Exit la croissance ?

Département analyse et prévision (équipe internationale)

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2016-2018 pour l’économie mondiale et la zone euro dont la version intégrale est disponible ici.

Après avoir évité le Grexit pendant l’été 2015, les Européens devront faire face au Brexit. Au-delà de l’impact qui devrait être significatif sur l’économie du Royaume-Uni se pose la question des effets de ce choc sur les autres pays. Alors que tous les clignotants semblaient s’être mis au vert permettant à la zone euro de sortir d’une double récession liée à la crise financière de 2007-2008 puis à la crise des dettes souveraines, la perspective du Brexit ne risque-t-elle pas d’interrompre ce mouvement de reprise ? Cette crainte est d’autant plus fondée que la reprise tardive n’a pas permis de résorber l’ensemble des déséquilibres qui ont résulté des années de crise. Le taux de chômage de la zone euro dépassait encore 10 % au deuxième trimestre 2016. Un coup d’arrêt sur la croissance ne ferait qu’accentuer la crise sociale et alimenterait en retour les doutes – et donc la défiance – sur la capacité de l’Europe à satisfaire ses ambitions inscrites en préambule du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et rappelées à Lisbonne en  2000.

Pourtant, alors que l’on pouvait craindre un nouveau choc financier, force est de constater que celui-ci ne s’est pas produit. Certes, le Brexit sera le fruit d’un long processus qui n’a pas encore démarré, mais il semble que le pire a été évité pour l’instant. L’économie britannique verrait sa croissance divisée par deux en 2017. Mais les effets négatifs à court terme sur les autres pays de la zone euro seraient assez limités, sauf peut-être en Irlande où l’interdépendance avec le Royaume-Uni est plus forte. La reprise mondiale poursuivrait donc sa route. Néanmoins, la croissance ralentirait dans la zone euro et passerait de 1,9 % en 2015 à 1,3 % en 2018. En effet, les nombreux facteurs qui avaient permis d’amorcer la reprise[1] vont en partie s’essouffler. Le prix du pétrole a déjà entamé une hausse après un point bas à moins de 30 dollars en janvier 2016. Il dépasse aujourd’hui à nouveau les 50 dollars le baril. Quant à l’euro, il fluctue depuis le début de l’année autour de 1,1 dollar alors qu’en 2014 et 2015, il s’était déprécié de 12,5 et 11,3 % respectivement. Par contre, La politique monétaire de la BCE reste expansionniste et les politiques budgétaires sont beaucoup moins restrictives qu’entre 2011 et 2014. En 2015 et 2016, l’impulsion agrégée a même été légèrement positive. Enfin, le commerce mondial connaît un fort ralentissement, qui va bien au-delà du changement de modèle de croissance de l’économie chinoise qui se traduit par une décélération de ses importations. On espérait cependant qu’après l’amorçage de la reprise, une dynamique vertueuse de croissance s’enclencherait dans la zone euro. L’accélération de la croissance liée à des facteurs en partie exogène permettrait des créations d’emplois, la hausse des revenus et de meilleures perspectives pour les ménages et les entreprises. Ces éléments devaient être propices au retour de la confiance et stimuler en retour l’investissement et la consommation. Les dynamiques de l’investissement productif en France ou en Espagne au cours des derniers trimestres donnaient du crédit à ce scénario. La reprise ne serait certes pas avortée mais un tel rythme de croissance semble bien insuffisant pour réduire les déséquilibres induits par de longues années de récession ou de faible croissance. A la fin de l’année 2018, le taux de chômage de la zone euro serait encore près de 2 points supérieur à celui de la fin 2007 (graphique). Pour les cinq principaux pays de la zone euro, cela représente près de 2,7 millions de chômeurs en plus. Dans ces conditions, bien plus que le Brexit, c’est sans doute la situation sociale de la zone euro qui met à mal le projet européen. L’Europe ne peut certainement pas être tenue seule responsable du faible dynamisme de la croissance et du niveau de chômage dans chacun de ses pays mais les perspectives actuelles témoignent que nous n’avons sans doute pas atteint les objectifs qui avaient été fixés à Lisbonne en 2000, c’est-à-dire faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

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[1] Voir la précédente synthèse d’avril 2016 sur  la conjoncture internationale de l’OFCE.




France : croissance malmenée

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

 

La publication, le 28 octobre, d’une croissance de l’économie française de 0,2 % au troisième trimestre 2016 constitue un signal conjoncturel conforme à notre analyse de la conjoncture de l’économie française. Ce chiffre, proche de notre dernière prévision (+0,3% prévu au troisième trimestre), reste en ligne avec notre scénario de croissance à l’horizon 2018.

En effet, après trois années de croissance très faible (0,5 % en moyenne sur la période 2012-14), un modeste rebond de l’activité s’est dessiné en France en 2015 (1,2 %), tiré par la baisse des prix du pétrole, la dépréciation de l’euro et une consolidation budgétaire moins forte que par le passé. Pour la première fois depuis 2011, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand (98 000 sur l’ensemble de l’année), favorisées par les dispositifs fiscaux réduisant le coût du travail. Cumulées à une hausse des effectifs dans le secteur non-marchand (+ 49 000) et des créations d’emplois non-salariés (+56 000), le nombre de chômeurs au sens du BIT a diminué en 2015 (-63 000, soit -0,2 point de la population active). De son côté, dynamisé par le suramortissement fiscal sur les équipements industriels, l’investissement des entreprises a connu un redémarrage en 2015 (+3,9 % en glissement annuel). 

La moins bonne performance de la croissance française par rapport à celle de la zone euro depuis 2014 s’explique, outre le fait qu’elle ait aussi mieux résisté sur la période 2008-2013, par deux éléments majeurs : d’une part, par un ajustement budgétaire plus conséquent que celui de ses voisins européens sur la période 2014-16, et d’autre part par la maigre contribution de ses exportations à la croissance, alors même que les orientations fiscales de la politique de l’offre visent à redresser la compétitivité des entreprises françaises. Or, il semblerait que les exportateurs français aient fait le choix, à partir de 2015, de redresser leurs marges plutôt que de réduire leurs prix à l’exportation, sans effet sur les volumes exportés. Si ce comportement se traduit par des pertes de parts de marché depuis plusieurs trimestres, il peut en revanche, à travers le rétablissement des situations financières des exportateurs hexagonaux, devenir un atout à plus long terme, notamment si ces marges étaient réinvesties dans la compétitivité hors-coût pour favoriser la montée en gamme des produits fabriqués en France.

En 2016, malgré un premier trimestre dynamique (+0,7 %) tiré par une demande intérieure hors stocks exceptionnellement soutenue (+0,9 %), la croissance du PIB plafonnerait à 1,4 % en moyenne sur l’année (tableau 1). Le trou d’air du milieu d’année, marqué par les grèves, les inondations, les attentats ou la fin initialement programmée du suramortissement fiscal, explique en partie la faiblesse de la reprise en 2016. Sous l’effet du redressement du taux de marge, d’un coût du capital historiquement bas et du prolongement du suramortissement fiscal, l’investissement continuerait cependant à croître en 2016 (+2,7 % en glissement annuel). Les créations d’emplois salariés marchands seraient relativement dynamiques (+149 000), soutenues par le CICE, le Pacte de responsabilité ou la prime à l’embauche. Au total, en tenant compte des non-salariés et des effectifs dans le secteur non-marchand, 219 000 emplois seraient créés en 2016. Le taux de chômage baisserait de 0,5 point sur l’année, dont 0,1 serait lié à la mise en place du dispositif « 500 000 formations », et s’établirait à 9,4 % de la population active en fin d’année. Le déficit public, quant à lui, baisserait à 3,3 % du PIB en 2016, après 3,5 % en 2015 et 4 % en 2014.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,5 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %), la politique budgétaire nationale ne pesant plus sur le PIB pour la première fois depuis sept ans. Par contre, la France doit faire face, par rapport à la prévision de printemps, à deux nouveaux chocs, l’impact négatif du Brexit sur le commerce extérieur et celui des attentats sur la fréquentation touristique. Ces deux chocs amputeraient de 0,2 point de PIB la croissance en 2017 (après 0,1 en 2016). L’économie française créerait 180 000 emplois, dont 145 000 dans le secteur marchand, et le taux de chômage se réduirait de « seulement » 0,1 point, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation. Sous l’effet de la remontée du prix du pétrole et de la baisse de l’euro, l’inflation serait de 1,5 % en 2017 (après 0,4 % en 2016). Enfin, le déficit public atteindrait 2,9 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans. Après s’être stabilisée à 96,1 % du PIB en 2015 et en 2016, la dette publique baisserait très légèrement, pour revenir à 95,8 % en 2017.

L’économie française, bien que malmenée par de nouveaux chocs et loin d’avoir effacé tous les stigmates de la crise, se redresse peu à peu, comme en témoigne l’amélioration graduelle de la situation financière des agents économiques : hausse du taux de marge des entreprises, rebond du pouvoir d’achat des ménages, baisse du déficit et stabilisation de la dette publique.

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La révision des comptes nationaux, une étape obligée

Par Hervé Péléraux

La révision des comptes nationaux, depuis les comptes trimestriels vers les comptes annuels définitifs, est usuelle et découle de l’intégration progressive dans le système statistique d’une information s’améliorant au fil du temps. Les estimations trimestrielles du taux de croissance du PIB renseignent en cours d’année sur la trajectoire conjoncturelle de l’économie et permettent, une fois connu le quatrième trimestre, à la fin janvier de l’année suivante, de disposer d’une première estimation de la croissance sur l’ensemble de l’année avant que ne soit publiée la première version du compte annuel à la mi-mai sur lequel le compte trimestriel est recalé. Le compte annuel est lui-même révisé deux fois avant l’établissement du chiffre définitif.

L’élaboration de la prévision est tributaire des comptes trimestriels qui fixent le point de départ de l’exercice, par l’acquis de croissance[1] qui s’en déduit et par la dynamique de l’économie qu’ils décrivent sur le passé récent. Partant de ces considérations, on peut évaluer l’ampleur des révisions opérées depuis quelques années et leur implication pour les exercices semestriels de prévision.

Depuis la sortie de récession de l’économie française en 2010, les révisions ont systématiquement conduit à des réévaluations des taux de croissance annuels, en moyenne de 0,3 point entre la version purement trimestrielle des comptes, c’est-à-dire n’ayant fait l’objet d’aucun calage sur les données annuelles, et la dernière version disponible des comptes, publiée le 26 août 2016 (tableau). Les révisions de 2010 et de 2011, années de reprise après la récession, ont été notables, avec à chaque fois une majoration de +0,4 point du taux de croissance annuel. Les révisions des années 2013 et 2014 sont un peu moindres, +0,3 point, mais conduisent à un doublement des taux de croissance estimés initialement. Il est à noter que le compte annuel de l’année 2015 est provisoire ; la révision entre le compte trimestriel et le compte actuel est donc moindre que celle des années antérieures, mais ce dernier sera encore révisé deux fois jusqu’à sa version définitive publiée en mai 2018.

La révision des comptes nationaux modifierait virtuellement le point de départ des prévisions conduites au printemps et à l’automne, et amènerait à modifier la croissance annuelle prévue et ce sans même modifier les taux de croissance trimestriels inscrits en prévision.

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Le plus souvent, l’acquis de croissance connu à l’époque de la prévision était inférieur à celui connu aujourd’hui sur la base des comptes révisés qui ont été systématiquement revus à la hausse au cours des six dernières années. Pour les prévisions de printemps, l’acquis des derniers comptes est supérieur de 0,3 point à celui des comptes provisoires en 2011 et en 2013, de 0,2 point pour 2015 mais qui n’en n’est comme on l’a déjà dit, qu’à un stade de révisions tout à fait préliminaire.

A l’automne, les révisions ont aussi joué positivement sur le calcul de l’acquis, notamment en 2011 et en 2013 à hauteur de 0,5 point. La révision de l’acquis à l’automne pour l’année 2014 est moindre, 0,2 point. Mais au-delà de la révision de l’acquis, l’instabilité des estimations du taux de croissance trimestriel peut rendre confuse l’appréciation de la dynamique de l’économie à court terme. Ainsi, l’estimation des deux premiers trimestres de 2014 a longtemps retracé une trajectoire de récession au sens technique du terme (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB), pour finalement ne plus décrire qu’une phase de stagnation de l’économie française (graphique). La baisse cumulée du PIB sur le 1er semestre 2014 s’est creusée jusqu’à -0,33 % à la publication d’avril 2016, pour finalement s’inverser en une hausse de 0,14 % à la dernière publication d’août 2016, soit une révision en hausse de près de 0,5 point de la croissance sur le semestre.

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En cette rentrée, l’exercice de prévision s’appuie sur un acquis de croissance pour 2016, à partir de comptes nationaux connus jusqu’au 2ième trimestre, de 1,1 %. En prolongeant ces comptes avec notre précédente prévision de printemps pour les deux derniers trimestres de cette année (0,4 % à chaque fois), la croissance de 2016 serait de +1,4 %. Mais les étapes ultérieures de révision des comptes, si l’on en croît l’expérience passée sur les six dernières années, pourraient conduire à une réévaluation de cet acquis. Une croissance de 1,6 % en 2016 n’est donc pas hors de portée, si les révisions s’effectuent dans le même sens que depuis 2010.

[1] L’acquis de croissance du PIB pour une année N correspond au taux de croissance du PIB entre l’année N-1 et l’année N que l’on obtiendrait si le PIB demeurait jusqu’à la fin de l’année N au niveau du dernier trimestre connu. L’acquis traduit les effets de la croissance trimestrielle passée sur le taux de croissance annuel. La révision des taux de croissance trimestriels passés modifie donc spontanément l’acquis et donc la croissance annuelle.

 




Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




Le meilleur du contre-choc pétrolier est à venir !

par Eric Heyer et Paul Hubert

Après avoir connu une forte baisse au cours des 2 dernières années, le prix du baril de pétrole est reparti à la hausse depuis le début de l’année. Alors qu’il se situait aux alentours des 110 dollars début 2014,  puis à 31 dollars début 2016, il frôle actuellement les 50 dollars.

Cette remontée du prix du pétrole va-t-elle remettre en cause le schéma de reprise graduelle qui semblait s’enclencher en France en 2016 ?

Dans une étude récente, nous avons tenté de répondre à trois questions autour de l’impact du prix du pétrole sur la croissance française : son impact est-il immédiat ou existe-t-il un décalage temporel entre les variations du prix du pétrole et son incidence sur le PIB ? Les effets des variations du prix du pétrole sont-ils asymétriques entre hausses et baisses ? Ces effets dépendent-ils du cycle conjoncturel ?Les principaux résultats de notre étude peuvent être résumés de la manière suivante :

  1. Il existe un décalage de l’impact d’une variation du prix du pétrole sur le PIB français. Ce décalage serait en moyenne, sur la période 1985-2015, de 4 trimestres ;
  2. L’effet, à la baisse comme la hausse, n’est significatif que pour des variations des prix du pétrole supérieures à 1 écart-type ;
  3. L’effet asymétrique est extrêmement faible : l’élasticité de l’activité au prix du pétrole est identique dans le cas d’une hausse ou d’une baisse de ce dernier. Seule la vitesse de diffusion diffère (3 trimestres dans le cas d’une hausse contre 4 dans celui d’une baisse) ;
  4. Enfin, l’effet des variations du prix du pétrole sur l’activité dépend de la phase du cycle conjoncturel : l’élasticité n’est pas significativement différente de zéro dans des états de « crise » et de « haute conjoncture ». En revanche l’élasticité est très largement supérieure en valeur absolue lorsque l’économie se situe en croissance modérée (basse conjoncture).

Appliquons maintenant ces résultats à la situation observée depuis 2012. Entre le premier trimestre 2012 et le premier trimestre 2016, le prix du baril de Brent est passé de 118 dollars à 34 dollars, soit une baisse de 84 dollars en 4 ans. Si on tient compte du taux de change euro-dollar et des évolutions du prix de consommation en France, cette baisse équivaut à une réduction de 49 euros au cours de cette période (graphique 1).

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Nous avons évalué l’incidence d’une telle baisse sur le PIB trimestriel français en tenant compte du retard, de l’asymétrie et de la phase du cycle conjoncturel mis en avant précédemment.

Les résultats de ces variantes indiquent que l’effet du contre-choc pétrolier n’est finalement pas très visible en 2015. Comme l’illustre le graphique 2, l’effet devrait se faire sentir à partir du premier trimestre 2016 et ce quelles que soient les hypothèses retenues. L’effet positif du contre-choc pétrolier est donc à venir !

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France : des marges de croissance

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

Après plusieurs années de croissance atone (0,4 % en moyenne sur la période 2012-2014), un mouvement de reprise de l’activité semble enfin émerger en France. Avec 1,2 % en 2015 (1,4 % en glissement annuel à la fin de l’année), la croissance française est restée modeste et inférieure à la moyenne de la croissance européenne. L’année 2015 a été encore marquée par un certain nombre de points noirs, particulièrement concentrés autour du secteur de la construction et de l’investissement des administrations publiques (amputant le PIB de -0,3 point en 2015 après -0,5 point en 2014). Néanmoins, des signaux positifs sont apparus qui sont de bon augure.

Premièrement, en 2015, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois dans le secteur privé (122 000 sur l’ensemble de l’année). Deuxièmement, l’investissement des entreprises, tiré par les secteurs des biens d’équipements et de l’information-communication, s’est amélioré (+3,2 % en glissement annuel). À cela s’ajoute un certain nombre d’éléments favorables à la compétitivité : le taux de marge des entreprises a fortement augmenté, particulièrement dans les branches industrielles et les secteurs exportateurs, les parts de marché à l’exportation se sont améliorées et la balance courante, déficitaire depuis une dizaine d’années, est quasiment revenue à l’équilibre. Troisièmement, bien que son impact sur la consommation des ménages ait été limité (+0,9 % en glissement annuel), le pouvoir d’achat des ménages s’est redressé (+2 %). Cela s’est traduit par une forte remontée du taux d’épargne en 2015 (près d’1 point), laissant présager des capacités de consommation futures pour 2016. Enfin, le déficit public, à 3,5 % du PIB en 2015, a été inférieur à la cible du gouvernement et aux attentes de la Commission européenne.

L’année 2015 a été marquée par un redressement de la situation financière des agents privés et une amélioration des comptes publics. Les ménages, les entreprises et les administrations publiques abordent ainsi l’année 2016 avec de nouvelles marges de manoeuvre. Dans un contexte où l’environnement macroéconomique extérieur reste relativement porteur (prix du pétrole bas, euro compétitif et taux d’intérêts historiquement faibles), et ce malgré le ralentissement des pays émergents, Chine en tête, ou le risque de Brexit, l’économie française aborde l’année 2016 dans des conditions meilleures que par le passé. Avec une sortie progressive de la politique d’austérité, ces nouvelles capacités financières pourront soutenir la consommation, l’investissement et l’emploi. De plus, le redressement des résultats des enquêtes dans la construction laisse présager une amélioration du secteur pour l’année en cours. Ainsi, la croissance française devrait s’établir à 1,6 % en 2016 (+1,9% en glissement annuel), avec un 1er semestre 2016 relativement dynamique (+1 % sur le semestre) (tableau 3), soutenu par un rebond marqué de la consommation après une faiblesse temporaire au 4e trimestre 2015, due en partie à la douceur climatique et aux effets des attentats. À partir du troisième trimestre 2016, la croissance évoluerait sur un rythme de 0,4 % par trimestre. Au cours de l’année 2016, le nombre total d’emplois créés serait de l’ordre de 230 000 et le taux de chômage reviendrait à 9,5 % en fin d’année, soit une baisse de 0,5 point, dont 0,15 dû à la mise en place du plan de 500 000 formations. L’investissement des entreprises, soutenu par la hausse des taux de marge, la faiblesse du coût du capital et l’amélioration des perspectives d’activité, continuerait à se redresser mais à un rythme modéré (3 %) en raison des taux d’utilisation toujours inférieurs à leur moyenne historique. Le déficit public s’améliorerait de 0,4 point de PIB en 2016 (pour atteindre 3,1 % du PIB), pour moitié grâce à l’effort budgétaire structurel et pour moitié grâce à l’amélioration de la situation conjoncturelle.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,6 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %). Elle créerait 165 000 emplois, ce qui, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation, permettrait tout juste de stabiliser le taux de chômage à 9,5 % en 2017. Enfin, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans.

Si l’on reste encore loin d’une croissance vigoureuse et du niveau de chômage d’avant-crise, la France semble cependant entamer sa lente convalescence, notamment par le redressement du pouvoir d’achat des ménages, la baisse du chômage, l’amélioration de la compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public.

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Le casse-tête potentiel de la mesure des économies en dépenses publiques

par Raul Sampognaro

Depuis 2009, le déficit budgétaire français s’est réduit de 3,3 points de PIB, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques. Cette amélioration s’explique par la politique de restriction budgétaire mise en œuvre. Entre 2010 et 2013, l’essentiel de l’effort de consolidation s’expliquait par la hausse de la fiscalité, mais depuis 2014, l’effort passe essentiellement par les économies en dépenses publiques. En 2014 la dépense publique hors crédits d’impôts[1] a connu sa progression la plus faible depuis 1959 − année du début des comptes nationaux publiés par l’Insee : en valeur, la dépense hors crédits d’impôts a augmenté de 0,9 % et de seulement 0,3 % en volume (déflatée par les prix du PIB). A première vue, il peut apparaître contre-intuitif de parler d’économies en dépenses, alors que celles-ci sont en hausse croissante. Toutefois, leur progression est bien inférieure à la croissance potentielle, ce qui marque un vrai effort de réduction à long terme du ratio des dépenses sur le PIB. En effet, la formule usuellement utilisée pour calculer l’effort en dépenses dépend de l’hypothèse retenue sur la croissance potentielle : Formule_post09-11_500 Pour comprendre pourquoi la mesure de l’effort en dépenses publiques est dépendante de la croissance potentielle, il faut comprendre la notion de soutenabilité de la dette qui lui est sous-jacente. La définition théorique de la soutenabilité de la dette est consensuelle : la dette publique serait soutenable si le stock de dette actuel pouvait être remboursé par le flux futur anticipé des revenus nets de l’Etat[2]. Si ce concept est clair, son application concrète est plus difficile. Dans la pratique, la politique budgétaire est jugée soutenable si elle permet de stabiliser le ratio de la dette publique par rapport au PIB, à un niveau jugé conforme au  maintien du refinancement de marché. Ainsi, l’évolution de la dépense publique conforme à cet objectif devrait permettre de stabiliser la part de la dépense publique dans le PIB à long terme. Toutefois, comme la dépense publique répond essentiellement à des besoins sociaux indépendants de la conjoncture (en dehors de certaines prestations sociales comme l’assurance chômage), il ne peut pas être assuré, ni souhaitable, de stabiliser sa part dans le PIB à tout moment (ce qui impliquerait une évolution égale à celle de PIB). Pour éviter cet écueil, l’évolution en valeur des dépenses publiques est comparée au taux de croissance nominal du PIB potentiel[3] (dépendant du taux de croissance potentiel et de l’évolution annuelle du déflateur du PIB). Une croissance de la dépense publique supérieure (respectivement inférieure) au potentiel implique une impulsion positive (négative) car cela induit à long terme une hausse (baisse) du ratio des dépenses publiques sur le PIB. Si l’application de ce concept semble aisée, la croissance potentielle est par essence non observable et incertaine car très dépendante des hypothèses réalisées sur les variables démographiques et l’évolution future de la productivité. Dans le PLF 2016, le gouvernement a revu à la hausse ses hypothèses de croissance potentielle pour les années 2016 et 2017 (qui serait de +1,5 % au lieu de +1,3 % comme retenu lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques en décembre 2014). Cette révision est justifiée par la prise en compte des réformes structurelles mises en place, notamment lors du vote de la Loi Macron. Celle-ci serait la deuxième révision du potentiel depuis avril 2014 quand il l’estimait à +1,6 % (Programme de stabilité 2014-2017). Le gouvernement n’est pas le seul à revoir de façon répétée son évaluation du potentiel de croissance. Lors de la publication de ses dernières prévisions[4], la Commission a revu son évaluation de la croissance potentielle alors que sa dernière évaluation datait du mois de mai[5]. Il semble difficile de voir quelle nouvelle information a pu modifier son évaluation. Ces révisions récurrentes rendent difficile le débat économique en général[6] et brouillent le débat budgétaire. Ainsi à partir d’un jeu d’hypothèses de finances publiques identique, la mesure des économies en dépenses, et a fortiori de l’ajustement structurel, dépendra de la croissance potentielle retenue (tableau). Sous une hypothèse de croissance de la dépense publique (hors crédits d’impôts) en valeur de +1,3 % en 2016 et en 2017, l’ampleur de l’effort en dépenses aurait été évalué à 0,7 point en octobre 2015 (avec les hypothèses de potentiel du PLF 2016) ou à 0,6 point en décembre 2014 (LPFP 2014-2019). tabpost0911 Si les écarts identifiés ci-dessus semblent faibles, ils peuvent avoir des conséquences non négligeables sur l’application des règles budgétaires, ce qui peut amener les différents acteurs à agir sur leurs hypothèses dans le but de modifier l’effort affiché[7]. Alors que cette notion devrait orienter la vision de la trajectoire future des économies européennes, le débat est détourné. Les révisions récurrentes de la croissance potentielle focalisent les débats sur les aspects les plus techniques alors même que la méthode d’estimation de la croissance potentielle est incertaine par définition et n’est même pas consensuelle parmi les économistes. Ainsi, le semestre européen, qui devrait être le cadre de discussion et de coordination entre les Etats membres pour déterminer la politique économique qui s’adapte le mieux au contexte macroéconomique, pour la France ou pour l’ensemble de la zone euro, s’est perdu dans des débats techniques sans intérêt particulier.

 


[1] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques sur la base 2010 des comptes nationaux. Afin de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ils seront pris en compte comme une composante de la fiscalité.
[2] Cette définition est acceptée tant par la littérature académique (voir par exemple D’Erasmo P., Mendoza E. et Zhang J., 2015, “What is a Sustainable Public Debt?”, NBER WP, n° 21574, septembre 2015, ou par les organisations internationales (voir FMI, 2012, « Assessing Sustainability »).
[3] Il peut aussi être comparé à une évolution tendancielle de la dépense publique qui, elle, peut tenir compte des évolutions des besoins auxquels la dépense répond.
[4] La Commission européenne table sur une croissance de 1,1 % en 2015, de 1,4 % en 2016 et de 1,7 % en 2017 en France.
[5] L’évaluation a changé à la deuxième décimale.
[6] Pour ce débat voir H. Sterdyniak, 2015, « Faut-il encore utiliser le concept de croissance potentielle ? », Revue de l’OFCE, n° 142, octobre 2015.
[7] Les révisions de la croissance potentielle peuvent avoir un impact sur la montée en charge des procédures. Ces révisions ne peuvent pas entraîner des sanctions. Au stade des sanctions seulement, l’hypothèse de croissance potentielle de la Commission, réalisée au moment de la recommandation du Conseil, est utilisée dans les débats. Toutefois, il est probable qu’une divergence d’appréciation sur une variable non observable puisse générer du frottement dans la procédure, réduire la probabilité de sanctions et rendre les règles moins crédibles.



France : retour sur désinvestissement. Prévisions 2015-2017 pour l’économie française

par  Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Ce texte résume les perspectives économiques 2015-2017 de l’OFCE pour l’économie française

 

Après un mouvement de reprise hésitant au premier semestre 2015 (avec des taux de croissance respectivement de 0,7 % et 0 % au premier et au deuxième trimestre), l’économie française enregistrerait une faible croissance au second semestre, affichant au final une hausse du PIB de 1,1 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. Avec un taux de croissance du PIB de +0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015, rythmes équivalents à ceux de la croissance potentielle, le taux de chômage se stabiliserait à 10 % jusqu’à la fin de l’année. La consommation des ménages (+1,7 % en 2015), favorisée par le redressement du pouvoir d’achat lié en particulier à la baisse du prix du pétrole, soutiendrait la croissance en 2015 mais l’investissement des ménages (-3,6 %) et celui des administrations publiques (-2,6 %) continueraient de freiner l’activité. Dans un contexte de croissance molle et de consolidation budgétaire modérée, le déficit public continuerait sa lente décrue, pour atteindre 3,7 % du PIB en 2015.

Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait celle de la reprise, marquée par la hausse du taux d’investissement des entreprises. En effet, tous les facteurs d’une reprise de l’investissement sont réunis : d’abord le redressement spectaculaire du taux de marge depuis la mi-2014 grâce à la baisse des coûts d’approvisionnement en énergie et à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité ; ensuite le niveau historiquement bas du coût du capital, favorisé par la politique monétaire non conventionnelle de la BCE ; enfin l’amélioration des perspectives d’activité. Ces facteurs permettraient une accélération de l’investissement des entreprises en 2016, qui  augmenterait de 4 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. La consommation des ménages resterait soutenue en 2016 (+1,6 %), tirée par les créations d’emplois dans le secteur marchand et par une légère baisse du taux d’épargne. Alimenté par la remontée des mises en chantier et des permis de construire, l’investissement en logement repartirait (+3 %), après quatre années successives de contraction. Sous l’effet de la dépréciation passée de l’euro et des politiques de compétitivité poursuivies par le gouvernement, le commerce extérieur contribuerait positivement à la croissance (+0,2 point de PIB en 2016, soit une contribution identique à celle de 2015). Une fois les effets du contrechoc pétrolier épuisés, l’inflation reviendrait à un rythme positif mais toujours faible en 2016 (+1 % en moyenne annuelle après deux année de quasi-stagnation), soit un rythme proche de l’inflation sous-jacente. Le rythme de croissance trimestriel du PIB en 2016 serait compris entre 0,5 et 0,6 %, déclenchant la fermeture progressive de l’écart de production et la lente baisse du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 %. Le déficit public se réduirait de 0,5 point de PIB, sous l’effet des économies réalisées sur la dépense publique, au travers notamment de la contraction de l’investissement public (-2,6 %), de la faible croissance de la consommation des administrations publiques (+0,9 %), et sous l’effet de la remontée des recettes fiscales avec la reprise de l’activité.

Sous l’hypothèse d’un environnement macroéconomique durablement favorable, la fermeture de l’écart de production devrait se poursuivre en 2017. Avec une croissance du PIB de 2 %, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB et repasserait sous la barre des 3 % pour la première fois depuis 10 ans. Grâce aux politiques de l’emploi et la résorption des sureffectifs effectuée dans les entreprises, le taux de chômage continuerait à baisser pour atteindre 9,4 % de la population active à la fin de l’année 2017.




Le ralentissement de la croissance : du côté de l’offre ?

par Jérôme Creel et Xavier Ragot

La faiblesse de la reprise en 2014 et 2015 nécessite une réflexion structurelle sur l’état du tissu productif en France. En effet, l’analyse de la dynamique de l’investissement, de la balance commerciale, des gains de productivité ou du taux de marge des entreprises, et dans une moindre mesure de leur accès au crédit, indique l’existence de tendances inquiétantes depuis le début des années 2000. De plus, la persistance de la crise conduit inéluctablement à la question de l’érosion du tissu productif français depuis 2007 du fait de la faible croissance, du faible investissement et du nombre élevé de faillites.

Les contributions rassemblées dans la Revue de l’OFCE n°142 ont une double ambition : celle de mettre les entreprises et les secteurs au cœur de la réflexion sur les tenants et les aboutissants du ralentissement actuel de la croissance, et celle de questionner le bien-fondé des analyses théoriques sur la croissance future à l’aune des situations française et européenne. De ces contributions, neuf conclusions se dégagent :

1) La croissance potentielle, notion qui vise à mesurer les capacités productives d’une économie à moyen terme, a fléchi en France depuis la crise. Si le niveau de croissance potentielle sur longue période est élevé, de l’ordre de 1,8 %, la croissance potentielle fléchit depuis la crise de l’ordre de 0,4 point, selon la nouvelle mesure donnée par Eric Heyer et Xavier Timbeau.

2) La question centrale consiste à savoir si ce ralentissement est transitoire ou permanent. Cette question est importante pour les prévisions de croissance mais aussi pour les engagements européens de la France, qui dépendent de la croissance potentielle. Une conclusion importante de ce numéro est qu’une très grande partie de ce ralentissement est transitoire et liée à la politique économique menée en France. Comme le montrent Bruno Ducoudré et Mathieu Plane, le faible niveau d’investissement et d’emploi peut s’expliquer par l’environnement macroéconomique et, notamment, par la faiblesse actuelle de l’activité. Le comportement des entreprises ne semble pas avoir changé dans la crise. L’analyse de Ducoudré et Plane montre, par ailleurs, que les déterminants de l’investissement sont différents à court et à long terme. Une hausse de 1 % de l’activité économique augmente l’investissement de 1,4 % après un trimestre alors qu’une hausse de 1 % du taux de marge n’a qu’un impact très faible à cet horizon. Cependant à long terme (10 ans), une hausse de 1 % de l’activité augmente l’investissement de l’ordre de 1 %, alors qu’une hausse de 1 % du taux de marge augmente l’investissement de 2%. Ainsi, le soutien à l’investissement passe par un soutien à l’activité économique à court terme, tandis que le rétablissement des marges aura un effet de long terme.

3) Le tissu productif français va mettre du temps à se rétablir des effets de la crise du fait de trois puissants freins : la faiblesse de l’investissement, certes, mais aussi la baisse de la qualité de l’investissement et enfin la désorganisation productive consécutive à la mauvaise allocation du capital durant la crise, y compris dans sa dimension territoriale. Sarah Guillou et Lionel Nesta montrent que le faible niveau d’investissement, parce qu’il ne permet pas de monter en gamme, génère moins de progrès technique depuis la crise. Ensuite, Jean-Luc Gaffard et Lionel Nesta montrent que la convergence des territoires s’est ralentie depuis la crise et que l’activité a plutôt décru dans les territoires les plus productifs.

4) La notion de croissance potentielle sort profondément fragilisée de la crise comme outil de pilotage macroéconomique. Les révisions continues (quelles que soient les méthodes) de la croissance potentielle rendent dangereuse l’idée d’un pilotage européen en fonction de règles, comme le montre Henri Sterdyniak. Il faut donc retrouver une politique économique européenne qui assume son caractère discrétionnaire. En outre, une politique budgétaire plus contingente aux conditions macroéconomiques et financières, doit être mieux coordonnée avec la question climatique, comme l’argumentent Jérôme Creel et Eloi Laurent.

5) La notion de stagnation séculaire, c’est-à-dire un affaiblissement durable de la croissance donne lieu à d’intenses débats. Deux visions de la stagnation séculaire sont débattues. La première, celle de Robert Gordon, insiste sur l’épuisement du progrès technique. La seconde, dans la continuité des analyses de Larry Summers, insiste sur la possibilité d’un déficit permanent de demande. Jérôme Creel et Eloi Laurent montrent les limites de l’analyse de Robert Gordon pour la France ; en particulier, la démographie française est plus un avantage qu’un frein à la croissance française. Gilles Le Garrec et Vincent Touzé montrent la possibilité d’un déficit durable de demande, qui pèse sur l’accumulation du capital, du fait de l’impuissance de la Banque centrale à baisser encore ses taux d’intérêt. Dans un tel environnement, un soutien à la demande est nécessaire pour sortir d’un mauvais équilibre d’inflation basse et de chômage élevé, qui conduit à une perception négative du potentiel de croissance. Changer les anticipations peut demander des politiques de stimulation de l’activité économique de grande ampleur, tout comme l’acceptation d’une inflation durablement élevée.

6) Ainsi, les analyses présentées ici reconnaissent les profondes difficultés du tissu productif en France et recommandent une meilleure  coordination des politiques publiques. Il faut un soutien rapide à la demande afin de rétablir l’investissement, puis une politique continue et progressive de rétablissement des marges des entreprises exposées à la concurrence internationale. Pas de choc de compétitivité donc, mais un soutien aux entreprises qui prenne en compte le profil temporel de l’investissement productif, selon Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno.

7) A plus long terme, une partie du problème français qualifiée d’offre est le résultat des désajustements européens, notamment de la divergence des salaires entre les grandes économies européennes. La divergence entre la France et l’Allemagne est impressionnante depuis le milieu des années 1990. Mathilde Le Moigne et Xavier Ragot montrent que la modération salariale allemande est une singularité parmi les pays européens. Ils proposent une quantification de l’effet de cette modération salariale sur le commerce extérieur et l’activité économique en France. La modération salariale allemande contribue à une hausse de plus de 2 points du taux de chômage français. La politique de l’offre porte un autre nom : celui de politique de reconvergence européenne.

8) La modernisation profonde du tissu productif reposera sur des espaces de coopération, d’apprentissage collectif et de collaboration permettant de la créativité rendue possible par les nouvelles technologies. Ces espaces doivent reconnaître l’importance des actifs intangibles, qui sont si difficiles à valoriser. Dans des économies dont la population active vieillit, les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle doivent engendrer une amélioration du potentiel de productivité, selon Sandrine Levasseur. Il faut aussi renforcer la coopération au sein de deux espaces : l’entreprise et le territoire. Au sein de l’entreprise, une gouvernance partenariale doit permettre de limiter les tendances financières court-termistes. Au sein des territoires, la définition de systèmes territoriaux d’innovation doit être l’enjeu d’une politique industrielle moderne, selon Michel Aglietta et Xavier Ragot.

9) Pour conclure, ce n’est pas tant le niveau de la production qui inquiète que l’inéquitable répartition des fruits de la croissance, si faible soit-elle, comme le montre Guillaume Allègre. Le consensus naissant à propos de l’impact négatif des inégalités sur la croissance économique ne doit pas masquer le vrai débat, qui ne porte pas uniquement sur les écarts de revenus, mais aussi sur ce que ces revenus permettent de consommer, donc sur l’accès à des biens et services de qualité égale. La question essentielle devient alors celle du contenu de la production, avant celle de sa croissance.




Pas encore de « cessation » de la hausse du chômage

Département Analyse et Prévisions (DAP)

Les chiffres du chômage du mois de mai 2015 font à nouveau apparaître une hausse de 16 200 personnes inscrites en catégorie A, hausse certes moindre qu’en avril (+26 200), mais qui ne laisse toujours pas entrevoir à l’horizon l’inversion de la courbe du chômage. Cette hausse ininterrompue du chômage, dans un contexte de reprise naissante, ne surprend guère. Le regain de croissance du PIB au premier trimestre (+0,6  % selon les comptes détaillés publiés par l’INSEE ce matin)  n’a pas encore produit ses effets sur l’emploi qui, lui, a stagné. Pour l’heure, les entreprises profitent du surcroît d’activité pour résorber les sureffectifs hérités de la crise. Ce n’est qu’une fois la reprise inscrite dans la durée que l’augmentation de l’emploi pourra se traduire en baisse du chômage. Les délais d’ajustement de l’emploi à l’activité, de l’ordre de trois trimestres, n’augurent pas de retournement du marché du travail à brève échéance.

Le dernier épisode de croissance en France avait d’ailleurs été trop bref pour imprimer un repli du nombre de demandeurs d’emploi après la récession de 2008-2009. Avec une croissance moyenne de 0,7 % par trimestre entre le quatrième trimestre 2009 et le premier trimestre 2011, le nombre de chômeurs s’était tout au plus stabilisé (graphique 1).

Depuis le deuxième trimestre 2011, la croissance est retombée à un niveau très faible (+0,1 % en moyenne par trimestre) et le chômage est reparti à la hausse. Une inflexion est toutefois apparue au début de 2013, avec une progression mensuelle divisée par deux en moyenne grâce à la reprise du traitement social du chômage, par le biais de la création d’environ 100 000 emplois aidés dans les secteurs non-marchands, et par l’enrichissement de la croissance en emploi dû à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité.

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Avec l’accélération progressive de la croissance et la montée en charge des différentes mesures en faveur de l’emploi, une (lente) amélioration est à entrevoir au cours du second semestre 2015.

La spectaculaire baisse des sorties de Pôle Emploi

L’augmentation de +69 600 des inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, B et C sur le seul mois de mai, soit le plus mauvais chiffre enregistré depuis le mois d’avril 2009 au plus fort de la récession, a de quoi surprendre. Le nombre de ces chômeurs au sens large, comprenant les personnes sans emploi mais aussi celles en activité réduite, a été perturbé par des variations inhabituelles de sorties de Pôle Emploi. Ainsi environ 43 % des sorties de Pôle Emploi sont dues à des « cessations d’inscriptions » en raison du non renouvellement mensuel de la demande d’emploi pour des raisons non précisées mais qui peuvent être liées par exemple à une reprise d’activité, à un effet de découragement, à une indisponibilité temporaire ou même à un oubli. En moyenne, sur les cinq dernières années, ces « cessations d’inscriptions pour défaut d’actualisation » s’élevaient à près de 200 000 par mois. Certains mois, le motif de sortie peut connaître de fortes variations, perturbant temporairement les statistiques du chômage. Par exemple, en août 2013, le bug SFR (graphique 2), lié à une panne informatique chez l’opérateur, a empêché de nombreux demandeurs d’emploi d’actualiser leur situation, ce qui a entraîné une forte hausse de ces « cessations d’inscriptions » (+260 100). Mécaniquement, sous l’effet du flux très élevé de sorties de Pôle Emploi, le nombre de demandeurs d’emploi en catégories A, B et C a baissé de 43 800 en août 2013. Le mois suivant, avec un nombre de « cessations d’inscriptions » revenant à un niveau proche de sa moyenne de long terme, les chiffres du chômage avaient logiquement fortement augmenté (+56 400 en septembre 2013), corrigeant l’effet de la baisse artificielle du mois précédent.

Pour les chiffres du mois de mai 2015, le phénomène a été l’inverse de celui observé lors du bug SFR d’août 2013. En effet, constatant que le nombre de demandeurs d’emploi ayant actualisé leur situation à la suite de la relance habituelle était sensiblement plus faible que d’ordinaire, Pôle Emploi a procédé à deux relances supplémentaires, ce qui a conduit à un niveau inhabituellement bas des cessations d’inscription (+160 600) par rapport à la tendance historique (201 300). Cela a augmenté mécaniquement les effectifs des catégories A, B et C, effet que Pôle Emploi chiffre entre 28 000 et 38 000. Or, si le mois prochain, le nombre de « cessations d’inscriptions » revenait à un niveau proche de sa moyenne de long terme, cela se répercuterait à la baisse sur le nombre de chômeurs en catégorie A, B et C, sans pour autant que ce dégonflement ne soit le fruit d’un changement sur le marché du travail. On ne saurait donc insister suffisamment sur la nécessaire prudence quant à l’interprétation des statistiques du chômage mois par mois.

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