Quel rebond de l’emploi en 2021 ?

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par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Fin 2021, selon nos dernières prévisions, l’activité en France devrait être inférieure de 1,4% par rapport à son niveau atteint fin 2019, soit près de 5% en dessous de son niveau potentiel. Ce retard de production aurait dû se traduire par des destructions d’emplois vertigineuses de plus d’1 million fin 2021 par rapport à fin 2019. Par ailleurs, compte tenu de la hausse tendancielle de la population active prévue par l’Insee, l’augmentation du chômage aurait dû être de près de 1,2 million fin 2021. Nos prévisions décrivent pourtant un marché du travail moins dégradé : explications.  

Fin 2020, près de 800 000 destructions d’emplois malgré une forte chute de la productivité du travail

Compte tenu de la chute d’activité inédite en 2020 (-9,5%) et de son hétérogénéité sectorielle, près de 2,7 millions d’emplois auraient dû être détruits en cette fin d’année (Tableau 1). Or avec une perte de 790 000 emplois salariés, nos prévisions tablent sur des destructions trois fois moindre.

Trois facteurs expliquent cette meilleure résistance sur le front de l’emploi :

  • Le premier réside dans la mise en place par le gouvernement d’une politique de l’emploi active (contrats aidés, garantie jeunes, service civique, alternance, prime à l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans…) qui a permis de créer environ 80 000 emplois ;
  •  Par ailleurs, si les mesures prophylactiques ont nui à l’activité, elles ont également eu un effet sur la productivité du travail. Pour un niveau donné d’activité, certaines entreprises ont été contraintes pendant la crise de conserver un niveau d’emploi supérieur à celui qu’elles choisiraient en temps normal, du fait des mesures sanitaires : soit parce qu’elles font face à des coûts de production additionnels (matériels de protection sanitaire, jauge de clients maximale…) soit parce que les tâches s’en trouvent affectées (temps de désinfection…). D’après l’enquête Acemo-Covid menée par la Dares en novembre 2020, 33,4% des salariés se trouvaient ainsi dans une entreprise dans laquelle les mesures de protection sanitaire réduiraient la productivité horaire du travail modérément (moins de 10%) et 11,4% des salariés se trouvaient dans une entreprise dans laquelle les mesures de protection sanitaire réduiraient la productivité horaire du travail significativement (de 10% ou plus). Pour 2020, nous avons estimé à 200 000 le nombre d’emplois correspondant à ce type de rétention de main-d’œuvre, qui a vocation à disparaître avec la fin de la crise sanitaire et la levée des mesures de protection ;
  • Enfin et surtout le fort recours à l’activité partielle a permis de préserver plus de 1,6 million d’emplois.

La bonne résistance de l’emploi observée en 2020 compte tenu de la chute d’activité s’explique donc principalement par une forte rétention de main-d’œuvre que nous évaluons à plus de 1,8 million de salariés.

En 2021, une reprise de l’activité mais une moindre rétention de main-d’œuvre

En 2021, la photographie du marché de l’emploi sera toute autre : si l’activité devrait selon nous s’améliorer et permettre de soutenir l’emploi, l’incidence positive des trois facteurs précités devrait en revanche être considérablement affaiblie l’année prochaine.

Du côté des bonnes nouvelles, par rapport à la situation pré-crise, les destructions d’emplois potentiellement liées à la chute de l’activité devraient être ramenées de 2,7 millions fin 2020 à 1,1 million fin 2021, tandis que la politique de l’emploi continuerait d’avoir des effets positifs en soutenant l’emploi de plus de +130 000 unités en fin d’année prochaine.

En sens inverse, cette amélioration de l’activité, liée principalement à la levée progressive des mesures prophylactiques, devrait se traduire par une forte réduction de la rétention de main-d’œuvre : celle-ci ne devrait représenter plus que 300 000 salariés fin 2021 contre plus de 1,8 million fin 2020.

D’une part, le retour graduel à un contexte sanitaire proche de la normale couplée à une adaptation des entreprises et des salariés à ces conditions se traduiraient par une récupération partielle des gains de productivité perdus en 2020 : la rétention de main-d’œuvre due à la mise en place de mesures prophylactiques ne serait plus que de 50 000 fin 2021, soit une baisse de 150 000 par rapport à la situation observée fin 2020.

D’autre part, en lien avec la reprise de l’activité, nous anticipons une baisse significative du nombre de salariés effectivement placés en activité partielle fin 2021. Dans notre prévision, nous faisons dépendre le recours effectif à l’activité partielle de la perte d’activité prévue au sein de chaque branche. Ce taux de recours traduit la perte d’activité en heures non travaillées, puis en tenant compte de la durée du travail moyenne dans la branche, nous évaluons le volume d’emplois placés effectivement en activité partielle. Au quatrième trimestre 2020, ce taux de recours effectif serait proche, quoique plus faible, de celui observé au deuxième trimestre 2020, le taux de prise en charge par l’État et l’Unedic ayant diminué pour une partie des branches. En 2021, ce taux de recours diminuerait sous l’effet principal d’un retour progressif à un niveau d’activité proche de celui d’avant-crise (notamment dans la construction et le commerce). Certaines branches, comme les services aux ménages, ont déjà largement réduit leurs effectifs, et malgré un niveau de production encore dégradé en 2021, n’auraient plus besoin de recourir à l’activité partielle. En moyenne sur l’ensemble des branches, le niveau d’activité prévu pour l’année 2021 se traduirait par un recours à l’activité partielle de même ampleur que celui observé au troisième trimestre 2020. Trois branches (hébergement-restauration, services aux entreprises, transports) concentreraient plus de 50% des heures d’activité partielle en 2021 (Graphique 1). Au total, fin 2021, près de 250 000 salariés devraient être encore en activité partielle contre plus de 1,6 million un an auparavant.

… et les faillites d’entreprises vont augmenter de 180 000 les destructions d’emplois

Par ailleurs, malgré la mise en œuvre de mesures de soutien aux entreprises, la brutalité de la récession induite par la pandémie de Covid-19 et les restrictions sanitaires associées devrait avoir des conséquences importantes sur le tissu productif français. L’ampleur des séquelles que laissera cette crise sera d’autant plus importante et durable que la récession d’activité est hétérogène suivant les secteurs. Dans une étude récente (Heyer, 2020), nous avons ainsi estimé que l’impact de la crise sur les destructions d’emplois spécifiquement dues aux défaillances d’entreprises pourrait atteindre 180 000 destructions d’emplois. Nous avons intégré à notre scenario d’emploi pour 2021 ces destructions, ce qui aboutit à un niveau d’emploi globalement stable fin 2021 par rapport à fin 2020[1].

Une évolution du chômage perturbée par celle de la population active

Enfin, les destructions d’emploi prévues fin 2021 par rapport à fin 2019 (-822 000 emplois), auxquelles il faut ajouter l’augmentation tendancielle de la population active (+118 000 personnes en 2020-2021) ne se traduiraient pas par une augmentation correspondante du chômage. Nous prévoyons en effet un taux de chômage qui atteindrait 10,6% de la population active fin 2021, soit une hausse de +766 000 chômeurs et non de +940 000 (cf. Tableau 2).

De fait, l’année 2020 a été marquée par de sorties massives de chômeurs vers l’inactivité. Ces sorties sont liées pour partie aux confinements successifs et à l’impossibilité de chercher un emploi et au découragement face à la situation dégradée de l’emploi. Elles pourraient également être le fait de personnes cherchant à limiter leurs contacts avec d’autres car étant vulnérables à la Covid-19. Il est néanmoins probable qu’une partie de ces personnes privées d’emploi reprennent leur recherche d’emploi en 2021, du fait de la reprise attendue de l’activité économique et de la levée progressive des mesures sanitaires qui l’accompagnerait. Si la population active devait toutefois progresser comme prévu par l’Insee, alors la hausse du chômage s’élèverait fin 2021 à +940 000 personnes par rapport à fin 2019 et le taux de chômage s’établirait alors à 11,2%.


[1] Notons que la prise en compte de ces destructions d’emplois additionnelles dues aux faillites d’entreprises (-180 000 salariés) couplées à l’effet d’une annulation partielle des pertes de productivité dues aux mesures prophylactiques (-150 000 salariés), expliquent près de 80 % de l’écart de nos prévisions d’emplois avec celle du gouvernement. 

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