La BCE doit-elle réviser sa cible d’inflation ?

Christophe Blot et Francesco Saraceno

Le taux d’inflation dans la zone euro poursuit sa baisse amorcée depuis plusieurs mois et s’élève à 2,6 % en février, bien en retrait du pic de 10,6 % atteint en octobre 2022 (graphique). L’inflation reste cependant encore supérieure à l’objectif de 2 % visé par la BCE, malgré le resserrement de la politique monétaire. Depuis l’été 2022, le taux de facilité de dépôt a été augmenté de -0,5 % à 4 %. Cette réduction de l’inflation s’explique largement par la disparition des facteurs qui l’avaient alimentée à partir de 2021 : goulets d’étranglement, prix de l’énergie, reprise post-pandémie. Ces facteurs n’ont plus d’impact significatif aujourd’hui. Mais concernant l’effet de la politique monétaire, il existe un large consensus parmi les économistes sur le fait que son délai de transmission à la demande, la croissance et la dynamique prend plusieurs trimestres[1]. Par conséquent, le resserrement a commencé à produire son impact à partir de 2023 et devrait se poursuivre en 2024. La hausse des taux d’intérêt pèse sur la consommation, l’investissement et les dépenses publiques, contribuant à la baisse de l’inflation par un ralentissement de la demande globale. Cette situation contraste avec la période pré-Covid où l’inflation était restée inférieure à la cible pendant une période prolongée malgré les mesures expansionnistes – et notamment les mesures non conventionnelles – introduites par la BCE.  Une telle difficulté à atteindre la cible d’inflation soulève la question de la valeur numérique appropriée de cette cible. Le chiffre actuel de 2 % est-il trop élevé ou trop bas ?



Selon les dernières prévisions de l’Eurosystème, l’inflation resterait supérieure à 2 % en 2024 (2,7 %) et ne serait pas conforme à l’objectif avant 2025. La convergence progressive vers la cible observée en 2023 et le ralentissement économique ont conduit la BCE à stabiliser les taux directeurs mais aucune baisse des taux d’intérêt n’a été envisagée jusqu’à présent[1]. Les marchés anticipent néanmoins qu’elle pourrait intervenir dans les prochains mois.  Malgré la grande incertitude entourant l’activité économique et l’inflation, le consensus général des prévisionnistes est que l’épisode d’inflation est largement derrière nous. Il est donc temps de commencer à tirer des leçons non seulement de la récente hausse des prix mais aussi de la longue période qui l’a précédée, entre la crise financière mondiale de 2008 et 2019 quand la BCE était confrontée au problème inverse et tentait en vain de relever un taux d’inflation qui restait obstinément proche de la déflation.

Une discussion sur les objectifs de politique monétaire n’aurait pas été pertinente tant que l’inflation n’était pas maîtrisée. Les banques centrales auraient été accusées de changer les règles du jeu validant leur incapacité à atteindre leurs cibles ce qui aurait certainement nuit à leur crédibilité. Cependant, une fois que la cible est atteinte ou en voie de l’être, les banques centrales devraient faire le point sur les expériences récentes en matière d’inflation et de déflation et procéder à un réexamen de leurs objectifs.

Quelles leçons tirer des périodes récentes ?

Certains économistes dont le prix Nobel Paul Krugman et l’ancien économiste en chef du FMI Olivier Blanchard, soutiennent que les banques centrales des économies avancées devraient reconsidérer leur cible d’inflation, en la portant de 2 à 3 %. Il convient de noter que cette cible d’inflation de 2 %, introduite en Nouvelle-Zélande en 1980, adoptée par la suite par presque toutes les grandes banques centrales (et notamment la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon) n’a pas de fondement particulier. On a simplement considéré qu’il s’agissait d’un objectif suffisamment bas pour rassurer les marchés sur la stabilité des prix et minimiser le coût économique de l’inflation, tout en laissant une certaine marge d’ajustement, en cas de chocs négatifs. En effet, une récession peut provoquer une baisse de l’inflation, sans passer en territoire négatif et déclencher une spirale déflationniste.

Il existe essentiellement deux arguments en faveur d’un relèvement de l’objectif d’inflation souhaité. Le premier est contingent : alors que l’inflation est passée sans trop de douleur d’un niveau à deux chiffres il y a plus d’un an à des valeurs proches de l’objectif aujourd’hui, la ramener au niveau visé de 2 % pourrait s’avérer beaucoup plus lent et difficile. Nous pourrions rester bloqués avec des taux d’inflation fluctuant entre 2 et 3 %, voire légèrement supérieurs. Ces niveaux ne posent pas de problèmes d’instabilité significatifs (en termes de désancrage des anticipations, par exemple) de sorte qu’il ne vaut peut-être pas la peine de payer le prix, en termes de croissance et de chômage, d’un retour forcé de l’inflation à 2 %.

La deuxième raison d’une révision de la cible pour le taux d’inflation est plus structurelle. L’objectif de 2 % a pu sembler raisonnable pendant la longue période de la grande modération lorsque la croissance stable du PIB s’accompagnait de fluctuations limitées du taux d’inflation. Toutefois, cette période d’apparente stabilité macroéconomique cachait des déséquilibres croissants tels qu’une tendance chronique à l’excès d’épargne et, par conséquent, des taux d’intérêt réels neutres de plus en plus bas[2].

Après 2008, nous sommes entrés dans une nouvelle phase où les déséquilibres sont apparus au grand jour et où les chocs macroéconomiques se sont accentués. Dans un contexte d’instabilité accrue, les banques centrales peuvent se trouver dans la nécessité de réduire significativement les taux d’intérêt. Si ces taux sont initialement modérés, le risque d’atteindre ce que les économistes appellent la borne inférieure effective (taux d’intérêt qui ne peuvent être abaissés en dessous de zéro ou de valeurs légèrement négatives) augmente. C’est la situation dans laquelle la Fed et la BCE se sont trouvées pendant toute la décennie 2010, devant recourir à des politiques non conventionnelles telles que l’achat d’actifs pour stimuler l’économie. Un objectif d’inflation plus élevé permettrait d’augmenter les taux d’intérêt dans des conditions normales et de disposer d’une plus grande marge de manœuvre pour les abaisser si nécessaire. Cette marge supplémentaire pourrait s’avérer précieuse dans le cas probable où les années à venir seraient marquées par une augmentation de l’instabilité macroéconomique et géopolitique. Andrade et al. (2021) montrent par exemple qu’une cible d’inflation de 1,4 % est compatible avec le taux réel neutre de 2,8 %, estimé avant 2008[3]. Le taux d’intérêt réel neutre à court terme (ou r-star) correspond au taux qui prévaudrait lorsque le taux d’inflation est stable et que l’économie est au plein emploi. Une diminution d’un point de ce taux réel neutre devrait conduire la banque centrale à réviser à la hausse son objectif d’inflation de 0,8 point.  Selon les estimations révisées de Holston, Laubach et Williams (2023), le taux réel neutre en zone euro s’élèverait actuellement à -0,7 %, ce qui suggère une cible optimale de 2,8 %.

En outre, des facteurs structurels tels que la transition écologique pourraient conduire à des taux d’inflation structurellement plus élevés dans les années à venir, par exemple en raison du renchérissement des coûts associés aux combustibles fossiles[4]. Inversement, certains soutiennent que la stagnation séculaire n’est peut-être pas terminée[5]. S’obstiner à viser une inflation de 2 % pourrait nécessiter de longues périodes de resserrement monétaire, ce qui entraverait les investissements dans les énergies renouvelables et perpétuerait paradoxalement les tensions inflationnistes liées à la transition.

À ces arguments raisonnables en faveur d’un objectif d’inflation plus élevé, ceux qui s’opposent à sa révision en avancent d’autres tout aussi raisonnables. Le plus important est que, dans un monde comme celui des banques centrales où la crédibilité est essentielle, modifier l’objectif d’inflation au cours du processus de réduction de l’inflation pourrait être dévastateur et constituerait en fait un aveu d’impuissance. D’ailleurs, quelle crédibilité peut avoir une banque centrale qui annonce un objectif d’inflation de 3 % alors qu’entre 2008 et 2020, elle n’a pas été capable de la relever de 1 % à 2 % ? Un autre argument, récemment avancé par Martin Wolf à propos du Royaume-Uni, est que les banques centrales ont un biais implicite et sont plus réticentes à resserrer la politique monétaire quand l’inflation augmente qu’à l’assouplir quand elle diminue. Cela conduit à un niveau global d’inflation légèrement supérieur à la cible et rend dangereux les appels à des objectifs plus élevés. Cet argument ne semble guère s’appliquer à la situation actuelle. Au contraire, l’expérience des 25 années d’existence de l’euro indique un biais déflationniste.

Pour cette fois-ci, il n’y a pas grand-chose à faire et nous devons nous résigner à subir les coûts de cet engagement malavisé des banques centrales en faveur d’un objectif d’inflation de 2 % par le biais d’une restriction monétaire, au lieu de recourir à un mélange de politiques plus appropriées. La politique budgétaire devrait être prête à atténuer ces coûts par des politiques de revenus et de redistribution fiscale permettant de protéger les agents économiques les plus vulnérables.

Les banques centrales contrôlent-elles vraiment l’inflation ?

Ce débat ne doit pas occulter la question de la capacité de la BCE à contrôler l’inflation. La récente poussée d’inflation et la tâche difficile des banques centrales pour la ramener à 2 % font écho aux difficultés déjà mentionnées de ces mêmes banques centrales à augmenter l’inflation à 2 % lorsque celle-ci était durablement basse au cours de la dernière décennie. Nombreux sont ceux qui, dès le début de l’épisode inflationniste actuel, ont affirmé que le resserrement monétaire n’était pas la bonne approche pour lutter contre l’inflation[6] ; d’autres outils microéconomiques plus ciblés auraient été plus efficaces – notamment parce que la politique monétaire est caractérisée par de longs délais de transmission – et moins douloureux pour lutter contre une inflation structurelle résultant davantage de déséquilibres sectoriels que d’une surchauffe généralisée. Cependant, que ce soit en raison de l’inertie des gouvernements, comme d’habitude heureux d’attribuer des décisions impopulaires à la BCE, ou de vieux réflexes monétaristes qui, bien que minoritaires dans les milieux universitaires, restent influents dans le débat public (“l’inflation est toujours causée par trop d’argent pour trop peu de biens”), les banques centrales ont été les principaux protagonistes de la lutte contre l’inflation.

En d’autres termes, l’offre et la demande, les éléments micro et macro-économiques interagissent pour déterminer un taux d’inflation moyen dont les causes sont multiples. L’inflation et la déflation sont des phénomènes complexes qu’il vaut mieux aborder avec une pluralité d’instruments et la politique monétaire seule n’est peut-être pas assez efficace. Cela peut avoir deux conséquences. Premièrement, la coordination des politiques monétaires et budgétaires pourrait améliorer la capacité à atteindre la cible. Deuxièmement, si la banque centrale n’est pas toute puissante pour combattre un phénomène qui dépend d’autres causes, il peut être plus raisonnable de ne pas viser un point d’inflation mais une zone cible.

L’annonce d’une fourchette est certainement plus réaliste car les banques centrales ne peuvent pas atteindre les 2 % avec une précision d’orfèvre. Il existe toujours de nombreuses sources d’incertitudes liées à l’efficacité de la politique monétaire, à ses délais de transmission, aux chocs futurs, à la relation entre l’activité et les prix (la pente de la courbe de Phillips). En outre, la mesure de l’inflation repose sur certaines hypothèses qui rendent cette estimation imparfaite et sujette à des erreurs pouvant provenir de la décomposition des effets qualité et prix, de la prise en compte de toutes les dimensions du coût de la vie… Ces incertitudes affectent les données statistiques d’inflation et peuvent à terme remettre en cause la crédibilité de la banque centrale. Enfin, une fourchette permettrait également à la BCE de disposer d’une plus grande marge de manœuvre pour gérer les compromis entre ses objectifs. Bien sûr, l’une des critiques formulées à l’encontre d’une bande à l’intérieur de laquelle l’inflation pourrait fluctuer est qu’elle est moins précise, ce qui pourrait nuire à la crédibilité de la banque centrale[7].  Mais l’argument de la crédibilité peut être utilisé dans l’autre sens. Quelle est la crédibilité d’une banque centrale qui rate quasi-systématiquement sa cible ?


[1] Lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil des Gouverneurs du 25 janvier, Christine Lagarde déclarait qu’ « il était prématuré de discuter de baisse des taux ».

[2] Voir le chapitre 2, des perspectives économiques du FMI d’avril 2023.

[3] Voir Andrade, P., Galí, J., Le Bihan, H., & Matheron, J. (2021). Should the ECB adjust its strategy in the face of a lower r★?. Journal of Economic Dynamics and Control, 132, 104207

[4] Voir ici.

[5] Voir ici.

[6] Voir ici ou ici.

[7] Ehrmann (2021) montre que les anticipations d’inflation ne sont pas moins bien ancrées dans les pays ayant adopter une zone cible et que la crédibilité semble même être améliorée. Voir “Point targets, tolerance bands or target ranges? Inflation target types and the anchoring of inflation expectations.” Journal of International Economics, 132, 103514.


[1] Voir le Blog de l’OFCE pour une brève revue de la littérature.




Should the ECB Revise its inflation target?

Christophe Blot and Francesco Saraceno

The inflation rate in the Eurozone continues to decline. In February, it dropped to 2.6%, more than two percentage points lower than the August figure (See Figure). The inflation rate is still above the ECB 2% inflation target despite the monetary policy tightening implemented since Summer 2022. Since then, the deposit facility rate has increased from -0,5 % to 4 %. Over the past year, the reduction in inflation has been largely due to the disappearance of the factors that had fueled the inflationary spike in the first place (bottlenecks, energy, post-pandemic recovery), which no longer have a significant impact today. There is indeed a broad consensus among economists that monetary policies take several quarters to influence demand, growth, and price dynamics[1]. Therefore, the tightening started to be felt only in 2023, and the peak is still to be reached. Rising interest rates are starting to weigh on consumption, investment, and public spending, contributing to the decline in inflation through a cooling of aggregate demand. It may be noticed that the current situation contrasts with the pre-Covid period where inflation remained below the target for a sustained period despite the expansionary measures – and notably unconventional ones – introduced by the ECB.  Such difficulty in reaching the inflation target raises the issue of the appropriate numerical value for the target. Is the current 2% figure too high or too low?

According to the latest forecasts of the Eurosystem staff, inflation would still remain above the 2% target in 2024 (2.7%) and would not be in line with the target before 2025 The slow convergence to the target and the economic slowdown would lead the ECB to stop tightening monetary policy but no interest rate cuts have been contemplated so far (even if markets expect one in the next few months)[2]. Nevertheless, in spite of the high uncertainty surrounding economic activity and inflation, the overall consensus of forecasters is that the inflation episode is largely behind us. Therefore, it is time to start drawing lessons not only from the recent increase in prices but also from the previous long period, between the Global Financial Crisis of 2008 and 2019 when the ECB faced the opposite problem, unsuccessfully trying to raise an inflation rate that remained stubbornly close to deflation.

A meaningful discussion on the central banks’ objectives would have been unwarranted while inflation was not under control. They would have been accused of shifting the goalposts. However, once their credibility is preserved by demonstrating that they have been able whatever it takes to bring inflation back to close to 2%, central banks should take stock of the recent experiences with inflation and with deflation and proceed with a review of their objectives.

Drawing lessons from multiple crises

Some economists, including Nobel laureate Paul Krugman and former IMF Chief Economist Olivier Blanchard, argue that the central banks of advanced economies should reconsider the inflation target, raising it from 2% to 3%[3]. It is worth noting that the 2% inflation target, introduced in New Zealand in 1980 and subsequently adopted by nearly all major central banks (and notably the Federal Reserve, the Bank of England and the Bank of Japan), has no particular basis; it was simply believed, when adopted, to be low enough to reassure the markets about price stability and minimize the economic cost of inflation, while allowing for some margin for adjustment: in the event of negative shocks, inflation could fall without going into negative territory and triggering dangerous deflationary spirals.

There are essentially two arguments in favor of increasing the desired inflation target. The first is contingent: while inflation has dropped relatively painlessly from double-digit levels a year ago to values close to the target today, bringing it from the current level to 2% may prove much more difficult. We could remain stuck with inflation rates fluctuating between 2% and 3%, or even slightly higher. These levels do not create significant instability problems (in terms of de-anchoring expectations, for example), so it may not be worth paying the price in terms of growth and unemployment of forcing inflation to return to 2%.

The second reason for a revision of the desired inflation rate is more structural. The 2% target may have seemed reasonable during the long period of the Great Moderation when stable (though not stellar) GDP growth was accompanied by limited fluctuations in the inflation rate. However, that period of apparent macroeconomic stability concealed growing imbalances, such as a chronic tendency toward excess savings and, consequently, increasingly lower equilibrium (“neutral”) real interest rates[4].

Since 2008, we have entered a new phase where imbalances have come to light, and macroeconomic shocks have become more severe. In a context of greater instability, central banks may find themselves in need of significantly reducing interest rates. If these rates are initially moderate, the risk of hitting what economists call the effective lower bound (interest rates that cannot be lowered below zero or slightly negative values) increases. This is the situation in which the Fed and the ECB have found themselves for the whole decade of the 2010s, having to resort to unconventional policies such as asset purchases to stimulate the economy. A higher inflation target would allow for higher interest rates under normal conditions and more room to lower them when necessary. This additional margin could prove valuable in the likely event that the coming years bring increased macroeconomic and geopolitical instabilities. Andrade et al. (2021) for instance show that while a 1.4% inflation target was consistent with a pre-crisis estimation of the short-term interest rate that would prevail when the inflation rate is stable and the economy at full employment (r-star) of 2.8%, a one-point decrease of r-star should lead the central bank to revise upward its inflation target by 0.8 point[5]. According to the revised estimates of Holston, Laubach and Williams (2023), the current r-star in the Eurozone would be negative (-0.7%) entailing an optimal target at 2.8%.

Furthermore, structural factors such as the ecological transition could lead to structurally higher inflation rates in the coming years, e.g., due to higher costs associated with fossil fuels (notice though, that some argue instead that secular stagnation might not be over). Insisting on aiming for 2% inflation could require long periods of monetary tightening, hindering investment in renewables and paradoxically perpetuating the inflationary tensions related to the transition.

To these reasonable arguments in favor of a higher inflation target, those against revising it oppose equally reasonable ones. The most significant one is that, in a world like that of central banks, where credibility is everything, changing the inflation target in the process of bringing inflation down could be devastating, essentially a confession of impotence: shifting the goalposts during the game. Moreover, how credible can a central bank be that announces a 3% inflation target when, between 2008 and 2020, it was unable to move from 1% to 2%? Another argument, recently made by Martin Wolf concerning the UK, is that central banks have an implicit bias, being more reluctant to tighten when inflation increases than to loosen when it drops. This leads to an overall level of inflation somewhat higher than the target and makes calls for higher targets dangerous. This argument hardly seems to apply to the current situation. If anything, the experience of the 25 years of existence of the euro points to a deflationary bias.

The solution, therefore, seems to be only one. For this round of the merry-go-round, unfortunately, there is little to be done, and we must resign ourselves to paying the costs of central banks’ ill-advised commitment to an inflation target of 2% through a monetary restriction, instead of resorting to a more multitool policy mix. Governments and fiscal policies should be prepared to mitigate these costs with income policies and fiscal redistribution to protect the most vulnerable economic agents.  

Do central banks control inflation precisely?

This discussion should not overlook the question of the ability of the ECB to control inflation. The recent surge of inflation and the difficult task for central banks to bring it back to 2% echoes the already mentioned difficulties of the same central banks to increase inflation to 2% when it was persistently low during the last decade. Many have argued from the outset of the current inflationary episode that addressing inflation with monetary tightening was the wrong approach (here, or there); other, more targeted, microeconomic tools would have been more effective (among other things because monetary policy is characterized by long lags) and less painful for addressing a structural inflation resulting from sectoral imbalances rather than from generalized overheating. However, whether due to the inertia of governments, as usual happy to delegate unpopular decisions to the ECB, or to the old monetarist reflexes, which, although minoritarian in academia unfortunately remain influential in public debate (“inflation is always caused by too much money chasing too few goods”), central banks have been the main characters in the fight against inflation.

Said it differently, demand and supply, micro and macro elements interact, in determining an average inflation rate that has multiple causes. Inflation and deflation are complex phenomena that are better tackled with a plurality of instruments and monetary policy alone may not be powerful enough. This may have two implications. First, coordination of monetary and fiscal policies may help to better achieve the target. Second, if the central is not all-powerful in fighting a phenomenon that depends on other causes, it may be more reasonable not to target a point of inflation but a target zone.

Announcing a range is certainly more realistic as central banks cannot reach the 2% with complete precision. There are always many sources of uncertainty related to the effectiveness of monetary policy, its transmission delays, future shocks, the relation between activity and prices (the slope of the Phillips curve). Furthermore, the measure of inflation relies on some ad-hoc indicators and is inevitably subject to measurement errors, which may stem from the breakdown of quality and price effects, the inclusion of all the dimensions of the cost of life, which are not accounted for by a point target.

These uncertainties affect inflation and may eventually challenge the central bank’s credibility. Finally, a range would also provide the ECB with more leeway to handle tradeoffs between its objectives. Of course, a criticism against a target range is that it is less precise, which could undermine its credibility[6]. But the credibility argument can be used in the other direction. How credible is a central bank that systematically misses its very specific target?


[1] See OFCE Blog for a brief review.

[2] In the press conference, following the 25 January Governing Council, Christine Lagarde stated that “it was premature to discuss rate cuts”.

[3] It is useful to remind that the 2% target for the inflation rate has been adopted by several of central banks and notably the Federal Reserve, the Bank of England and the Bank of Japan.              

[4] See Chapter 2 from the April 2023 IMF World economic outlook.

[5] See Andrade, P., Galí, J., Le Bihan, H., & Matheron, J. (2021). Should the ECB adjust its strategy in the face of a lower r★?. Journal of Economic Dynamics and Control, 132, 104207.

[6] Ehrmann (2021) shows that inflation anchoring is not reduced in countries which have target zones but conversely that credibility is improved. See “Point targets, tolerance bands or target ranges? Inflation target types and the anchoring of inflation expectations.” Journal of International Economics, 132, 103514.




La dollarisation en Argentine : un mirage de plus ?

Hubert Kempf

Javier Milei, libertarien revendiqué, a été élu président de la République argentine le 19 novembre 2023 sur un programme électoral qui intégrait la proposition-choc de dollariser l’économie argentine[1]. Quel sens a cette proposition ? Est-elle réaliste ou viable ? J’avance dans ce billet que cette proposition s’explique par la volonté de se doter d’un mécanisme crédible de lutte contre l’inflation mais que la crédibilité de cet engagement est faible. La lutte contre l’inflation chronique doit passer par la fin du laxisme budgétaire pratiqué par les différentes autorités publiques argentines plutôt que par la mise en place d’un dispositif monétaire comme la dollarisation.



Javier Milei, le président argentin élu le 19 novembre dernier, a fait sensation comme candidat quand il a déclaré, se revendiquant d’une idéologie libertarienne, vouloir « dollariser » l’économie et donc la société argentines. L’extrémisme de ses propositions a été perçu par l’électorat comme une volonté de mettre à bas une organisation sociale inefficace et éliminer une classe politique incompétente et souvent corrompue.

Une fois élu, le président Milei a annoncé le 14 décembre 2023 renoncer temporairement à la dollarisation, « faute d’argent ». Plus précisément, faute de réserves en dollar suffisantes. Mais le ministre argentin de l’économie, Luis Caputo, a déclaré lors du récent forum économique mondial de Davos : « Les objectifs de fermeture de la Banque centrale et de dollarisation, loin d’être exclus, continuent d’être un objectif de ce gouvernement, mais les conditions pour y parvenir ne sont pas encore réunies. Nous devons d’abord stabiliser l’économie et dès que les conditions seront réunies, cela sera fait. »..

Le projet de l’équipe au pouvoir de dollariser l’économie argentine n’est donc pas abandonné. Que signifie-t-il ? Quelle chance de succès a-t-il ?

Avant toute chose, précisons ce que veut dire « dollariser l’économie argentine ». Deux formes de dollarisation sont envisageables. La dollarisation « exclusive » consiste pour un État souverain à donner cours légal exclusivement à une monnaie émise par un État étranger (par commodité, on évoquera les États-Unis comme le pays émetteur et leur monnaie, le dollar). En particulier, l’État « dollarisé » renonce à émettre sa propre monnaie et à exercer ainsi sa souveraineté monétaire. Toutes les transactions doivent être exécutées en dollars, tous les contrats passés entre agents doivent être libellés exclusivement en dollars, tous les comptes bancaires et financiers sont par conséquent tenus en dollars. La banque centrale elle-même n’effectue d’opérations qu’en dollars, en fonction des réserves dont elle dispose. Comme elle n’a aucune part à la politique monétaire décidée par le pays émetteur du dollar mais que cette monnaie circule librement entre les deux pays, il s’agit d’une union monétaire asymétrique[2]. La dollarisation « non-exclusive » (ou encore la substitution des monnaies) consiste pour un État à autoriser que certaines transactions soient effectuées dans une autre monnaie que celle qu’il émet et qu’il contrôle, et donc qu’une partie des patrimoines des agents résidents soit détenue dans une devise étrangère. Les cas de dollarisation non-exclusive sont nombreux (voir notamment Calvo & Gramont, 1992).

La proposition du président argentin nouvellement élu porte sur une dollarisation exclusive de l’économie monétaire argentine comme solution à l’hyperinflation endémique dont souffre l’Argentine depuis la deuxième moitié du XX° siècle.

En négligeant les coûts de la transition et en supposant que la dollarisation devienne pérenne, le gain attendu d’une telle mesure est connu, et c’est celui que recherche le président Milei. C’est la fin de l’hyperinflation puisque l’émission de monnaie domestique est supprimée, en admettant que le pays émetteur est caractérisé par une inflation faible et aisément anticipable et une croissance mesurée des différentes masses de moyens de paiement. La dollarisation est donc envisagée comme une solution extrême à une solution jugée incontrôlable.

Les coûts de la dollarisation sont non-négligeables. Le premier résulte de la renonciation à toute politique monétaire autonome, donc de la perte d’un instrument macroéconomique contribuant à la stabilisation du cycle économique et en particulier capable de gérer les chocs, intérieurs ou venus de l’extérieur. Le second, conséquence du premier, est la plus grande exposition aux chocs extérieurs puisque les chocs subis par le pays émetteur sont « amplifiés » dans le pays dollarisé à cause de la politique monétaire du pays émetteur qui ne correspond pas à sa situation spécifique. Le troisième est la perte des revenus du seigneuriage[3] pour le pays dollarisé, donc un accroissement de ses difficultés budgétaires. Le dernier enfin est la disparition du prêteur en dernier ressort, en cas de difficulté bancaire circonscrite à une banque ou systémique, puisque la banque centrale ne contrôle plus l’émission de moyens de paiement. Plus généralement, la politique prudentielle est rendue plus difficile puisque les banques domestiques sont mises en compétition directe avec les banques du pays émetteur (voir Berg & Borensztein, 2001).

Enfin, il faut rappeler les conditions de succès de la dollarisation : l’existence de réserves en dollar suffisantes et convenablement réparties dans la population. Si elles sont insuffisantes, l’inflation (des prix exprimés en monnaie domestiques) dans l’intervalle entre l’annonce de la dollarisation et sa mise en place sera positive et inversement proportionnelle à la quantité de réserves en dollar (Voir Caravello & alii, 2023). Enfin, si les réserves sont très inégalement réparties en fonction des revenus, le risque est grand que la partie la plus pauvre de la population se trouve brutalement sans moyens de paiement et donc soit poussée à des actions extrêmes pour subvenir à ses besoins. L’agitation sociale, pouvant être violente, déboucherait sur une crise politique dont la dollarisation serait la première victime.

La justification d’une politique de dollarisation en Argentine se trouve dans la situation d’inflation chronique et souvent très élevée dont ce pays n’arrive pas à sortir depuis les années 1950, et en particulier depuis la fin de la dictature militaire (1983). Devant l’incapacité des différents gouvernements à maîtriser l’inflation, il est logique qu’une solution extrême comme la dollarisation qui consiste à s’interdire toute manipulation monétaire apparaisse comme séduisante et raisonnable. Mais on peut s’interroger sur le fait de savoir s’il s’agit d’un pari audacieux ou d’un mirage de plus.

Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler le précédent du système de caisse d’émission (« Currency board »)[4]  mis en place à l’instigation du président argentin Carlos Menem en 1991. Le principe de la caisse d’émission est d’empêcher toute création discrétionnaire de liquidité en adossant l’émission de monnaie banque centrale sur ses réserves en devises, essentiellement en dollar. Le système n’empêche donc pas la circulation et l’usage d’une monnaie nationale, le peso dans le cas argentin. Il implique la détermination d’un taux de change fixe avec le dollar, l’adossement de toute l’émission monétaire interne sur des actifs libellés en dollars, et l’interdiction pour la Banque centrale de stériliser les mouvements de capitaux en balance des paiements. De fait, le peso est devenu quasi parfaitement substituable au dollar dans les années 1990, les coûts de conversion des deux devises étant extrêmement faibles et le dollar accepté comme moyen de paiement et unité de compte dans les opérations internes à l’Argentine. C’est en ce sens que la caisse d’émission est une forme atténuée de dollarisation. Le projet actuel de dollarisation peut donc se lire comme une nouvelle tentative de réformer le régime monétaire, bancaire et financier argentin par un ancrage plus strict encore sur le dollar.

L’expérience des années 1990 s’est terminée par une crise économique majeure préludant à son abandon en 2001 (voir Sgard, 2004). L’expérience a d’abord été réussie : les déficits publics ont été fortement réduits, des réformes importantes ont été adoptées. Mais la situation s’est progressivement dégradée jusqu’à la crise de 2001. L’échec s’explique par une combinaison de facteurs : l’irresponsabilité fiscale dont ont fait preuve tant les gouvernements des provinces argentines (qui ont émis des quasi-monnaies pour financer leurs déficits) que le gouvernement central qui, pris dans le jeu électoral, a laissé faire et a à son tour adopté une politique budgétaire laxiste conduisant à des déficits croissants, atteignant 6 % du PIB en 2000, donc un endettement extérieur croissant ; les crises de change connues par les pays voisins et la faiblesse des cours des produits agricoles exportés par l’Argentine à la fin de la décennie 1990. La perte de l’autonomie monétaire n’a pas permis de contrer ces tendances et a rendu le dispositif intenable, poussant l’Argentine vers le défaut souverain. La seule option était alors de modifier sévèrement le taux de change en sortant du système de caisse d’émission. Rien ne permet de penser que ces excès et ces mauvaises fortunes ne se répéteront pas.

La proposition de dollarisation témoigne d’une défiance renouvelée à l’égard du système de gouvernement politique argentin, les décideurs publics étant jugés incapable de se réfréner et d’adopter des règles de bonne conduite financière comme l’ont montré d’abord l’écroulement du currency board puis les manipulations monétaires pratiquées sous la présidence Kirchner et les erreurs de gestion du président Macri et de ses équipes. Cette défiance est largement partagée par la population, depuis longtemps dollarisée de facto (surtout les possédants, ayant accès à des marchés de capitaux internationaux), ce qui au demeurant facilite la transition vers une dollarisation exclusive. Face à ces errements, le choix de la dollarisation apparaît comme une forme paradoxale de pré-engagement pour gagner de la crédibilité dans la lutte contre les tentations inflationnistes. Il s’agit d’un pré-engagement asymétrique puisque cette politique s’effectue sans le concours des autorités américaines. L’Argentine n’a pas de soutien extérieur à sa politique à attendre. Dans ces conditions, la dollarisation crée une extrême vulnérabilité aux circonstances extérieures pour échapper à la vulnérabilité interne qui résulte de la tentation du financement monétaire des déficits publics, tout en créant de nouvelles formes de vulnérabilité interne.

Derrière les conditions techniques de son succès, la dollarisation ne peut fonctionner que si elle bénéficie d’un fort soutien interne à cette forme de pré-engagement qui n’a rien d’acquis. Que les agents privés ou les acteurs publics se défient progressivement ou brutalement de la solidité de la dollarisation ou qu’ils cherchent à échapper à ses contraintes, et ils trouveront les moyens de contourner l’obligation d’utiliser exclusivement le dollar dans leurs transactions. De plus, la dollarisation ne peut fonctionner que si elle dispose également d’un soutien externe des marchés financiers internationaux puisque les chocs externes ne peuvent plus être librement gérés par la politique macroéconomique / monétaire intérieure. Les déficits extérieurs éventuels ne pouvant être gérés par une politique monétaire visant à manipuler les taux de change doivent être financés par appel à des financements externes. Or l’économie argentine est particulièrement sujette à des chocs étant donné sa dépendance à l’égard des phénomènes météorologiques qui conditionnent sa capacité à obtenir les dollars en contrepartie de ses exportations de produits agricoles. De surcroît, ces chocs sont peu corrélés aux chocs qui affectent l’économie américaine et aux réponses des politiques macroéconomiques américaines qui y répondent. L’Argentine est ainsi vouée à subir la conjoncture américaine sans pouvoir répondre à ses propres chocs. Elle devient très dépendante de financements externes et de leurs modalités. Les partenaires extérieurs doivent être convaincus de la solidité de la dollarisation argentine pour la soutenir par leurs prêts en dollars. Leur défiance éventuelle se traduira par une augmentation des taux d’intérêt prêteurs qui rendront la situation macroéconomique plus fragile.

Apparaît ainsi un premier paradoxe : la dollarisation doit être soutenue à l’intérieur comme à l’extérieur pour être crédible, mais elle ne peut être soutenue que si elle est crédible. La notion de pré-engagement est justement là pour exprimer cette crédibilité. Or les pré-engagements ne sont quasiment jamais absolus mais sont le plus souvent limités (par des clauses de sauvegarde, par des bouleversements imprévus, par des configurations de jeu non prévues). Rien n’assure alors que la coordination des anticipations des multiples parties prenantes se produise dans le sens désiré. La dollarisation tient ainsi autant de la méthode Coué que du pré-engagement indestructible.

Ceci fait apparaître un deuxième paradoxe : si le soutien interne à la dollarisation comme forme de pré-engagement existe, il est raisonnable de penser que la société est en mesure d’admettre d’autres formes de pré-engagement, moins coûteuses que la dollarisation. Il devrait être possible de mettre en place des institutions (des formes de pré-engagement) plus adaptées aux particularités sociales et économiques argentines et plus à même de résoudre les problèmes qui sont à l’origine des phases d’hyperinflation que connaît de façon récurrente l’Argentine : l’irresponsabilité budgétaire des gouvernements provinciaux et national, à l’origine des déficits publics massifs, l’indépendance du judiciaire, le contrôle correct et non-partisan de la constitutionnalité des lois et des politiques publiques. L’idée que la dollarisation est la seule politique qui permet d’assurer la crédibilité d’un engagement de casser l’inflation, au prix d’un abandon d’une bonne part des capacités d’action de l’État, doit être remise en cause. Si les conditions d’ensemble font que la dollarisation est possible et viable, celle-ci ne peut être désirée puisque d’autres politiques sont alors moins coûteuses pour un même résultat, la maîtrise durable du processus inflationniste.

Des formes de pré-engagement allant plus directement au cœur du problème et probablement plus saines que la dollarisation car n’obérant pas la capacité de mener des politiques macroéconomiques actives (voire discrétionnaires) pour stabiliser le cycle, orienter le processus de croissance ou mettre en place des programmes de redistribution sont possibles si la dollarisation est possible, c’est-à-dire acceptée socialement et politiquement. En d’autres termes, c’est moins dans l’abandon de la souveraineté monétaire que dans la maîtrise des comptes publics et de l’ampleur des déficits publics que se trouve la clé du contrôle de l’inflation. Le président Milei devrait s’apercevoir bien vite qu’il ne suffit pas de se revendiquer libertarien pour mettre fin à la gabegie budgétaire argentine mais qu’il faut gérer au plus près les multiples canaux d’abus qui prospèrent dans le labyrinthe fiscal argentin (Voir Saiegh & Tommasi, 1999). Il s’agit moins de vouloir démanteler l’État (tâche irréaliste) que de le réformer en profondeur par la mise en place d’institutions et de dispositifs interdisant ces abus.


[1]Une présentation synthétique de la problématique macroéconomique argentine, suivie d’une analyse innovante de la dollarisation est donnée par Ivan Werning sur le site Markus’ academy (géré par Markus Brunnermeier, professeur à Princeton).

[2] Voir Kempf H., Economie des unions monétaires, Economica : 2019, chapitre 1. Voir également Hanke S. (2023), pour une liste des cas de dollarisation exclusive.

[3]  Les revenus de seigneuriage sont les revenus que tire l’émetteur de moyens de paiement de leur création.

[4] Voir Chauvin, S., & Villa, P. (2003) et De la Torre A., Levy Yeyati E., Schmuckler S. (2003), « Living and Dying with Hard Pegs : the Rise and Fall of Argentina’s Currrency Board », Economía,  Vol. 3, No. 2, pp. 43-107. 8




L’analyse de l’inflation par catégorie de ménages : quelques problèmes méthodologiques

Par François Geerolf. Selon la note de conjoncture de l’Insee d’octobre 2023, le niveau de l’inflation sur les ménages dépendrait très peu du revenu : les ménages les plus riches subiraient environ le même niveau d’inflation que les ménages les plus pauvres. Ces résultats contre-intuitifs dans le cas d’une inflation principalement tirée par la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation s’expliquent en réalité par 3 problèmes méthodologiques.






Inflation : qui paye la facture ?

Par  Mathieu Plane[1]

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques.



Tout d’abord, un prélèvement sur la nation

Sous l’effet d’abord de la forte reprise post-Covid puis de la guerre en Ukraine, le prix des composants industriels et des matières premières, notamment énergétiques et agricoles, a fortement augmenté. Le prix des importations s’est ainsi accru de 20 % en l’espace d’un an, entre le troisième trimestre 2021 et celui de 2022, conduisant à un choc de grande ampleur sur l’économie française Désormais, avec le reflux des cours de l’énergie, le prix des importations a baissé de près de 8 % au cours des douze derniers mois mais reste bien au-dessus de son niveau d’il y a deux ans.

Une part de cette inflation importée s’est diffusé dans l’économie domestique, à travers la hausse du prix des intrants, des revenus du travail et du capital. Entre septembre 2021 et septembre 2023, l’indice des prix à la consommation a crû de près de 11 %. Sur la même période, les seuls prix des produits énergétiques ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %. Ces deux composantes, qui représentent environ un quart de la consommation totale des ménages, ont contribué à près de 60 % à l’inflation au cours des deux dernières années.

En parallèle, le besoin de financement de l’économie nationale vis-à-vis de l’extérieur est passé de 0,9 point à 2,1 points de PIB entre le second semestre 2021 et le troisième trimestre 2023… mais celui-ci a atteint jusque 4,6 points de PIB au troisième trimestre 2022 (graphique). Si le reflux des prix de l’énergie et des matières premières depuis la fin 2022 a permis de réduire le besoin de financement extérieur, celui-ci a malgré tout connu une hausse de plus de 3 points de PIB en un an, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973.

Deux ans après le début de l’épisode inflationniste, il est possible de tirer un premier bilan sur la diffusion d’un tel choc dans l’économie et d’avoir une idée de qui paye cette inflation importée.

Une inflation différenciée selon les ménages

En raison du recours plus important des déplacements en voiture et d’une facture énergétique liée au logement plus élevée, la hausse des prix de l’énergie a frappé en premier lieu les habitants des communes rurales et périurbaines, et dans une moindre mesure ceux des grandes agglomérations. Alors que, selon la dernière note de conjoncture de l’Insee, les ménages vivant en dehors des unités urbaines ont vu le coût de la vie, mesuré par l’indice des prix à la consommation (IPC), augmenter de 9 % entre la mi-2021 et la fin 2022, ceux résidant en agglomération parisienne ont subi un choc inflationniste plus modéré, de l’ordre de 6 %.

Au cours des douze derniers mois, l’inflation a cependant changé de nature, la contribution des produits énergétiques à la hausse de l’indice des prix à la consommation s’est réduite au profit de l’alimentaire. Depuis un an, les ménages les plus impactés par l’inflation sont ainsi les plus modestes car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible. Selon nos estimations issues de la Prévision de l’OFCE d’octobre 2023, l’inflation récente, en glissement annuel en août 2023, du premier quintile de niveau de vie (les 20 % des ménages les plus modestes) est près de 1 % supérieure à celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).

L’analyse du choc inflationniste ne peut cependant pas s’arrêter là. Il est nécessaire également de comprendre la réaction des revenus à cette hausse brutale des prix. Salaires, prestations sociales et revenus du capital se sont-ils élevés d’autant ?

Un tassement des salaires vers le bas et des revenus du capital dynamiques

Du côté des revenus du travail, le salaire mensuel de base a crû de 8,1 % entre le troisième trimestre 2021 et le troisième trimestre 2023 et le salaire moyen par tête du secteur marchand de 8,6 % sur la même période. Certes, une telle hausse n’a jamais été vue depuis plus de trente ans mais, dans les deux cas, elle reste insuffisante pour compenser l’inflation. Autrement dit, le salaire réel, y compris primes, a diminué de plus de 2 % en deux ans.

Le smic, avec une hausse de 12 % depuis octobre 2021, a connu, lui, une progression plus rapide que la moyenne en raison de son mécanisme d’indexation sur l’inflation. Si ce mécanisme permet de protéger les travailleurs les plus modestes de l’inflation, rien ne garantit que cette hausse dynamique du smic bénéficie également aux salaires juste au-dessus. De fait, selon les chiffres du prochain rapport à paraitre du groupe d’experts sur le SMIC, la proportion de salariés touchant le salaire minimum est passée de 12 % en 2021 à plus de 17 % en 2023. Cela confirme l’idée d’un tassement de la grille des salaires vers le bas, corroborée également par la forte hausse en 2022 des exonérations de cotisations sociales patronales du régime général (+13 % selon le bilan 2022 sur les exonérations réalisé par l’Urssaf), bien supérieure à la croissance de la masse salariale du secteur privé (+8,7 %).

Les prestations sociales, elles, augmentent pour aider les ménages à faire face à la hausse des prix. Cela se fait néanmoins avec retard en raison d’une réévaluation annuelle, en janvier ou en avril, calculée sur l’inflation passée. Ainsi, depuis fin 2021, les pensions de retraite n’ont crû que de 6 % mais celles-ci seront revalorisées de 5,2 % en janvier 2024. Les autres prestations ont augmenté significativement mais seulement à partir d’août 2022, affichant ainsi avec une augmentation globale de 7,3 % au cours des deux dernières années. Une nouvelle revalorisation de 4,8 % est attendue au 1er avril 2024.

Les revenus du patrimoine financier ont, de leur côté, fortement grimpé, de 37 % entre le troisième trimestre 2021 et le troisième trimestre 2023. Cela s’est fait sous l’impulsion de la remontée des taux d’intérêt et de la forte hausse des dividendes versés. Si le pouvoir d’achat par unité de consommation n’a baissé que de 0,4 % entre le troisième trimestre 2021 et le troisième trimestre2023, faisant preuve d’une certaine résistance face au choc inflationniste, c’est en partie dû au fort dynamisme des revenus du capital et à la baisse de fiscalité (suppression progressive de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés et suppression de la redevance audiovisuelle). Comme nous l’avons montré dans la dernière prévision de l’OFCE, les revenus du patrimoine ont été ainsi le principal contributeur à la hausse du RDB des ménages entre 2021 et 2023. En revanche, cette mesure ne tient pas compte de la taxe inflationniste pouvant éroder la valeur réelle des actifs détenus par les ménages si ces derniers n’évoluent pas comme l’inflation[2].

L’analyse macroéconomique du pouvoir d’achat, bien qu’indispensable, n’est cependant pas suffisante pour comprendre les évolutions par niveau de vie, avec des ménages dont les revenus ont évolué très différemment sur la période récente. D’ailleurs, dans le cadre d’une étude à venir, nous allons analyser plus en détail l’hétérogénéité des évolutions de pouvoir d’achat des ménages face au choc inflationniste.

Les entreprises tirent leur épingle du jeu

Depuis la fin 2021, malgré le choc énergétique, les entreprises ont vu leur taux de marge augmenter de 1,2 point de valeur ajoutée pour atteindre 33 % au troisième trimestre 2023, le plus haut niveau depuis 2008 si l’on exclut les années exceptionnelles (2019 l’année du double CICE ou la période Covid marquée par des aides exceptionnelles). Leur besoin de financement sur cette période s’est cependant légèrement dégradé, passant de -1,3 point de PIB fin 2021 à -1,7 point de PIB au troisième trimestre 2023 (graphique), en raison d’un investissement très dynamique.

Enfin les administrations publiques, en mettant en place des dispositifs pour limiter la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires…) ont vu leur déficit se dégrader malgré la fin des mesures d’urgence liées à la crise Covid. Il est ainsi passé de 4,6 % du PIB fin 2021 à 6,1 % fin 2022, avant de se réduire à 4,8 % au troisième trimestre 2023 avec la fin du bouclier tarifaire du gaz et de la remise carburant.

En résumé, face à l’inflation importée, les entreprises semblent avoir été relativement épargnées même si les situations sont très hétérogènes selon les secteurs et la taille des entreprises. Les ménages ont vu leur pouvoir d’achat plutôt résister et leur capacité de financement rester élevée (4,3 points de PIB) mais cela masque des dynamiques très différentes entre les revenus du travail et du capital. Enfin, les administrations publiques en absorbant une partie du choc inflationniste ont vu leur situation financière se dégrader.


[1] Une version proche de cet article a été également publiée sur le site https://theconversation.com/fr  dans le cadre des Journées de l’Economie https://theconversation.com/qui-paye-linflation-importee-217706

[2] A titre d’exemple, la valeur nominale des actifs détenus par les ménages (hors investissement net de la dépréciation de capital) a baissé de 1,3 % en 2022 selon les comptes de patrimoine de l’INSEE alors que l’inflation a été de 5,2 %.




Allemagne : un bouclier tarifaire trop tardif

par Céline Antonin

Un siècle après l’épisode traumatique d’hyperinflation qui l’a conduite à devenir le chantre de l’orthodoxie monétaire, l’Allemagne n’a pas échappé, à l’instar des autres pays européens, à la résurgence de l’inflation, notamment sur les prix des produits énergétiques. En 2022, elle affiche même un taux d’inflation moyen plus élevé de 1,7 point que son voisin français (6,9 % contre 5,2 %), ce qui s’explique par plusieurs facteurs. Citons d’abord les choix énergétiques de l’Allemagne, notamment la part du gaz naturel dans le mix énergétique allemand : en 2021, le gaz naturel représentait 26 % du mix énergétique en Allemagne, contre 15 % en France[1] ; par ailleurs, la part du nucléaire est dérisoire en Allemagne (6 %), contrairement à la France (41 %). En outre, la dépendance énergétique de l’Allemagne par rapport à la Russie était beaucoup plus forte qu’en France : en 2019, elle atteignait 24 % en Allemagne contre 8 % en France[2]. Enfin, la place du secteur industriel dans la valeur ajoutée explique que l’industrie allemande ait une consommation d’énergie deux fois plus forte que l’industrie française[3]. Par ailleurs, les choix de politique économique n’ont pas permis de ralentir la dynamique de l’inflation : contrairement à son voisin français qui a mis en œuvre dès octobre 2021 un mécanisme de plafonnement des prix de l’électricité et du gaz, à travers le bouclier tarifaire, l’Allemagne a privilégié les mesures d’aides directes aux ménages et aux entreprises. Or, certaines de ces mesures comme les suppléments d’allocations familiales, les chèques énergie versés aux étudiants, aux retraités ou aux salariés ont pu avoir un effet inflationniste. En revanche, la modération salariale est demeurée la norme et les salaires négociés sont restés assez contenus jusqu’en 2022.



Dans notre prévision pour 2023-2024 (voir fiche Allemagne), nous prévoyons un reflux lent et graduel de l’inflation, d’abord sous l’effet de la baisse du prix de l’énergie, accélérée par le bouclier tarifaire mis en place en mars 2023[4]. La hausse de la composante alimentaire perdrait également en intensité au cours de l’année 2023. En revanche, l’inflation sous-jacente devrait largement contribuer à la persistance de l’inflation en 2023 avec la hausse des salaires négociés. Au total, après un taux d’inflation de 6,9 % en 2022, nous prévoyons une hausse des prix à la consommation de 7,1 % pour 2023 et 3,6 % pour 2024. L’inflation élevée réduirait le revenu disponible des ménages et entraînerait une baisse des dépenses de consommation privée pour 2023. Ainsi, nous devrions observer un changement dans la nature de l’inflation : d’énergétique, puis alimentaire, elle deviendrait salariale, avant de régresser.

2023-2024 : de l’inflation énergétique à l’inflation alimentaire …

La première cause de la baisse de l’inflation en 2023 est la baisse du prix de l’énergie (graphique 1). Celle-ci s’explique d’abord par la baisse du prix du gaz sur le marché européen, mais également par les mesures d’encadrement des prix. Citons notamment la baisse de la TVA sur le gaz naturel de 19 % à 7 % (du 1er octobre 2022 au 31 mars 2024), l’aide d’urgence de décembre pour les ménages et PME[5] (Dezember-Abschlag) et surtout le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité introduit du 1er mars 2023 au 30 avril 2024 (voir encadré). Si ce bouclier semble légitime pour contenir le risque de hausse des prix de l’énergie, il paraît être un rempart trop tardif, potentiellement caduque, alors que les prix du gaz et de l’électricité ont fortement baissé. D’ailleurs, les dépenses prévues pour ce bouclier, initialement plafonnées à 200 milliards d’euros, ont été revues largement à la baisse à la suite de la chute des prix de l’énergie. Selon Garnadt et al. (2023)[6], le bouclier sur le gaz représenterait 15 milliards d’euros en 2023 et 0,5 milliard d’euros en 2024. Quant au bouclier sur l’électricité, le Conseil des experts allemands l’évalue à 13 et 0,8 milliards d’euros en 2023 et 2024. Au total, le bouclier tarifaire représenterait environ 30 milliards d’euros sur 2023-2024[7]. Depuis décembre 2022, la contribution de la composante alimentaire à l’inflation a en revanche dépassé celle de la composante énergétique. La contribution de l’alimentaire devrait néanmoins régresser au cours de l’année 2023. Au total, l’IPC devrait croître de 7,1 % en 2023 et 3,6 % en 2024.

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Encadré : Fonctionnement du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité (Strom- und Gaspreisbremse)

Du 1er mars 2023 au 30 avril 2024 au moins, le prix du gaz et du chauffage urbain est plafonné (à 12 centimes d’euros TTC pour le gaz, et 9,5 centimes d’euros pour le chauffage urbain) pour les ménages et les petites entreprises – consommant moins de 1,5 million de kWh par an –, sur la base d’un quota de consommation égal à 80 % de la consommation passée. Au-delà de ce quota, le prix libre du marché s’applique. Les 25 000 entreprises clientes industrielles, quant à elles, recevront 70 % du volume de 2021 à 7 centimes d’euros hors taxes à partir de janvier 2023.

Le bouclier sur l’électricité fonctionne de façon comparable :  les ménages et petites entreprises – consommant moins de 30 000 kWh/an – paient un maximum de 40 cents bruts par kilowattheure pour 80 % de leur électricité. Le prix du contrat régulier est facturé pour les 20 % restants. Pour les clients industriels, le plafond est fixé à 13 centimes pour 70 % de la consommation prévue.

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… et à l’inflation salariale : la fin de la modération ?

En 2022, les salaires négociés n’ont augmenté que de 2,7% pour 19,6 millions de salariés couverts par des conventions de branches[8]. Ce chiffre a pu surprendre par sa faiblesse, dans un contexte fortement inflationniste. Comment l’expliquer ? Rappelons d’abord que, contrairement à la France où le rythme de la négociation salariale est annuel, la fréquence des accords salariaux n’est pas dictée par la loi en Allemagne. Les accords courent souvent sur les deux années suivantes. La faiblesse de la croissance des salaires s’explique par plusieurs facteurs. Premièrement, une partie des augmentations salariales pour 2022 a été prévue par des négociations salariales de 2021 ou antérieures – qui ont été négociées dans un contexte beaucoup moins inflationniste. Les négociations salariales antérieures à 2022 concernent 12 millions de salariés et actent une hausse de 2,6 % sur l’année 2022 (graphique 2). Deuxièmement, il y a eu que peu de branches qui ont renégocié les salaires en 2022 : les négociations n’ont concerné que 7,6 millions de salariés. Parmi ces 7,6 millions de salariés, l’essentiel (3,6 millions) appartient à la branche industrie électro-métallique qui n’a acté qu’une modeste revalorisation de 1,6 %. En dehors cette branche, sur les 4 millions de salariés restants, la hausse des salaires négociés au cours de l’année 2022 aurait été de 4,1% (sur la base de 2,9% en moyenne pour les 7,6 millions concernés[9]). Notons que plusieurs négociations collectives qui ont eu lieu en 2022 prévoient des augmentations mais décalées à 2023, par exemple dans l’industrie électro-métallique.

En prévision, nous anticipons la fin de cette modération salariale. L’accord dans l’industrie métallurgique et électrique prévoit une augmentation de 7,2 % pour 2023 et de 4,1 % pour 2024. En 2023, les accords salariaux devront être renégociés pour près de 11 millions de salariés, notamment dans la fonction publique (2,8 millions de salariés), le travail temporaire (735 000), le commerce de détail (2,6 millions de salariés) et le commerce de gros (1,1 millions de salariés). Nous prévoyons notamment des augmentations salariales notables pour les négociations dans le commerce de détail et de gros qui doivent avoir lieu au deuxième trimestre 2023. Les salaires effectifs devraient continuer à augmenter plus rapidement que les salaires négociés en raison de la baisse du chômage partiel – qui affecte les salaires effectivement versés, mais pas les salaires conventionnels. Au total, nous anticipons une augmentation des salaires de 6,1 % en 2023 et de 5,2 % en 2024. Outre le taux d’inflation élevé, la pénurie de main-d’œuvre contribuerait à l’augmentation des salaires[10]. Par conséquent, alors que l’Allemagne avait connu une forte baisse de salaire réel entre 2019 et 2022 (-6,4 %), la situation devrait s’inverser d’ici 2024 et l’Allemagne dépasserait la France en termes de progression salariale réelle entre 2022 et 2024 (graphique 3).

Au total, l’inflation sous-jacente devrait rester élevée au cours de l’année 2023, autour de 5,8 %, avant de décroître en 2024. La baisse progressive de l’inflation sous-jacente devrait être principalement due à la diminution des pressions inflationnistes du côté des biens, indirectement liée à la baisse des prix de l’énergie. En outre, bien que les salaires réels progressent fortement en 2024, nous faisons l’hypothèse d’une compression des marges des entreprises qui permettront de contenir la hausse des prix.


[1] Source : Eurostat, Énergie disponible brute par produit, tableau TEN00121.

[2] Sur le mode de calcul de l’indice de dépendance énergétique, voir C. Antonin, « Dépendance commerciale UE-Russie : les liaisons dangereuses », Blog de l’OFCE, 4 mars 2022.

[3] Source : Eurostat, consommation finale d´énergie par secteur, tableau TEN00124, chiffres de 2021.

[4] Pour les PME, le frein aux prix sera ensuite appliqué rétroactivement aux mois de janvier et février 2023. Pour les clients industriels du gaz et du chauffage, la réduction de prix s’applique dès janvier 2023.

[5] Afin de soulager les ménages jusqu’à l’introduction du bouclier tarifaire, l’État allemand prend à sa charge la facture mensuelle de gaz et de chauffage urbain en décembre 2022 pour les ménages et les PME.

[6] Garnadt N., L. Nöh, L. Salzmann et C. Schaffranka (2023), « Eine Abschätzung der Auswirkungen der Gaspreisbremse auf Inflation und fiskalische Kosten », SVR-Arbeitspapier, Sachverständigenrat zur Begutachtung der Gesamtwirtschaftlichen Entwicklung, Wiesbaden, Arbeitspapier 01/2023.

[7] Ces estimations reposent sur un prix du gaz compris dans une fourchette de 50-60 €/MWh. Nous faisons pour notre part une hypothèse un peu plus élevée sur le prix du gaz TTF (75 €/MWh en 2023 et 70 €/MWh en 2024). Le chiffre de 30 milliards pour le bouclier tarifaire représente donc une borne « basse » pour le chiffrage du bouclier tarifaire.

[8] En 2021, 52 % des salariés sont couverts par une convention de branche (dont 34 % par une convention de branche et un accord d’entreprise) et 8 % par des accords d’entreprise sans convention de branche (source : IAB, 2023).

[9] Ce chiffre correspond à la moyenne des augmentations de salaires négociés pour 2022 :

(3,6 x 1,6% + 4 x 4,1%)/7,6 = 2,9%.

[10] Remarquons néanmoins que, malgré les mesures budgétaires de soutien aux ménages liées à l’énergie et la hausse des salaires, le revenu disponible réel des ménages reculerait de 0,7 % en 2023, rongé par l’inflation.




Le marché du travail américain résistera-t-il au resserrement monétaire ?

par Christophe Blot

En mars 2022, la banque centrale américaine amorçait un resserrement monétaire pour faire face à l’augmentation rapide de l’inflation aux États-Unis. Depuis, le taux cible de la politique monétaire a été augmenté à chaque réunion du FOMC (Federal Open Market Committee), ce qui le porte désormais à 5 %. L’objectif de ces décisions est de ramener l’inflation vers la cible de 2 % visée par la Réserve fédérale. Après avoir atteint un pic à l’été 2022, l’inflation a baissé en lien avec le repli des prix de l’énergie. Parallèlement, l’activité économique a jusqu’ici résisté et le taux de chômage reste stable malgré le durcissement des conditions monétaires et financières. L’inflation va-t-elle continuer de baisser et surtout, peut-elle converger vers la cible sans hausse du chômage ?



Une inflation maîtrisée ?

Tout au long de l’année 2021, la Réserve fédérale s’était montrée prudente, considérant que l’augmentation des prix serait transitoire. Ce n’est qu’à partir du mois de mars 2022 qu’elle a amorcé le resserrement monétaire, un peu plus d’un an après que l’inflation ne commence à dépasser la cible de 2 % et alors qu’elle atteignait 6,8 %[1]. La hausse des prix s’est effectivement avérée plus durable que ce qu’avaient anticipé les membres du FOMC et s’est propagée à l’ensemble des composantes de l’indice. Enfin, la banque centrale craignait également un risque de déconnexion des anticipations d’inflation qui aurait entretenu une spirale inflationniste. Une fois enclenché, le mouvement de hausses de taux a été rapide puisqu’en un an le taux cible pour les fonds fédéraux est passé de 0,25 % à 5 %, soit un rythme de durcissement bien plus rapide que ceux observés lors des cycles précédents (Figure 1) et en particulier celui de 2015 où la Réserve fédérale n’avait remonté les taux que deux fois en un an et seulement de 0,25 point à chaque fois.

Quelques mois à peine après le début du resserrement, l’inflation a atteint un pic. De 7 % en glissement annuel observé en juin 2022, elle a progressivement reflué s’élevant à 5 % en février 2023. Pour autant, cette baisse n’est pas à mettre au crédit de la Réserve fédérale puisqu’elle résulte principalement de l’évolution de la composante énergie, elle-même directement liée à la baisse des prix du pétrole et, dans une moindre mesure, du prix du gaz américain[2]. En février 2023, la composante énergie du déflateur de la consommation baissait de 0,9 % sur un an alors que cette composante avait augmenté de 60,8 % en juin 2022. Même si l’indice des prix alimentaires reste dynamique, sa progression marque le pas.

Au-delà de la composante énergie, la baisse de l’inflation peut-elle se prolonger ? Sous l’hypothèse d’une stabilité du prix du pétrole et du prix du gaz, la contribution des prix de l’énergie poussera effectivement encore l’inflation américaine à la baisse dans les prochains mois. La fin de l’épisode inflationniste dépendra cependant principalement de l’évolution de l’inflation sous-jacente, qui intègre certes un effet de diffusion des prix de l’énergie mais dont la dynamique dépend surtout de facteurs d’offre et de demande[3].

La hausse du chômage est-elle inévitable ?

Si l’on ne tient pas compte des prix de l’énergie et des prix alimentaires, l’inflation ― dite sous-jacente ― montre également des signes de ralentissement. En février 2023, elle progressait de 4,6 % en glissement annuel contre 5,2 % en septembre 2022. Cette dynamique s’explique en partie par l’évolution du prix des biens durables marquée au cours de l’année 2022 par des difficultés d’approvisionnement[4]. L’indicateur mesurant les tensions sur les chaînes de production a fortement diminué et est revenu, depuis le début de l’année 2023, sous sa valeur moyenne de long terme[5]. Les effets de la politique monétaire devraient principalement se transmettre via la demande. En effet, l’augmentation du taux cible de la politique monétaire s’est répercutée sur l’ensemble des taux publics comme privés, taux de marché et taux bancaires. Le durcissement des conditions monétaires et financières qui en résulte devrait se traduire par un tassement de l’activité de crédit et un ralentissement de la demande domestique : consommation et investissement.

Pourtant, après deux trimestres de recul en début d’année 2022, le PIB s’est redressé sur la deuxième moitié de l’année. Surtout, le taux de chômage se maintient à un niveau historiquement bas : 3,5 % selon le BLS (Bureau of Labor Statistics) pour le mois de mars 2023. Cette situation ― baisse de l’inflation sans hausse du chômage ― est-elle durable ? Si tel est le cas, la Réserve fédérale réussirait à atteindre son objectif de prix tout en évitant la récession ou du moins l’augmentation du chômage. Olivier Blanchard semblait douter de ce scénario optimiste. De fait, la plupart des analyses macroéconomiques suggèrent qu’une orientation restrictive de la politique monétaire a pour effet d’accroître le chômage. Par exemple, la variante du modèle FRB-US suggère qu’un point de hausse du taux d’intérêt se traduit par une hausse du chômage de 0,1 point la première année puis atteint un pic à 0,2 point lors des deuxième et troisième années. Les analyses récentes de Miranda-Agrippino et Ricco (2021) suggèrent un ordre de grandeur similaire, avec un pic autour de 0,2 point pour un point de hausse de taux directeur, mais une transmission plus rapide[6]. Etant donné l’ampleur du resserrement monétaire et toutes choses égales par ailleurs, nous anticipons que le taux de chômage augmenterait de 0,3 point en 2023, ce qui dans notre scénario le porterait à 3,9 % contre 3,6 % en moyenne sur 2022. De fait, étant donné les délais de transmission de la politique monétaire, l’effet du resserrement sur l’année 2022 serait faible, ce qui pourrait expliquer pourquoi le taux de chômage n’a pas encore augmenté. Les épisodes précédents de resserrement monétaire sont aussi caractérisés par un décalage plus ou moins important entre la phase de durcissement de la politique monétaire et l’augmentation du chômage (Figure 2). Par exemple, le resserrement monétaire amorcé à l’été 2004 par la Réserve fédérale n’a pas eu d’effet rapide sur le taux de chômage qui a poursuivi sa décrue jusqu’au printemps 2007 avant d’augmenter nettement par la suite atteignant un pic à près de 10 % début 2010 dans le contexte de la crise financière globale. On retrouve la même inertie après 2016, la hausse du chômage n’intervenant qu’en 2020 lors du confinement.

Enfin, la capacité de la politique monétaire à réduire l’inflation dépendra de la relation entre le chômage et l’inflation mais aussi de la réaction des anticipations d’inflation. Á cet égard, les différents indicateurs d’anticipation à long terme suggèrent soit une stabilité, soit une légère diminution. Ainsi, l’enquête du Michigan menée auprès des ménages indique une inflation anticipée à 5 ans de 2,8 % en février 2023 contre 3,1 % en juin 2022. Selon les indicateurs de marché, l’inflation anticipée à 5 ans dans 5 ans, fluctue autour de 2,5 %. Ces niveaux sont certes supérieurs à la cible visée par la Réserve fédérale mais ils ne témoignent pas d’un désancrage significatif et durable relativement à ce qui était observé avant 2021(Figure 3). Quant au lien inflation-chômage, force est de constater que l’incertitude est plus importante. Dans le modèle FRB-US, la hausse du chômage induite par le resserrement monétaire a très peu d’effet sur le taux d’inflation mais les estimations de Miranda-Agrippinon et Ricco (2021) suggèrent un impact plus important. Dans notre scénario, l’inflation américaine poursuivrait sa décrue en 2023 non seulement grâce à sa composante énergie mais aussi du fait d’une baisse de l’inflation sous-jacente. Dans notre scénario, nous supposons qu’en fin d’année 2023, la progression du déflateur serait de 3,6 % en glissement annuel, avec une inflation sous-jacente à 3,7 %.


[1] Il s’agit ici de l’inflation mesurée par le déflateur des prix à la consommation qui est l’indice suivi par la Réserve fédérale. Comparativement, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) est en moyenne plus élevée que l’on considère l’indicateur global ou l’indice hors prix alimentaires et de l’énergie.

[2] Le prix du gaz sur le marché américain n’a pas atteint les sommets observés en Europe. Le prix avait cependant presque triplé entre le printemps 2021 et la fin de l’été 2022 avant de revenir vers le point bas observé en avril 2020.

[3] La contribution de l’alimentaire est déjà en repli depuis le début de l’année et nous anticipons une poursuite de ce mouvement.

[4] C’est le cas pour les semi-conducteurs, utilisés notamment par le secteur automobile. Ces pénuries ont contribué à la hausse des prix des automobiles, neuves mais surtout d’occasion dont le glissement annuel a dépassé 40 % au début de l’année 2022.

[5] Voir l’indicateur GSCPI (Global Supply Chain Pressure Index) calculé par les économistes de la Réserve fédérale de New York.

[6] Voir Miranda-Agrippino S., & Ricco G. (2021), « The transmission of monetary policy shocks », American Economic Journal: Macroeconomics, 13(3), 74-107. D’autres estimations indiquent des effets parfois plus importants selon la stratégie d’estimation. Voir les simulations reportées par Coibion O. (2012) « Are the effects of monetary policy shocks big or small? », American Economic Journal: Macroeconomics, 4(2), 1-32.




Has inflation in the euro zone peaked?

By Christophe Blot

For the first time since June 2021, inflation, as measured by the Harmonised Index of Consumer Prices (HICP), has fallen in the euro zone for two months in a row. However, it remains high, as prices rose by 9.2% year-on-year in December 2022 and by 8.4% for the year as a whole. This trend has been seen in the US since June 2022, with the year-on-year change in the consumer price index falling from 9% to 6.4% in December. On an annual average basis, however, inflation was 8%, 3.3 percentage points higher than in 2021. Indeed, although there may be significant differences between countries, particularly in the euro zone[1], rising prices are a global phenomenon, and inflation is at much higher levels than the average for many years now. What can be inferred from the declines observed in recent months? Has peak inflation been reached? The answer to these questions depends, among other things, on the specific factors that have contributed to inflation since 2021 and to its recent decline. This diagnosis not only is crucial for household living standards, but it also determines the monetary policy stance for 2023 of the European Central Bank (ECB) and the Federal Reserve, since both target 2% inflation.



Lower inflation linked to falling energy prices …

Since late summer 2020, inflation in all the industrialised countries has risen almost uninterruptedly to a level not seen since the early 1980s. This can be explained by supply and demand factors. In a context still marked by the situation of health in 2021 and 2022, production capacities remained constrained because of the various waves of the pandemic, which disrupted the functioning of the labour market and supply chains, in particular due to China’s zero-covid strategy. On the demand side, income support measures taken during lockdowns fuelled first savings and then household consumption expenditure, particularly in the US. The rebound in inflation was also driven by the rebound in energy prices, amplified by Russia’s invasion of Ukraine, which triggered an energy crisis. At the same time, climate factors pushed up food prices, which were in turn exacerbated by the conflict between two major grain producers[2].

Indeed, as of October 2022, energy prices in the euro zone had risen by over 40% year on year, contributing 4.2 percentage points to inflation[3]. The rise in energy prices slowed in December to 25.7% year-on-year. The energy index largely reflects changes in the market prices for oil and gas. However, the surge observed for several months now seems to be reversing. After peaking at over USD 120 per barrel in mid-June 2022, the price of Brent crude has returned to the level seen before Russia invaded Ukraine. The price of gas has suffered an unprecedented shock, but it has also been trending downward recently (Figure 1). At the end of August 2022, it peaked at over 310 euros per megawatt hour, a level 15 times higher than observed in January 2021[4]. These declines in oil and gas prices thus explain the trends in inflation over the last two months. In the US, the decline occurred earlier, in line with oil prices and because the rise in US gas was much more moderate[5].

… but rising core inflation

However, once energy is excluded inflation is not falling. First, food prices in the euro zone are continuing to rise: 13.6% in December for the euro zone as a whole, partly reflecting the impact of past energy price rises on costs. And second, core inflation, adjusted for energy and food prices, is also high: 5.2% in December in the euro zone and 6% in the US. Moreover, it is continuing to rise, and is increasingly contributing to the overall rise: 3.5 points in the euro zone in December 2022 compared with 1.9 points a year earlier (Figure 2) [6]. This rise in core inflation suggests a gradual diffusion of inflation. The price of energy directly affects production costs, which in turn affects the prices of consumer goods and services excluding energy[7].

In addition to the energy shock, supply and demand factors may also have contributed to the resurgence of inflation. On the supply side, the blockage of global production chains – notably due to the local lockdowns imposed in China until recently, and the shipping bottlenecks that appeared at the end of 2020 with the resumption of international trade – caused price pressures that contributed to the rise in the prices of output and final goods. These factors appear to have played a dominant role in 2021 in both the US and the euro zone[8]. On the demand side, expansionary monetary and fiscal policies in 2020 and 2021 made for easier financing conditions and boosted the incomes of economic agents. These measures were intended to absorb shocks, but the way they were calibrated may also have contributed to inflation, particularly in the US. American researchers have estimated the contribution of the fiscal support plans (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act and American Rescue Plan) to nearly 3 points of inflation by the end of 2021, confirming fears that the American economy was overheating[9]. A more recent analysis assessing only the effect of the March 2021 Biden plan estimates its contribution to core inflation at nearly 50%[10]. In the euro zone, demand factors definitely played a less important role, in particular because household income support measures have been less extensive than in the US[11].

Will inflation continue to fall? Yes, most likely in connection with energy prices. In addition, the supply-and-demand factors that have been driving prices up should also dissipate. The indicator of constraints on production is not yet back to its long-term average, but it has fallen sharply. On the demand and fiscal policy side, the effects of the support policies put in place during the health crisis are fading. Since then, new measures have been implemented in the euro zone to cushion the cost of the energy crisis on households through subsidies and price freezes. However, consumers are expected to suffer losses in purchasing power, which will weigh on demand[12]. Will inflation return to 2%? Probably not in 2023. Food prices show no sign of easing, which will continue to put a strain on everyday household spending. Moreover, part of the inflationary shock has effectively spread to all prices, as shown by changes in core inflation[13]. Finally, the gradual lifting of tariff shields in 2023 and 2024 should slow down disinflation by spreading the effect of the energy shock on households over time. Under these conditions, central banks will undoubtedly continue to raise interest rates. However, they could slow down the pace of rate increases to a lower level than they would have envisaged if inflation had remained at a level close to 10%.


[1] According to the figures published by Eurostat for December, inflation is over 20% in Latvia and Lithuania, and over 10% in Italy, the Netherlands and Austria. Conversely, it is 5.6% in Spain and 6.7% in France. Blot, Creel, Geerolf and Levasseur (2022) analyse this heterogeneity of inflation rates in the euro zone and show that it is largely explained by energy prices and by rates that have been particularly high in some small euro zone economies, notably the Baltic countries.

[2] Also note that part of the rise in food prices is due to higher energy prices.

[3] In the US, this rise in the energy index peaked in June 2022, with a year-on-year price change of +41.5%, contributing 2.6 percentage points to inflation. This fell to 7% in December, contributing only 0.5 percentage points to total inflation.

[4] The war in Ukraine has strongly contributed to the surge in the price of European gas, but the price had already risen sharply before the outbreak of the war, reaching an average of 84 euros per Megawatt hour in January 2022.

[5] See “Gaz naturel : pourquoi ça flambe” [“Natural gas: Why is it on fire?” – in French] on the more regional dimension of the gas market.

[6] In the US, the contribution of core inflation in December 2022 returned to the same level as in December 2021 (4.6 and 4.5 points respectively) after peaking at 5.4 points in October 2022.

[7] Price rises could also push wages higher, reinforcing higher costs and prices through a second-round effect.

[8] See this analysis, which relies on an indicator of the pressure on supply chains.

[9] See Jordà, Liu, Necchio and Rivera-Reyes (2022).

[10] See Ball, Leigh and Mishra (2022).

[11] See Blot C. & M. Plane (2021), “Relance aux États-Unis et en Europe : Un océan les sépare” [Recovery in the US and Europe: An Ocean Apart – in French], L’Economie politique, no. 3, pp. 73-87.

[12] See our analysis from October 2022 on the impact of the energy shock on France and the main advanced economies.

[13] Alternative indicators of core inflation calculated for the US also confirm the diagnosis of price increases that exceed 6%. See here.




A-t-on atteint le pic d’inflation dans la zone euro ?

par Christophe Blot

Pour la première fois depuis le mois de juin 2021, l’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisé, a baissé dans la zone euro au cours des deux derniers mois. Elle reste toutefois élevée puisque les prix ont augmenté de 9,2 % en glissement annuel en décembre 2022 et de 8,4 % sur l’ensemble de l’année. Aux États-Unis, le mouvement est observé depuis juin 2022 avec un glissement annuel de l’indice des prix à la consommation passé de 9 à 6,4 % en décembre. En moyenne annuelle, l’inflation s’est cependant établie à 8 %, soit 3,3 points au-dessus de celle de 2021. De fait, même s’il peut y avoir des écarts importants entre les pays, notamment dans la zone euro[1], la hausse des prix est un phénomène mondial et l’inflation se situe à des niveaux bien plus élevés que ce qui a été observé en moyenne depuis de nombreuses années. Que peut-on déduire des baisses observées au cours des derniers mois ? Le pic d’inflation a-t-il été atteint ? La réponse à ces questions dépend notamment des facteurs qui ont contribué à l’inflation depuis 2021 et à sa diminution récente. Ce diagnostic n’est pas seulement crucial pour le niveau de vie des ménages, il conditionne également l’orientation de la politique monétaire de la BCE et de la Réserve fédérale pour 2023, puisqu’elles ciblent toutes les deux une inflation de 2 %.



Une baisse de l’inflation liée à celle des prix de l’énergie…

Depuis la fin de l’été 2020, l’inflation dans l’ensemble des pays industrialisés a connu une hausse quasi ininterrompue pour atteindre un niveau qui n’avait pas été observé depuis le début des années 1980. Cette dynamique s’explique par des facteurs d’offre et de demande. Dans un contexte toujours marqué par la situation sanitaire en 2021 et 2022, les capacités de production sont restées contraintes du fait des différentes vagues épidémiques, ce qui a perturbé le fonctionnement du marché du travail et les chaînes d’approvisionnement, notamment du fait de la stratégie chinoise de zéro-Covid. Côté demande, les mesures de soutien au revenu prises pendant les périodes de confinement ont d’abord alimenté l’épargne puis les dépenses de consommation des ménages, particulièrement aux États-Unis. Le rebond de l’inflation fut aussi tiré par celui des prix de l’énergie, amplifié par l’invasion de l’Ukraine par la Russie déclenchant une crise énergétique. Parallèlement, des facteurs climatiques ont également poussé les prix alimentaires à la hausse dont l’augmentation fut à son tour accentuée par le conflit entre deux producteurs importants de céréales[2].

De fait, en octobre 2022, le glissement annuel des prix de l’énergie dans la zone euro s’élevait à plus de 40 % contribuant ainsi pour 4,2 points à l’inflation[3]. En décembre, ces prix progressaient à un rythme moins soutenu : 25,7 % en glissement annuel. L’indice énergie reflète largement les évolutions des prix du pétrole et du gaz sur les marchés. Or, la flambée observée depuis plusieurs mois semble s’inverser. Après avoir atteint un pic à plus 120 dollars mi-juin 2022, le prix du baril du Brent est revenu au niveau observé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Quant au prix du gaz, il a subi un choc inédit mais est également engagée sur une tendance baissière plus récente (graphique 1). Fin août 2022, il atteignait un pic à plus de 310 euros le MegaWatt/heure, soit un niveau 15 fois plus que ce qui était observé en janvier 2021[4]. Ces baisses des prix du pétrole et du gaz expliquent donc la dynamique récente de l’inflation au cours des deux derniers mois. Aux États-Unis, la baisse est intervenue plus tôt en lien avec le prix du pétrole et parce que la hausse du gaz américain a été beaucoup plus modérée[5].

… mais une inflation sous-jacente qui augmente

Cependant, hors énergie, l’inflation ne baisse pas. D’une part, les prix alimentaires en zone euro continuent d’augmenter : 13,6 % en décembre sur l’ensemble de la zone euro, ce qui reflète en partie l’effet des hausses passées des prix de l’énergie sur les coûts. D’autre part, l’inflation sous-jacente, corrigée de l’énergie et des prix alimentaires, est également élevée : 5,2 % en décembre dans la zone euro et 6 % aux États-Unis. De plus, elle continue d’augmenter et contribue de plus en plus à la hausse : 3,5 points en zone euro en décembre 2022 contre 1,9 point un an auparavant (graphique 2)[6]. Cette hausse de l’inflation sous-jacente suggère une diffusion progressive de l’inflation. Le prix de l’énergie affecte directement les coûts de production, ce qui se répercute ensuite sur les prix des biens de consommation et des services hors énergie[7].

Au-delà du choc énergétique, des facteurs d’offre et de demande ont également pu contribuer à la résurgence de l’inflation. Du côté de l’offre, le blocage des chaînes de production mondiale – notamment du fait des confinements locaux imposés en Chine jusqu’à récemment, et les goulots d’étranglement au niveau du transport maritime qui sont apparus en fin d’année 2020 avec la reprise du commerce international – ont provoqué des tensions sur les prix contribuant à la hausse des prix de production et des biens finals. Ces facteurs semblent avoir joué un rôle prédominant en 2021 aux États-Unis comme en zone euro[8]. Côté demande, les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes en 2020 et 2021 ont assoupli les conditions de financement et soutenu le revenu des agents économiques. Ces mesures avaient pour objet d’absorber les chocs mais la question de leur calibrage a pu aussi avoir contribué à alimenter l’inflation, en particulier aux États-Unis. Des chercheurs américains ont évalué la contribution des plans de soutien budgétaire (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act et American Rescue Plan) à près de 3 points d’inflation fin 2021 confirmant les craintes d’une surchauffe de l’économie américaine[9]. Une analyse plus récente évaluant uniquement l’effet du plan Biden de mars 2021 estime sa contribution à l’inflation sous-jacente à près de 50 %[10]. Dans la zone euro, le rôle des facteurs de demande est très certainement moindre, notamment parce que les mesures de soutien au revenu des ménages ont été moins importantes qu’outre-Atlantique[11].

La baisse de l’inflation va-t-elle se poursuivre ? Oui très certainement en lien avec les prix de l’énergie. De plus, les facteurs d’offre et de demande qui ont alimenté la hausse des prix devraient également se dissiper. L’indicateur de contraintes sur la production n’est certes pas revenu vers sa moyenne de long terme mais a fortement diminué. Du côté de la demande et de la politique budgétaire, les effets des politiques de soutien mises en place pendant la crise sanitaire se dissipent. Depuis, de nouvelles mesures ont été mises en œuvre dans la zone euro pour amortir le coût de la crise énergétique sur les ménages via des aides ou un blocage des prix. Il n’en demeure pas moins qu’ils devraient subir des pertes de pouvoir d’achat, ce qui pèsera sur la demande[12]. L’inflation reviendra-t-elle pour autant vers 2 % ? C’est peu probable pour l’année 2023. Du côté des prix alimentaires, il n’y aucun signe de détente, ce qui continuera à grever les dépenses des ménages au quotidien. Par ailleurs, une partie du choc inflationniste s’est effectivement diffusée à l’ensemble des prix comme l’indique l’évolution des inflations sous-jacentes[13]. Enfin, la levée progressive des boucliers tarifaires en 2023 et 2024 freinerait la désinflation en étalant dans le temps l’effet du choc énergie sur les ménages. Dans ces conditions, les banques centrales continueront sans aucun doute à augmenter les taux d’intérêt. Elles pourraient néanmoins ralentir le rythme de hausse des taux et les porter à un niveau moins élevé que ce qu’elles auraient pu envisager si l’inflation s’était maintenue à un niveau proche de 10 %.


[1] Selon les chiffres publiés par Eurostat pour le mois de décembre, l’inflation s’élève à plus de 20 % en Lettonie et Lituanie, plus de 10 % en Italie, aux Pays-Bas ou en Autriche. Inversement, elle est de 5,6 % en Espagne et 6,7 % en France. Blot, Creel, Geerolf et Levasseur (2022) analysent cette hétérogénéité des taux d’inflation dans la zone euro et montre qu’elle s’explique largement par les prix de l’énergie et par les taux qui ont été particulièrement élevés dans certaines petites économies de la zone euro, notamment les pays baltes.

[2] Il faut noter également qu’une partie de la hausse des prix alimentaires s’explique par celle des prix de l’énergie.

[3] Aux États-Unis, cette hausse de l’indice énergie a atteint un pic en juin 2022 avec un glissement annuel des prix de 41,5 %, contribuant pour 2,6 points à l’inflation.  Le glissement baisse depuis et s’élève à 7 % en décembre ne contribuant plus que pour 0,5 point à l’inflation totale.

[4] La guerre en Ukraine a fortement contribué à l’envolée du prix du gaz européen mais celui-ci avait déjà fortement augmenté avant son déclenchement puisqu’en janvier 2022, il s’élevait déjà à 84€ le Mégawatt/Heure en moyenne.

[5] Voir « Gaz naturel : pourquoi ça flambe » sur la dimension plus régionale du marché du gaz.

[6] Aux États-Unis, la contribution de l’inflation sous-jacente en décembre 2022 est revenue au même niveau que celle de décembre 2021 (4,6 et 4,5 points respectivement) après être passée par un pic à 5,4 points en octobre 2022.

[7] Les hausses de prix peuvent aussi pousser les salaires à la hausse renforçant la hausse des coûts et des prix par un effet de second tour.

[8] Voir cette analyse qui s’appuie sur l’indicateur de pression sur les chaînes d’approvisionnement.

[9] Voir Jordà, Liu, Necchio et Rivera-Reyes (2022).

[10] Voir Ball, Leigh et Mishra (2022).

[11] Voir Blot C. & M. Plane (2021), « Relance aux États-Unis et en Europe : un océan les sépare », L’Economie politique, n° 3, pp. 73-87.

[12] Voir notre analyse du mois d’octobre 2022 de l’impact du choc énergétique sur la France et les principales économies avancées.

[13] Des indicateurs alternatifs d’inflation sous-jacente calculés pour les États-Unis confirment également le diagnostic d’une augmentation des prix supérieure à 6 %. Voir ici.




Inflation en Europe : les conséquences sociales de la guerre en Ukraine

par Guillaume AllègreFrançois GeerolfXavier Timbeau