue that a 0.4% income loss on average hardly justifies such strong opposition, keeping in mind the little-known fact that France’s after-tax redistribution is one of the highest in the world, and noting that harsh socio-economic conditions already existed upon implementation of the package. These conditions are illustrated by recent research connecting the rise of populism to the several adverse shocks negatively affecting less skilled and less wealthy households alike, notably automation and globalization, while dramatically increasing incomes at the top end of the distribution (Autor et al., 2016; Colantone and Stanig, 2018).[6]

These triggers have been amplified by sociological factors, including the need to belong to a community and be visible and the loss of cultural identity in disadvantaged areas. The distinction between rural (peripheral) and urban living areas, although broad, is interesting here, for the yellow vests movement emerged from within peripheral cities that serve predominantly rural hinterlands. Métropolisation has cut French society in two.[7] Places that globalization has transformed into dynamic urban areas and la France périphérique, where households live far from public and transportation services, spend more on fuel while earning less. Consequently, the incidence of an increase in energy taxes, ceteris paribus, is more effective and harsher for households in these peripheral areas, keeping in mind that car fuel expenditure is 4% higher for the bottom 20% households in rural areas than for urban ones, whereas their monthly income is 3% less.

The question is thus: would it have it been possible to make the package fairer? Our answer is yes, and there are examples to guide a much-needed revision. California implemented a progressive subsidy targeting disadvantaged areas and low- to middle-income households. The large positive impact of such a policy suggests that progressive subsidies can be perceived by individuals as fairer and be more effective than flat ones in terms of creating a mass market for EVs.[8] Indeed, wealthier households are likely to buy an EV even in the absence of a subsidy or in response to steady increases in gasoline prices.[9]

The benefits of progressive subsidies associated with greener cars can be magnified by targeted industrial policies favouring local producers and thus potentially creating jobs in the EU. Policymakers can also envisage clauses for local input content. Another key element is the timing of the subsidy. To enhance the local benefits, a gradual increase of the subsidy over time would likely allow the European automotive industry to have enough time to make investments to adapt to the new regulation, akin to the euro 6 emission standards policy, which gives an appropriate lead time to the industry for introducing technical developments.

We do not want to exaggerate our claims. There is a major obstacle to EV adoption, namely ‘range anxiety’, or the idea that consumers are sensitive to the limited range of an EV (e.g., the stressful situation of the battery running low and the need to drive a longer distance than the EV is usually capable of). This problem is well documented in the 2019 paper by Noel, L. et al., “Fear and loathing of electric vehicles: The reactionary rhetoric of range anxiety,” Energy Research & Social Science, Vol. 48, pp. 96-107. Furthermore, EVs are just one part of the solution; investment in public transportation and urban management are equally important ways to tackle the energy transition while still reducing inequality.

To conclude, we argue that the much-needed political debate ignited by the yellow vests could be considered a unique opportunity for the ruling parties in EU countries to combine the various energy ‘transitions’ with job creation and an increase in perceived or even actual fairness and social security in la France périphérique. Imposing a clause of local-content seems a politically feasible option to grasp the full benefits of a big subsidy push for EVs and other investments in low-carbon transportation infrastructures. The question of how to account for differences between geographical areas when implementing the energy transition is of much importance. France’s current Great National Debate on constitutional issues, taxation and the country’s transition to a low-carbon economy will perhaps offer a step in addressing those issues as well as the main question of who should be in the front line to pay for this energy transition.

 

Acknowledgments: I would like to thank Francesco Vona for having initiated this small project. I am also grateful to the editor and Paul Malliet who reviewed it, as well as Adam Cutforth, Bodo Steiner and Sarah Guillou for their suggestions for improvements. Any remaining errors are the author’s.

[1] Symbolically linked to the plight of the motorist and commuter, since it is compulsory to have such a yellow vest in every vehicle.

[2] See Vona, F. (forthcoming), “Job losses and the political acceptability of climate policies: why the job killing argument is so persistent and how to overturn it”, Climate Policy.

[3] See Mehling, M., 2018. “Emmanuel Macron’s carbon tax sparked gilets jaunes protests, but popular climate policy is possible”, The Conversation, December 10th.

[4] Based on figures made available by the French Ministry of Ecology, the carbon tax on gasoline was supposed to increase by 2.4 cents (€) in 2019, while that on diesel was supposed to increase by 2.7 cents. The higher increase in the tax on diesel reflects the recent government decision to harmonize the overall taxation of diesel fuel and gasoline as an incentive to reduce consumers’ purchasing of diesel cars because of environmental pressure, perhaps also related to the Volkswagen scandal.

[5] Long-run responses are generally of a higher magnitude. See Collet, R., de Lapparent, M., Hivert, L., 2015, “Are French households car-use addicts? A microeconomic perspective,” in the Journal of Behavioral and Experimental Economics, Vol. 54, pp. 86-94, for a recent study on car fuel elasticities.

[6] Autor, D., Dorn, D., Hanson, G., Majlesi, K., 2016. “Importing political polarization? The electoral consequences of rising trade exposure.” NBER Working Paper No. 22637, September; and, Colantone, I., Stanig, P., 2017. “The trade origins of economic nationalism: Import competition and voting behavior in Western Europe.” American Journal of Political Science, Vol. 62, pp. 936-953.

[7] See Caldwell, C., 2017. “The French fracture.” New Statesman, pp. 30-35. Some writers suggest a further triggering event, in 2013 when Bonnets rouges (“red caps”) protesters forced François Hollande’s government to back away from levying a ‘carbon tax’ on heavy trucks, revealing French drivers’ resistance to environmentally-related taxes

[8] Muehlegger, E., Rapson, D., 2018. “Subsidizing mass adoption of electric vehicles: quasi-experimental evidence from California.” NBER Working Paper No. 25359, December.

[9] An even more ambitious plan would be to make progressive subsides to EVs a pan-European flagship policy to fight climate change, by financing it with a very small EU tax on wealth whose budget will be entirely devoted to greening the automotive industry.




Pouvoir d’achat : une prime pour l’activité … à temps plein

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

Dans son allocution du 10 décembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Cet engagement a conduit le gouvernement à augmenter la prime d’activité[1] de 90 euros pour un salarié percevant un revenu d’activité équivalent à un SMIC à temps plein, la différence avec l’annonce présidentielle étant couverte par la hausse légale annuelle du SMIC.

Les bénéficiaires de la prime d’activité devraient percevoir dès le début du mois de février les premiers effets de cette mesure. Selon nos estimations, celle-ci a pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre de ménages éligibles à la prestation, celui-ci passant de 3,9 à 5,1 millions. Si le taux de non recours des nouveaux éligibles est identique au taux observé avant la revalorisation, c’est-à-dire (21%), le coût budgétaire de la mesure serait de 2,3 milliards d’euros, une estimation inférieure à celle du gouvernement qui est de 2,6 milliards.

Afin de cibler la hausse de la prime d’activité autour des actifs gagnant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la mesure augmente le montant de la bonification individuelle et étend le nombre de bénéficiaires. Désormais, la bonification individuelle sera perçue à partir de la perception de revenus individuels équivalant à 0,5 SMIC mensuel et atteindra un montant maximal à 1 SMIC (alors qu’avant elle atteignait son niveau maximal à 0,8 SMIC). Par ailleurs, le montant maximal de la bonification est augmenté de 90 euros par mois. Ainsi, la décision de revaloriser la bonification individuelle et non le montant forfaitaire réduit, voire élimine, les gains pour les salariés aux durées de travail faibles au cours du mois. Le graphique 1 montre l’évolution de la prime d’activité à la suite des décisions du mois de décembre pour un individu célibataire, sans enfant et sans forfait logement.

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Notons également qu’avant ces annonces, au cours de l’année 2018, la prime d’activité a été l’objet d’évolutions impactant le pouvoir d’achat des bénéficiaires et pour certaines d’entre elles à contresens des mesures annoncées dans le cadre de la Loi de mesures d’urgence économiques et sociales. Si, au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois, des modifications techniques sont intervenues pour réduire l’impact budgétaire de cette revalorisation : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité. En cumulant l’ensemble des mesures, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient voir le montant de leur prime s’accroître d’en moyenne de 60 euros par mois en 2019 par rapport à 2018 (tableau).

 

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L’augmentation de la prime d’activité devrait augmenter le niveau de vie de nombreux ménages de la première moitié de la distribution. Rapportés aux niveaux de vie des ménages, les gains à attendre ne devraient pas dépasser 1,2% par vingtile. Entre les 2e et 6e vingtile (soit le tiers des ménages les plus modestes hors 5% les plus pauvres), plus d’un quart des ménages devrait être concernés par l’augmentation de la prime d’activité pour un gain moyen compris entre 1% et 1,2% de leur niveau de vie. A contrario, au sein des 30% de ménages les plus modestes, deux ménages sur trois ne devraient pas bénéficier des mesures touchant à la prime d’activité.

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[1] La prime d’activité est un complément de revenus d’activité s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes.




L’immatérialité de l’investissement des entreprises françaises

par Sarah Guillou

Dans le billet sur la singularité immatérielle de l’investissement des entreprises en France du 26 octobre 2018, il était mis en évidence l’importance des investissements dans les actifs immatériels des entreprises en France. En comparaison de ses partenaires, semblables en matière de spécialisation productive, l’économie française investit relativement plus dans la Recherche et Développement, les logiciels, les bases de données et autres éléments de la propriété intellectuelle. Sur un total de la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF) hors construction, la part des investissements immatériels atteint 53% en 2015, alors que cette part est de 45% au Royaume-Uni, 41% aux Etats-Unis, 32% en Allemagne et 29% en Italie et en Espagne.

Ces résultats sont corroborés par des statistiques qui évaluent d’autres dimensions (base INTAN), hors comptabilité nationale, des investissements immatériels, tels que ceux dans l’organisation, la formation, le marketing. La France ne se laisse pas distancer par ses partenaires dans ce type d’actifs non plus (voir Guillou, Lallement et Mini, 2018).

De son côté, la comptabilité nationale recense deux actifs immatériels principaux : les dépenses en R&D et les dépenses en logiciels et bases de données. En matière de R&D, les performances d’investissement françaises sont cohérentes avec le niveau technologique et la structure de la spécialisation de la production. Si l’économie française avait un secteur manufacturier plus important, ses dépenses en R&D seraient encore bien plus importantes. Ce qui est moins cohérent, c’est l’ampleur et l’intensité de ses investissements en logiciels et bases de données, au point de se demander si la dimension immatérielle des investissements ne frôle pas l’irréel.

Le graphique 1 montre que la destination « Logiciels et bases de données » est plus importante en France que dans le reste des pays européens. Cette part reste cependant proche des parts observées au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Bien évidemment, cette part est le miroir de la faiblesse d’autres destinations des investissements telles que les machines et équipements propres au secteur manufacturier (voir le précédent billet sur l’investissement).

Graphe1_postGuillouEn taux d’investissement, c’est-à-dire quand on rapporte la dépense d’investissement à la valeur ajoutée de l’économie marchande, le dynamisme de l’économie française en matière de logiciels et bases de données est confirmé : la France distance nettement ses partenaires.

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Cette distance interroge car elle révèle un écart de 2 points de pourcentage de la VA relativement aux Etats-Unis et de 3 points relativement à l’Allemagne. Les entreprises françaises investissent 33 milliards d’euros en plus en logiciels et base de données que ne le font les entreprises allemandes en 2015. Pour rappel, le total hors construction de la FBCF est de 285 milliards d’euros en Allemagne et 197 milliards d’euros en France en 2015. Par ailleurs, l’écart de taux d’investissement sur l’ensemble des types d’actifs en France est de 4 points de pourcentage vis-à-vis de l’Allemagne (voir Guillou, 2018, page 20).

Cette distance ne s’explique qu’aux conditions , (i) d’une part que la fonction de production de l’économie française utilise plus de logiciels et bases de données que ses partenaires, ou (ii) d’autre part que le poste de la FBCF en logiciels et bases de données soit artificiellement valorisé par rapport aux pratiques en cours chez ses partenaires, ce qui pourrait être le cas, soit parce que l’immobilisation des logiciels est plus importante en France (les entreprises peuvent choisir de porter la dépense en logiciels en dépenses courantes), soit parce que la valeur d’immobilisation est plus importante (ce qui est possible parce qu’une partie de cette valeur, celle des logiciels produits en interne, est à la discrétion des entreprises).

La compréhension de cette distance est un enjeu considérable car elle est déterminante pour poser le diagnostic sur l’état de l’investissement des entreprises françaises et sur l’état de sa numérisation (voir Gaglio et Guillou, 2018). La valeur agrégée macroéconomique de la FBCF inclut la FBCF en logiciels, si elle est surestimée, cela a des conséquences sur l’équilibre macroéconomique et la contribution de la FBCF à la croissance. La mesure de la productivité totale des facteurs serait aussi affectée car une surestimation du capital (alimenté par l’investissement) conduit à sous-estimer le progrès technique résiduel. Donc, non seulement on surestimerait l’effort d’investissement des entreprises françaises mais en outre on manquerait le diagnostic sur la nature de la croissance.

Or il existe des raisons de s’interroger sur la réalité de cette différence. Autrement dit ne faut-il pas comprendre l’immatérialité de la FBCF comme un défaut de réalité ?

D’une part, il n’est pas manifeste que la spécialisation productive française justifie un tel surinvestissement dans les logiciels et bases de données. Par exemple, la comparaison avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, les Etats-Unis et l’Espagne, montre une spécialisation assez proche à l’exception du secteur manufacturier beaucoup plus présent en Allemagne. La part du secteur « Information et Communication » dans lequel se situe les services numériques est bien corrélée avec la FBCF en logiciels, mais ce secteur n’est pas nettement plus présent en France. Il représente 6,5% de la valeur ajoutée de l’économie marchande contre 6% en Allemagne et 8% au Royaume-Uni (voir Guillou, 2018, page 30).

D’autre part, les données des tables input-output sur la consommation par branche de biens et services en provenance du secteur des éditions numériques (58) — secteur qui concentre la production de logiciels — ne corroborent pas la supériorité française. Les graphiques suivants montrent, qu’il s’agisse des consommations domestiques (graphique 3) ou importées (graphique 4), que les consommations intermédiaires en services numériques en France ne consacrent pas la domination française constatée pour la FBCF en logiciels et bases de données. Ces deux graphiques montrent, au contraire, que l’économie française n’est pas spécialement consommatrice d’inputs en provenance du secteur des éditions numériques et même que sa consommation domestique a diminué.

Si le recoupement entre « logiciels et bases de données » d’une part et « services des éditions numériques » d’autre part n’est pas parfaitement identique, il ne devrait pas y avoir de contradiction dans les tendances ni dans les hiérarchies entre pays. Sauf à ce que la dépense en logiciels soit principalement constituée de logiciels produits en interne et dans ce cas, elle sera inscrite en immobilisation mais pas en consommation d’inputs en provenance d’autres secteurs.

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En conséquence, l’investissement en logiciels et bases de données serait principalement le résultat de production en interne, dont la valeur d’immobilisation (qui les inscrit en FBCF) est déterminée par les entreprises elles-mêmes. Doit-on en conclure que la FBCF est survalorisée ? La question est légitime. Elle appelle de plus précises investigations par secteur investisseur et consommateur afin d’évaluer l’ampleur de la surévaluation relativement aux économies comparables à la France.

 

Références

Gaglio C. et Guillou S. , 2018, Le tissu productif numérique en France, Juillet Policy Brief 36, 12 Juillet, OFCE

Guillou S., 2018, En quoi la dépense des entreprises françaises est-elle énigmatique ?, Document de travail OFCE, 2018-42.

Guillou S., P. Lallement et C. Mini, 2018, L’investissement des entreprises françaises est-il efficace? Les Notes de la Fabrique, 26 octobre.




Brexit : le jeu de la poule mouillée

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni devrait quitter l’UE. Mais plus de 2 ans et demi après le vote des Britanniques pour une sortie de l’UE, rien n’est réglé. L’accord de retrait et la déclaration politique négociés par l’UE-27 et le gouvernement britannique et approuvés lors du Conseil européen du 25 novembre 2018[1] ont été massivement rejetés par le parlement britannique le 15 janvier 2019 (432 voix contre, 202 voix pour). Le 29 janvier, le parlement britannique a voté deux amendements : l’un refusant une sortie sans accord, l’autre demandant à Theresa May de rouvrir les négociations avec l’UE sur la question de la frontière irlandaise. L’UE-27 a immédiatement répliqué que cela n’était pas envisageable. Face à la menace d’une sortie sans accord, un No Deal, que ni l’UE-27, ni le gouvernement et le Parlement britannique ne souhaitent, qui calera le premier ? L’UE-27, qui accepterait de renoncer à un filet de sécurité irlandais sans date limite de sortie ? Le Royaume-Uni, qui resterait dans l’Union douanière ?

La négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE était obligatoirement difficile puisque l’objectif de l’UE-27 ne pouvait être de trouver un accord avantageux pour le Royaume-Uni, mais, au contraire, de faire un exemple, de montrer que sortir de l’UE a un coût important et ne permet pas de définir une autre stratégie économique. Le Royaume-Uni voulait à la fois pouvoir s’abstraire des réglementations européennes, pouvoir signer des accords commerciaux avec les pays tiers tout en conservant l’accès au Marché unique. Pour l’UE-27, le risque était qu’une fois sorti, le Royaume-Uni devienne un paradis fiscal et réglementaire, qui aurait pu être un cheval de Troie pour les entreprises américaines ou asiatiques.

Mais c’est la question de la frontière irlandaise qui a cristallisé les difficultés du Brexit. L’accord du 25 novembre prévoit en effet que pour éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du nord et la République d’Irlande, un filet de sécurité s’appliquera (le backstop) : le Royaume-Uni restera membre de l’Union douanière, si aucun autre accord n’a été conclu avant la fin de la période de transition, et ce, tant qu’un accord n’aura pas été conclu, c’est-à-dire de façon possible pendant une période indéfinie. Le Royaume-Uni n’aura pas le droit d’appliquer une politique commerciale différente de celle de l’Union. Les produits britanniques entreront librement dans le marché unique, mais le Royaume-Uni s’alignera sur les dispositions européennes en matière d’aides publiques, de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité. De plus l’Irlande du Nord continuera de s’aligner sur les règles du marché unique en matière de TVA, droits d’accise, règles sanitaires.

Une majorité de parlementaires britanniques sont opposés à ce backstop, pour deux raisons principales. Tout d’abord, il serait susceptible d’aboutir à un traitement de l’Irlande du Nord différent de celui du reste du Royaume-Uni, ce à quoi s’oppose particulièrement le parti unioniste irlandais (DUP), qui permet au gouvernement conservateur de Theresa May d’avoir la majorité absolue au parlement. De plus, pour les Brexiters, le caractère illimité dans le temps du backstop, qui empêcherait le Royaume-Uni de quitter l’union douanière sans accord de l’UE, pose aussi problème. Car en vertu de l’accord, le Royaume-Uni pourrait rester dans l’union douanière de façon permanente, ce qui interdirait des négociations commerciales avec des pays tiers, de s’éloigner des réglementations européennes, de se lancer dans une politique de dérégulation qui pourrait faire du Royaume-Uni un paradis fiscal et réglementaire. Certains Brexiters, dont Dominic Raab, étaient en faveur de limiter le backstop dans le temps (par exemple jusqu’à la fin de la période de transition). L’intransigeance de l’UE-27 sur le backstop dans le temps avait d’ailleurs conduit Dominic Raab à démissionner de son poste de ministre en charge du Brexit à la mi-novembre.

Le 15 janvier 2019, les parlementaires travaillistes ont voté contre le projet d’accord, même les partisans d’un soft brexit, tel que le Traité l’organise. Les travaillistes espèrent depuis de nombreux mois mettre le gouvernement en minorité et provoquer des élections anticipées qui leur permettraient de revenir au pouvoir. Ils prétendent qu’ils reprendraient ensuite les négociations, se faisant fort de parvenir à un accord meilleur pour le Royaume-Uni, qui lui permette à la fois de bénéficier « des mêmes avantages qu’actuellement en tant que membres de l’union douanière et du marché unique » et de contrôler les flux migratoires, mais l’UE-27 refuse nettement toute reprise des négociations. Rester membre du Marché unique impliquerait d’accepter la souveraineté de la CJUE de renoncer au contrôle des flux migratoires, à la possibilité de conclure des accords commerciaux avec les pays tiers. Le Royaume-Uni devrait se plier aux règles européennes sans avoir la moindre influence à Bruxelles.

Theresa May présentera au parlement britannique les résultats de ses demandes de renégociation du backstop avec l’UE-27 le 13 février prochain. Quatre issues semblent également envisageables aujourd’hui, mais aucune n’est jugée acceptable à la fois par le Royaume-Uni et l’UE-27 :

  • L’UE-27 accepterait de discuter rapidement de nouveaux arrangements pour remplacer le backstop. Il n’y aurait pas de frontière physique, mais des enregistrements des marchandises dans des bureaux de douane en Irlande et Irlande du Nord, des patrouilles de douaniers, des contrôles phytosanitaires à l’arrivée des bateaux dans les ports et aéroports de l’île d’Irlande. Mais le Royaume-Uni n’échappera pas au choix entre libre entrée de ses produits dans le marché unique et libertés douanière et réglementaire.
  • Le Royaume-Uni demanderait un report de la date de sortie de l’UE. L’UE-27 n’y serait pas opposée en principe, mais à condition que les Britanniques envisagent des propositions susceptibles d’être acceptées par l’UE-27, ce qui n’est pas le cas actuellement.
  • Un nouveau référendum pourrait être organisé, susceptible de défaire le premier et de laisser le Royaume-Uni dans l’UE. Jusqu’à présent, le gouvernement britannique reste ferme sur le point qu’un nouveau référendum serait un affaiblissement de la démocratie et ne ferait qu’accroître les divisions entre Britanniques. Il faudrait aussi s’entendre sur la question qui serait soumise aux électeurs entre rester dans l’UE, sortir sans accord, sortir avec l’accord du 25 novembre, renégocier. Par ailleurs, il ne serait guère porteur pour l’UE que le RU y reste finalement de mauvaise grâce.
  • Le No Deal n’est souhaité par personne, mais c’est la solution par défaut. Dans cette situation, les préparations dans la perspective d’une sortie sans accord s’intensifient au Royaume-Uni comme dans l’UE.

No deal : quels impacts macroéconomiques à court terme ?

La non-ratification entraînerait une sortie sans accord. Nous écartons les scénarios catastrophes où les échanges seraient immédiatement paralysés ; où les accords en matière de transports aériens, maritimes ou ferroviaires seraient rompus ; où des visas seraient établis ; où les diplômes et autres permis de conduire ne seraient plus reconnus. Selon le scénario le plus noir envisagé par la Banque d’Angleterre fin novembre (Banque d’Angleterre, 2018), la chute du PIB britannique pourrait atteindre 10,5 % en un an dans le cas d’une sortie sans accord ni période de transition. Mais l’intérêt des deux parties serait un accord minimal de sorte que des dispositifs provisoires évitent ces ruptures brutales. Et depuis plusieurs mois le Royaume-Uni comme les pays de l’UE-27 mettent en place des plans d’action d’urgence qui éviteront une sortie chaotique.

En cas de sortie sans accord, les deux pays devront respecter les principes de l’OMC. L’UE devra appliquer des droits de douane aux produits britanniques et les britanniques aux produits européens, du moins tant qu’un accord de libre-échange n’est pas signé (sinon, tous les pays tiers pourraient demander le même régime). Ces droits de douane seraient faibles en moyenne, de l’ordre de 3 à 4 %, compte tenu de la structure des échanges, mais importants dans certains secteurs (céréales, viande, …).

Jusqu’à présent, les marchés financiers n’envisagent pas non plus de sortie chaotique : l’indice FTSE-All Share a évolué comme les autres grandes bourses européennes (baisse au second semestre 2018 et légère reprise en janvier 2019) ; le taux de change livre-euro fluctue entre 1,10 et 1,15 depuis la fin novembre ; le taux des obligations publiques à 10 ans britanniques a légèrement baissé, passant de 1,4 % fin novembre à 1,3%, soit un écart restant de l’ordre 1,1 point avec le taux allemand.

Dans sa prévision publiée le 6 février, le NIESR (Hantzsche et al., 2019) retient comme scénario central celui d’un soft Brexit, qui conduirait à une croissance de 1,5 % du PIB britannique en 2019, ce qui est similaire à la prévision de l’OFCE d’octobre 2018, et de 1,7 % en 2020 (soit un peu plus que la prévision de l’OFCE, à 1,5 %). En cas de No deal, le NIESR présente deux simulations réalisées à l’aide du modèle NiGEM : dans la première, en l’absence de réaction de politique économique, la croissance du PIB serait de 0 % en 2019 et en 2020 ; dans la deuxième, la politique monétaire et la politique budgétaire interviendraient pour soutenir l’activité, ce qui porterait la croissance du PIB à 0,3% en 2019 et la ramènerait à 1,7% en 2020, soit un coût à court terme du No deal de l’ordre de 1,2%.

Brexit : quels impacts macroéconomiques à long terme ?

De nombreuses études ont cherché à évaluer l’impact à long terme du Brexit (pour une revue de littérature récente, voir par exemple : Tetlow et Stojanovic, 2018, Mathieu, 2018). La plupart des études estiment que l’impact sera négatif pour l’économie britannique, à l’exception notable de celles des économistes libéraux (Leave Means Leave et al., 2017). Le tableau présente les impacts à long terme sur le PIB selon les études les plus souvent citées, l’impact à long terme allant de quasiment 0, dans le cadre d’un accord de libre-échange (Felbermayr et al., 2017) à -13,3% dans le cas d’un accord de type OMC (Dhingra et al., 2017). Les études considèrent généralement que même un accord de libre-échange, sans droits de douane, mettrait des barrières non tarifaires aux échanges, en particulier aux chaînes de production internationales. Leur analyse se déroule généralement en trois étapes. Dans une première phase, elles utilisent un modèle de gravité pour évaluer la réduction des échanges qu’induirait la sortie du Royaume-Uni du marché unique, en tenant compte des barrières tarifaires, des barrières non tarifaires et des gains potentiels d’accords de libre-échange avec des pays tiers. Dans une deuxième phase, elles utilisent un modèle d’équilibre général calculable (MEGC) pour évaluer les pertes d’efficacité, induites par ces barrières, par la réduction des échanges, par la diminution de la taille de la production (pertes de gain d’économies d’échelle), par la moindre intensité de la concurrence. Ces pertes d’efficacité se traduiraient par des pertes de PIB. Dans une troisième phase, certaines études y ajoutent des effets dynamiques : la moindre ouverture économique (en termes d’échanges commerciaux et d’investissements directs étrangers) réduirait l’incitation à innover, la capacité à importer les innovations technologiques, donc la croissance de la productivité du travail, et par conséquent pas seulement le niveau, mais aussi le taux de croissance du PIB.

En règle générale, les effets statiques obtenus avec un MEGC sont relativement faibles puisque ces modèles font les hypothèses de maintien du plein emploi et d’une forte flexibilité entre les secteurs économiques. Par ailleurs, on peut penser que les études surestiment en général l’impact du Brexit dans la mesure où elles supposent une totale symétrie (les pertes à la sortie du marché unique sont évaluées à partir des gains à l’entrée) en oubliant les effets d’hystérèse ; elles prennent mal en compte la volonté des Britanniques de s’ouvrir sur le « grand large », en particulier vers les États-Unis, la Chine et les pays du Commonwealth. Les effets dynamiques inscrits dans les modèles sont toujours très forts mais ils n’ont guère de base empirique : le ralentissement constaté des gains de productivité dans les pays développés affaiblit la vision d’un fort impact de l’ouverture économique sur les gains de productivité.

Tabe_post07-02-2019_Brexit

Durant les négociations, Theresa May a poursuivi un double objectif : celui de faire sortir le Royaume-Uni de l’UE pour respecter le résultat du référendum de juin 2016, tout en maintenant un partenariat étroit avec l’UE. Mais elle n’est pas parvenue à rassembler une majorité autour d’une stratégie forte et crédible. L’UE27 a pour sa part montré son unité et son intransigeance : sortir de l’UE était pénible et coûteux ; ce n’était pas en fait pas un choix possible. Deux ans et demi après le référendum, la question que pose le Brexit demeure : que faut-il laisser à la souveraineté nationale face à la mondialisation et à la construction européenne ? La réponse n’est pas évidente si l’on considère des questions telles que la concurrence fiscale, la lutte contre le changement climatique, l’immigration, le système social…

Bibliographie

Banque d’Angleterre, 2018, EU withdrawal scenarios and monetary and financial stability – A response to the House of Commons Treasury Committee, novembre.

Dhingra S., H. Huang, G. Ottaviano, J. P. Pessoa, T. Sampson et J. Van Reenen, 2017, « The Costs and Benefits of Leaving the EU: Trade Effects », CEP Discussion Paper, 1478, avril.

Felbermayr G., C. Fuest, J. Gröschl et D. Stöhlker, 2017, « Economic effects of Brexit on the European Economy », Econ Pol Policy Report, 04-2017, novembre.

Felbermayr G., J. Gröschl et M. Steininger, 2018, « Brexit through the Lens of New Quantitative Trade Theory”, mimeo.

FMI, 2018a, Long Term Impact of Brexit on the EU, Euro Area Policies Selected Issues, IMF Country Report 18/224, juillet.

FMI, 2018b, Brexit : Sectoral Impact and policies, United Kingdom Selected Issues, IMF Country Report 18/317, novembre.

Hantzsche A., Kara A. et G. Young, 2019, « Prospects for the UK economy », National Institute Economic Review, février.

Hantzsche A., Kara A. et G. Young, 2018, The economic effects of the government’s proposed deal, NIESR Report, 26 novembre.

HM Treasury, 2016, The long-term economic impact of EU membership and the alternatives, avril.

Kierzenkowski, R., N. Pain, E. Rusticelli, et S. Zwart, 2016, « The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision» OECD Economic Policy Paper 16.

Leave Means Leave, Labour Leave and Economists for Free Trade, 2017, New Model Economy For A Post-Brexit Britain.

Mathieu C., 2018, Brexit : Le prix de la liberté, Mimeo.

Rojas-Romagosa H., 2016, « Trade effects of Brexit for the Netherlands », CPB Background Paper, juin.

Tetlow G. et A. Stojanovic, 2018, Understanding the economic impact of Brexit, Institute for Government, octobre.

Note

[1] Pour une présentation de l’accord, voir : Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak « Brexit : l’accord du 25 novembre », OFCE Le Blog, 30 novembre 2018 – https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/10652-2/




Les Allemandes travaillent moins que les Françaises

par Hélène Périvier et Gregory Verdugo

Vues depuis le taux d’emploi, les femmes françaises travaillent moins que les femmes allemandes : en 2017 le taux d’emploi des femmes âgées de 15 à 64 ans était de 67,2% en France contre 75,2% en Allemagne. Mais cet indicateur couramment utilisé ignore que les femmes allemandes mobilisent plus le temps partiel que les françaises pour articuler leurs temps. Ceci tient au fait que le sous-emploi et la régulation du marché du travail diffèrent dans les deux pays, avec en particulier une offre abondante de mini jobs à temps partiel en Allemagne qui affecte davantage les femmes que les hommes. Par ailleurs, les différences en termes de politiques d’articulation vie familiale-vie professionnelle dans les deux pays permettent une prise en charge de la petite enfance plus étendue en France qu’en Allemagne et induisent un recours au temps partiel par les Allemandes.

Pour comparer la situation de l’emploi des femmes en France et en Allemagne, nous utilisons des indicateurs qui prennent en compte le temps de travail, que nous calculons par âge pour illustrer une perspective de cycle de vie[1]. Les résultats confirment que les Allemandes travaillent davantage à temps partiel que leurs homologues françaises et ceci est particulièrement marqué aux âges de la maternité. Ces différences de temps de travail des femmes expliquent que les écarts de salaires hommes/femmes soient plus élevés en Allemagne qu’en France.

Taux d’emploi et taux d’emploi en équivalent temps plein par âge

Comparer les taux d’emploi et taux d’emploi en équivalent temps plein au cours du cycle de vie met en évidence les différences importantes entre les deux pays en ce qui concerne la baisse du temps de travail des femmes aux âges pendant lesquels la contrainte familiale est la plus forte entre 30 et 40 ans. Les graphiques 1a et 1b montrent les taux d’emploi et taux d’emploi en équivalent temps plein par âge pour les femmes en 2010, date à laquelle les pays européens devaient avoir atteint un taux d’emploi des femmes de 60% selon la Stratégie européenne de l’emploi (SEE). Les graphiques 2a et 2b montrent ces mêmes indicateurs pour les hommes.

Si l’on se restreint aux taux d’emploi, les modèles semblent similaires dans les deux pays : l’évolution des taux d’emploi sur le cycle de vie pour les femmes est assez proche, il en est de même pour les hommes (à l’exception des âges d’entrée et de sortie dans la vie active qui diffèrent pour les deux sexes entre les deux pays). En Allemagne comme en France, le taux d’emploi des femmes est élevé mais l’écart avec celui des hommes augmente entre 30 et 40 ans (courbes en trait plein).

Dès lors que l’on tient compte du temps partiel, il apparaît que la division sexuée du travail est beaucoup plus marquée en Allemagne comparée à la France (courbes en pointillés) [2].

À tous les âges, le taux d’emploi en équivalent temps plein des femmes est plus faible en Allemagne qu’en France (alors que pour les hommes il est proche du taux d’emploi et ceci pour les deux pays). À partir de 30 ans, le taux d’emploi en équivalent temps plein des femmes passe sous la barre des 60% en Allemagne alors qu’en France il est supérieur à 65%. Les Allemandes ajustent donc d’avantage leur temps de travail au moment où les contraintes familiales sont fortes. Pour les hommes, les taux d’emploi en équivalent temps plein sont proches des taux d’emploi à tous les âges dans les deux pays.

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Graphes2a-2b_post04-02Écart de salaire global : le poids du temps de travail

Le recours massif au temps partiel par les femmes en Allemagne relativement à la France explique une part importante des écarts de salaires qui y sont plus élevés. L’indicateur global d’écart de salaire calculé par Eurostat[3] montre que l’écart de salaire global est beaucoup élevé en Allemagne (45% contre 31% en France), et que ceci est principalement dû aux écarts de temps de travail. En moyenne les Allemandes travaillent 122 heures par mois contre 144 pour les Françaises ; le taux de salaire horaire moyen étant comparable (tableau)

Tabe_post04-02-2019Ainsi les politiques visant l’égalité professionnelle ne peuvent pas laisser de côté la question du temps de travail et de la qualité des emplois occupés par les femmes. Il semble que de ce point de vue la France soit meilleure élève que l’Allemagne, même si beaucoup reste à faire en la matière.

 

 

[1] Ce post de blog est tiré de : « La stratégie de l’Union européenne pour promouvoir l’égalité professionnelle est-elle efficace ? », Périvier H. et G. Verdugo, Revue de l’OFCE, n°158, 2018.

[2] Les taux d’emploi en équivalent temps plein ont été calculés à partir des Enquêtes sur les forces de travail européennes. Chaque emploi est pondéré par le nombre d’heures travaillées. Un emploi à temps plein est défini comme un emploi dont le nombre d’heures travaillées est supérieur ou égal à 35. Si le nombre d’heures est compris entre 25 et 34, nous assignons un poids de 75% d’un emploi à temps plein, un poids de 50% si le nombre d’heures est compris entre 15 et 24, et un poids de 25% si le nombre d’heures est inférieur à 14 heures de travail.

[3] L’ERG calculé par Eurostat correspond à l’écart de rémunération moyen pour l’ensemble de la population.