Pourquoi est-il si difficile de réformer l’impôt en France ?

par Guillaume Allègre

Jusqu’ici, les réformes de la fiscalité des ménages ont consisté à rajouter un impôt (CSG, 1991), à en supprimer un (taxe d’habitation, 2018-2022) ou à déformer un impôt en particulier (voir les nombreuses modifications de la décote au titre de l’impôt sur le revenu) plutôt qu’à une remise à plat générale. Ceci nuit à la cohérence du système fiscal, à son efficacité, à sa transparence ainsi qu’à sa compréhension par les contribuables (et même souvent par les « experts »). L’exemple de la décote est parlant : elle est calculée après l’application du barème et consiste à réduire l’impôt des contribuables les moins aisés de façon inutilement complexe[1]. L’objectif est d’exonérer certains contribuables tout en réduisant le coût pour les finances publiques. Pour se faire, la décote crée des taux marginaux implicites plus élevés que les taux affichés à l’entrée de l’impôt de façon incompréhensible pour un contribuable lambda[2]. Une fois mise en place, il est politiquement difficile de la réformer. Les citoyens ne comprenant pas les tenants et aboutissants, ils peuvent croire qu’il y a un loup : simplifier c’est compliqué.

« 56% des foyers français ne payent pas l’impôt sur le revenu »[3]. Cette affirmation, vraie pour l’impôt sur le revenu stricto sensu, est répétée à longueur de tribunes et d’émissions télévisées. L’impôt universel, payé par tous les Français dès le premier euro de revenu, fait partie des revendications des gilets jaunes. Or, cet impôt existe déjà : la CSG impose les revenus du travail et du capital à 9,2% dès le premier euro (les petites pensions en sont exonérées). La CSG rapporte plus que l’impôt sur le revenu : elle a rapporté près de 100 milliards d’euros en 2017 alors que l’impôt sur le revenu (IR) a rapporté 77 milliards d’euros[4]. Cette superposition de deux impôts sur le revenu est une exception en comparaison internationale. Une solution, plus simple et transparente serait de fusionner IR et CSG, d’autant plus que les deux impôts sont maintenant prélevés à la source. Cette fusion est un serpent de mer. Elle faisait partie, avec le prélèvement à la source, des propositions du candidat Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012. Un rapport d’information de l’Assemblée nationale prônait ce rapprochement dès 2007 (voir également Allègre et al., 2007 : « Vers la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG »). Le rapport concluait que « fusionner IR et CSG permettrait à la fois d’éviter une trop grande concentration apparente de l’impôt sur un nombre réduit de contribuables et de prendre en compte les facultés contributives de tous les contribuables, y compris ceux qui ne sont imposés aujourd’hui principalement qu’à la CSG ». Elle aurait permis de remettre à plat les niches fiscales qui mitent l’IR : à l’époque, on en dénombrait 189 (contre 60 pour la CSG). La fusion permettrait ainsi de s’inspirer du meilleur des deux prélèvements : le rendement pour la CSG et la progressivité pour l’IR.

Alors pourquoi la réforme n’a jamais eu lieu ? Comme toute réforme de la fiscalité à rendement constant, elle ferait de nombreux perdants (et gagnants), notamment dans le bas de la distribution des revenus. Ceci s’explique entre autre par le fait que la CSG, prélevée directement sur les revenus du travail, est individualisée alors que l’IR tient compte de la composition des foyers fiscaux ainsi que de l’intégralité de leur revenu. L’IR est ainsi familialisé – par le quotient familial – et conjugalisé (il tient compte des revenus des deux conjoints). Alors que l’avantage du quotient familial est plafonné, celui du quotient conjugal ne l’est pas (voir Allègre, Périvier et Pucci, 2019 : « Imposition des couples en France et statut marital : simulation de trois réformes du quotient conjugal ». L’avantage maximal du quotient conjugal est de 32 000 euros par an pour les très hauts revenus, alors que le quotient familial est plafonné à 1 500 euros. L’individualisation de l’impôt impliquerait un gain en recettes fiscales de 7,2 milliards d’euros qui pourrait être redistribué sous forme de réduction d’impôt pour tous les ménages afin que le rendement global de l’impôt ne soit pas affecté. Une telle réforme n’a pas été menée jusqu’ici car les les réformes impliquant des transferts massifs entre différentes catégories de ménages n’étaient pas appréciées : le gain politique est perçu comme faible car les perdants protestent alors que les gagnants se taisent[5]. Ceci explique également l’absence de réforme de la taxe d’habitation et de la taxe foncière : calculés sur des valeurs locatives cadastrales qui n’ont jamais été actualisées, ces deux impôts sont particulièrement inéquitables[6]. Une grande réforme fiscale aurait pu fusionner taxe foncière, IFI et droits de mutation à titre onéreux (« frais de notaires ») en un impôt s’appuyant sur la valeur de marché de l’habitation nette de l’endettement. Mais au lieu de remettre à plat la fiscalité, le gouvernement Philippe a décidé de supprimer intégralement la taxe d’habitation sans toucher, jusqu’ici, à la taxe foncière. La suppression intégrale de la taxe d’habitation bénéficiera principalement aux ménages les plus riches (voir Madec, 2018 : « Exonération de taxe d’habitation pour tous » : quand justice fiscale rime avec inégalités… » alors que l’exonération pour 80% des ménages seulement était la principale proposition du candidat Macron en direction de la classe moyenne. Résultat, l’ensemble des réformes socio-fiscales du gouvernement Philippe sont dégressives avant même la prise en compte de l’exonération totale de la taxe d’habitation (voir Madec et al., 2018 : « Budget 2019 : du pouvoir d’achat mais du déficit » , graphique 4 ).

Une remise à plat de l’ensemble de la fiscalité, locale et nationale, est nécessaire. La baisse de la fiscalité, entamée en 2018 et poursuivie en 2019, aurait pu être l’occasion d’une grande réforme fiscale qui aurait limité le nombre de perdants, notamment dans le bas de l’échelle des revenus. L’opportunité d’une réforme globale a été gâchée. Une réforme future pourrait revenir sur les avantages fiscaux accordés aux plus aisés afin de limiter l’impact sur les plus pauvres. Comme toute réforme visant une plus grande équité socio-fiscale, cela ne se fera pas sans mécontenter une partie de la population mais c’est le rôle des politiques d’arbitrer entre les revendications des différents groupes sociaux.

 

[1] Le montant de la décote est égal à la différence entre le plafond applicable en fonction de la situation familiale du contribuable (1 196 € pour les contribuables célibataires, divorcés ou veufs et 1 970 € pour les contribuables soumis à imposition commune) et les trois-quarts du montant de l’impôt brut résultant du barème.

[2] Le taux marginal implicite passe ainsi passe de 0 % à 28 %, avant de descendre à 14 %, pour remonter à 30 %, 40 puis 45 % (voir Pacifico et Trannoy, 2015 : « Abandonner la décote, cette congère fiscale »)

[3] Ce chiffre correspond aux foyers fiscaux. Il peut toutefois y avoir plusieurs foyers fiscaux dans un même ménage, certains payant l’impôt sur le revenu et d’autres ne le payant pas (concubin ou enfant par exemple). Le nombre de ménages imposables est donc plus élevé.

[4] Avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital et la bascule des cotisations sur la CSG, l’écart va augmenter.

[5] Notons néanmoins que la bascule cotisations/CSG fait beaucoup de gagnants et perdants (entre salariés du privé qui gagnent à la réforme et retraités fonctionnaires qui y perdent). Ce gouvernement, contrairement aux autres, ne semble donc pas avoir peur des gros transferts.

[6] La valeur locative cadastrale est calculée à partir des conditions du marché locatif au 1er janvier 1970. Si l’inflation a été prise en compte, les évolutions structurelles du marché immobilier depuis 50 ans n’ont pas modifié le calcul de la taxe.




Individualisation du patrimoine au sein des couples : quels enjeux pour la fiscalité ?

par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq

De 1998 à 2010, la manière dont le patrimoine est détenu au sein des couples a profondément changé. La généralisation de la cohabitation hors mariage, l’essor du pacs et le recours plus fréquent au régime de la séparation de biens pour les couples mariés ont conduit à une individualisation du patrimoine. Cette individualisation a eu pour conséquence une augmentation des inégalités de patrimoine entre conjoints. Cette transformation du mode de détention du patrimoine n’a toutefois pas été prise en compte dans la fiscalité du patrimoine en France, celle-ci tendant à faire l’hypothèse d’une mise en commun des ressources au sein du couple. De ce point de vue, la fiscalité actuelle fait preuve d’incohérences dans le traitement fiscal des couples. L’objectif de notre article paru dans la Revue de l’OFCE (n°161-2019 accessible ici) est de proposer un questionnement sur les principes de justice qui sous-tendent l’imposition du patrimoine des couples, que ce soit à travers les revenus, la détention ou la transmission des patrimoines.




Prime d’activité : une ambition varlopée

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

La prime d’activité est un complément de revenu s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes[1]. Au cours des derniers mois, cette prime a été l’objet de nombreuses évolutions, pour certaines inscrites dans le programme présidentiel[2] d’E. Macron. Celles-ci visaient explicitement à inciter à la reprise d’emploi et à augmenter le pouvoir d’achat des salariés, sans conséquence directe sur le coût du travail pour les entreprises.

Au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois. À partir d’octobre 2019, une deuxième bonification individuelle sera introduite, concentrée sur les salaires proches d’un SMIC à temps plein. Par ailleurs, des modifications techniques se sont ajoutées aux mesures du programme présidentiel : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité (Tableau 1). Le cumul de ces mesures rend peu clairs les effets à attendre pour les ménages bénéficiaires. Une fois explicité l’impact des mesures pour un salarié célibataire, nous tenterons d’élargir l’analyse à l’ensemble des bénéficiaires.

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Entre 2018 et 2019, 42 euros de revenu mensuel supplémentaire pour un salarié au SMIC

Globalement, les réformes de la prime d’activité augmentent le montant de l’allocation pour les bénéficiaires percevant des revenus d’activité supérieurs au montant forfaitaire. Le profil de gains tirés des réformes diffère en 2018 et en 2019 (graphique 1). En 2018, les gains associés aux relèvements du montant forfaitaire, intervenus en avril et octobre, sont homogènes parmi les bénéficiaires tandis que la baisse du taux de cumul des revenus pénalise plus fortement les bénéficiaires percevant des revenus plus élevés. En 2019, la nouvelle bonification individuelle est croissante à partir de 0,5 SMIC et atteint son niveau maximum au niveau du SMIC mensuel.

Ainsi, les mesures de revalorisation de 2019, contrairement à celles de 2018, ont un impact plus fort pour les bénéficiaires aux revenus les plus importants (graphique 2).

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Si on se concentre sur les salariés percevant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la prime d’activité était proche de 155 euros fin 2017. La revalorisation du montant forfaitaire de 20 euros, mise en place en octobre 2018, augmente d’autant son revenu mensuel. Parallèlement, la baisse du taux de cumul, entrée en application au même moment, ampute une part de la hausse et porte la prime d’activité pour un salarié travaillant au SMIC à taux plein à 170 euros. Au total, le salarié au SMIC aura vu augmenter sa prime d’activité de 15 euros en 2018. La création de la deuxième bonification individuelle en octobre 2019 augmentera, quant à elle, ses revenus de 20 euros supplémentaires.

Par ailleurs, le montant de la prime d’activité perçu par un salarié rémunéré au SMIC sera aussi affecté par les effets induits par la bascule CSG/cotisations sociales : en augmentant son salaire net, les ressources servant au calcul de la prime d’activité sont modifiées. Cumulé avec l’effet de la plus forte dégressivité de la prime d’activité, un gain de 20 euros de salaire net ampute la prime d’activité de 8 euros. Au final, la prime d’activité de ce salarié s’établirait fin-2019 à un niveau proche de 180 euros. Par rapport au mois de décembre 2017, le gain total de revenu net à attendre des mesures devrait être de 42 euros.

Dans les faits, ce gain dépendra en grande partie de la structure des revenus d’activité des ménages bénéficiaires. A titre d’exemple, les ménages percevant un revenu d’activité inférieur à 0,5 SMIC ne bénéficient ni des revalorisations, qu’elles soient « exceptionnelles » ou non, ni de la création de la seconde bonification individuelle. A contrario, ils sont impactés négativement par la baisse du taux de cumul.

En ne tenant compte ni de la baisse des cotisations salariés ni des effets négatifs sur le montant perçu de prime d’activité, environ 10 % des ménages bénéficiaires de la prime d’activité – soit environ 300 000 ménages – devraient perdre à la mise en place des mesures étudiées. Si ces ménages sont largement minoritaires, l’existence de ces situations interrogent ; bien que celles-ci disparaissent si l’on intègre à l’analyse les effets de la baisse des cotisations salariés.

En moyenne, les gains par ménage resteront modestes à horizon 2019

L’existence d’hétérogénéités importantes dans les situations des salariés bénéficiaires rend nécessaire l’utilisation d’un modèle de micro simulation afin d’évaluer l’impact des différentes mesures sur le revenu disponible des ménages. Pour ce faire, nous utilisons le modèle Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, et nous concentrons notre analyse sur les quelques 3 millions de ménages bénéficiaires de la prime d’activité.

Les résultats de nos simulations font apparaître des gains réels moyens relativement faibles (Tableau 2). Si les revalorisations décidées en 2018 (indexation à l’inflation en avril et revalorisation de 20 euros en octobre) devraient accroître le revenu disponible des bénéficiaires de la prime d’activité d’en moyenne 15 euros par mois en 2018 et 20 euros en 2019, celui-ci devrait être amputé respectivement de 5 euros et 10 euros du fait de la baisse du taux de cumul. L’absence de revalorisation en avril 2019 et la création d’une seconde bonification à l’automne 2019 devraient quant à elles avoir un impact quasi nul sur le revenu disponible des allocataires.

Au final, le gain réel moyen à attendre des mesures impactant directement la prime d’activité devrait s’élever en 2018 et en 2019 à environ 10 euros par mois et par ménage allocataire, soit 20 euros par mois par rapport à 2017. Ce gain viendrait s’ajouter au gain moyen (net de l’effet sur la prime d’activité) à attendre de la baisse des cotisations salariés (20 euros à l’horizon 2019).

En 2019, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient donc voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 40 euros par mois par rapport à 2017 sous l’effet conjugué des mesures étudiées, soit une hausse de 1,4 % de leur revenu disponible.

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[1] Pour plus de détails, voir « Prime d’activité : quelle efficacité redistributive et incitative ? », Allègre et Ducoudré, Policy Brief de l’OFCE, octobre 2018.

[2] « Tous les smicards qui bénéficient de la prime d’activité toucheront par exemple l’équivalent d’un 13e mois de salaire, soit 100 € nets de plus chaque mois. »




CICE : des effets faibles sur l’activité économique, modérés sur l’emploi

par Nicolas Yol et Bruno Ducoudré

Six années après sa mise en place par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) sera transformé en baisses de cotisations sociales patronales dès janvier 2019. Les travaux d’évaluation de ce dispositif fiscal d’ampleur (1 point de PIB reversé aux entreprises sous forme d’un crédit d’impôt assis sur la masse salariale) se poursuivent néanmoins. Les premiers travaux d’évaluation se sont concentrés sur les effets microéconomiques du CICE. Ces travaux ne permettent toutefois pas de saisir l’ensemble des mécanismes en jeu et des effets induits par la mise en œuvre du CICE. Ils ne prennent pas en compte au moins trois mécanismes importants : les effets de bouclage macroéconomique du CICE ; les effets dus à la mise en place de mesures pour le financer (hausses de taxes et économies de dépenses publiques) ; les effets du CICE reçus par une entreprise sur les autres entreprises via les modifications de prix des consommations intermédiaires. À la demande de France Stratégie, l’OFCE a donc réalisé une évaluation des impacts macroéconomiques du CICE sur la période 2013-2015, en intégrant les résultats des évaluations sur données microéconomiques, et sera amené à poursuivre ses travaux sur cette question au cours des prochains trimestres. Nous présentons ici les principales hypothèses et résultats de ce premier rapport.

Une mesure s’apparentant à une baisse du coût du travail

Le CICE est un avantage fiscal consistant à accorder aux entreprises un crédit d’impôt, ce dernier étant calculé sur la part de la masse salariale n’excédant pas 2,5 SMIC. Autrement dit, toute entreprise employant au moins un salarié rémunéré en-dessous de 2,5 SMIC est éligible au dispositif. Pour un taux de CICE de 6 %, une entreprise bénéficiera d’un crédit d’impôt représentant 6 % de sa masse salariale éligible[1]. Ce dispositif implique que la quasi-totalité des entreprises peut bénéficier du CICE, à des degrés divers selon la structure de leur masse salariale. Ainsi, les entreprises évoluant dans des secteurs d’activité particuliers (par exemple à très haute valeur ajoutée) sont peu exposées au CICE dans la mesure où leurs salariés sont pour la plupart rémunérés au-dessus du seuil de 2,5 SMIC, alors que d’autres bénéficieront très largement du dispositif.

Dans sa forme actuelle, le CICE est un dispositif de baisse du coût du travail assez singulier pour deux raisons. Premièrement, il s’agit d’un avantage fiscal induisant une baisse indirecte du coût du travail, qui se matérialise par une baisse de l’impôt sur les bénéfices versé par les entreprises (IS). Par conséquent, il diffère des dispositifs habituellement utilisés pour réduire le coût du travail de façon plus explicite, tels les allègements de cotisations (ex : allègements généraux dits « allègements Fillon »). Deuxièmement, la créance correspondant à la masse salariale éligible de l’année t est imputée sur l’IS à partir de l’année t+1 pour les entreprises bénéficiaires, d’où un décalage de trésorerie rendant peu visible l’impact sur le coût du travail[2]. Pour ces raisons, toutes les entreprises n’ont pas immédiatement modifié leur comportement en termes de recrutement et de politique de prix.

De quels effets parlons-nous ?

La baisse du coût du travail résultant du CICE peut avoir plusieurs effets sur les entreprises. Ces dernières peuvent ainsi répercuter le CICE sur leurs prix afin de réaliser des gains de parts de marché à l’étranger, se traduisant également par un recul des importations sur le marché français. Concernant le marché du travail, le CICE peut être utilisé comme une opportunité de favoriser le facteur travail par rapport au facteur capital, dans la mesure où le prix relatif du premier devient moins élevé. Une hausse de l’emploi stimule le revenu des ménages, leur consommation et la demande adressée aux entreprises (effet de bouclage macroéconomique). Un phénomène de redistribution sous forme d’augmentations de salaires est également envisageable, notamment dans les secteurs où les salariés sont en mesure de capter une partie des montants versés aux entreprises. Dans les cas où le CICE n’est pas répercuté sur les prix, les salaires ou les embauches, il peut alors contribuer à augmenter les marges, les investissements ou les dividendes[3].

Une limite importante du CICE a trait aux mesures fiscales et budgétaires qui ont accompagné sa mise en place. En effet, des hausses d’impôts indirects (TVA, fiscalité écologique) ainsi que des économies de dépenses publiques ont été réalisées pour couvrir le coût du dispositif. Ces efforts budgétaires s’élevant à près de 20 milliards d’euros exercent des contraintes fortes sur la demande des ménages et des administrations publiques. L’impact récessif sur la demande adressée aux entreprises est susceptible de limiter fortement l’efficacité du CICE sur les embauches, d’autant plus que les effets d’offre peuvent être longs à se matérialiser. Ainsi, les entreprises ne répercutent pas nécessairement instantanément le crédit d’impôt sur leurs prix ou leur demande de travail, alors que l’effet récessif de la fiscalité est immédiat[4]. En considérant à la fois les effets stimulants du CICE (principalement sur l’offre) et les effets récessifs (principalement sur la demande), il est difficile d’estimer a priori les impacts de cette mesure sur l’économie dans son ensemble. Notre étude consiste précisément à quantifier les effets macroéconomiques du CICE en tenant compte des contraintes exercées par son financement.

Des effets modérés sur l’emploi, faibles sur le PIB

Dans le cadre de notre étude, nous avons simulé les impacts macroéconomiques du CICE à partir du modèle e-mod.fr de l’OFCE. Afin d’assurer une calibration du modèle[5] aussi précise que possible, nous avons utilisé les résultats obtenus à partir de données d’entreprises par une équipe de chercheurs du TEPP[6]. L’utilisation de ces résultats microéconomiques permet également de prendre en compte la réaction des entreprises vis-à-vis du CICE dans notre modèle, puisque nous considérons le dispositif comme une baisse du coût du travail.

L’équipe du TEPP trouve deux résultats microéconomiques significatifs concernant les créations d’emplois associées au CICE, un résultat « bas » et un résultat « haut », mais qui ne tiennent pas compte des efforts budgétaires et des effets de bouclage macroéconomique. Nous simulons donc deux évaluations, auxquelles nous intégrons également un résultat positif sur les salaires mis en avant par la même équipe du TEPP.

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Le graphique 1 montre que les effets du CICE sont contrastés selon le scénario considéré. Lorsque l’évaluation « basse » est simulée, nos résultats chiffrent les créations d’emplois à 110 000 à l’horizon 2015, alors que les résultats de l’évaluation « haute » sont trois fois supérieurs. Toutefois, l’évaluation « haute » semble surestimer les effets du CICE dans la mesure où une baisse du taux de marge des entreprises est observée dans les simulations. Or, le CICE est un dispositif devant permettre aux entreprises de reconstituer leurs marges à court terme, un phénomène plus compatible avec les résultats de notre évaluation « basse ». Dans son rapport 2018, le Comité de suivi de France Stratégie semble par ailleurs privilégier le scénario microéconomique « bas » de l’équipe TEPP, sans pour autant exclure des effets du CICE plus importants sur l’emploi.

Le graphique 2 apporte des informations complémentaires et montre que les effets relatifs au financement du CICE (fiscalité, économies de dépenses publiques) sont importants et contribuent à limiter l’efficacité du dispositif. Les effets du financement étant constants dans les deux évaluations, l’impact du CICE sur le comportement des entreprises en termes de demande de travail est déterminant pour obtenir un effet « net » important sur l’emploi. Autrement dit, les effets d’offre doivent être rapides pour compenser l’impact négatif du financement sur la demande intérieure. Il faut ajouter que les simulations ne prennent en compte qu’un tiers des économies de dépenses publiques, en raison de la disponibilité limitée des données fournies par le TEPP (2013-2015). Par conséquent, le coût du CICE n’est pas totalement couvert dans nos simulations, d’où une impulsion budgétaire positive. Si nous avions pu prolonger nos simulations, les effets négatifs du financement auraient probablement été plus importants.

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Le graphique 3 montre clairement que le mode de financement du CICE détermine grandement la capacité stimulante du dispositif sur l’économie. En considérant que le coût du CICE n’est pas couvert pas des restrictions budgétaires ou des hausses d’impôts, l’effet sur le PIB est important quel que soit le scénario considéré (entre 0,4 % et 0,5 % de PIB, en écart au compte central). En revanche, l’introduction du financement annihile une part significative des effets, la contribution du CICE au PIB devenant quasi-nulle (entre 0,1 % et 0,2  %). Le niveau d’activité rétroagissant sur l’emploi (Okun, 1962), l’efficacité du CICE ne dépend pas seulement de son impact sur le coût du travail, mais également de facteurs affectant la croissance comme la fiscalité ou la dépense publique. Ces résultats témoignent de la nécessité de prendre en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE à l’économie (effets microéconomiques, bouclage macroéconomique, financement) afin d’évaluer de manière plus exhaustive son impact sur l’économie.

 

[1] Ce taux de 6 % s’appliquera en réductions de cotisations sociales patronales à partir de 2019. Les précédents taux de CICE s’élevaient à 4 % (2013), 6 % (2014, 2015, 2016), 7 % (2017) puis à nouveau 6 % (2018).

[2] Un pré-financement assuré par Banque publique d’investissement (BPI) est toutefois possible. Pour les entreprises ne réalisant pas de bénéfice, la créance CICE est restituée les années suivantes.

[3] Le CICE ne faisant l’objet d’aucune contrepartie, il est en pratique très difficile de connaître de manière directe et précise son utilisation par les entreprises.

[4] En particulier, la hausse de la TVA est effective depuis le 1er janvier 2014.

[5] Pour davantage de détails sur le modèle utilisé, voir l’étude complète.

[6] Voir le rapport de France Stratégie.




Désocialisation des heures supplémentaires: pouvoir d’achat pour les actifs, perte d’emplois pour l’économie

par Bruno Ducoudré et Éric Heyer

Le gouvernement a annoncé le rétablissement des exonérations de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires effectuées par l’ensemble des salariés, ce qui générerait un gain de pouvoir d’achat pour les ménages d’environ 2 milliards d’euros en année pleine.

Selon le Projet de loi de finances 2019, 8 millions de salariés du secteur privé seraient concernés. Ces derniers effectuent en moyenne 109 heures supplémentaires par an, pour un salaire horaire brut majoré moyen de 17,3 euros. L’exonération de 11,3 % des cotisations salariales générerait un gain de 1,7 milliard d’euros annuel, auquel il faut ajouter 1,2 million de salariés du secteur public, qui bénéficieraient chacun de 160 euros de gain de pouvoir d’achat à l’année, soit près de 200 millions d’euros.

Heyer (2017)[1] avait évalué les effets de la suppression totale des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, pour un montant supérieur à 2 milliards d’euros, mais qui ne portait que sur le champ des salariés du secteur privé. La mesure prévue dans le PLF 2019 touche un champ plus large, mais porte sur un montant d’exonérations plus faible pour les salariés du secteur privé (11,3% contre 20,1% retenus dans Heyer, 2017). Le montant attendu de gain de pouvoir d’achat est donc plus faible, d’autant que l’estimation du montant total d’heures supplémentaires (plus de 800 millions d’après les chiffres indiqués dans le PLF 2019) nous paraît élevé.

Quel volume d’heures supplémentaires annuel ?

Deux sources statistiques peuvent être mobilisées afin d’évaluer le nombre d’heures supplémentaires effectuées dans le secteur privé en France. Avec la mise en place de la loi TEPA et jusqu’à son abrogation en 2012, l’ACOSS a suivi trimestriellement le nombre d’heures supplémentaires exonérées. Au cours des derniers trimestres étudiés par l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires s’élevait en moyenne à 180 millions par trimestre, soit 720 millions en rythme annuel (cf. graphique 1).

Une seconde source existe : à partir de l’enquête ACEMO trimestrielle, la DARES indique depuis 2002, le nombre d’heures supplémentaires déclarées par les salariés à temps complet. Contrairement à la source ACOSS, cette dernière ne couvre que les entreprises de plus de 10 salariés, soit près de 75 % du volume total des heures supplémentaires effectuées. D’après cette source, les salariés à temps complet ont effectué au cours des trois dernières années près de 40 heures supplémentaires en moyenne par an.

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En 2016, selon cette source qui n’inclut pas les entreprises de moins de 10 salariés, cela correspond à un volume annuel de 577 millions d’heures supplémentaires. À champ identique, c’est-à-dire en excluant les entreprises de moins de 10 salariés, au cours de la période 2008-2012 commune aux deux sources, il est notable que l’enquête ACEMO de la DARES surestime le volume annuel d’heures supplémentaires d’environ 10 % par rapport à celui indiqué par l’ACOSS et qui donnait droit à exonération. En tenant compte de cette surestimation et en incorporant un effet « moins de 10 salariés » de 26 % (méthode 1), le volume annuel d’heures supplémentaires dans le secteur privé est estimé à 650 millions en 2016.

Enfin, une autre méthode (méthode 2) consiste à croiser différentes sources pour les effectifs de salariés (Insee, Acoss), les taux de salariés à temps partiel et en forfait jour (Dares, dispositif Acemo) ainsi que le recours aux heures supplémentaires (enquête Ecmoss). Fin juin 2018, on compte 17,6 millions de salariés dans le secteur privé[2], dont 3 millions dans les TPE[3]. Le taux de salariés à temps partiel s’élève à 17,7 % dans les entreprises de 10 salariés et plus[4] et à 28 % dans les entreprises de moins de 10 salariés, ce qui permet d’évaluer à 14,2 millions le nombre de salariés à temps complet dans le secteur privé. Parmi ceux travaillant dans les entreprises de 10 salariés et plus, le taux de salariés dont le temps de travail est décompté sous forme d’un forfait en jours s’élève à 13,7 % (2,2 % des salariés dans les TPE), ce qui laisse 12,5 millions de salariés à temps complet susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires rémunérées.

D’après la Dares, en 2015, 49 % des salariés à temps complet ont effectué des heures supplémentaires, en moyenne 109 heures par an et par salarié qui en effectuent. Cela nous permet d‘évaluer le montant total des heures supplémentaires rémunérées à 670 millions, à partir des données les plus récentes disponibles. Ce chiffrage est très proche du précédent sur la base de comparaisons entre les données de l’Acoss et celles de la Dares.

Si nos deux méthodologies convergent sur le nombre d’heures supplémentaires effectuées, nos résultats s’éloignent significativement du chiffrage retenu dans le PLF 2019.

Un impact positif des exonérations sur le recours aux heures supplémentaires

L’exonération de cotisations sociales salariées sur les heures supplémentaires peut également se traduire par une modification des comportements : les salariés seraient plus enclins à accepter de faire des heures supplémentaires puisque celles-ci sont mieux rémunérées. Sur la base des estimations d’Heyer (2017), et en tenant compte du fait que le taux d’exonération prévue dans le PLF 2019 est plus faible, l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires, en les rendant plus attractives pour les salariés, entraînerait une hausse de 4,3 % de celles-ci, soit 28,5 millions d’heures supplémentaires additionnelles (tableau 1).

Quel gain de pouvoir d’achat en attendre ?

Sur la base d’un salaire horaire brut majoré moyen de 17,3 euros, le gain en pouvoir d’achat pour les salariés du secteur privé s’élèverait plutôt à 1,4 milliard d’euros en année pleine, auxquels il faut ajouter 100 millions d’euros pour les exonérations sur les heures complémentaires[5] et les 200 millions d’euros de gains pour les salariés de la fonction publique. Au total, les gains de pouvoir d’achat à attendre de cette mesure s’élèveraient plutôt à 1,7 milliard d’euros en année pleine et 530 millions pour l’année 2019.

Tab_post1-10Un impact légèrement négatif attendu sur l’emploi

La mesure d’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires peut avoir plusieurs effets de sens inverse sur l’emploi. Le premier effet, qui consiste à inciter les salariés à effectuer plus d’heures supplémentaires, se traduit à court terme par une augmentation de la durée du travail au détriment de l’emploi. A l’inverse, le surplus de pouvoir d’achat reversé aux ménages se traduit par une hausse de la consommation, donc de la production et de l’emploi. Enfin, il faut ajouter l’effet du financement de la mesure, qui vient obérer la demande finale avec un effet plus ou moins important selon la composition de ce financement (économies de dépenses publiques ou hausse des prélèvements obligatoires). Nous supposons, compte tenu des mesures annoncées dans le PLF 2019, que le financement de la mesure se traduirait par des économies sur la dépense publique, réparties de manière uniforme entre les différents grands postes de dépense (investissement public, rémunérations et emplois publics, prestations sociales, transferts sociaux en nature et consommations intermédiaires).

Au final, sans prise en compte du financement de la mesure, l’exonération partielle de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires se traduirait par un effet légèrement négatif sur l’emploi salarié, de -2 000 emplois en 2019 puis -8 000 emplois en 2020 : le pouvoir d’achat redistribué stimule la consommation et le PIB, mais dans le même temps, la hausse de la durée du travail est plus forte, ce qui aboutit à détruire des emplois. Avec prise en compte du financement, l’effet négatif monterait à -12 000 emplois salariés marchands en 2020 et la mesure augmenterait le taux de chômage de 0,1 point.

 

[1] Éric Heyer, 2017, « Quel impact doit-on attendre de l’exonération des heures supplémentaires ? », OFCE policy brief, n° 23, 8 juillet.

[2] Acoss-Stat, n° 274, septembre 2018.

[3] Dares Résultats, n° 001, janvier 2018.

[4] Dares Indicateurs, n° 042, septembre 2018.

[5] Sur la base du nombre de salariés à temps partiel (3,36 millions), d’une part de 38% de salariés à temps partiel effectuant des heures complémentaires, et d’un nombre d’heures annuel moyen de 44, on évalue à 56 millions le nombre d’heures complémentaires effectuées. Sur la base d’une rémunération horaire comparable à celle retenue pour les heures supplémentaires, soit une exonération de 110 millions d’euros en année pleine.




Pouvoir d’achat : les retraités maltraités ?

par Pierre Madec

Les mesures socio-fiscales du budget 2018 ayant des impacts redistributifs furent nombreuses et largement analysées. Celles attendues pour 2019 et 2020 le seront tout autant et les premiers éléments du Projet de loi de finance pour 2019 ont d’ores et déjà fait l’objet de quelques réactions. Dans un billet récent, nous notions que les mesures contenues dans les budgets 2018 et 2019 ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat devraient entraîner une « amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts ». En plus d’un impact différencié selon la place des ménages dans l’échelle des revenus, l’effet des mesures devrait également être différent selon le statut d’activité des ménages. Si l’analyse exhaustive des impacts à attendre doit faire l’objet d’une publication plus complète une fois les discussions budgétaires avancées, nous nous proposons ici d’analyser les effets de quelques mesures sur le pouvoir d’achat des ménages retraités, sujet au cœur de l’actualité.

Les pensions de retraite ne devraient être revalorisées que de 0,3% en 2019 et 2020 (après une hausse de 1,7 point de la CSG en 2018) alors que l’indice des prix à la consommation devrait s’établir autour de 1,6 %. Par ailleurs, certains ménages subiront la moindre revalorisation des aides au logement (après une baisse de 5 euros par mois actée fin 2017). En revanche, les ménages retraités devraient en contrepartie profiter d’une partie de l’exonération de la taxe d’habitation ou encore, pour les plus modestes d’entre eux, de la forte revalorisation du minimum vieillesse (ASPA) ou de l’annulation de la hausse de la CSG promise par le gouvernement ces derniers jours. Qu’en est-il finalement ? Ces mesures génèrent-elles plus de « gagnants » que de « perdants » parmi les retraités ? L’utilisation du modèle de micro simulation Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, permet de répondre en partie à ces questions.

A l’heure actuelle, l’analyse exhaustive des mesures socio-fiscales est rendue complexe du fait de l’état d’avancement des débats budgétaires pour 2019 (et 2020). Nous nous concentrons donc ici sur les six principales mesures ayant un impact sur le niveau de vie des retraités : la moindre indexation des pensions de retraite pour 2019 et 2020, la revalorisation de l’ASPA (+30€ en avril 2018, +35€ en janvier 2019, +35€ en janvier 2020), la bascule CSG/cotisations salariés en 2018, la sous-indexation des aides au logement en 2019 et 2020, l’exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages à l’horizon 2020 ainsi que la mesure récente de baisse de la CSG pour « 300 000 retraités ».

D’autres mesures non étudiées ici sont à même d’avoir un impact sur le pouvoir d’achat des retraités dans les mois ou années à venir. Le nouveau mode de calcul des aides personnelles au logement, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital, la transformation de l’ISF en IFI[1], la mise en place du chèque énergie, la hausse de la fiscalité écologique ou celle sur le tabac ne sont ainsi pas traités ici. Cette analyse, non exhaustive, permet tout de même d’éclairer quelques peu le débat. Les résultats laissent apparaître des situations diverses au sein des ménages comptant au moins une personne retraitée.

En 2018, l’impact des mesures analysées serait quasi neutre en moyenne pour les retraités (-20€ par an et par ménage). Néanmoins, au sein de près de 11 millions de ménages comptant au moins une personne retraitée[2], des hétérogénéités importantes existent. Alors que 38 % de ces ménages gagneraient globalement à la mise en place des mesures retenues, pour un gain moyen de l’ordre de 470 euros, 62% soit 6,7 millions perdraient à leur mise en place pour une perte moyenne de l’ordre de 320 euros par an (Tableau 1).

tabe1_post27-09En 2019, du fait de la sous-indexation des pensions de retraite, l’impact des mesures retenues serait globalement négatif sur le revenu disponible des retraités, et ce malgré l’annonce récente d’annulation de la hausse de la CSG pour 300 000 retraités. En moyenne, les ménages comptant au moins une personne retraitée perdraient 200 euros par an du fait de l’entrée en vigueur des mesures. Si la part des ménages perdants est plus forte (73%), des ménages continueraient tout de même à être « bénéficiaires nets » des mesures, notamment sous l’effet de la montée en charge de l’exonération de la taxe d’habitation et des revalorisations de l’ASPA.

En 2020, la poursuite de la sous-indexation impacterait très négativement le revenu disponible des ménages étudiés. Par rapport à 2017, les mesures socio-fiscales étudiées diminueraient en moyenne de 400 euros le revenu disponible des ménages comptant au moins un retraité. Au final, 79 % de ces ménages seraient perdants pour une perte moyenne de l’ordre de 700 euros par an. A l’inverse, l’exonération totale de taxe d’habitation et les revalorisations successives de l’ASPA permettraient à 21 % des ménages étudiés de voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 700 euros (Tableau 2).

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Cette diversité des impacts des mesures nouvelles sur le revenu disponible des retraités s’observe également si l’on analyse les effets de ces mesures en fonction du niveau de vie des ménages comptant au moins une personne retraitée. Si, quel que soit le décile de niveau de vie considéré, les perdants sont plus nombreux que les gagnants, ces derniers ne représente que 55% des 10% de ménages retraités les plus modeste et plus de 80% des 10% de ménages retraités les plus aisés. De plus, les 10 % de ménages retraités les plus modestes sont les seuls à percevoir un gain (en moyenne de 230 euros par an) à la mise en place des mesures. Les 10% de ménages les plus aisés comptant au moins une personne retraitée accusent quant à eux une perte moyenne de l’ordre de 1 270 euros. Ces résultats n’intégrant ni les mesures réformant la fiscalité du capital (PFU, ISF) ni celles renforçant la fiscalité indirecte, aux effets anti-redistributifs largement étudiés, ils peuvent être en partie relativisés. Ils éclairent toutefois sur les dynamiques de transferts à l’œuvre au sein même des ménages retraités.

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[1] Les ménages comptant au moins une personne retraitée représentent près de 40% des ménages appartenant aux deux centiles de niveau de vie les plus élevés, principaux bénéficiaires des réformes de la fiscalité du capital. De fait, nos résultats sur-estiment l’impact négatif des mesures socio-fiscales pour ces ménages.

[2] Ces effectifs sont cohérents avec ceux observés du nombre de personnes retraitées en France.




Quel impact direct des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat en 2019 ?

par Mathieu Plane

Une amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts

A l’instar de 2018, année durant laquelle la chronique trimestrielle du pouvoir d’achat est marquée par les différentes mesures socio-fiscales, l’année 2019 devrait également se caractériser par des effets importants des mesures prises sur l’évolution infra annuelle du pouvoir d’achat des ménages. Dans le cadre de cette étude, nous nous concentrons uniquement sur les mesures ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat[1] en tenant compte du calendrier fiscal de chacune des mesures et nous évaluons leurs effets en moyenne sur l’année. Nous ne tenons donc pas compte des mesures qui pourraient avoir un impact indirect sur le pouvoir d’achat[2], comme par exemple la réduction des contrats aidés ou l’accroissement des formations, ou encore les économies sur certaines dépenses publiques hors prestations (gel de l’indice fonction publique, économies sur les dépenses de fonctionnement dans les collectivités locales, …) ou enfin les mesures fiscales sur les entreprises. Par ailleurs, nous mesurons ici les effets macroéconomiques directs des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat et nous ne rentrons pas dans le détail de leurs effets selon les déciles de revenus comme nous l’avions réalisé pour le budget 2018[3].

Les principales mesures impactant le pouvoir d’achat en 2018 et 2019 sont documentées par la Loi de finances pour 2018 : baisse de la taxe d’habitation, bascule cotisations salariés/CSG, réforme de l’ISF, mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), hausse de la fiscalité écologique et le tabac, revalorisation de la Prime d’activité, de l’Allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse (ASPA). Des mesures nouvelles ont été prises dans le Projet de loi de finance 2019 : du côté des prélèvements obligatoires, les principales mesures en direction des ménages sont la « désocialisation »[4] des heures supplémentaires et la baisse de la CSG pour 300 000 retraités ; du côté des prestations sociales, les pensions de retraite du régime général, les prestations familiales et les allocations logement seront désindexées de l’évolution de l’inflation (pensions de retraites, prestations familiales, allocations logement, …) et le calcul des allocations logement se fera dorénavant en fonction du revenu courant et non du revenu deux années précédentes. Contrairement à l’année 2018, en 2019 peu de mesures votées lors de la législature précédente ont un impact sur le revenu des ménages. A cela s’ajoute une mesure spécifique qui aura un impact sur le pouvoir d’achat en 2019 mais qui découle d’une décision des partenaires sociaux concernant la gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco.

Notre analyse évalue l’impact de ces mesures sur le pouvoir d’achat en moyenne sur l’année (et non pas en fin d’année) en tenant compte du calendrier de mise en place et de la montée en charge des différentes mesures. Ainsi, une mesure de hausse ou de baisse de la fiscalité n’a pas le même impact sur le pouvoir d’achat en moyenne sur une année suivant le moment où elle devient effective[5].

Selon nos évaluations, et à partir de l’information disponible sur la base des documents budgétaires et des déclarations des ministres du Gouvernement Philippe, l’ensemble des mesures socio-fiscales engendrerait un gain de pouvoir d’achat de 3,5 milliards en 2019 (0,3 point de revenu disponible brut (RDB)), après 0,1 milliard en 2018 (0,0 point de RDB) (tableau). La hausse des taux d’appel et de cotisation Agirc-Arrco décidée par les partenaires sociaux devrait amputer le pouvoir d’achat en 2019 de 1,8 milliard d’euros, réduisant l’effet total à +1,7 milliard (0,1 point de RDB).

En 2019, le pouvoir d’achat sera augmenté par les mesures de baisse de la fiscalité directe (9,4 milliards, soit 0,7 point de RDB), dont la bascule cotisations salariés / CSG complète en 2019 (4,5 milliards, 0,3 point de RDB) et la seconde tranche de la réduction de taxe d’habitation en novembre 2019 (3,5 milliards, 0,2 point de RDB), après une première tranche effective en novembre 2018. Le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital induirait un gain de 0,6 milliard en 2019 du revenu des ménages (concentré sur le dernier décile). Enfin, la mise en place de la « désocialisation » des heures supplémentaires en septembre 2019 dans le cadre de la Loi de finance pour 2019 augmenterait le pouvoir d’achat de 0,7 milliard en 2019 (2 milliards en année pleine) et la baisse de CSG pour 300 000 retraités améliorerait le revenu des ménages de 0,3 milliard.

En revanche, l’augmentation de la fiscalité indirecte[6] amputerait le pouvoir d’achat des ménages de 3,5 milliards en 2019 (-0,3 point de RDB), principalement sous l’effet de la hausse en janvier 2019 de la fiscalité écologique (augmentation de la TICPE et Taxe carbone, ce qui correspond à une hausse de 6,5 centimes par litre de diesel et 2,9 centimes par litre d’essence) pour 2,8 milliards. La hausse de la fiscalité sur le tabac (50 centimes de plus par parquet de cigarettes en avril, puis 50 centimes en novembre 2019) pèserait à hauteur de 0,8 milliard[7] sur le pouvoir d’achat global.

Les mesures concernant les prestations sociales devraient amputer le pouvoir d’achat des ménages de 2,5 milliards sous l’effet principalement de la désindexation des pensions de retraite, des prestations familiales et des allocations logement. Sous l’hypothèse d’une inflation à 1,6 % pour l’année 2019, indexer ces prestations à 0,3 % réduirait le pouvoir d’achat moyen des ménages de 3,2 milliards (-0,2 point de RDB) en 2019, dont près de 90 % provient de la sous-indexation des pensions de retraite. De plus, la réforme du mode de calcul des allocations logement réduirait le pouvoir d’achat de 1 milliard en 2019. En revanche, certaines prestations seront significativement revalorisées et soutiendront le pouvoir d’achat en 2019. C’est le cas de la Prime d’activité pour 1 milliard supplémentaire, de l’Allocation adulte handicapé pour 0,5 milliard et du minimum vieillesse pour 0,2 milliard.

Les mesures socio-fiscales décidées par le gouvernement Philippe soutiendront le pouvoir d’achat des ménages en 2019 (3,5 milliards si l’on exclut les mesures Agirc-Arrco), surtout au regard de 2018 où l’impact global moyen des mesures était quasiment nul. En revanche, aussi bien en 2018 qu’en 2019, les politiques menées génèrent de multiples transferts qui peuvent être masqués par les agrégats macroéconomiques. L’exemple de 2018 en est une parfaite illustration avec des impacts sociaux-fiscaux nuls en moyenne sur le pouvoir d’achat mais générant des gagnants et des perdants comme nous l’avions montré dans une étude publiée en janvier 2018. Ainsi, pour une meilleure compréhension de la mise en place des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat des ménages, l’analyse macroéconomique doit être complétée par une analyse d’impact par décile de revenu qui permet de mieux analyser les enjeux de la politique économique menée. Ce travail devrait prochainement faire l’objet d’une publication.

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[1] Les mesures socio-fiscales sont évaluées sur la base de leur impact budgétaire pour les finances publiques et nous n’évaluons pas l’incidence fiscale finale de ces mesures.

[2] Dans un travail à paraître prochainement, nous élaborons une analyse visant à prendre en compte certains effets indirects sur le pouvoir d’achat qui viennent compléter l’impact des mesures socio-fiscales.

[3] P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier. Ce travail sera réalisé à nouveau pour le Projet de loi de finance 2019.

[4] Au sens de l’exonération de cotisations sociales salariés des heures supplémentaires.

[5] Pour plus de détails, voir P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier.

[6] Nous faisons l’hypothèse que les hausses des taxes indirectes sont intégralement supportées par les ménages.

[7] Nous avons retenu ici une élasticité de la consommation de tabac à son prix de -0,5%.




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : un bilan actualisé des avantages et inconvénients

par Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu a fait l’objet d’un ultime arbitrage entre le Président de la République et les ministres concernés. Le 4 septembre 2018, le Premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé que ce nouveau mode de prélèvement serait bien mis en place le 1er janvier 2019.

Notre note dresse un bilan actualisé des avantages et des inconvénients engendrés par ce nouveau mode de prélèvement. Elle montre que les avantages (une meilleure synchronisation entre impôt et revenu, une perception plus rapide des recettes d’IR pour l’État, une meilleure observation des revenus en temps réel) semblent peu nombreux au regard des inconvénients engendrés : tâches administratives supplémentaires pour les agents publics et privés ; risque d’erreurs pouvant être sources de contentieux ; année blanche due à la non fiscalisation des revenus 2018 qui conduit à rendre la réforme socialement inégalitaire, source d’optimisation fiscale et irréversible ; hausse fiscale liée à la suppression du délai d’un an pour payer l’IR ; impact psychologique potentiel de l’effet fiche de paie avec un salaire versé réduit ; divulgation d’information fiscale à l’employeur ; non mensualisation des remboursements de crédits d’impôt ; nouvelles formes de complexité qui peuvent réduire le consentement des contribuables français à payer l’impôt.

La minimisation de ces inconvénients sera la condition du succès de l’introduction de  la réforme.




Le montant des recettes publiques en 2018 réserve-t-il une surprise ?

par Raul Sampognaro

En 2017 le déficit public français s’est amélioré de 0,8 point de PIB pour atteindre 2,6 % du PIB et passer sous la barre des 3 %. La baisse du déficit s’explique en grande partie par la hausse de 0,7 point de PIB du taux de prélèvements obligatoires (PO). Cette hausse s’est opérée alors même que les mesures discrétionnaires augmentaient les PO à peine de 0,1 point de PIB[1]. Ainsi, ces prélèvements ont connu un dynamisme bien supérieur à celui du PIB. Ce différentiel explique 0,6 point de PIB de la hausse totale du taux de PO. La question se pose de savoir si ce dynamisme des assiettes fiscales peut se maintenir en 2018.

La sensibilité des recettes fiscales à la croissance dépend des conditions cycliques

À court terme, les élasticités des recettes fiscales au PIB peuvent fluctuer et s’éloigner de leur niveau de long terme[2]. Trois raisons peuvent modifier le lien entre niveau d’activité et recettes publiques :

– La composition de la croissance : toutes les composantes du PIB ne sont pas soumises à la même taxation. Ainsi, une croissance portée par la consommation des ménages aura plus d’impact sur les recettes publiques que si elle l’est par les exportations ;

– Le cycle du prix des actifs : certaines recettes sont liées aux prix des actifs (immobiliers ou financiers) qui ne sont pas toujours corrélés au cycle du PIB. Ceci est notamment vrai pour la fiscalité locale ou les impôts assis sur la valeur du patrimoine ;

– Un effet dynamique sur l’assiette fiscale : certains impôts sont encaissés sur la base d’une assiette correspondant à l’année antérieure. Ainsi, les recettes d’IS de l’année t sont dépendantes des profits déclarés pour l’année t-1. De même, l’IRPP dépend (avant l’instauration du prélèvement à la source) du revenu de l’année précédente. Le décalage entre la dynamique du PIB et de celle des profits ou du RDB peut casser le lien entre PIB et recettes.

Ces facteurs ont joué en 2017 et, en particulier, l’emploi est reparti à la hausse. Dans ce contexte, ce sont surtout les impôts assis sur les revenus et le patrimoine (+5,2 %) et les impôts sur les produits et la production (+4,6 %) qui ont crû plus fortement que le PIB nominal (+2,8 %).

Une estimation de la sensibilité des recettes à la croissance en fonction du cycle pour la France

Évaluer le lien entre l’évolution des recettes et celle du PIB requiert de tenir compte des changements législatifs introduits. Il est possible d’appréhender l’impact des nouvelles mesures à partir des évaluations réalisées dans chaque projet de loi de finances. Nous suivons la méthodologie de Lafféter et Pak (2015)[3] pour obtenir une série des recettes corrigées des changements législatifs sur la période 1998-2017 (notée ). Le lien existant entre l’évolution spontanée des PO et le cycle de l’activité économique est évalué sur la base du modèle suivant, qui sera estimé économétriquement :

EQN_post26-06Où représente le PIB nominal à la date et des variables cycliques qui peuvent modifier à court terme l’élasticité des recettes fiscales au PIB nominal.

La spécification (1), présentée dans le tableau 1, relie simplement les recettes fiscales au PIB nominal à législation constante, sans se soucier du contexte cyclique. Dans ce modèle de référence, l’élasticité estimée est bien unitaire, ce qui traduit bien l’idée que les recettes fiscales, corrigées des mesures fiscales, croient spontanément comme le PIB.

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L’ajout de variables cycliques modifie le diagnostic. En particulier, la spécification (3) couple la croissance du PIB nominal avec le niveau de l’output-gap. En bas de cycle, l’élasticité des recettes serait sensiblement supérieure à l’unité et serait de 1,21.

Les recettes peuvent rester dynamiques en 2018

En 2018, l’output gap resterait ouvert et la reprise devrait se poursuivre en France selon notre dernière prévision. Dans ce contexte, un aléa haussier sur les recettes ne peut pas être exclu. Dans notre scénario de base – prudent – où l’élasticité des PO serait unitaire, le déficit nominal s’établirait à 2,4 %. En revanche, si l’élasticité s’établit à 1,21, un surplus de recettes fiscales de 6 milliards peut être attendu (0,3 point) et le déficit serait de 2,1 % du PIB.

Une telle surprise donnerait de l’air au gouvernement et sécuriserait sa trajectoire de finances publiques. Or, la France affiche une stabilisation de son solde structurel pour 2018. Ceci constitue une déviation de plus de 0,5 point de PIB vis-à-vis de la convergence vers son Objectif de Moyen Terme (OMT) dans le cadre du volet préventif du Pacte de stabilité[4], ce qui pourrait aboutir au renforcement des procédures budgétaires européennes. Or, avec une surprise positive sur les recettes – que l’on peut évaluer à 0,3 point de PIB d’après l’estimation du tableau 1 – l’écart vis-à-vis des obligations en termes de convergence vers l’OMT serait plus faible et dans la marge des déviations annuelles autorisées par le Pacte de stabilité et de croissance (0,25 point de PIB). Ceci, permettrait à la France de préserver sa stratégie de finances publiques et cela sans même jouer la carte des flexibilités existantes dans la gouvernance européenne, comme celles de la clause de réformes structurelles et la clause d’investissement public.

 

[1] Ce chiffre inclut la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises – 0,2 point de PIB – destinée à financer la moitié du remboursement de la taxe sur les dividendes annulés par le Conseil constitutionnel. Cette contribution exceptionnelle constitue un one-off qui ne sera pas reconduit en 2018. Ainsi, les mesures discrétionnaires structurelles peuvent même être évaluées comme une baisse de la fiscalité de 0,1 point de PIB.

[2] Dans un premier temps on peut considérer cette élasticité de long terme comme étant unitaire. La DG Trésor l’évalue à 1,04.

[3] Lafféter Q. et M. Pak, 2015, « Élasticités des recettes fiscales au cycle économique : étude de trois impôts sur la période 1979-2013 en France », Document de travail, INSEE, G. 2015/08.

[4] Le 23 mai 2018 la Commission européenne a publié sa recommandation au Conseil pour acter la fin de la procédure de déficit excessif ouverte à l’encontre de la France en 2009. Cette recommandation sera validée par le Conseil avant la fin du mois de juin 2018.




Budget 2018-2019 : quel impact des mesures socio-fiscales sur le taux d’épargne des ménages ?

Par Pierre Madec et Mathieu Plane

La montée en charge des différentes mesures fiscales prises dans le cadre de la Loi de finances pour 2018 devrait affecter de manière différente les ménages selon qu’ils se situent en bas ou en haut de la distribution des niveaux de vie. Si, globalement, les mesures du budget devraient être quasiment neutres sur le pouvoir d’achat global des ménages en moyenne en 2018, les ménages les plus aisés bénéficieraient dès 2018 des réformes visant à réduire la taxation du capital (suppression de l’ISF et instauration du PFU sur les revenus du capital). Les 17,7 millions de ménages éligibles à l’exonération totale de la taxe d’habitation en 2020 devraient quant à eux voir celle-ci réduite de l’ordre de 30 % dès 2018. Les ménages du bas de la distribution devraient bénéficier des revalorisations de certains minima sociaux et de la Prime d’activité. Les salariés verront leur pouvoir d’achat s’accroître sous l’effet de l’entame de la bascule cotisation/CSG au détriment des retraités et des détenteurs de capital qui verront leur pouvoir d’achat amputé par la hausse de la CSG. Les fumeurs ainsi que les ménages utilisant un véhicule à combustion ou se chauffant au fioul verront leur niveau de vie amputé de l’accroissement de la fiscalité écologique et du tabac. De fait, l’analyse à elle seule de l’évolution du pouvoir d’achat au niveau macroéconomique ne permet pas d’éclairer le débat sur les nombreux transferts s’opérant sous l’effet des nouvelles mesures au sein même des ménages. En 2019, la montée en charge des mesures d’aides aux bas revenus ainsi que le renforcement de la fiscalité indirecte devraient également affecter de manière différente les ménages selon leur position dans la distribution des niveaux de vie.

Ces effets différenciés auront un impact sur le comportement d’épargne et de consommation au niveau macroéconomique. Comme la propension à épargner s’accroît avec le revenu des ménages[1], le taux d’épargne des 5 % les plus aisés est très élevé. Principaux bénéficiaires des mesures discrétionnaires de 2018, ils sont aussi les plus susceptibles d’augmenter leur épargne. À titre d’illustration, le taux d’épargne des ménages appartenant aux 20% les plus modestes est, selon l’Insee, de 3% alors que celui des 10% les plus aisés s’établit à 65%. La politique fiscale a donc de fortes chances de se traduire par une hausse marquée du taux d’épargne des ménages entre 2017 et 2019, hausse que nous chiffrons à 0,2 point (graphique).

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[1] Voir Céline Antonin, « Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises », Sciences Po OFCE Working Paper, n° 19 -2018/05/09.