Les sanctions européennes contre la Russie : quelles répercussions sur les importations françaises ?

par Aya Elewa et Sarah Guillou

Après 12 mois de conflit, la guerre russo-ukrainienne n’a pas encore trouvé d’issue et les relations commerciales avec la Russie vont rester encore longtemps compliquées. Bien que de nombreuses entreprises se soient mises en retrait volontairement de leurs liens commerciaux avec la Russie, d’autres ont été contraintes par les sanctions décidées par l’Union européenne de se tourner vers d’autres fournisseurs. Or, certains produits importés de Russie sont critiques, comme le titane ou le gaz, et parfois tels que la Russie est en position de quasi-monopole. Une partie des sanctions interdisent purement et simplement les importations de certains produits en provenance de Russie.



Que représentent ces entraves au commerce pour la production française en termes d’importations ? Combien d’entreprises françaises sont directement concernées[1] ?

Des importations françaises gouvernées par les énergies fossiles

La France a importé en 2021 pour 9 milliards d’euros de marchandises en provenance directe de Russie[2]. Ces importations couvraient plus de 2 000 catégories de produits (en niveau à 8 chiffres de la nomenclature harmonisée, NC8) et étaient le fait de 2 944 entreprises résidentes. En une décennie, si la valeur totale importée a diminué d’un tiers, le nombre d’entreprises qui s’approvisionnent en Russie et le nombre de produits concernés ont quasiment doublé. En 2011, 1 656 entreprises importaient 1 301 produits pour une valeur de 13 milliards d’euros.

Remarquons que les importations en provenance de Russie ne représentent qu’une faible part des importations françaises de marchandises : 2,8% en 2011 et 1,6% en 2021. La Russie était en 2021 le 12e fournisseur de la France et son 15e client à l’exportation.

Notons par ailleurs, comme cela a été souligné par d’autres auteurs (voir notamment Bellora et al. 2022), que les importations de gaz naturel ne sont pas correctement (voire pas du tout) enregistrées dans les données de commerce en raison de leur transport par gazoduc (sans arrêt aux frontières) et leur nature confidentielle. Ainsi dans les statistiques douanières de la DGDDI que nous utilisons au niveau firme-produit, les importations de gaz à l’état gazeux ne sont pas reportées.

Selon la base de données sur les échanges d’énergie d’Eurostat, la France a importé en 2021 de Russie en volume, 22% de son gaz naturel (qu’il soit gazeux ou liquéfié) et 18,8% de son pétrole. Pour le gaz naturel à l’état gazeux, les statistiques agrégées des douanes françaises donnent un montant importé de 11,4 milliards d’euros, qui a plus que doublé en 2022. En supposant un prix du gaz homogène selon les provenances, les 22% représentent une valeur de 2,5 milliards d’euros pour le gaz à l’état gazeux[3]. Dans ce qui suit, notre étude exclut les importations de gaz naturel à l’état gazeux en provenance de Russie mais inclut le GNL pour une valeur d’environ 900 millions d’euros.

Ceci étant posé, le graphique 1 montre l’évolution de la valeur des importations de marchandises en provenance de la Russie dans la dernière décennie ainsi que l’évolution du prix du baril de pétrole brut. On observe que la valeur des importations est très corrélée à la valeur du pétrole. Cela révèle à la fois l’importance des importations d’énergie fossiles dans le total et la stabilité de la valeur et des volumes des importations des autres produits.

Si on retient un niveau de désagrégation de la définition des produits à 4 chiffres (NC4), plus de 70% des importations de marchandises en provenance de Russie relèvent des énergies fossiles, les 30% restant portent essentiellement sur des produits relevant des autres matières premières.

Alors que le panier de marchandises russes des importations françaises inclut plus de 700 produits (NC4), en 2021, 10 de ces produits représentent 86% de la valeur de ces importations. Dans le graphique 2 sont présentées, pour la France, les parts des 10 premiers produits importés de Russie ainsi que la part de marché de la Russie pour chacun de ces produits (importations russes du produit/ total des importations du produit).

On observe que certains produits ne représentent qu’une faible part des importations en provenance de Russie mais sont cependant tels que la Russie représente un fournisseur de premier plan car détenant une part de marché élevée. La part de marché est un indicateur de dépendance à l’égard du pays de provenance. On peut observer ici qu’il n’y a pas de proportionnalité entre l’importance des produits dans le total des importations en provenance de Russie et le degré de dépendance. Ainsi, l’importation d’huiles provenant de la distillation de houille est très dépendante de la Russie mais ne concerne qu’une petite valeur des importations et très peu d’entreprises importatrices (cinq).

D’autres produits ne faisant pas partie de ces 10 premiers, sont concernés par une part de marché de la Russie au-dessus du seuil de 50%, mais ils sont peu nombreux. le graphique 3 donne le nombre de produits (désagrégation à 8 chiffres) pour lesquels la Russie représente 10, 20, … 90%, 100% des importations totales de ces produits achetés par la France.

On décompte 18 produits pour lesquels la part de marché de la Russie excède 50%. En 2021, les 3 produits dont la part importée de la Russie excède 90% sont surtout des produits alimentaires : outre les pelleteries brutes entières (fourrures), il s’agit du beurre, du lait-crème caillée et des crabes. Si on retient un niveau de désagrégation moins fin, les 2 produits dont la part excède 90% sont : les huiles et autres produits provenant de la distillation des goudrons de houille et les produits ferreux obtenus par réduction directe des minerais de fer.

Des échanges directs très concentrés sur une poignée d’acteurs …

Les entreprises françaises qui s’approvisionnaient en Russie n’étaient pas nombreuses puisqu’elles représentaient 1,5% des importateurs français, mais elles étaient encore moins nombreuses à réellement compter dans les échanges avec la Russie. Rappelons que les échanges commerciaux sont en général très concentrés : toutes provenances confondues, 1% des entreprises importatrices de marchandises (soit 29 entreprises) réalisent 69% de la valeur des importations. Ce qui caractérise les échanges avec la Russie est une concentration encore plus prononcée : 1% des importateurs totalisent 86,7% de la valeur des importations françaises en provenance de Russie toutes marchandises confondues en 2021.

Précisément, les 10 premiers importateurs en 2021 représentent 85,6%. Ces 10 importateurs sont en moyenne de très grandes entreprises : des grandes ETI ou des entreprises de plus de 5000 salariés. Elles importent en moyenne 347 produits de 27 destinations. La Russie n’est donc pas toujours le seul pays de provenance du produit importé de l’entreprise.

Les 10 premières entreprises françaises importatrices de Russie en termes de valeur des importations appartiennent aux secteurs suivants : Raffinage de pétrole Fabrication de matières plastiques de base, Production d’électricité, Commerce de combustibles gazeux par conduite, Commerce de gros de combustibles et de produits annexes, Entreposage et stockage frigorifique, et secteur de courtage de valeurs mobilières et de marchandises. Les cent premières appartiennent principalement aux secteurs Métallurgique, Fabrication de produits métalliques et Commerce de gros puis industrie chimique et Matériels de transport hors automobiles.

… dont une partie en dépend fortement

Au-delà de ces 10 importateurs, le graphique 4 présente le pourcentage d’importateurs pour lesquels la provenance Russie représente 10%, 20%, .. 100% de leurs importations totales.

La plupart des importateurs français échangeant avec la Russie n’en dépendent qu’à hauteur de moins de 10%. Cependant, 8% de ces importateurs en dépendent à plus de 90%. Et cette proportion d’importateurs se montent à 10%, si on choisit un seuil de dépendance minimum de 70%. On observe peu de changements entre 2011 et 2021. Autrement dit, environ 300 entreprises dépendent directement de la Russie dans leur approvisionnement étranger à hauteur de 70% au moins.

Pour être encore plus précises, on réplique le graphique 4 en considérant les importations par produit par entreprise. Un produit peut en effet représenter une faible part des importations totales d’une entreprise mais rester très dépendant de la provenance russe en raison de la position de monopole de la Russie sur ce produit.

La Graphique 5 donne le pourcentage d’importateurs pour lesquels la provenance Russie représente, 10, 20, … 90%, 100% des importations d’un des produits importés par l’entreprise (produits à un niveau de désagrégation à 8 chiffres).

On observe à présent que 54% des entreprises en 2021 (47% en 2011) dépendent à hauteur d’au moins 70% de la Russie pour un de leur produit. Cette proportion reste à près de 50% si on augmente le seuil de dépendance à 90%. Autrement dit, en 2021, près de 1 500 entreprises dépendaient à plus de 90% de la Russie pour au moins un de leur produit.

En revanche si on définit une entreprise dépendante commercialement de la Russie avec un double critère, une part de marché de la provenance Russie de plus de 50% pour au moins un de ses produits et un montant égal à plus de 50% de ses importations, on en dénombre 224 (13,5%) en 2011 et 349 (11,8%) en 2021.

Les sanctions européennes couvrent près de 75% des importations françaises en provenance de Russie

En réponse à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe le 24 février 2022, le Conseil de l’Union européenne a adopté 9 paquets de sanctions – un 10e paquet est attendu le 24 février (pour le premier anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine ) – qui affecteront fortement les échanges commerciaux avec la Russie. Les 2 premiers paquets ont d’abord concerné les exportations vers la Russie afin d’entraver l’économie de guerre (interdiction des biens à usage dual, civil et militaire, et associés à la navigation maritime) et la classe dirigeante aisée (biens de luxe). Puis d’autres importations ont été également touchées, à commencer par l’acier et l’aluminium. Le quatrième paquet du 8 avril 2022 étend à de nombreux autres produits les interdictions d’entrée sur le territoire européen. Ces interdictions couvrent des produits de base, du charbon aux produits de la pêche, alors que d’autres sont soumis à des quotas comme les engrais. Le paquet de sanctions décidées en juin 2022 concerne les importations de pétrole avec l’objectif d’en interdire 90% d’ici la fin de 2022. Les interdictions qui accompagnent ces sanctions sont échelonnées dans le temps afin notamment de permettre la réalisation des contrats signés avant la date des sanctions[4].

Selon l’étude du CEPII de Bellora et al. (2022), à partir de 2023, 65 % des importations de l’Union européenne en provenance de Russie seront interdites, contre 10 % en avril 2022 après le cinquième paquet. Pour la France, nous avons évalué que les produits sanctionnés représentent 45% des produits importés de la Russie et 75% de la valeur des importations en provenance de la Russie (hors gaz naturel à l’état gazeux). Cela représente une valeur d’importation de près de 6,5 milliards d’euros, soit moins de 2% des importations de marchandises de l’économie française. En comparaison, la part de la provenance russe des importations européennes est de 5%.

Le graphique 6 montre la part de la Russie dans les importations des produits sous sanctions où la Russie représente plus de 50%.

Compte tenu des 10 paquets de sanctions adoptés par l’UE, on observe que 6 des 10 premiers produits importés de la Russie, sont à présent des produits interdits à l’importation.

Comment ces séries de sanctions vont-elles affecter les entreprises importatrices françaises ?

Si on s’intéresse aux produits totalement interdits par les sanctions, cela concerne un peu plus de 50 entreprises. Donc si une grande part de la valeur est touchée, cela ne concerne directement que très peu d’entreprises.

La dépendance directe est la partie apparente de l’iceberg

Le plus souvent les entreprises françaises importatrices de Russie sont des fournisseurs d’intrants intermédiaires d’autres entreprises. Des entreprises non importatrices de la Russie achètent à ces importateurs directs. De plus elles peuvent acheter à des fournisseurs étrangers qui se fournissaient en Russie, voire acheter des intrants qui eux-mêmes incorporent des intrants russes. Toute la chaîne de valeur qui passe au moins une fois par la Russie est impactée.

Nous n’avons pas de chiffres sur ces importateurs de rang inférieur mais les tables entrées-sorties issues de la base de données de WIOD (WIOD, 2014) nous permettent de comparer la dépendance directe et la dépendance en cascade. En dépendance directe, pour un euro de production française, 0,001 unité d’euro d’intrant en provenance de Russie est requis. Il s’agit d’une moyenne pondérée, certaines industries sont plus dépendantes de la Russie comme le secteur des raffineries et des industries pétrolières (26 fois plus), le transport aérien ou l’industrie chimique (7 fois plus) ou encore le secteur de l’électricité et du gaz (6 fois plus), les industries des métaux (5 fois plus). Si on tient compte de la dépendance en cascade, les coefficients de dépendance par industries sont multipliés par des facteurs de 2 à 10, suggérant que même quand les entreprises ou industries n’importent pas de Russie directement, leurs autres intrants incorporent des intrants russes.

Le taux de dépendance incluant, en outre, les intrants russes indirects pour l’ensemble des industries est au final de 0,007 (en moyenne pondérée), mais de 0,04 pour le secteur des raffineries et des industries pétrolières ; de près de 0,03 pour l’industrie de la chimie ; 0,026 pour le transport aérien et les industries des métaux de base et de 0,02 pour le secteur de l’électricité et du gaz. Ces chiffres confirment que la dépendance productive est le fait des énergies fossiles et des matières premières que produit la Russie. Ils montrent par ailleurs que la dépendance est bien plus large que l’observation directe des importations en provenance de Russie et donc que l’impact des sanctions est plus large que la valeur des importations directement concernées. Si on retient que 6,5 milliards d’euros d’importations directes sont interdites du fait des sanctions (voir au-dessus), c’est entre 13 et 65 milliards d’euros d’intrants qui sont au final touchés par les sanctions, directement et indirectement, et bien plus que les quelques 3 000 importateurs français de Russie. Selon l’étude des douanes (2022), les importations avec la Russie ont augmenté en 2022 en raison principalement de l’augmentation des prix. Malgré les sanctions, les importations en provenance de Russie pourraient se maintenir notamment parce que les importations de gaz ne sont pas sous sanction. L’année 2023 sera celle où on observera la substitution vers d’autres fournisseurs tout comme l’abandon de certains produits, ce que nous suivrons avec attention.


[1] Sauf mention contraire, cette étude utilise les données de commerce des marchandises par produits et entreprises fournies par la DGDDI. L’accès à ces données a été réalisé au sein d’environnements sécurisés du Centre d’accès sécurisé aux données – CASD (Réf. 10.34724/CASD). 

[2] Les importations de l’UE en provenance de Russie se montaient à 149 milliards d’euros en 2021.

[3] La France importe en volume environ trois fois plus de gaz à l’état gazeux que de gaz liquéfié, ce facteur se vérifiant en 2021 pour le total ainsi que pour les importations en provenance de Russie.

[4] Sur le débat sur l’efficacité des sanctions, voir C. Antonin (2022).




La souveraineté alimentaire

Compte rendu du séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », Cevipof-OFCE, séance n° 9 du 9 décembre 2022

Intervenants : Clément JAUBERTIE (Commission européenne), Thierry POUCH (Chambres d’agriculture France, Laboratoire REGARDS de l’Université de Reims) et Édouard GAUDOT (Green European Journal).

Le séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », organisé conjointement par le Cevipof et l’OFCE (Sciences Po), vise à interroger, au travers d’une démarche pluridisciplinaire systématique, la place de la puissance publique en Europe, à l’heure du réordonnancement de l’ordre géopolitique mondial, d’un capitalisme néolibéral arrivé en fin du cycle et du délitement des équilibres démocratiques face aux urgences du changement climatique. La théorie politique doit être le vecteur d’une pensée d’ensemble des soutenabilités écologiques, sociales, démocratiques et géopolitiques, source de propositions normatives tout autant qu’opérationnelles pour être utile aux sociétés. Elle doit engager un dialogue étroit avec l’économie qui elle-même, en retour, doit également intégrer une réflexivité socio-politique à ses analyses et propositions macroéconomiques, tout en gardant en vue les contraintes du cadre juridique.

Réunissant des chercheurs d’horizons disciplinaires divers, mais également des acteurs de l’intégration européenne (diplomates, hauts fonctionnaires, prospectivistes, avocats, industriels etc.), chaque séance du séminaire donnera lieu à un compte rendu publié sur les sites du Cevipof et de l’OFCE.



1. La perspective économique : le renouveau de l’autonomie alimentaire à l’épreuve des limites de la mondialisation

Thierry Pouch, chef économiste de Chambres d’agriculture France et membre du laboratoire REGARDS de l’Université de Reims, observe le retour de la thématique de la souveraineté alimentaire – car il s’agit bien d’un retour. La mondialisation portait en elle l’effacement des frontières et des États, et donc l’amoindrissement de la souveraineté alimentaire. Nous sommes actuellement dans une phase assez approfondie de segmentation des processus de production (internationalisation des chaînes de valeur) au moyen d’accords de libre-échange afin de tirer vers le bas le prix des produits importés et les coûts de production. La souveraineté alimentaire s’est ainsi retrouvée reléguée au second plan. Les produits agricoles bénéficient, en effet, d’un mouvement général de diminution des droits de douane (du GATT de 1947 au cycle d’Uruguay, 1986-1994, et la naissance de l’OMC) qui vient brouiller la notion de souveraineté alimentaire affichée par les État dans les années 1950-60. Le Sommet mondial de l’alimentation de 1996 à Rome, impulsé par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) fait pourtant ressurgir la notion de souveraineté alimentaire quand l’organisation non gouvernementale Via Campesina[1] soulève le sujet pour les pays en voie de développement. La thématique, toutefois, ne trouve pas beaucoup d’écho parmi les acteurs agricoles européens.

La crise financière de 2008 rebat les cartes avec le retour de problématique de la souveraineté alimentaire (émeutes de la faim), retour confirmé par la pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine. La France prend alors conscience du degré élevé de sa dépendance en matière de protéines végétaless (pour l’alimentation des animaux d’élevage) ainsi que de l’accélération des importations de viande et de volaille, de son déficit désormais structurel en fruits, légumes et engrais et autres intrants (fabriqués à partir du gaz, la Russie détient 16 à 18% du marché mondial des engrais). Le thème de la souveraineté alimentaire a été directement repris dans le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron (2017) ainsi que celui de Rungis (États Généraux de l’Alimentation, 2017) ou, plus récemment, dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne. Les Chambres d’agriculture françaises réaffirment de même le besoin de restaurer la souveraineté alimentaire, consubstantielle de l’autonomie stratégique nationale et européenne. Rappelons que la France demeure le premier pays agricole de l’UE (19% de la production agricole de l’UE).

La souveraineté alimentaire peut se définir comme la faculté de déterminer librement pour un Etat ou un peuple ce qu’il doit produire sur le plan alimentaire. La notion établit un lien entre peuple souverain et production agricole. Le droit à l’alimentation peut se lire ainsi comme une manifestation du retour de l’État-nation souverain.

Trois difficultés se présentent pour la souveraineté alimentaire européenne :

1/ Savoir si l’ensemble des États membres de l’UE convergent pour construire ou réhabiliter une souveraineté alimentaire. Ce processus pourrait-il conduire à franchir une première marche vers l’Europe fédérale ? Au niveau français, s’agit-il d’une souveraineté alimentaire globale (toutes les filières) ou ne concernant que certaines filières en difficulté (fruits et légumes, dont la balance commerciale française est en déficit structurel), quitte à laisser tomber certains secteurs selon une logique d’avantage comparatif ;

2/ Desserrer un certain nombre de contraintes d’approvisionnement (notamment les protéines végétales importées du Brésil et des États-Unis pour le soja et le tourteau de tournesol, d’où l’enjeu de mettre en place un plan protéine visant l’autonomie protéique). Mais selon quelles modalités agronomiques et quels régimes d’aides agricoles ? Personne n’a oublié l’accord avec les États-Unis du début des années 1960 permettant au soja américain de pénétrer le marché commun européen. L’accord n’a jamais été remis en cause du fait qu’il constitue une contrepartie à l’acceptation américaine de la politique agricole commune européenne ;

3/ Articuler souveraineté alimentaire et accords commerciaux de l’UE. Faut-il rouvrir les textes signés, voire les remiser dans les tiroirs pour négocier de nouveaux accords intégrant la souveraineté alimentaire ?

Les chocs de cette dernière décennie (crise financière, pandémie du Covid-19, guerre en Ukraine) ont déclenché une réflexion sur les limites de la mondialisation et l’importance de l’autonomie alimentaire, ouvrant un nouveau processus politique nécessairement long.

2. La perspective des acteurs institutionnels : concilier l’objectif de durabilité du système alimentaire européen avec l’enjeu d’accessibilité alimentaire des ménages vulnérables

Clément Jaubertie, expert national détaché, analyste de données économiques et politiques à la Direction générale de l’Agriculture et du Développement rural de la Commission européenne, partage le constat du retour de la notion de souveraineté alimentaire, surtout au prisme de la sécurité alimentaire dans ses deux dimensions : 1/ la disponibilité alimentaire (quantité disponible de nourriture), 2/ l’accessibilité alimentaire (accès à une alimentation de qualité à un prix stable). Ces dimensions de sécurité alimentaire sont déjà présentes dans les traités européens, en particulier avec l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’UE relatif à la politique agricole commune dont le but est de garantir l’accès à l’alimentation à des prix raisonnables pour le consommateur[2]. Elles sous-tendent la notion de stabilité et de durabilité dans le temps de la sécurité alimentaire européenne.

Les constats pour la France s’appliquent aussi au niveau de l’UE. Si l’UE est un grand producteur, elle connaît des fortes dépendances aux importations de protéines végétales importées et d’engrais minéraux et azotés, ainsi qu’aux coûts de l’énergie, en particulier du gaz naturel. La pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont révélé la nécessité de renforcer l’autonomie européenne énergétique et des intrants agricoles. S’il n’y a jamais eu en soi de réelles difficultés d’accès général à l’alimentation pour les Européens, il reste l’enjeu (à court terme) de l’accessibilité de l’alimentation pour les ménages européens vulnérables en raison de la hausse des prix (+20 % en 2022).

L’agenda politique européen en matière de sécurité alimentaire doit ainsi articuler des défis de long terme (le « Green Deal » qui pose l’objectif d’un système alimentaire écologiquement durable) avec ces défis de court terme. La durabilité du système alimentaire européenne exige d’être plus économe en intrants agricoles tout en intégrant les facteurs biophysiques de long terme (climat et biodiversité). Elle dépend également des politiques de consommation qui doivent évoluer vers la sobriété et la lutte contre le gaspillage.

Enfin, le maintien d’une population agricole constitue un autre défi de moyen-long terme. En France, en 2020, le nombre d’exploitations agricoles a diminué d’un quart par rapport à 2010 (416 054 exploitations agricoles actives en 2020 contre 514 964 en 2010). Comment attirer de nouveaux agriculteurs afin de maintenir notre capacité de production agricole, alors que la population agricole vieillit (seul 1/5 des chefs d’exploitation agricole ont moins de 40 ans) ? Comment assurer le renouvellement générationnel des agriculteurs ?

3. La perspective politique : parlons de sécurité alimentaire plutôt que de souveraineté alimentaire

Édouard Gaudot, membre du comité de rédaction de Green European Journal, rappelle que les questions agricoles sont depuis longtemps au cœur d’affrontements politiques plus ou moins explicites. Ils font partie des sujets qui avaient été longuement dépolitisés, comme la question des échanges commerciaux – question re-politisée à partir de la fin des années 1990 au travers des grandes manifestations altermondialistes comme Seattle en marge de la conférence ministérielle de l’OMC. Alors que l’intégration mondiale des marchés agricoles progressait malgré les résistances, la transformation des productions agricoles en « matières premières » (« commodification » en anglais) rehausse l’enjeu politique. Derrière les enjeux purement commerciaux se révèlent aussi des enjeux de souveraineté et d’autonomie alimentaires et de modes de vie.

Quatre points de réflexion méritent notre attention :

1/ Doit-on parler de souveraineté ou de sécurité alimentaire, nationale ou européenne ? Il nous faut adopter une vision moins nationale et beaucoup plus supranationale car beaucoup de défis nationaux relèvent de défis à l’échelle européenne qui ne peuvent être réglés pleinement à l’échelle nationale. Édouard Gaudot défend une vision au niveau des acteurs, et moins une vision statistique. Il attire également l’attention sur le phénomène d’accaparement des terres : phénomène diffus en Europe qui ne concerne pas seulement l’achat de terre par des acteurs non européens, mais également la concentration de la terre aux mains de grandes sociétés dont les activités peuvent être autres que l’agro-industrie (comme les champs de lavande pour l’industrie du luxe) ;

2/ Il est préférable de parler de sécurité alimentaire (au lieu de souveraineté alimentaire), angle qui permet de mieux comprendre les enjeux en présence : la sécurisation des écosystèmes. Toutes les études sérieuses démontrent un épuisement des sols, entraînant une baisse des rendements agricoles. Nous sommes prisonniers des techniques agricoles actuelles et d’une rationalité économique entièrement fondée sur le rendement, dont la sortie ne peut pas se faire du jour au lendemain (exemple du glyphosate, pourtant toxique, dont on peine à se passer en raison du mode de production agricole en vigueur). Il s’agit également de sécurité des territoires : les routes d’approvisionnement, les stocks disponibles en cas de tensions sur une denrée alimentaire (tensions qui peuvent rapidement mener à des situations d’insécurité civile). Prenons l’exemple de l’autonomie alimentaire d’une ville comme Paris qui n’est que de 72 heures. Quelles seraient les conséquences en matière de sécurité civile en cas de problèmes graves d’approvisionnement ?

3/ Il nous faut repenser la PAC (politique agricole commune) en intégrant les contraintes écologiques comme commerciales. Quel doit être le rôle de la PAC : nourrir les Européens ou seulement profiter à une poignée de bénéficiaires des aides financières ? 80% des aides bénéficient à seulement 20% des bénéficiaires (situation qui est encore plus vraie pour l’Europe centrale, comme en Hongrie qui détourne l’argent de la PAC à des fins de clientélisme politique). Il faut ainsi réfléchir à un plafonnement des aides ainsi qu’à une réorganisation de la production agricole européenne. Certes, les résistances à ces réformes sont légitimes car on ne bouleverse pas du jour au lendemain un tel système (par exemple, le gouvernement néerlandais a été confronté à de très vives réactions, jusqu’à des actes de violence, de la filière agricole à l’encontre de nouvelles législations qui transposaient les règles européennes en matière de pollution au nitrate et de changement climatique), mais ces résistances au changement posent toutefois un problème de durabilité à terme du système agricole européen.

4/ La souveraineté alimentaire renvoie à notre sécurité individuelle (du consommateur mais aussi de l’ensemble des gens qui vivent du secteur). Elle engage notre rapport à l’alimentation et plus encore notre rapport à nous-mêmes.


[1] Fondée en 1993 et coordonnant des organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs agricoles, de fermes rurales, de communautés indigènes d’Asie, des Amériques, d’Europe et d’Afrique, la Via Campesina est un mouvement international qui milite en faveur du droit à la souveraineté alimentaire et pour le respect des petites et moyennes structures paysannes.

[2] Article 39 TFUE (ex-article 33 du traité sur la Communauté européenne) : « 1. La politique agricole commune a pour but : a) d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre, b) d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture, c) de stabiliser les marchés, d) de garantir la sécurité des approvisionnements, e) d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. 2. Dans l’élaboration de la politique agricole commune et des méthodes spéciales qu’elle peut impliquer, il sera tenu compte : a) du caractère particulier de l’activité agricole, découlant de la structure sociale de l’agriculture et des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles, b) de la nécessité d’opérer graduellement les ajustements opportuns, c) du fait que, dans les États membres, l’agriculture constitue un secteur intimement lié à l’ensemble de l’économie. »




Quelles perspectives pour la France et l’économie mondiale en 2022 et 2023 ? Les enseignements de l’OFCN, un panel de prévisions

par Elliot Aurissergues et Anissa Saumtally

Comme chaque année depuis 2018, l’OFCE a organisé fin novembre 2022 la rencontre de l’Observatoire Français des Comptes Nationaux. Cet événement est l’occasion pour les différents organismes réalisant des prévisions sur l’économie française et son environnement international (INSEE, Direction Générale du Trésor, Banque de France, Rexecode, OFCE pour les instituts spécialisés auxquels s’ajoutent des acteurs privés) d’échanger sur leurs prévisions respectives, leurs scénarios conjoncturels et leurs méthodes. En plus des organismes réalisant des prévisions, des institutions importantes y assistent en tant qu’observateurs : partenaires sociaux, UNEDIC, IRES, Haut Conseil des Finances Publiques. En amont de cette rencontre, les organisateurs collectent auprès des différents instituts les prévisions pour l’année en cours et l’année suivante et envoient un questionnaire plus qualitatif aux participants afin de recueillir leurs opinions sur le scénario économique des prochaines années.



L’OFCE a publié la semaine dernière un Policy Brief résumant les principaux points de cette journée. Si l’OFCN 2021 s’était caractérisé par une certaine confiance dans une solide reprise post-Covid-19, les instituts prévoyant en moyenne des taux de croissance de 4 % en 2022 pour la France, l’Italie, l’Allemagne et les États-Unis, cette édition 2022 a au contraire été dominée par la prudence. L’accumulation de chocs négatifs durant le cours de l’année 2022 a rapidement invalidé le scénario de la fin 2021. Bien évidemment, le premier de ces chocs est l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences, notamment la crise énergétique en Europe. Cependant, les difficultés économiques de l’année 2022 ne sont pas toutes imputables à la guerre en Ukraine. Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, la politique « zero-covid » en Chine et les tensions inflationnistes persistantes ont également joué leur rôle. Ces taux d’inflation inédits depuis les années 1980 ont conduit à un resserrement monétaire accéléré de la part de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne, dont les conséquences directes et indirectes sur l’économie américaine mais aussi sur le reste de l’économie mondiale sont au centre des questions pour 2023.

Les panelistes de l’OFCN prévoient donc des taux de croissance assez faibles pour les deux derniers trimestres de 2022, les chiffres annuels relativement élevés s’expliquant par des effets d’acquis par rapport à une année 2021 encore marquée par les restrictions liées au Covid. La croissance annuelle serait de l’ordre de 2,5 % en France, 1,5 % en Allemagne, 3 % en zone euro et entre 1,5 et 2 % aux États-Unis (graphique 1). La croissance chinoise serait de l’ordre de 3% en 2022, un chiffre faible au regard des performances de l’économie chinoise ces dernières années. Pour 2023, seule la Chine verrait sa croissance accélérer en raison de l’allégement anticipé des mesures « zéro Covid » (graphique 2). La croissance chinoise anticipée par les panélistes serait de l’ordre de 4 %. Pour les autres pays, le taux de croissance en 2023 devrait être compris entre 0 et 1 %. Pour l’Allemagne, en première ligne de la crise énergétique, une majorité d’instituts prévoit même une récession. Cette dernière n’est pas non plus exclue pour l’ensemble de la zone euro, les États-Unis ou la France. Pour cette dernière, le consensus reste positif avec une prévision moyenne à 0,5 % mais l’incertitude demeure importante.

Le scénario international et la situation française font l’objet d’une analyse détaillée dans le Policy Brief. La crise énergétique et la persistance des tensions inflationnistes avec le possible enclenchement d’une boucle prix-salaires font également l’objet de deux encadrés résumant deux tables rondes ayant eu lieu dans le cadre de cette journée.




Le salaire minimum en Espagne : objectif atteint

Par Christine Rifflart

Avec un mois de retard par rapport à la date prévue, le gouvernement espagnol a annoncé le 1er février que le salaire minimum interprofessionnel (SMI) augmenterait de 8 % au 1er janvier 2023[1] pour atteindre 1080 euros par mois sur 14 mois (1260 € sur 12 mois).[2] Cette hausse est proche de l’inflation enregistrée en 2022 de 8,4%. Cette décision a été prise dans le cadre du Pacte sur les revenus, lancé à l’automne dernier et réunissant les principaux partenaires sociaux, mais sans le soutien des représentants du patronat. L’objectif du Pacte était de répartir équitablement le cout de l’inflation pour éviter d’entrer dans une spirale inflationniste alimentée par les salaires, et protéger en même temps les groupes de population les plus vulnérables. Face à une inflation élevée, l’enjeu était de protéger les salariés aux plus bas salaires, des pertes de pouvoir d’achat dans un contexte où les entreprises restent fragilisées par les trois années de crise (fin 2022, le PIB espagnol restait 0,9 point en deçà de son niveau de fin 2019).



Cette revalorisation du salaire minimum était l’un des engagements du gouvernement inscrits dans le Pacte progressiste de coalition conclu en décembre 2019 entre le PSOE et le parti UP Podemos. L’objectif était de porter le SMI (net des impôts et cotisations sociales) à 60 % du salaire moyen net à l’horizon de la fin de la mandature du gouvernement en 2023, et de se rapprocher des indicateurs de référence depuis le milieu des années 1990 dans le cadre de la Charte sociale européenne du Conseil européen[3].

L’objectif d’un SMI à 60 % du revenu moyen net en 2023

Un an après son installation en janvier 2020, le gouvernement de Pedro Sanchez a désigné une commission consultative (CAASMI) chargée de faire des propositions sur l’évolution du SMI à l’horizon 2023 afin d’atteindre l’objectif des 60 % du salaire moyen net [4]. Le premier rapport, remis en juin 2021 proposait un sentier de croissance du SMI pour 2022 et 2023 convergeant vers cette cible. Selon ces recommandations et sous certaines hypothèses, le SMI devait ainsi se situer en 2023 entre 1011 € et 1049 € sur 14 mois. Mais en 2022, cette trajectoire est apparue obsolète pour 2023 compte tenu des incertitudes entourant l’estimation du salaire moyen de 2020 et d’une inflation galopante (10,8 % en juillet 2022). La publication en juin 2022 d’une nouvelle Enquête sur la structure salariale (ESS) portant sur les salaires de 2020 a permis à la commission de reconstituer le salaire net moyen mensuel effectif (1 856 € en 2020), d’estimer son évolution jusqu’à 2022, selon les mêmes méthodes, et de fournir de nouvelles recommandations de hausse du SMI. Le rapport final, remis au gouvernement le 7 décembre dernier, proposait d’augmenter le SMI entre 4,6 % et 8,2 % en 2023 (entre 1046 et 1082 sur 14 mois) pour atteindre la cible des 60 % du salaire moyen net (de 2022). Ces propositions ont constitué la base de réflexion du gouvernement. Très vite, le gouvernement a montré sa préférence pour une hausse située dans le haut de la fourchette.

Au final, la hausse est de 8 %. Face à une inflation qui a atteint en moyenne annuelle 8,4 % en 2022, elle permet donc de limiter sensiblement les pertes de pouvoir d’achat des plus bas salaires[5].

 Cette décision, la dernière de l’actuel gouvernement avant les prochaines élections prévues en fin d’année, doit achever un cycle de convergence du SMI vers les normes européennes. Ce cycle avait été entamé en 2019 sous le premier gouvernement de P. Sanchez (2 juillet 2018-fin 2019) et poursuivi ensuite sous le gouvernement de coalition avec UP Podemos. Les revalorisations précédentes de 2016 (8 %) et 2017 (4 %) sous l’ancien gouvernement de droite de M. Rajoy ne venaient que compenser plusieurs années de pertes de pouvoir d’achat . Le véritable tournant politique a été engagé en 2019 avec la hausse massive de 22,3 %, suivie de trois plus modérées pendant les années Covid (5,6 %, 1,6 % et 3,6 % respectivement en  2020,  2021 et  2022). Entre 2018 et 2023, le SMI est donc passé de 735,9 € sur 14 mois (859 € sur 12 mois) à 1080 € (1260 €), soit une hausse de 47 % sur les deux gouvernements de P. Sanchez (et 65 % si l’on considère la période 2016-2023).

Le positionnement de l’Espagne par rapport aux autres pays a donc radicalement changé. Historiquement, le SMI espagnol était l’un des plus bas des pays de l’UE. Jusqu’en 2016, il représentait 36 % du salaire moyen brut d’un travailleur à temps complet contre 48 % en France. En 2020, il représente 49,6 % contre 50,6 % pour la France (Graphique 1). La baisse à 47,5 % du ratio en 2021 s’explique par le fait que la hausse n’a été effective qu’au 1er septembre. Exprimé en parité de pouvoir d’achat à prix constants et corrigé de la durée du travail, le SMI horaire espagnol représente 83 % du salaire minimum horaire français en 2021 contre 61 % en 2016.

L’enjeu de la hausse du SMI

Le Pacte sur les revenus, mis en place en septembre dernier, visait à répartir le coût de l’inflation sur l’ensemble des revenus, en y associant les travailleurs du secteur privé et les entreprises, mais aussi les agents du secteur public et les retraités. L’objectif final était d’éviter l’entrée dans une spirale prix salaires, tout en protégeant les populations les plus vulnérables. A l’automne 2022, un accord a été signé dans la fonction publique portant sur une hausse de 8 % minimum des salaires sur trois ans : 1,5 % de hausse en 2022, rétroactive au 1er janvier, et en plus de la hausse de 2 % déjà appliquée ; hausse de 2,5 % en 2023 (+0,5 % si l’inflation cumulée en 2022-2023 est supérieure à 6 %, +0,5 % si la croissance du PIB est supérieure à 5,9 %) ; hausse de 2 % en 2024 (+0,5 % si l’inflation cumulée sur les 3 ans est supérieure à 8 %). De même, les retraites sont revalorisées de 8,4 % en 2023, résultat de l’indexation des retraites sur l’inflation passée, inscrite depuis la réforme de 2021. Si le pouvoir d’achat des retraités est préservé, il est probable que les fonctionnaires y perdront, l’inflation sur les 3 années couvertes par l’accord (2022-2024) dans la fonction publique pouvant être supérieure au 9 % prévus.

Les négociations sur la revalorisation du SMI entre les représentants des acteurs privés a donné lieu à des tensions fortes. Coté syndicats des travailleurs, les revendications étaient portées par la protection du pouvoir d’achat des salariés. L’Union générale des travailleurs (UGT) fixait une hausse de 10% tandis que la Confédération syndicale des Commissions ouvrières (CCOO) visait une progression comprise entre le haut de la fourchette proposée dans le rapport de la CAASMI à 8,2 % et 10 %. Coté patronat, la Confédération espagnole des organisations professionnelles (CEOE) représentant les grandes entreprises, et la Cepyme, couvrant les PME[6] ont annoncé qu’elles n’iraient pas au-delà de 4 %. La Cepyme a mis en avant la diversité de situation des entreprises au niveau sectoriel et territorial, en termes de taille et de productivité, et leur fragilité à supporter une trop forte hausse des salaires. Selon son rapport de mars 2022, la productivité des petites entreprises (entre 50 et 249 salariés) est 3 fois plus faible que celle des entreprises de plus de 250 salariés, et la répercussion de la hausse des couts salariaux dans les prix est parfois difficile. Dans l’ensemble des entreprises du secteur des services, le SMI représente 59,2 % du salaire moyen, mais 69,5 % dans les PME. La situation est différente dans les grandes entreprises défendues par la CEOE, davantage inquiète de l’effet boule de neige que pourrait avoir la hausse du SMI sur les négociations salariales dans le cadre des conventions collectives. Pourtant, les accords salariaux conclus en 2022 sont loin de montrer des signes de dérapage, malgré l’inflation. En décembre, la hausse cumulée des salaires négociés était de 2,78 % (et concernait 9 millions de salariés) dont 2,6 % pour les accords pluriannuels signés avant 2022 (pour 6,5 millions de salariés) et 3,24 % pour les accords signés en 2022 (2,5 millions de salariés). Concernant le salaire moyen par tête, la hausse est là aussi très inférieure à l’inflation en 2022.

Combien de salariés impactés par la hausse du SMI ?

Selon la ministre du travail Yolanda Diaz, cette hausse de 8 % du SMI impactera environ 2,5 millions de salariés (soit 15 % du total). Ce chiffre est proche de l’étude de la CCOO qui évalue, sur la base de l’enquête annuelle de population active de 2021, le nombre de bénéficiaires à 2,27 millions dont 1,93 million à plein temps. Le tableau montre que ces hausses vont bénéficier avant tout aux femmes et aux jeunes, aux salariés du secteur agricole et des services pour lesquels les taux d’incidence sont les plus élevés.

Quel impact sur la situation de l’emploi et les indicateurs de pauvreté ?

Si les études sur l’impact de la hausse du SMI sur les salaires manquent, plusieurs travaux existent sur l’impact de la hausse du SMI sur l’emploi. Ces travaux s’appuient essentiellement sur la hausse massive de 2019. A l’époque, le SMI mensuel net était passé de 735,9 € sur 14 mois (859 € sur 12 mois) en 2018 à 900 € (1050 sur 12 mois). Les résultats sont fragiles et peu consensuels, même s’ils sont tous globalement négatifs, notamment dans les secteurs à faible productivité. Ainsi, la Banque d’Espagne a publié en juin 2021 un document où elle actualise ses travaux de 2019 dans lesquels elle extrapolait l’impact de la hausse de 2017 (+8 % du SMI) à celle de 2019[7]. Selon ses calculs, la perte d’emploi net se situerait entre 6 et 11 % de l’emploi salarié de la population affectée par la hausse, soit entre 0,6 et 1,1 % de l’emploi total salarié. Ceci suppose une élasticité de l’emploi des salariés concernés à la hausse du SMI comprise entre 0,3 et 0,5. Dans une étude de juillet 2020, l’AIReF (Autoridad Independiente de Responsabilidad Fiscal) estimait que la hausse du SMI de 22 % aurait entrainer une perte de l’emploi salarié entre 0,13 % et 0,23 % (soit entre 19 000 et 33 000 affiliés au régime général), frappant principalement les jeunes et les régions aux plus bas revenus. Le centre de recherche ISEAK consulté par le gouvernement en 2022 a conclu que la hausse de 2019 aurait eu un impact nul sur l’emploi à très court terme (5 mois) et légèrement négatif (-1,9 % sur le groupe concerné, soit environ – 28 000 salariés) au-delà. D’autres études affichent des résultats plus négatifs.  La banque BBVA Research avait prévu des pertes d’emplois entre 75 000 et 195 000 en 2019-2020. La Cepyme estime que sur la période 2018-2022, la hausse de 35,9 % du SMI aurait provoqué la disparition de 217 500 emplois, 71 600 emplois ayant été détruits et 145 900 emplois non créés.

En conclusion, l’objectif de hausse du SMI net à 60 % du salaire moyen net est il atteint ? Sur la base de l’estimation du salaire moyen net mensuel de 2022 calculée par la CAASMI de 1961 euros, le compte est bon. Le SMI (brut) à 1080 euros sur 14 mois en 2023 correspond à un SMI brut de 1262 euros sur 12 mois, et de 1176,6 euros en net, soit 60 % de 1961 euros. Si l’on raisonne en brut, le SMI sur 12 mois de 2023 rapporté au salaire moyen de 2021, calculé à partir de la dernière enquête annuelle sur la population active de novembre 2022, converge également vers la cible des 60 %. Mais les données sont fragiles. Reste à les valider quand l’enquête sur la structure salariale de 2023 sera publiée. En attendant, le pouvoir d’achat du SMI a progressé de 23,6 % entre 2017 et 2022, ce qui n’est pas le cas des salaires négociés et du salaire moyen par tête (-3,5 % et -2,7 % respectivement) sur la période). Par ailleurs, la convergence des normes sociales espagnoles vers celles des grands pays de l’UE et la réduction des inégalités sociales  (hausse du SMI, introduction d’un revenu minimum vital, réforme du marché du travail, indexation des retraites sur l’IPC, …) apparaissent bien comme des critères de modernisation de la société et de l’économie espagnole.


[1] En Espagne, le SMI est établi à un niveau mensuel par Décret-Loi Royal selon les termes inscrits dans l’article 27 du Statut des travailleurs. La décision est prise par le gouvernement après consultation des organisations syndicales et professionnelles les plus représentatives. Elle doit prendre en compte différentes variables : l’inflation, la productivité moyenne, la participation des revenus du travail dans le revenu national et la situation économique conjoncturelle.

[2] Le SMI est exprimé sur 14 mois car selon la loi, le salarié doit bénéficier de deux primes annuelles (en plus des 12 mois de salaire) : l’une en juillet et l’autre en décembre, chacune équivalente à un mois de salaire. La convention collective dont dépend le salarié peut prévoir le prorata de ces primes en 12 mensualités.

[3] Plusieurs indicateurs de référence ont depuis été proposés dans la directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union Européenne (adoptée par le Conseil européen le 19 octobre 2022) : un seuil de 60 % du salaire médian brut, ou 50 % du salaire moyen brut pour le SMI brut, ou 50 ou 60 % du salaire moyen net pour le SMI net.

[4] Le premier mandat de cette commission a été d’évaluer le salaire moyen net pour 2020, nécessaire au calcul de la cible de SMI pour 2023. L’estimation a été faite sur la base de l’Enquête sur la structure salariale (ESS) de 2018, l’Enquête trimestrielle sur les couts salariaux (ETCL) de 2019 et les données sur les conventions collectives du travail pour l’année 2020.

[5] L’inflation moyenne ne tient cependant pas compte de la structure du panier de biens consommés par les bas revenus, où les postes qui ont connu les plus fortes hausses de prix sont également ceux qui sont le plus consommés (alimentation, énergie). Un rapport de la BCE a montré que l’inflation pour les ménages du premier quintile de revenus était, en septembre 2022, 1,9 point supérieure à l’inflation des ménages du dernier quintile.

[6] Selon les données de la Cepyme, les PME assurent 60 % de l’emploi salarié total, dont 22,5 % travaillant dans des entreprises ayant entre 1 et 9 salariés, 21,7 % dans des entreprises ayant entre 10 et 49 salariés et 16,8 % dans des entreprises ayant entre 50 et 250 salariés. Les micro entreprises sont plutôt concentrées dans le secteur de l’agriculture et la construction, et les petites entreprises dans l’industrie et la construction.

[7] Dans cette première estimation, l’impact de la hausse de 2019 était une perte de 0,8 % de l’emploi salarié en CDI à temps complet.




Budget britannique : du soutien à l’austérité

par Hervé Péléraux

Alors que les derniers comptes nationaux publiés le 22 décembre 2022 font état d’un recul du PIB de 0,3% au troisième trimestre 2022, succédant à une progression de 0,1 % au trimestre précédent, l’inquiétude grandit sur l’éventualité d’une entrée en récession de l’économie britannique. Dans un contexte inflationniste exacerbé depuis le début de 2021, en particulier du fait de la hausse des prix de l’énergie, les gouvernements successifs, Johnson, Truss puis Sunak, ont instauré des mesures de soutien à l’économie en vue d’amortir le choc de pouvoir d’achat et tempérer son impact négatif sur l’activité.



Le 17 novembre dernier, le gouvernement Sunak, entré en fonction le 24 octobre, a présenté un budget qui tranche singulièrement avec les intentions de son prédécesseur, conduit par Liz Truss, démissionnaire après seulement 44 jours de mandat. En effet, l’annonce par l’ancien gouvernement de la mise en place, d’un côté, d’un vaste plan budgétaire de soutien aux ménages et aux entreprises face à la crise énergétique et, de l’autre, de baisse de la fiscalité sur un horizon de cinq ans a laissé dubitatif sur sa viabilité en l’absence de financement et a affolé les marchés.

Pour le moyen terme, le budget présenté par le ministre des Finances britannique, Jeremy Hunt, prend le contrepied de la ligne promue par l’ancien gouvernement et table au contraire sur la rigueur pour prolonger l’effort d’assainissement budgétaire après le choc de la Covid-19 et garantir la maîtrise des finances publiques à cinq ans dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement est toutefois pris en tenaille face à des objectifs contradictoires, entre le soutien aux ménages et aux entreprises à court terme pour atténuer les effets du choc inflationniste et la volonté de garantir la stabilité des finances publiques à moyen terme. Le plan annoncé le 17 novembre se décompose ainsi en trois parties.

L’État pare-chocs contre l’inflation

Un premier train de mesures est mis en œuvre à court terme pour soutenir les ménages confrontés à la hausse des prix, notamment énergétiques. Le dispositif élaboré par le précédent gouvernement pour cet hiver, à savoir le plafonnement des prix du gaz et de l’électricité, est reconduit. Ainsi, pendant l’hiver 2022/2023, les ménages verront en moyenne leur facture d’énergie limitée à 2 500 livres par an, ce qui représente une économie de 900 livres prise en charge par les finances publiques pour un coût global de 24,8 milliards de livres. Ce coût reste bien sûr incertain car il dépend du prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Les dispositions seront moins généreuses durant l’exercice 2023/2024[1], avec une remontée du plafond à 3 000 livres par an, soit une réduction de l’aide de 500 livres et un coût global de la mesure ramené à 12,8 milliards selon le budget. Par rapport aux annonces du gouvernement Truss (26,8 milliards de bouclier fiscal en 2023/2024), 14 milliards pourraient ainsi être économisés sur l’exercice prochain grâce au relèvement du plafond.

Le gouvernement prévoit de réinjecter 90 % de ces 14 milliards en 2023/2024 dans des dispositifs de soutien aux ménages les plus fragiles, avec des versements à 8 millions de ménages : les bénéficiaires de prestations sociales sous condition de ressources recevront des versements de 900 livres, les retraités recevront 300 livres et les bénéficiaires de l’allocation pour les handicapés 150 livres. Le gouvernement a aussi décidé de suivre la recommandation de la Commission sur les bas salaires d’une hausse du salaire minimum de 9,7 % en avril 2023 et les prestations sociales et les retraites publiques augmenteront du montant de l’inflation en octobre 2022, soit de 10,1%.

D’autre part, pour soutenir le secteur productif, le gouvernement a maintenu, tout en le rabotant, le dispositif du gouvernement Truss d’encadrement des factures d’énergie pour les entreprises confrontées à la hausse du coût de l’énergie. Les mesures, instituées pour six mois entre le premier octobre 2022 et le 31 mars 2023, coûteraient 18,4 milliards (contre 29 milliards prévus par l’ancien gouvernement).

La reconduction des mesures d’aides aux entreprises sur l’exercice 2023/2024 n’était pas programmée au 17 novembre 2022, mais une évaluation devait être conduite par le gouvernement afin d’éclairer les décisions futures. Le 9 janvier 2023, le gouvernement a précisé ses intentions quant à la pérennité du « bouclier énergie » pour les entreprises. Ce dernier sera maintenu durant l’exercice 2023/2024, mais sera considérablement diminué en comparaison des dispositions actuelles eu égard à leur coût jugé non soutenable par Jeremy Hunt pour les finances publiques du pays. C’est ainsi que 5,5 milliards de livres sont budgétés pour l’exercice 2023/2024.

Au total, le bouclier énergie ainsi que le soutien aux ménages vulnérables et aux entreprises engage 43,2 milliards de livres pour l’exercice 2022/2023 et 30,6 milliards en 2023/2024. En ajoutant les mesures déjà prises par le gouvernement Johnson depuis mars 2022, l’engagement public atteint 64,2 milliards sur l’exercice 2022/2023 et 45,3 sur le suivant. Ramené à une base calendaire, ce soutien représente 48,2 milliards en 2022 (soit 2,2 points de PIB de 2019) et 50 milliards en 2023, ce qui place, un peu plus tardivement que les autres, le Royaume-Uni parmi les pays du continent européen les plus généreux en termes de soutien à l’économie face au choc inflationniste[2].

L’État garant de la soutenabilité des finances publiques

Au-delà du soutien à l’économie à court terme qui implique une politique très expansionniste, le nouveau gouvernement a exprimé son souci d’afficher une trajectoire des finances publiques « soutenable », c’est-à-dire qui conduit à une baisse du ratio dette/PIB à un horizon de cinq années et à une réduction du déficit en dessous de 3 % du PIB. Pour ne pas entrer en contradiction avec les mesures de soutien décidées pour les exercices 2022/2023 et 2023/2024, alors que le risque d’entrée en récession de l’économie britannique est élevé, le gouvernement a pris soin de n’enclencher le resserrement de la politique budgétaire qu’en 2024/2025.

Le plan d’austérité budgétaire dégage des ressources supplémentaires montant en charge progressivement jusqu’à 55 milliards de livres en 2027/2028, réparties entre des hausses d’impôts à hauteur de 45 % (25 milliards en 2027/2028) et des baisses de dépenses à hauteur de 55 % (30 milliards). Côté impôts sur les ménages, le gouvernement a prévu d’abaisser le seuil d’imposition des revenus au taux de 45 % de 150 000 à 125 140 livres en avril 2023, de geler les barèmes de l’impôt sur le revenu et les droits de succession aux niveaux actuels pendant deux années supplémentaires jusqu’en avril 2028, de diviser par quatre les crédits d’impôts sur les dividendes et les plus-values à partir de 2024/2025 et de limiter au 31 mars 2025 la baisse des droits sur les transactions immobilières décidée par le précédent gouvernement.

La baisse de l’impôt sur les sociétés à 19 % envisagée par Liz Truss est annulée et le taux sera porté  à 25% en avril 2023, comme annoncé avant l’arrivée de Liz Truss. Le barème des cotisations sociales sera maintenu au niveau actuel entre avril 2023 et avril 2028. En outre, les superprofits des entreprises énergétiques seront davantage taxés, avec la prolongation du dispositif actuel jusqu’en mars 2028 et l’augmentation du taux d’imposition de 25 à 35 % le premier janvier 2023 (14 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). De plus une taxe de 45 % sur les profits des producteurs d’électricité sera créée en janvier 2023 (4 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). Le gouvernement reste toutefois préoccupé par les tensions que génère l’inflation sur le système productif et a prévu une aide cumulée aux entreprises de 13,6 milliards jusqu’à 2027/2028, passant principalement par le levier des impôts locaux.

Côté dépenses, le gouvernement prévoit la mise en place d’un plan d’économies s’appuyant principalement sur le ralentissement de la progression des dépenses publiques qui ne devra pas excéder l’inflation de plus de 1 point. L’effort sera toutefois engagé à partir de l’exercice 2025/2026 tandis que certaines dépenses concernant les services publics prioritaires (santé, protection sociale et écoles) seront augmentées au cours des deux prochains exercices.

Les marchés rassérénés

En termes d’impulsion budgétaire, l’année calendaire 2022 apparaît comme la plus dispendieuse en réponse à la situation d’urgence créée par la hausse spectaculaire de l’inflation (graphique 1). En 2023, le redéploiement de la quasi-totalité des ressources libérées par la diminution du bouclier énergie vers les ménages les plus fragiles et le maintien d’un « bouclier entreprises » permettra de maintenir globalement l’engagement du gouvernement dans le plan d’urgence, sans toutefois générer d’impulsion supplémentaire significative. En revanche, en 2024, le retrait des dispositifs d’aide à court terme et l’entrée en vigueur du plan d’économies budgétaires seront à l’origine d’une impulsion budgétaire très négative, de -1,2 point de PIB. À l’horizon 2027, les dispositions annoncées par le gouvernement Sunak maintiendront une impulsion budgétaire négative, voisine de 0,5 point de PIB chaque année.

La réalisation de telles projections à un horizon de cinq années reste toutefois hypothétique. Tout d’abord, un nouveau budget sera présenté le 15 mars. Ensuite, des élections générales auront lieu d’ici la fin 2024. Une grande incertitude prévaut donc sur l’application de ce plan. Quoi qu’il en soit, les annonces de novembre 2022 ont atteint l’objectif d’apaiser les marchés financiers puisque le rendement des obligations d’État à 10 ans était retombé, au premier décembre 2022,à son niveau d’avant les annonces budgétaires du gouvernement Truss à la rentrée (graphique 2). Dans la foulée, la livre, après s’être dépréciée de 5 % entre le 6 et le 28 septembre 2022, était aussi revenue à son niveau de début septembre.


[1] Au Royaume-Uni, l’exercice budgétaire commence le 1er avril et se termine le 31 mars de l’année suivante.

[2] Voir « Du coup de chaud au coup de froid », Département Analyse et Prévision, Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, 12 octobre 2022, pp. 35-41.




L’Europe de la défense

Compte rendu du séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », Cevipof-OFCE, séance n° 8 du 18 novembre 2022

Intervenants : Jean BELIN (Chaire Économie de la défense), Jérôme CLECH (Centre d’études stratégiques aérospatiales de l’armée de l’Air et de l’Espace) et Pierre HAROCHE (Queen Mary University of London).



Le séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », organisé conjointement par le Cevipof et l’OFCE (Sciences Po), vise à interroger, au travers d’une démarche pluridisciplinaire systématique, la place de la puissance publique en Europe, à l’heure du réordonnancement de l’ordre géopolitique mondial, d’un capitalisme néolibéral arrivé en fin du cycle et du délitement des équilibres démocratiques face aux urgences du changement climatique. La théorie politique doit être le vecteur d’une pensée d’ensemble des soutenabilités écologiques, sociales, démocratiques et géopolitiques, source de propositions normatives tout autant qu’opérationnelles pour être utile aux sociétés. Elle doit engager un dialogue étroit avec l’économie qui elle-même, en retour, doit également intégrer une réflexivité socio-politique à ses analyses et propositions macroéconomiques, tout en gardant en vue les contraintes du cadre juridique.

Réunissant des chercheurs d’horizons disciplinaires divers, mais également des acteurs de l’intégration européenne (diplomates, hauts fonctionnaires, prospectivistes, avocats, industriels etc.), chaque séance du séminaire donnera lieu à un compte rendu publié sur les sites du Cevipof et de l’OFCE.

1. La perspective politiste : l’émergence d’une vision européenne capacitaire et (en partie) supranationale

Pierre Haroche, Lecturer à la School of Politics and International Relations de la Queen Mary University of London et ancien chercheur en sécurité européenne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), divise les études en matière d’Europe de la défense en deux grands champs de recherche : 1/ l’approche géosécuritaire (les instruments économiques deviennent des outils de politique étrangère, avec l’idée de déglobalisation, de sécurisation/weaponisation des échanges internationaux), et qui correspond au tournant géoéconomique du marché intérieur ; 2/ les interactions de l’économie avec la défense.

La politique de défense européenne connaît depuis quelques années un renversement historique de son cours habituel. Au départ, la politique de défense reposait sur deux caractéristiques : elle était tournée vers l’opérationnel (l’enjeu de la capacité à lancer des opérations militaires de l’UE de manière autonome, en dehors du cadre de l’OTAN lorsque celui-ci ne permettait pas de telles opérations) et était de nature entièrement intergouvernementale. Aujourd’hui émerge une approche inverse : une vision capacitaire et en partie supranationale.

Sur les liens fonctionnels entre le marché intérieur et l’industrie de la défense, une première tentative fut la voie juridique avec les directives de 2009 d’harmonisation des règles de passation des contrats d’armement[1] et de transferts intracommunautaires de matériels de défense[2]. Mais le principal saut correspond à l’initiative du Fonds européen de la défense (FED) doté d’un budget européen de près de 8 milliards d’euros (pour la période 2021-2017) destiné à financer la recherche et développement des programmes d’armement. Il constitue une avancée importante depuis l’essoufflement des opérations militaires de l’UE du début des années 2000. Le FED a permis de relancer la défense européenne.

Aujourd’hui, en 2022, on observe des tensions entre les objectifs affichés et la réalité des choses. La Boussole stratégique a été adoptée en mars 2022 et fait office de livre blanc de la défense européenne (elle inscrit l’objectif de 5 000 hommes déployables immédiatement dans un contexte non permissif). La guerre en Ukraine bouleverse les priorités : aujourd’hui, ce qui compte c’est la défense territoriale. Au sommet de l’OTAN de Madrid en juin 2022, un nouveau modèle de force a été présenté, avec l’ambition très forte pour les Européens d’être capables de déployer sur le flanc est-européen 100 000 soldats en moins de dix jours, et 200 000 en moins de deux mois. Une telle exigence opérationnelle en Europe soulève la question de la possibilité de maintenir en même temps une force expéditionnaire européenne de 5 000 hommes sur des théâtres lointains.

Sur la dimension capacitaire, l’UE s’est dotée en 2021 d’une Facilité européenne pour la paix qui permet aujourd’hui de financer certaines livraisons d’armes à l’Ukraine, instrument financier qui permet à l’UE de jouer un rôle à soi et de trouver sa place vis-à-vis de l’OTAN. Au Sommet de Versailles des 10 et 11 mars 2022, les Etats membres de l’UE ont affirmé leur volonté commune de se réarmer de manière collaborative et coopérative en se donnant des priorités capacitaires et de favoriser les achats en commun. Cela se fera en deux temps, à partir d’un programme pilote doté de 500 millions d’euros qui a vocation de préparer un programme de plus long terme.

Si la valeur ajoutée propre de l’UE est plus difficile à prouver dans le domaine opérationnel, faire de l’UE un chef d’orchestre en matière budgétaire et industrielle de défense est une approche intéressante car l’UE contribue, en s’appuyant sur ses points forts, aux mêmes objectifs que l’OTAN et fait ce que l’OTAN ne fait pas (le financement et la politique industrielle de défense).

Enfin, Pierre Haroche dresse les perspectives de la mutualisation de l’entretien, de l’entraînement, d’infrastructures communes et de certaines acquisitions en commun, avec l’idée de stock commun.

2. La perspective stratégique : la capacité européenne à déployer une gamme d’effets (économiques, industriels, culturels…) sur des conflits du bas du spectre

Jérôme Clech, Chef du pôle prospective et stratégie du Centre d’études stratégiques aérospatiales de l’armée de l’Air et de l’Espace (CESA), enseignant à Sciences Po et ancien conseiller militaire au cabinet du ministre des Armées, estime qu’en 4 ou 5 ans, on en a fait plus pour la défense européenne qu’en 40 ans. Mais il constate une rechute en 2020 et plus récemment avec la guerre en Ukraine qui marque le réinvestissement de l’Europe par l’OTAN et les États-Unis. Comment relancer, consolider l’Europe de la défense et viser une architecture de sécurité européenne ? C’est forcément se positionner par rapport à la Russie.

Jérôme Clech pose ensuite la question de l’utilité de la PSDC (politique de sécurité et de défense commune) et de l’intérêt de la France et de l’Allemagne de se lancer dans l’Europe de la défense. La France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et dispose de la dissuasion nucléaire. L’Allemagne trouve dans l’OTAN la garantie de sa sécurité. Dans ce contexte, quelle est donc la plus-value de l’Europe de la défense ? Car au bout du compte ce qui compte sont les opérations sur le terrain. Or l’UE n’offre que bien peu de résultats en matière opérationnelle.

L’intérêt de l’Europe de la défense est de stabiliser à moindre coût ce que ne peut pas faire l’OTAN, c’est-à-dire tout ce qui ne relève pas du conflit de haute intensité interétatique : par exemple, la menace terroriste. L’UE a la capacité de déployer tout une gamme d’effets (économiques, industriels, culturels, etc.) selon une approche globale et sur des conflits du bas du spectre. L’UE peut mettre sur pied des missions d’accompagnement d’États tiers comme la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali)[3], des opérations de combat comme EUNAVFOR MED opération Sophia (lutte contre le trafic de migrants)[4] qui, en raison de son relatif échec, a été remplacée par EUNAVFOR MED opération Irini (embargo sur les ventes d’armes destinées à la Libye)[5].

L’UE dispose également d’instruments pour accroître l’effort capacitaire des États membres comme la coopération structurée permanente (CSP)[6] pour inciter les États membres à renforcer leur effort de défense dans les différentes composantes (terre, mer, air, espace). L’approche de l’UE en matière de défense se veut ainsi multi-domaine en poursuivant l’objectif d’un dialogue entre les différentes composantes. L’UE dispose en outre à ces fins d’un premier instrument puissant de financement avec le Fonds européen de défense (FED) doté d’un budget de 8 milliards d’euros pour l’exercice budgétaire 2021-2027[7]. Le FED vise à renforcer les bases industrielles et technologiques de défense (BITD) nationales aux fins de consolider une autonomie d’action européenne pour sortir de la trop forte dépendance capacitaire à l’égard des États-Unis.

C’est dans ce contexte que l’Allemagne a décidé d’allouer 100 milliards d’euros pour sa défense tout en fléchant une part importante de cette manne budgétaire vers l’achat de F-35 américains, malgré le projet franco-germano-espagnol d’avion de combat du futur (SCAF pour Système de combat aérien du futur) et du projet franco-allemand de char du futur (Système principal de combat terrestre ou MGCS pour Main Ground Combat System).

Comment l’Europe de la défense peut-elle sortir par le haut dans un contexte de revitalisation de l’OTAN en raison de la guerre en Ukraine ? La France elle-même se voit devoir chevaucher une Alliance atlantique sous domination américaine, y compris dans le domaine capacitaire selon la logique transactionnelle de la protection américaine (article 5 du traité de l’Atlantique nord) en échange d’achats de matériels militaires américains par les États européens, tout en poussant à la constitution d’un pilier européen fort au sein de l’OTAN à l’encontre des préférences américaines.

Enfin, pour conclure son propos liminaire, Jérôme Clech revient sur l’enjeu de reconstruire une architecture de sécurité européenne, qui passe par la maîtrise des armements sur le sol européen, et la question du rapport de l’Europe à la Russie qui implique un dialogue lucide et ferme avec Moscou, mais un dialogue toutefois.

3. La perspective économique : la double faiblesse de la demande et de l’offre de défense européenne

Jean Belin, titulaire de la chaire « Économie de la défense » du Fonds IHEDN et maître de conférences à l’Université de Bordeaux, rappelle les deux grandes dimensions de l’économie de la défense : 1/ l’économie des conflits (impact des conflits militaires sur l’économie), 2/ la relation entre les systèmes de défense et l’économie (le lien entre l’État décisionnaire, l’industrie de défense et le militaire). L’économie de la défense a pour ambition de faire interagir ces dimensions.

Les choix de défense en Europe auront un impact économique très important : un impact sur la paix et l’indépendance européenne (impact difficile à évaluer économiquement) qui renvoie à l’idée de souveraineté européenne ; un impact économique sur l’activité, l’emploi, la R&D (avec beaucoup de publications sur cette dimension) qui peut venir complexifier la prise de décision politique. Ces problématiques s’inscrivent dans un changement de l’environnement stratégique, avec la résurgence des conflits entre États et l’ouverture d’un débat capacitaire (renforcer notre système de défense) qui lui-même amène un débat budgétaire. À cet égard, la demande européenne en matière de dépenses de défense est largement insuffisante (1,5% du PIB en 2020), si on la compare aux États-Unis (3,7% du PIB) et aux objectifs de l’OTAN des 2% du PIB (seuls 9 États membres de l’UE y parviennent). La demande européenne est, en outre, fragmentée avec 178 systèmes d’armes contre une trentaine pour les États-Unis (la réduction en Europe des systèmes d’arme permettrait une économie de 25 à 100 milliards d’euros).

Un important effort de rattrapage reste à effectuer (après la phase de rupture d’investissement de défense en raison de la crise financière des années 2010), effort qui passera par le lancement de nouveaux programmes d’armement adossés à un accroissement du budget alloué à la défense. En France, la loi de de finances respecte la trajectoire budgétaire définie par la loi de programmation militaire 2019-2025. En Allemagne, le gouvernement Scholz a annoncé la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros.

Il y a également une question d’offre : l’industrie de défense européenne. Celle-ci représente un impact économique important en matière d’activités économiques, d’emplois, de commerce extérieur, de R&D (et son effet levier sur la R&D civile et plus largement sur la capacité d’innovation du pays) et d’aménagement du territoire (implantations de l’industrie de défense dans des zones sous dotées sur le plan industriel). Là encore, la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est trop fragmentée (surtout pour le terrestre et plus encore pour le naval). Pour l’aéronautique, si l’Europe connaît un regroupement des donneurs d’ordre, la chaîne de sous-traitance demeure très dispersée. La recomposition de la BITDE est trop lente. Aux États-Unis, la fin de la guerre froide s’est accompagnée d’une baisse des dépenses de défense qui a catalysé la dynamique de consolidation de l’industrie de défense américaine enclenchée à partir des années 1970 (à la suite d’incitations du gouvernement américain, avec la prise en charge d’une partie des coûts des restructurations). Ce processus se révèle plus compliqué en Europe du fait de structures de propriété différentes : entreprises familiales en Allemagne, forte présence de l’État en France, entreprises côtés sur les marchés au Royaume-Uni. La France et plus largement l’Europe ont, certes, su créer certaines entreprises par recomposition (Airbus, MBDA, KNDS). Mais mis à part certains cas emblématiques, on observe peu d’européanisation de la chaîne de production (cf. les travaux de la Chaire Économie de la défense). Les liens capitalistiques des entreprises de défense n’ont que peu de dimension européenne et les liens capitalistiques avec les États-Unis sont asymétriques (les Américains sont davantage actionnaires des entreprises de défense européenne que l’inverse). Enfin, les entreprises de défense européennes sont davantage dépendantes à l’exportation, avec beaucoup de filiales hors d’Europe.

L’Europe a ainsi besoin de mutualisation et de coopération, en raison notamment de l’augmentation des couts de développement des nouveaux matériels militaires. Le modèle d’armée complet de la France coutera de plus en plus cher et sera de moins en moins supportable budgétairement seul. Si les contraintes budgétaires des États européens se sont temporairement desserrées, celles-ci reviendront rapidement. À cela s’ajoutent d’autres besoins d’investissement (dans la transition énergétique par exemple). La coopération, qui peut prendre plusieurs formes, doit surtout être efficace sur le plan économique (rendements d’échelle), et pas seulement sur le plan politique (cf. les travaux de Friederike Richter[8]). Mais la coopération en matière d’industrie de défense comporte, comme toute coopération, des problèmes de dilution des responsabilités, de passager clandestin et de difficulté à décider collectivement. Il faut ainsi pousser à la coopération, mais en envisageant tout type de coopération, sans rester figé sur une coopération multilatérale.

En la matière, 2016 marque une nette accélération avec l’adoption d’une stratégie globale : la Coopération structurée permanente, la Force de réaction rapide, le Fonds européen de défense. Ce dernier va permettre la recherche en coopération, avec l’incitation à structurer une BITDE (incitations financières aux pays qui achètent en commun).

En conclusion, il faut bien prendre en compte les conséquences économiques de nos choix de défense. Les nouvelles contraintes militaires et budgétaires nous obligent à avoir un système de défense plus efficace, ce qui passe par le renforcement de la coopération, sous réserve que celle-ci soit efficace.


[1] Directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE.

[2] Directive 2009/43/CE du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté.

[3] Sur la base de la résolution n° 2071(2012) du Conseil de sécurité des Nations unies et des articles 42(4) et 43(2) du traité sur l’Union européenne, le Conseil de l’UE a adopté la décision 2013/34/PESC créant la mission de formation de l’UE au Mali lancée en février 2013 (European Union Training Mission in Mali ou EUTM Mali) dont l’objectif est de contribuer à l’amélioration des capacités des Forces armées malienne au travers de quatre piliers : l’instruction des unités militaires maliennes ; le conseil, à tous les niveaux, des Forces armées maliennes ; la contribution à l’amélioration du système d’enseignement de la formation militaire, des établissements d’enseignement au niveau ministériel ; et le conseil et la formation au quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel.

[4] Décidée le 18 mai 2015 par l’UE, EUNAVFOR MED opération Sophia est une opération militaire au titre de la PSDC pour mettre fin aux départs de migrants tentant de traverser la Méditerranée centrale. Effectivement lancée en juin 2015, elle prend fin en mars 2020.

[5] À la suite de la conférence de Berlin sur la Libye du 19 janvier 2020 durant laquelle les participants de deux camps se sont engagés à respecter l’embargo sur les armes institué par la résolution n° 1970 (2011) et les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil de l’UE a adopté la décision 2020/472 du 31 mars 2020 créant l’opération militaire EUNAVFOR MED opération Irini, débutée en mars 2020 et succédant à EUNAVFOR MED opération Sophia, pour faire respecter l’embargo sur les armes imposé à la Libye.

[6] La coopération structurée permanente (CSP ou PESCO en anglais pour Permanent Structured Cooperation) est une disposition du traité de Lisbonne de 2007 qui introduit la possibilité pour un noyau d’États membre de l’UE de développer leur collaboration dans le domaine de la défense. Prévue pour voir le jour en 2010, elle est finalement activée en 2017 par 25 États membres. Une soixantaine de projets sont développés dans le cadre de la CSP comme le projet de transport aérien stratégique de cargaisons hors gabarit (SATOC), le projet véhicule de surface semi-autonome de taille moyenne (M-SASV), ou encore le projet de systèmes d’aéronefs télépilotés de petite taille de nouvelle génération (NGSR). Pour la présentation des projets, voir : <https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/11/16/eu-defence-cooperation-council-launches-the-4th-wave-of-new-pesco-projects/>

[7] Le Fonds européen de défense succède au Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID / EDIDP) doté de 500 millions d’euros pour les années 2019 et 2020.

[8] Friederike Richter, « La coopération de défense en Europe, un enjeu prioritaire ? », Revue Défense Nationale, n° 832, 2020, p. 115-119 ; Camille Morel et Friederike Richter, « Légitime ou efficace : le dilemme de toute coopération de défense au XXIe siècle ? », Les Champs de Mars, n° 32, 2019, p. 7-28.