La Réserve fédérale peut-elle ramener l’inflation vers 2% ?

par Christophe Blot

Lors de la réunion de politique monétaire qui s’est tenue le 16 mars 2022, la Réserve fédérale a augmenté son taux d’intérêt d’1/4 de point, le portant ainsi à 0,5 %[1]. Avec la forte augmentation de l’inflation observée aux États-Unis depuis le printemps 2021, il y a peu de doute que ce mouvement se poursuivra, ce que confirmait d’ailleurs récemment Jerome Powel qui envisageait une hausse d’1/2 point lors de la réunion du 4 mai. Au-delà, les anticipations issues des contrats à terme sur le taux des fonds fédéraux suggèrent un taux d’intérêt d’au moins 3 % à la fin de l’année. La banque centrale américaine parviendra-t-elle à ramener l’inflation vers sa cible ? Dit autrement, la nature des déséquilibres qui poussent les prix à la hausse peuvent-ils être corrigés par la politique monétaire ? Jusqu’où les taux d’intérêt doivent-ils augmenter pour juguler la poussée inflationniste actuelle ?



Après s’être établie à 1,2 % en 2020, l’inflation, mesurée par le déflateur de la consommation, a atteint 3,9 % en 2021 en moyenne annuelle, soit un niveau nettement supérieur à la cible de 2 % de la Réserve fédérale[2]. Surtout, contrairement aux anticipations formulées par les membres du FOMC (Federal open-market Committee) mi-2021,[3] cette dynamique s’est largement amplifiée si bien qu’en février 2022, l’inflation dépassait 6 %, un record depuis 1982[4]. Comme le rappellent Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno, l’inflation résulte nécessairement de déséquilibres sectoriels de marchés qui trouvent leur source soit dans l’insuffisance de l’offre soit dans un excès de demande. La réponse idoine de politique économique doit par conséquent s’appuyer sur un diagnostic aussi complet que possible des causes de cette inflation qui se traduit par des coûts sociaux[5]. Toutefois, étant donné le mandat de la Réserve fédérale, le resserrement de la politique monétaire semble inéluctable[6]. Dans le cas des États-Unis, il s’agit d’un double mandat puisque selon le Reserve federal Act, la banque centrale américaine met en œuvre la politique monétaire afin de promouvoir la stabilité des prix et un niveau d’emploi maximum. Avec un taux de chômage de 3,6 % en mars 2022, la Réserve fédérale considère logiquement qu’elle est plus éloignée de son objectif de stabilité des prix que de son objectif de plein-emploi. Au-delà du taux de chômage d’autres indicateurs tels que le taux de démission ou le rapport entre le nombre de chômeurs et les ouvertures de postes confirment l’existence de tensions sur le marché du travail[7].

La question principale est donc de savoir quelle devrait être l’ampleur du resserrement qui permettrait de ramener l’inflation vers sa cible. La réponse à cette question dépend notamment de la transmission de la politique monétaire aux prix. Comment réagit l’inflation lorsque la banque centrale décide d’augmenter son taux d’intérêt ? Rappelons que la banque centrale ne fixe qu’un taux particulier : un taux du marché monétaire de très court terme. Mais les modifications de ce taux se transmettent ensuite à l’ensemble des taux de marché et des taux bancaires, aux prix des actifs financiers et immobiliers. La politique monétaire influence donc l’ensemble des conditions de financement et par ce biais, la consommation des ménages, l’investissement des ménages et des entreprises[8]. Lorsque la banque centrale durcit sa politique monétaire, la demande se réduit et le chômage augmente, ce qui se répercute sur les prix : prix des biens et services et salaires. Il est possible de quantifier l’impact de la politique monétaire sur l’inflation à partir de l’estimation de l’effet d’une hausse des taux sur le chômage et du lien entre l’inflation et le chômage.

Une analyse récente de Silvia Miranda-Agrippino et Giovanni Ricco (2021) suggère qu’une hausse de 1 point du taux d’intérêt fixé par la banque centrale accroît le taux de chômage de 0,3 point au bout de 12 mois.[9] Toutes choses égales par ailleurs, Ball et Mazumder (2011) suggèrent qu’un point de chômage supplémentaire réduirait l’inflation de 0,5 point à partir de l’estimation d’une courbe de Phillips standard[10]. Ainsi, l’augmentation des taux de 0,25 à 3 % d’ici la fin de l’année 2022 se traduirait par une baisse de l’inflation de 0,4 point. Le scénario de durcissement envisagé pour la politique monétaire semble donc largement insuffisant pour ramener l’inflation vers sa cible de 2 %. Dit autrement, la Réserve fédérale ne pourrait espérer réduire l’inflation qu’au prix d’une hausse plus forte du taux d’intérêt. Un tel scénario n’est cependant pas raisonnable.

D’une part réduire l’inflation de 4 points – passer de 6 % à 2 % – suppose une hausse de taux tellement forte qu’elle pousserait l’économie américaine vers une récession violente et une hausse brutale du chômage. Ce fut le choix fait par Paul Volcker, président de la Réserve fédérale entre 1979 et 1987, qui mena une politique monétaire fortement restrictive au début de son mandat pour réduire l’inflation américaine qui dépassait 10 % en fin d’année 1979 (graphique 1). Il en a résulté une forte augmentation du taux de chômage qui a alors atteint son niveau le plus élevé depuis 1951[11]. La situation actuelle au regard de l’inflation n’est cependant pas totalement comparable. L’inflation actuelle résulte en partie de facteurs d’offre qui seraient temporaires selon Reifschneider et Wilcox (2022)[12]. Or, la politique monétaire serait peu efficace pour contrer un choc sur le prix de l’énergie ou qui résulte de contraintes d’approvisionnement au niveau mondial puisque ces facteurs ne dépendent pas – ou peu – de la situation macroéconomique américaine. Il ne faudrait donc agir que sur la contribution de l’inflation qui résulte de facteurs internes et notamment des tensions sur le marché du travail qui ont été en partie alimentées par les stimuli budgétaires de Donald Trump en 2020 puis de Joe Biden en 2021[13]. Force est cependant de constater que de la Réserve fédérale, comme de nombreux prévisionnistes, se sont trompés sur la durée de cet épisode inflationniste considérant que les facteurs d’offre s’atténueraient plus rapidement. La guerre en Ukraine a depuis accentué les pressions sur les prix de l’énergie et donc par ce biais sur l’inflation.

D’autre part, on peut observer que les anticipations d’inflation sont sans doute mieux ancrées autour de la cible d’inflation de la Réserve fédérale qu’elles ne l’étaient à la fin des années 1970. Selon l’enquête Michigan menée auprès des ménages américains, les anticipations d’inflation à long terme – à un horizon de 5 ans – ont augmenté mais semblent se stabiliser autour de 3 % depuis mai 2021. Elles sont surtout inférieures à ce qu’elles étaient à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (graphique 2). Or, ces anticipations d’inflation jouent un rôle dans la dynamique de l’inflation. En effet, plus les ménages ou les entreprises anticipent un niveau élevé d’inflation, plus ils demanderont des hausses de salaire ou fixeront leur prix à un niveau plus élevé, ce qui se traduira par un engrenage où les anticipations d’inflation nourrissent l’inflation, ce qui pousse les anticipations un peu plus à la hausse. C’est donc aussi pour éviter ce type d’emballement et des effets dits de second tour que la Réserve fédérale choisit d’accélérer son durcissement monétaire. L’objectif est de maintenir cet ancrage. Des travaux récents montrent que ce canal de transmission de la politique monétaire sur les anticipations est significatif[14].

Il semble donc que le contexte actuel justifie un resserrement monétaire aux États-Unis. La difficulté pour la banque centrale est de pouvoir distinguer entre les facteurs d’offre et de demande. L’objectif du resserrement amorcé par la Réserve fédérale doit être principalement de limiter les tensions observées sur le marché du travail et d’influencer les anticipations des agents afin d’éviter un décrochage des anticipations. Il devrait être relativement modéré afin non seulement d’éviter de faire plonger l’économie en récession mais aussi pour éviter une hausse forte des taux longs qui serait déstabilisante pour la dynamique de la dette publique. Si les facteurs d’offre qui alimentent l’inflation sont temporaires, la réaction de la Réserve fédérale permettra à l’inflation de converger progressivement vers sa cible. À cet égard, notons que la stratégie de ciblage d’inflation moyenne donne plus de marges de manœuvre à la Réserve fédérale qui peut de fait tolérer une inflation supérieure à 2 %. Depuis 2008, l’inflation a le plus souvent été inférieure à 2 % si bien que même avec une inflation de 5 % en 2022, la trajectoire de l’indice de prix resterait inférieure à la trajectoire fictive qui aurait été observée si l’inflation avait progressé de 2 % par an depuis 2009 (graphique 3). Enfin, si les facteurs d’offre sont durables, la politique économique adaptée ne sera pas de freiner la demande par une politique économique trop restrictive mais plutôt de stimuler l’offre par une politique d’investissement qui pourra porter les capacités de production au niveau adapté.


[1] Aux États-Unis, le taux directeur de la Réserve fédérale correspond à la cible pour le taux auquel les banques commerciales s’échangent les fonds fédéraux qui sont les dépôts qu’elles détiennent auprès de la Réserve fédérale locale.

[2] Voir Blot, Bozou et Hubert (2021) pour une discussion sur les cibles d’inflation des banques centrales et la reformulation proposée par la Réserve fédérale en août 2020.

[3] Les projections réalisées par les membres du FOMC en juin 2021 suggéraient une inflation comprise entre 1,9 et 2,3 % fin 2022 avec une médiane à 2,1 % : voir ici.

[4] L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation dépassait même 8,5 % en mars 2022. Rappelons que l’indicateur d’inflation retenu par la Réserve fédérale est le déflateur de la consommation.

[5] Même si les salaires progressent plus rapidement aux États-Unis, leur évolution ne compense pas aujourd’hui l’inflation qui se traduit donc par une perte de pouvoir d’achat des ménages américains.

[6] Fondamentalement, le mandat de la banque centrale ne précise pas que la réponse de politique monétaire devrait être différenciée en fonction des causes de l’inflation, ce qui suggère implicitement qu’une inflation durable ne peut être qu’un phénomène monétaire.

[7] Voir cette analyse ou celle-ci.

[8] La politique monétaire influence également le commerce extérieur via son effet sur le taux de change.

[9] Voir Miranda-Agrippino S., & Ricco G. (2021). The transmission of monetary policy shocks. American Economic Journal: Macroeconomics, 13(3), 74-107. L’effet sur le chômage est obtenu en considérant un choc de politique monétaire tel que le taux d’intérêt à un an augmente de 1 point. La Réserve fédérale ne contrôle certes par directement ce taux mais il est néanmoins influencé par les décisions de la banque centrale.

[10] Voir Ball L. M. & Mazumder S. (2011). Inflation dynamics and the great recession. Brookings Papers on Economic Activity, Spring, 337-381.

[11] Ce record de 10,8 % en novembre 1982 n’a été dépassé qu’au cours de la crise sanitaire d’avril-mai 2020. En 2009, le pic pour le taux de chômage s’est élevé à 10 %.

[12] Voir https://www.piie.com/sites/default/files/documents/pb22-3.pdf. Leur optimisme est toutefois discuté

ici : https://www.piie.com/blogs/realtime-economic-issues-watch/what-needed-tame-us-inflation.

[13] Voir Aurissergues, Blot et Bozou (2021), « Les États-Unis vers la surchauffe ? », Policy Brief de l’OFCE n°97.

[14] Voir Diegel M. & Nautz D. (2021), « Long-term inflation expectations and the transmission of monetary policy shocks: Evidence from a SVAR analysis”, Journal of Economic Dynamics and Control, 130, 104192.




Faire face à l’inflation : un défi structurel

par Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno

Introduction

En février 2022 le taux d’inflation annuel (mesuré par les données mensuelles de l’IPCH) a été aux États-Unis de 7,9%, en Grande-Bretagne de 5,4%, en zone euro de 5,8%, en Allemagne de 5,5%, en Espagne de 7,5%, en France de 4,1%, en Italie de 6,2%, aux Pays-Bas de 7,2%. Ces tensions, qui ont pu être jugées temporaires, pourraient d’autant plus facilement perdurer que, en conséquence de la guerre en Ukraine, de fortes et nouvelles hausses de prix interviennent sur les marchés de matières premières et de produits agricoles qui devraient largement se propager aux autres secteurs de l’économie.



Ce retour de l’inflation, après quelque quatre décennies de « Grande Modération », est susceptible de faire renaître le débat qui a opposé keynésiens et monétaristes, économistes de la demande et économistes de l’offre dans les années 1970. La question posée reste la même : celle des causes et coûts de l’inflation ainsi que des remèdes. Le sujet largement occulté reste le même : l’hétérogénéité des secteurs (des micromarchés) en termes de demande ou d’offre excédentaire. Le but de ce billet est de contribuer à éclairer les mécanismes à l’œuvre aujourd’hui en s’appuyant sur des éléments puisés dans la littérature économique de façon à établir les mesures appropriées pour y faire face.

Causes et coûts de l’inflation

L’inflation, qu’il s’agisse d’une inflation tirée par la demande ou d’une inflation poussée par les coûts, résulte de déséquilibres de marché (entre la demande et l’offre des différents secteurs) affectant tout ou partie de l’économie. Ces déséquilibres ont une dimension structurelle quand ils révèlent des changements des paramètres fondamentaux (technologies et préférences) rendant d’actualité une reconfiguration du tissu productif inhérente au progrès technique et à la croissance. Ils peuvent aussi être le fruit de chocs géopolitiques affectant notamment les marchés de matières premières. Sont en jeu les comportements en matière de prix, de quantités produites et d’investissement des entreprises concernées dans différents secteurs. Inversement, des changements structurels importants peuvent résulter d’une forte inflation qui modifie la répartition des revenus et des richesses au détriment des revenus contractualisés (salaires et retraites) avec pour conséquence de pénaliser les achats de biens salariaux et de favoriser celle de biens de luxe[1]. Ils peuvent, en outre, résulter du raccourcissement de l’horizon temporel des entreprises qui ne sont plus incitées à investir à long terme et vont chercher à être flexibles à court terme au risque de contraindre davantage l’offre et d’initier une inflation encore plus forte[2].

S’interroger sur le caractère transitoire ou durable de l’inflation est une façon de détourner l’attention de cette réalité complexe. Tout se passe en effet, dans ce cas de figure, comme si le choix était entre une situation dans laquelle l’inflation n’était qu’un épisode rapidement clos du fait d’un retour à l’équilibre de long terme et une situation où tout contrôle serait perdu le plus vraisemblablement du fait de l’attitude des autorités budgétaires et monétaires persistant dans une relance globale de l’économie. Le débat est celui mis en scène par les monétaristes qui font de l’inflation un phénomène purement monétaire et incriminent comme seule cause de ce phénomène l’impéritie des gouvernements[3]. Soit les gouvernements reviennent à la raison, soit l’économie est sujette à une hyperinflation. Cette approche du problème ignore que l’inflation nait de déséquilibres sectoriels de marché qui sont dans la nature du fonctionnement d’économies soumises de manière récurrente à des changements structurels, qu’une analyse d’équilibre ne peut pas capturer de façon adequate ; ignore par la même occasion qu’une inflation modérée est requise pour rendre plus aisées les variations de prix relatifs et garantir la viabilité des mutations en cours, ignore enfin ce que sont les véritables coûts sociaux d’une inflation, situation dans laquelle  des distorsions sont introduites dans la structure des prix au risque d’engendrer une mauvaise allocation des ressources[4].

L’épisode de faible inflation revisité 

La stabilité des prix observée au cours des quarante dernières années est souvent attribuée par la théorie monétaire dominante à l’action des banques centrales devenues indépendantes. Elle est surtout révélatrice de l’absence de déséquilibres marqués sur les marchés du travail et des biens qui explique que l’on ait pu parler de Grande Modération. Sur le marché du travail, la modération salariale imposée a été rendue possible grâce à l’importation de biens de consommation en provenance des pays émergents produits à bas coûts (ce qui en a en même temps limité l’impact sur le pouvoir d’achat et donc sur l’instabilité sociale). La vigilance des autorités monétaires qui ont agi sur des taux d’intérêt maintenus longtemps élevés s’est accompagnée d’innovations financières qui ont permis, sur les marchés de biens, notamment de biens liés aux nouvelles technologies, de répondre au besoin de financement des investissements et de mettre en œuvre les capacités de production requises en regard des nouvelles demandes.

Depuis le début des années 2000, après une première crise financière (l’éclatement de la bulle internet), des tendances déflationnistes ont vu le jour. Un ralentissement des gains de productivité s’est produit en même temps qu’une insuffisance de demande, l’un et l’autre susceptibles d’annoncer une stagnation séculaire qui se reflèterait dans la baisse des taux d’intérêt devenus proches de zéro[5]. Cela s’est traduit par un excès d’épargne et un recul concomitant de l’investissement productif.  Les liquidités disponibles ont été affectées à des achats d’actifs financiers et immobiliers par les détenteurs de capitaux et au rachat de leurs propres actions par les entreprises. Il s’en est suivi une inflation du prix des actifs financiers et immobiliers alors que les prix des biens de consommation demeuraient stables toujours grâce à la modération salariale et aux importations en provenance des pays à bas salaires.

La résurgence de l’inflation

L’inflation a récemment resurgi sous la forme des hausses de prix sur les marchés de matières premières et de certains biens intermédiaires tels que les composants électroniques. Elle résulte d’un rebond exceptionnel d’activité consécutif à l’arrêt imposé par les contraintes sanitaires et de la persistance de goulets d’étranglement le long des chaînes mondiales d’approvisionnement que la guerre en Ukraine est venue exacerber[6].

Si ces hausses devaient être temporaires, elles ne se transmettraient pas nécessairement aux prix des produits finis car le plus souvent ces produits sont vendus sur des marchés à prix fixes, signifiant que les prix reflètent les coûts observés en moyenne sur une période assez longue, les coûts normaux, et non les fluctuations au jour le jour que l’on attribue à des phénomènes temporaires[7].

Cependant, les prix de certains produits de consommation courante, qu’il s’agisse de produits alimentaires ou de l’énergie, peuvent être, très vite et durablement, affectés par l’envolée des prix sur les marchés de matières premières, auquel cas la répartition des revenus sera elle-même affectée au détriment des ménages les plus pauvres. En outre, nombre d’entreprises dans différents secteurs, du fait de la hausse des prix des consommations intermédiaires, peuvent être confrontées à un manque de trésorerie susceptible d’affecter la poursuite de leur activité. Enfin, des recompositions de l’appareil productif impliquant investissements et relocalisations sont envisagées en réponse aux tensions inflationnistes dans le but pour les entreprises d’éviter de subir à l’avenir les effets de goulets d’étranglement. Cela semble être le cas pour les semi-conducteurs pour lesquels un plan européen est d’ores et déjà acté.

L’impact de la transition écologique et de la révolution digitale 

La résurgence de l’inflation intervient dans un environnement caractérisé par la transition écologique et la révolution digitale qui sont à l’origine d’un processus de destruction créatrice dont la conséquence est la formation de déséquilibres sur différents marchés. D’anciennes activités entrent en déclin et de nouvelles doivent se développer. D’un côté les entreprises font face à des chutes de demande qui les conduisent à licencier, de l’autre elles doivent augmenter leurs prix pour faire face aux hausses de coûts liées à l’ampleur des investissements à effectuer. Le secteur automobile confronté au passage du véhicule thermique au véhicule électrique est emblématique de cette évolution.

Une stagflation, mélange de hausse du chômage et de hausse des prix, n’est pas à écarter. Elle serait le fruit d’une dispersion accrue des demandes et offres excédentaires alors que prix et salaires sont plus flexibles à la hausse qu’à la baisse[8]. Elle persisterait si les ajustements de l’offre et de la demande dans les différents secteurs étaient bloqués ou ralentis faute d’investissements suffisants en capital physique et capital humain avec pour conséquence de peser négativement sur les gains de productivité et les taux de profit attendus.

Cette situation s’apparente à celle des années 1970 quand précisément la hausse des prix des matières premières a conduit à des restructurations industrielles visant à économiser les ressources et pour ce faire à redéfinir les modes de production. La réponse consistant à stimuler la consommation globale n’a fait, à cette époque, que renforcer les tendances inflationnistes sans résorber les poches de chômage alors qu’était en cause une défaillance de l’offre et donc de l’investissement dans les nouveaux domaines d’activité. Il a bien fallu alors retenir comme seul objectif l’éradication de l’inflation avec comme conséquence de contraindre les salaires réels mais aussi l’investissement, ce qui était, d’une certaine manière, accepter la défaite en renonçant à s’interroger sur les voies et moyens de la restructuration du tissu productif.

Le risque de dérive inflationniste

Aujourd’hui, les pressions sur les cours de toutes les matières premières vont persister voire s’amplifier car leurs marchés vont rester durablement déséquilibrés : dans le domaine des énergies fossiles où la demande reste élevée alors que les investissements sont en recul, dans celui des matières premières exigées par la transition énergétique, dans celui des productions agricoles soumises aux aléas climatiques. Sans compter les raretés induites par les embargos, voulus ou subis, liés aux événements géopolitiques. En outre, les coûts de construction des nouvelles capacités requises par la transition seront élevés et en partie répercutés sur les prix des produits. Enfin, des tensions salariales peuvent apparaître dans les pays où le taux de chômage est faible d’autant que l’offre de travail dans les métiers nouvellement demandés y est encore limitée, sans toutefois que l’on puisse s’attendre à une spirale inflationniste dans le contexte institutionnel actuel.

D’un autre côté, la persistance d’un excès d’épargne reflétant aussi bien le peu de confiance des plus riches dans l’avenir prenant la forme d’achats d’actifs existants que la hausse de l’épargne de précaution des plus modestes maintient une pression déflationniste.

L’impasse monétaire

Si l’inflation devait persister et s’amplifier, il y a peu de doute que le débat vieux de cinquante ans resurgirait et que serait accusée une politique budgétaire et monétaire trop accommodante justifiant une hausse des taux d’intérêt. La situation des États-Unis pourrait donner lieu à pareil revirement[9]. L’erreur serait, pourtant, de s’en tenir à la dimension globale du phénomène et d’ignorer la nécessaire adaptation sectorielle de l’offre aux nouvelles conditions de croissance.

De fait, une politique monétaire fortement et rapidement restrictive aurait pour effet un effondrement des marchés financiers et un alourdissement du coût des dettes publiques en outre différencié suivant les pays créant une difficulté particulière au sein de la zone euro. Cela comprimerait la demande globale, nuirait à la croissance, sans résoudre aucun des déséquilibres sectoriels et des goulets d’étranglement qui caractérisent la mutation structurelle de l’économie. Les pressions inflationnistes seraient contenues mais au prix d’une pénalisation des investissements productifs, d’une hausse du taux de chômage et de retards pris dans les mutations structurelles.

L’impasse dans laquelle se trouve la politique monétaire vient de ce qu’elle ne peut avoir pour but de combattre une inflation qui peut s’avérer utile si elle reste modérée et favorise les ajustements structurels. Il revient alors aux Banques Centrales et notamment à la Banque Centrale Européenne de s’en tenir à préserver la stabilité financière en prévenant des hausses de taux d’intérêt malencontreuses[10]. La stabilisation de l’économie au sens large ne dépend pas de la contrainte monétaire globale. Ce qui importe c’est la façon dont les contraintes de financement vont jouer sur l’allocation du capital.

Les moyens d’une transition réussie

Le scénario favorable est celui dans lequel seraient engagés les investissements en capital physique et en capital humain nécessaires pour que les ajustements structurels puissent prendre place et les déséquilibres sectoriels (excès d’offre et de demande) soient en voie de résorption. La tenue de ce scénario dépend du comportement des pouvoirs publics, des intermédiaires financiers et des entreprises.

Les pouvoirs publics doivent créer un environnement favorable à la mise en œuvre des mutations structurelles par le moyen de l’investissement public, de la réglementation, des subventions et de la taxation. L’objectif est de mobiliser les ressources publiques disponibles pour orienter les décisions d’investissement vers les nouvelles activités dont le développement est requis par la transition écologique et la révolution digitale. Ce choix ne dispense pas de devoir affronter des difficultés à court terme pouvant impliquer de recourir temporairement à des contrôles de prix et à des subventions aux ménages.

Le système financier doit être régulé et organisé de telle manière à ce que les détenteurs de capitaux s’engagent sur des volumes importants pour des durées longues permettant de sécuriser les investissements innovants des entreprises[11]. En effet, si l’offre de financement ne suffit pas à créer une incitation à investir, le type d’investissement effectué dépend de la structure de cette offre de financement, autrement dit du degré de patience des détenteurs de capitaux. Ce qui, à n’en pas douter, pose le problème du positionnement et du rôle des banques comme de la place des marchés financiers[12].

Les entreprises doivent pouvoir faire des anticipations fiables leur permettant de s’engager dans des investissements longs, ce à quoi doivent concourir l’action publique et le comportement des détenteurs de capitaux, mais pas seulement. Des formes d’entente entre entreprises aux activités aussi bien concurrentes que complémentaires sont nécessaires qui doivent faire l’objet de l’attention des autorités de la concurrence qui doivent en apprécier la pertinence au regard de l’objectif d’innovation. Il devrait en être de même pour les aides publiques.

Si un tel scénario pouvait prévaloir, l’économie serait maintenue dans un corridor de stabilité. Une inflation modérée pourrait perdurer jusqu’à ce que les nouvelles capacités de production deviennent opérationnelles. L’excès de l’épargne sur l’investissement pourrait être résorbé. Une hausse progressive du taux d’intérêt serait en phase avec la hausse du taux de croissance elle-même associée à une hausse des profits tirés des investissements à long terme.

L’Union Européenne est confrontée à une difficulté spécifique dans la mesure où les effets structurels des tensions inflationnistes varient d’un pays à l’autre alors que l’exigence de convergence est plus forte que jamais. Non seulement la Banque Centrale Européenne doit prévenir les différences de taux d’intérêt entre les pays membres de la zone euro, mais un plan budgétaire commun visant à soutenir l’investissement doit pouvoir être mis en place de même qu’il faut envisager des avancées dans les domaines bancaire et financier.

Conclusion

Mieux gérer la poussée inflationniste requiert d’échapper aux dichotomies entre inflation par la demande et inflation par l’offre, entre inflation temporaire et inflation durable dont le défaut est de faire fi des transformations structurelles et des déséquilibres sectoriels dans la genèse et le développement des tensions inflationnistes. Prendre ainsi le contrepied d’une analyse trop exclusivement macroéconomique conduit à se garder de politiques globales restrictives, notamment monétaires, et à accepter la complexité d’un phénomène auquel il importe de répondre en mobilisant plusieurs instruments tant au niveau macro que microéconomique : one size does not fit all. L’objectif est de résorber les déséquilibres sectoriels et de maintenir l’économie dans un corridor de stabilité en donnant aux entreprises les moyens de s’adapter aux nouvelles donnes. Gouvernance des entreprises, organisation et réglementation du système financier, politique industrielle et politique de la concurrence, gestion budgétaire entrent en jeu en vue de soutenir les investissements à long terme porteurs de mutations technologiques[13]. À défaut d’une transition réussie, qui réduirait la dispersion des déséquilibres de marché et maintiendrait l’inflation à un niveau modéré, le risque est réel de voir l’économie osciller entre une envolée du taux d’inflation et une forte récession induite par des politiques restrictives, et l’Union Européenne osciller entre divergence et convergence de performances nationales indexées sur les capacités d’adaptation aux changements structurels.


[1] Sur ce point voir N. Georgescu-Roegen, 1976, « Structural Inflation Lock and Balanced Growth » in Energy and Economic Myths, New York, Pergamon Press.

[2] Sur ce point voir D. Heymann et A. Leijonhufvud, 1995), High Inflation, Oxford, Oxford University Press

[3] M. Friedman, 1968, « The Role of Monetary Policy », American Economic Review, n° 58, pp. 1-17.

[4] Voir sur ce point A. Leijonhufvud, 1981, « Costs and Consequences of Inflation » in Information and Coordination, Oxford, Oxford University Press, p. 256-261.

[5] Voir sur ce point R. J. Gordon, 2015, « Secular Stagnation : A Supply-Side View », American Economic Review, vol. 105, n° 5, pp. 54-59. L. H. Summers, 2015, « Demand Side Secular Stagnation », American Economic Review, vol. 105, n° 5, pp. 60-65.

[6] La situation de 2021 est documentée dans « Supply Bottlenecks: Where, Why, How Much, and What Next ? » IMF Working Paper, European Department, WP/22/31.

[7] De fait il existe deux types de marchés, les marchés à prix fixes sur lesquels les stocks effectifs sont inférieurs ou supérieurs aux stocks désirés et garantissent la relative viscosité des prix et les marchés de matières premières industrielles ou agricoles à prix flexibles sur lesquels les stocks effectifs incluant les stocks des négociants sont égaux aux stocks désirés ce qui explique la forte volatilité. Voir sur ce point J. R. Hicks,1974, The Crisis in Keynesian Economics, Oxford, Blackwell.

[8] Cette analyse a été développée dans les années 1970 par J. Tobin (1972), Inflation and Unemployment, American Economic Review, n° 62, pp. 1-18) et J.-P. Fitoussi (1973), Inflation, équilibre et chômage, Paris, Cujas.

[9] La poussée d’inflation aux États-Unis a entraîné la Réserve fédérale à augmenter en mars, pour la première fois depuis 2018, son taux directeur et à annoncer d’autres augmentations dans un futur proche sans craindre un ralentissement excessif de l’économie, ni une correction forte sur les marchés financiers.

[10] Voir sur ce point X. Ragot et alii, « Guerre en Ukraine : quels effets à court terme sur l’économie française ? », OFCE Le Blog, 2022.

[11] La notion d’engagement se substitue ici à celle de contrôle des managers exécutifs conformément à l’analyse développée par C. Mayer, 2013, Firm Commitment, Why the Corporation Is Failing Us and How to Restore Trust in It, Oxford, Oxford University Press.

[12] Voir sur ce point J.-L. Gaffard et J.-P. Pollin, 1988, « Réflexions sur l’instabilité des économies monétaires », Revue d’Économie Politique, vol. 98, n° 5, pp. 599-614.

[13] Cet ensemble de questions est traité dans J.-L. Gaffard, M. Amendola et F. Saraceno, 2020, Le temps retrouvé de l’économie, Paris, Odile Jacob.




Gaz naturel : pourquoi ça flambe ?

par Céline Antonin

Entre décembre 2020 et
décembre 2021, le prix du gaz naturel sur le marché à terme TTF, référence
européenne pour le marché de gros, a été multiplié par sept pour atteindre le
record de 108 euros/MWh. Historiquement, l’intérêt porté à cette source
d’énergie est souvent passé au second plan pour plusieurs raisons : le
mode de fixation de ses prix (contrats de très long terme, indexation sur le
prix du pétrole), ou encore sa substituabilité à d’autres sources d’énergie à
moyen terme. En effet, le gaz est en concurrence avec les autres sources
d’énergie dans ses usages directs (chauffage, cuisson) et indirects (production
d’électricité). Cette substituabilité n’est cependant vraie qu’à moyen terme
pour les usages directs : il est par exemple nécessaire que le coût de
remplacement du gaz par l’électricité (coûts d’installation, de résiliation
d’abonnement, etc.) soit supérieur au gain lié au différentiel de prix entre
les deux énergies sur plusieurs années pour qu’un ménage opère la substitution. 



Ce record historique a ravivé
l’attention portée au gaz naturel, source d’énergie fossile qui représente
15 % du mix énergétique français et 23 % du mix
énergétique européen en 2020. Ce billet de blog vise à comprendre les raisons
de la flambée des cours du gaz européen en 2021 et son impact en France. Comme
ce marché est très régional, il faut d’abord revenir sur le fonctionnement du
marché européen du gaz naturel et sur ses déterminants conjoncturels et
structurels. Il s’agit ensuite de comprendre le mode de calcul des prix du gaz
dans le cas français. Cela permet enfin d’évoquer les conséquences de cette
hausse : si elles sont limitées pour les consommateurs du fait du gel des
prix décidé en octobre 2021, elles interrogent néanmoins sur l’évolution future
du mix énergétique, l’indépendance énergétique et la transition
écologique. Ainsi, la perte de compétitivité du gaz naturel par rapport au
charbon risque de compromettre les objectifs de transition énergétique. La
solution apportée par le gazoduc Nord Stream 2 permettrait d’y remédier mais au
prix d’un accroissement de la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie.

La régionalisation du
marché explique en partie l’envolée des cours en 2021

Le marché du gaz, un
marché régionalisé

En dépit du développement du
gaz naturel liquéfié (GNL), qui représente 52 % du commerce mondial en
2020[1]— contre
42 % dix ans plus tôt —, le marché du gaz naturel reste
encore fortement régionalisé. La « nature » du gaz et le coût du
transport ont jusqu’à présent constitué des obstacles au commerce transcontinental,
les pays consommateurs s’efforçant de s’approvisionner au plus proche de leurs
besoins. Le gaz naturel est transporté par gazoduc alors que le gaz naturel
liquéfié est acheminé par voie maritime jusqu’aux terminaux méthaniers. On
distingue ainsi trois marchés régionaux : européen, américain et
asiatique.

Le système de
formation des prix est hybride : il repose d’une part sur les
contrats de long terme s’étendant fréquemment sur plusieurs dizaines d’années,
d’autre part sur les marchés de gré à gré (marchés au comptant ou à terme). Si
les contrats de long terme ont longtemps prévalu, les marchés de gré à gré
acquièrent une place croissante, ce qui augmente le risque de volatilité des
prix.

La régionalisation des marchés du gaz explique les évolutions divergentes de prix passées entre les marchés européen et nord-américain[2]. Au début des années 2010, le différentiel de prix entre États-Unis et Europe s’est creusé (graphique 1) en raison du développement fulgurant du gaz de schiste nord-américain qui a entraîné une abondance de l’offre dans la zone américaine. Dès 2019, avant même la crise sanitaire, les cours du gaz sur le marché européen ont baissé : la consommation asiatique a en effet diminué, ce qui a accru l’offre de GNL à destination du marché européen. Avec le déclenchement de la crise du Covid-19 début 2020, le phénomène s’est amplifié. Baisse de la consommation, offre abondante de GNL, niveaux de stocks élevés, recul des cours du pétrole : tous ces ingrédients ont concouru à la chute des prix du gaz en Europe. En mai 2020, le prix des contrats à terme à échéance 1 mois a touché un point historiquement bas, atteignant 3,60 €/MWh sur le marché NBP et 3,70 €/MWh sur le marché TTF. Sur le marché américain en revanche, le prix du gaz (Henry Hub) est resté relativement stable car l’offre a baissé concomitamment à la demande. Cela s’explique par deux facteurs : l’importance du gaz de schiste dans la production gazière américaine et la corrélation entre extraction de pétrole et de gaz de schiste. La production de pétrole s’étant effondrée dans les zones de schiste américaines, il en est allé de même pour la production de gaz.

L’envolée des cours du
gaz européen en 2021

Depuis le début de l’année
2021, les prix européens du gaz naturel s’envolent et l’écart avec le continent
américain explose. Plusieurs facteurs expliquent cette flambée, notamment des
facteurs conjoncturels : saison hivernale, faible niveau des stocks, ou reprise
économique après la récession de l’année 2020. Autre paramètre clef, le rôle
joué par la Russie qui assure 33 % des importations européennes en 2020,
ce qui en fait le premier fournisseur de l’Europe alors que se pose l’épineuse
question de la mise en service du gazoduc Nord Stream 2[3].
Plusieurs voix, notamment celle de l’Agence internationale de l’énergie, se
sont élevées pour dénoncer la baisse des exportations russes vers l’Europe et
fustiger la Russie, accusée de vouloir faire pression sur l’Europe pour obtenir
une mise en service rapide de Nord Stream 2.

La flambée des prix s’explique
également par des facteurs structurels :

  • La baisse continue de la production gazière en
    Europe : seule la Norvège maintient une abondante production, équivalente
    à 20 % des importations de gaz européen alors que la production aux
    Pays-Bas décline ;
  • L’explosion de la demande gazière asiatique, notamment
    chinoise. Même si les marchés sont régionaux, la concurrence pour le marché du
    GNL est mondiale. Les trois premiers fournisseurs de GNL à l’Europe sont le
    Qatar, les États-Unis
    et la Russie, qui approvisionnent également l’Asie. Comme l’Asie est plus
    habituée à payer plus cher son gaz naturel, cela exerce une pression à la
    hausse sur les prix. Par ailleurs, la Chine a vu sa pénurie d’énergie
    s’aggraver en raison de la faiblesse de la production de charbon, ce qui a
    réorienté ses approvisionnements vers le marché du gaz ;
  • La baisse de la part des contrats longs au
    profit des marchés de gré à gré a également contribué à accroître la volatilité
    des prix.

Gaz naturel : le cas
de la France

Comment cette envolée des prix du gaz se manifeste-t-elle en France ? En 2021, les importations françaises reposent, à 88 %, sur des contrats de long terme principalement avec la Norvège, la Russie et l’Algérie (graphique 2). Le prix au comptant du gaz naturel évolue de façon similaire à celui du marché londonien ou néerlandais.

Rappelons tout d’abord que la
France ne produit quasiment plus de gaz naturel et importe 98 % de sa consommation.
Le gaz naturel est une énergie substituable à moyen terme ; afin de
développer son usage, les producteurs et les importateurs européens ont décidé
d’indexer son prix sur les produits pétroliers à partir des années 1960. Mais
progressivement, sous l’impulsion des pouvoirs politiques qui souhaitaient voir
les prix baisser, les évolutions des prix de marché du gaz ont occupé une
importance croissante dans les modalités d’indexation.

Prix fixes versus
tarifs réglementés

Au 31 août 2021, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dénombre 10,5 millions de consommateurs résidentiels de gaz naturel en France. 53 % de ces consommateurs détiennent des contrats en offre de marché à prix fixe et ne sont donc pas concernés, au moins à court terme, par les hausses tarifaires (graphique 3). En revanche, 47 % des consommateurs résidentiels détiennent un contrat au tarif réglementé de vente du gaz (TRVG) ou indexé sur ce dernier[4] et sont sensibles aux variations de prix.

Les tarifs réglementés de vente du gaz se décomposent en trois strates : 1) les coûts d’approvisionnement, indexés sur une formule tarifaire, 2) les coûts hors approvisionnement (utilisation des réseaux de transport et de distribution), 3) les taxes.

Coûts
d’approvisionnement et formule tarifaire

Le TRVG doit d’abord couvrir
les coûts d’approvisionnement du fournisseur historique de gaz Engie, ex GDF
Suez. C’est dans ce but qu’a été conçue la formule tarifaire, établie au
minimum une fois par an par arrêté gouvernemental. Entre deux arrêtés, Engie
demande chaque mois une évolution tarifaire et la CRE vérifie sa conformité
avec la formule tarifaire.

Historiquement, les
approvisionnements de GDF Suez étaient constitués de contrats d’achats de long
terme indexés sur les prix du pétrole. La formule tarifaire indexait donc les
tarifs réglementés du gaz sur les cours du pétrole. Cependant, le boom du gaz
de schiste américain à partir de 2010 a entraîné une baisse des prix du gaz sur
les marchés de gros. Sous la pression du gouvernement Ayrault, le fournisseur historique
a progressivement renégocié ses contrats de long terme avec les producteurs
pour les indexer non plus seulement sur le prix du pétrole mais aussi sur les
prix du gaz sur les marchés de gros. Sous l’impulsion de la CRE, la formule
tarifaire a progressivement évolué pour indexer les tarifs réglementés davantage
sur les prix du gaz sur les marchés de gros, au détriment des prix du pétrole. Afin
de lisser les hausses, le gouvernement Ayrault a également décidé que
l’évolution des tarifs réglementés serait mensuelle et non plus trimestrielle à
partir de 2013[5].

La formule en vigueur pour la
période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 est définie par l’arrêté
du 28 juin 2021[6]. Dans
cette formule, l’évolution du terme représentant les coûts d’approvisionnement
en gaz naturel est fonction du prix côté au Pays-Bas (TTF) des contrats à terme
mensuels, trimestriels et annuels de gaz, et du prix côté au Point d’Echange de
Gaz (PEG)[7]
en France des contrats à terme mensuels et trimestriels de gaz. Ainsi, on
constate que le prix du pétrole n’intervient plus dans le calcul du TRVG.

Coût d’utilisation des
réseaux de transport et de distribution

A côté des coûts d’approvisionnement,
les coûts hors approvisionnement correspondent aux tarifs d’accès aux réseaux
de transport et de distribution, aux coûts d’utilisation des stockages, aux
coûts commerciaux et d’acquisition des certificats d’économies d’énergie et à la
marge commerciale d’Engie. Ils sont mis à jour le 1er juillet de
chaque année et n’expliquent donc pas la flambée actuelle.

Taxes sur le gaz

Les taxes sur le gaz représentent environ
un quart de la facture pour un ménage moyen
, l’essentiel étant constitué
par la TVA. Trois taxes s’appliquent :

  • la Taxe Intérieure de Consommation sur le Gaz
    Naturel (TICGN), qui est proportionnelle à la consommation et qui a été
    étendue aux particuliers le 1er avril 2014. En 2021, la TICGN
    s’élève à 8,43 €/MWh ;
  • La Contribution Tarifaire d’Acheminement (CTA) : son assiette est composée de la part fixe des
    tarifs d’acheminement du gaz naturel. Depuis le 1er mai 2013, les
    taux de la CTA sont de 4,71 % pour les prestations de transport de
    gaz naturel et de 20,80 % pour les prestations de distribution de gaz
    naturel ;
  • Une TVA réduite à 5,5 % s’applique sur le
    montant de l’abonnement ainsi que sur la contribution tarifaire
    d’acheminement. La TVA à 20 % s’applique sur le montant des consommations
    ainsi que sur la TICGN.

Flambée des prix en 2021
et gel tarifaire à compter d’octobre 2021

Ainsi, le tarif réglementé de
vente du gaz naturel a fortement augmenté en 2021. Pour un usage de chauffage
avec une consommation de 15 MWh/an en zone 2 (graphique 4), le tarif a augmenté
de 12,8 % en octobre 2021 et de 48 % entre octobre 2019 et octobre 2021 –
soit une augmentation de 509 euros en deux ans. Depuis octobre 2021, face à la
hausse des prix, le gouvernement – comme cela est prévu dans le Code de l’énergie
– a annoncé le gel du tarif réglementé jusqu’en juin 2022, puis un rattrapage à
partir de cette date. En l’absence de cette mesure, le niveau moyen des tarifs
réglementés de vente au 1er janvier 2022, aurait été supérieur de 38 %
par rapport au niveau en vigueur fixé au 1er octobre.

Quelles conséquences d’un
prix du gaz élevé ?

Etant donné le gel du tarif
réglementé jusqu’en juin 2022, l’augmentation des prix du gaz aura un impact
limité sur la facture des consommateurs français. En revanche, cette situation
de flambée des prix interroge sur la transition énergétique et le mix
énergétique européen.

Des conséquences
limitées pour les consommateurs

Dans la mesure où la moitié
des consommateurs résidentiels a souscrit des contrats à prix fixe, le nombre
de consommateurs subissant la hausse des tarifs réglementés du gaz concerne tout
au plus 5 millions de consommateurs résidentiels. Par ailleurs, le gel du TRVG
à partir d’octobre 2021 – à un niveau supérieur de 38 % au niveau de 2019
–, ainsi que le versement d’un chèque énergie exceptionnel de 100 euros à près
de 6 millions de consommateurs en décembre 2021 permettront d’alléger partiellement
la facture. En outre, cette situation est transitoire : le TRVG doit
disparaître le 1er juillet 2023[8]
et les consommateurs devront alors souscrire une offre de marché.

Qui
paiera la facture ? Les fournisseurs de gaz, notamment Engie, dans un
premier temps, vendront le gaz à perte sans être compensés par l’État et absorberont le choc immédiat. En revanche, à
partir de juin, une baisse devrait s’amorcer et les opérateurs pourront alors
appliquer partiellement cette baisse des prix pour compenser ce qu’ils ont
perdu les mois précédents. In fine, ce sont donc les consommateurs qui
absorberont le choc de façon intertemporelle.

Cela étant, la hausse des prix
du gaz intervient alors que les cours du pétrole et du charbon progressent, ce
qui entraîne un surcroît d’inflation pour les ménages. Ainsi, l’énergie
représente 9 % des dépenses de consommation des ménages en valeur[9].
Or, l’IPCH énergie a bondi de 19,4 % en décembre 2021 (glissement annuel),
contribuant ainsi à 1,7 point d’inflation supplémentaire pour les ménages
français, soit la moitié de la hausse de l’inflation observée en décembre 2021 (3,4
%).

Les conséquences sur le
mix énergétique et la transition écologique

L’une des conséquences de la
flambée des prix est la remise en question de la place du gaz naturel dans le mix
énergétique français et européen. Le gaz naturel est en effet en concurrence
avec d’autres sources primaires d’énergie (charbon, énergies renouvelables,
pétrole…), notamment pour la production d’électricité. En effet, sur un réseau
électrique, les différentes centrales sont appelées dans un ordre déterminé – le
merit order, par ordre de coût marginal variable croissant – jusqu’à
répondre à la demande. Les énergies renouvelables, dont les coûts sont fixes,
sont appelées en premier. C’est ensuite le tour des centrales nucléaires, dont
les coûts marginaux sont faibles. Viennent ensuite soit les centrales à charbon
(lignite, houille) soit les centrales au gaz, en fonction de deux
paramètres : le prix du combustible et les droits d’émission de CO₂. En
effet, le charbon coûte moins cher que le gaz mais émet davantage de dioxyde de
carbone. En dernier recours, des centrales à fioul peuvent être appelées.

Un prix du gaz durablement
élevé pourrait entraîner un regain d’intérêt pour le charbon en Europe (Allemagne,
Pologne) pour la production d’électricité. En 2021 en France, les centrales à
charbon ont été sollicitées, à l’inverse des centrales à gaz. Par ailleurs, le
prix de l’électricité dépend du coût marginal de la dernière centrale
appelée : la flambée du prix du gaz se répercute donc indirectement sur le
prix de l’électricité.

La perte de compétitivité du
gaz naturel par rapport au charbon risque ainsi de compromettre les objectifs
de transition énergétique en Europe. Surtout si cette tendance devait s’accentuer,
comme le suggère l’abandon
prévu par la Belgique
 et l’Allemagne de l’énergie nucléaire, qui
devrait entraîner un usage plus intensif des centrales à combustibles fossiles.
La solution apportée par Nord Stream 2 permettrait d’y remédier, mais au prix
d’un accroissement de la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie. Cette
ligne de fracture entre partisans et opposants divise jusqu’au sein de la
nouvelle coalition allemande au pouvoir : le chancelier Olaf Scholz du SPD,
favorable au projet, se heurte à l’opposition farouche des Verts. La question de
Nord Stream, et ses implications en matière de mix énergétique, sont plus que
jamais symptomatiques de la difficulté de l’Europe à construire une politique
commune de l’énergie.


[1] Voir BP, Statistical Review of
World Energy
, 2021.

[2]
L’indice Henry Hub est le principal indice de référence pour le marché du gaz
américain. En Europe, les marchés de gros du gaz naturel européen sont
segmentés : le plus grand hub gazier est le Title Transfer Facility
(TTF) situé aux Pays-Bas, suivi par le National Balancing Point (NBP) au
Royaume-Uni. Depuis 2019, le TTF est le hub gazier européen qui compte
le plus grand nombre de participants et négocie la plus large gamme et le plus
grand volume de produits. Le NBP est un hub gazier mature et assez liquide,
mais la gamme de produits échangés s’est réduite et les volumes échangés ont baissé
depuis 2017.

[3]
Nord Stream 2 consiste en deux lignes de gazoduc reliant la Russie à
l’Allemagne via la Mer baltique. Ce gazoduc doit permettre de doubler
les livraisons directes de gaz naturel russe vers l’Europe occidentale. Les
travaux du gazoduc Nord Stream 2 ont commencé en avril 2018. Ils ont
ensuite été interrompus en décembre 2019 en raison des sanctions des États-Unis
mais se sont terminés en septembre 2021.

[4]
Les offres indexées sur le TRVG évoluent dans les mêmes proportions que les
tarifs réglementés, mais avec un pourcentage de réduction de x % sur
le prix du kWh.

[5] Voir
décret n°2013-400 du 16 mars 2013.

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=hJMOx62Ea-qOdw9n43ok_OGamjg1xo8C-g1_Q8VXgsM=

[7]
Le Point d’Échange de Gaz (PEG) est la zone virtuelle d’échange entre les
fournisseurs de gaz naturel et le gestionnaire de réseau de transport du gaz et
qui sert de marché de gros pour les achats et ventes de gaz.

[8] En 2017, l’existence de tarifs réglementés (du
gaz et de l’électricité) en droit français a été jugée contraire au droit de la
concurrence de l’Union européenne par le Conseil d’État. La loi énergie-climat
(publiée au JO du 9 novembre 2019) supprime les tarifs réglementés de vente
pour l’ensemble des consommateurs (particuliers et professionnels).

[9]
Chiffre du troisième trimestre 2021 issu des comptes trimestriels de l’INSEE,
qui inclut les postes « énergie, eau, déchets » et
« cokéfaction, raffinage ».




Quelle orientation pour les politiques monétaires en 2022 ?

par Christophe Blot

Avec le retour de l’inflation en 2021,
l’attention se focalise sur les banques centrales dont le mandat est axé sur la
stabilité des prix. Entre le 15 et le 17 décembre 2021, la Réserve fédérale, la
Banque d’Angleterre (BoE), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du
Japon (BoJ) ont tenu leur dernière réunion de politique monétaire de l’année
2021. Quels enseignements peut-on tirer de ces réunions quant à la politique
d’achat d’actifs et l’orientation de la politique monétaire en 2022 ?
Faut-il s’attendre à une hausse rapide des taux d’intérêt ? Malgré
l’incertitude qui subsiste sur l’évolution de la pandémie et ses conséquences
sur l’activité au premier semestre 2022, les banques centrales ont progressivement
révisé leur appréciation de la situation face à l’augmentation de l’inflation.
Elles considèrent désormais que le choc inflationniste se prolongera en 2022. Partant
de ce constat, les anglais ont été les premiers à tirer puisque la BoE a annoncé
une première hausse de son taux directeur. La Réserve fédérale devrait suivre
en 2022 présageant donc d’un début de normalisation. Quant à la BCE, malgré
l’arrêt d’un programme d’achats d’actifs spécifique à la crise sanitaire, la
normalisation de la politique monétaire n’est pas encore envisagée. Dans tous
les cas, la dernière réunion ne suggère pas de hausse de taux en 2022 dans la
zone euro.



Les banques centrales révisent à la hausse l’inflation anticipée

La flambée récente des prix dans l’ensemble des pays industrialisés et émergents s’explique en grande partie par le rebond du prix de l’énergie et de nombreuses matières premières en lien avec les effets de la crise sanitaire sur la situation économique mondiale en 2020 et 2021[1]. Cette situation fait suite à une longue période caractérisée par une faible inflation et qui avait poussé les banques centrales à fixer leur taux d’intérêt à un niveau très bas et à mettre en œuvre des politiques monétaires non-conventionnelles via notamment des politiques d’achats d’actifs. Ces politiques, qui se sont traduites par une forte augmentation de leur bilan, visaient à réduire les taux de long terme[2]. Or, la stabilité des prix est un élément primordial du mandat des banques centrales. Il est donc naturel que les tensions inflationnistes récentes posent la question de leur réaction et d’un éventuel durcissement de l’orientation de la politique monétaire puisque l’inflation se situe nettement au-dessus de la cible de 2 % généralement retenue par les banques centrales pour juger de la stabilité des prix[3]. En effet, en décembre 2021, le glissement annuel de l’indice des prix à la consommation a atteint 5 % en zone euro et 5,1 % au Royaume-Uni en novembre (graphique 1). Aux États-Unis, le déflateur des prix à la consommation – indicateur suivi par la Réserve fédérale – progressait de 5,7 %, niveau qui n’avait pas été observé depuis le début des années 1980[4]. Au-delà de l’effet lié au prix de l’énergie, les indices sous-jacents affichent également une progression. Dans la zone euro, le glissement annuel est en effet passé de 0,4 % en décembre 2020 à 2,7 % un an plus tard tandis qu’aux États-Unis, le sous-jacent du déflateur de la consommation atteignait 4,7 % en novembre[5].

Alors que les banques centrales ne s’étaient initialement pas vraiment inquiétées du phénomène qu’elles jugeaient temporaire, force est de constater qu’elles ont progressivement revu leur jugement, ce qui s’est traduit par des révisions à la hausse de leurs anticipations d’inflation pour 2022 (graphique 2). Ainsi, les projections d’inflation qui avaient été communiquées par le FOMC (Federal Open Market Committee) en décembre 2020 pour la fin de l’année 2022 étaient de 1,9 %. Un an plus tard, l’inflation anticipée pour le quatrième trimestre 2022 atteint 2,6 %. La révision est aussi marquée pour la BCE avec une anticipation d’inflation qui est passée de 1,1 % en décembre 2020 à 3,2 % – pour l’ensemble de l’année – selon les dernières projections de décembre 2021[6]. Les tensions seraient certes toujours temporaires puisque les trois banques centrales envisagent une inflation plus proche de la cible pour 2023[7]. Il n’en demeure pas moins que dans un contexte de reprise mais aussi d’incertitude sur les effets du nouveau variant Omicron, les banques centrales se retrouvent face à un dilemme. Doivent-elles contrer ces tensions inflationnistes en durcissant l’orientation de la politique monétaire ? Même si le rebond de l’inflation est temporaire, l’inflation serait nettement au-dessus de leur cible pendant quelques mois, ce qui pourrait entraîner des effets de second tour. De plus, l’accumulation d’épargne par les ménages pourrait doper la croissance en 2022 et maintenir l’inflation à un niveau élevé[8]. Inversement, un durcissement prématuré risque-t-il de casser la reprise et freiner la baisse du taux de chômage ? À cet égard, le retour inattendu de l’inflation pourrait aussi permettre de voir comment la BCE et la Réserve fédérale pourraient ajuster leur politique monétaire après l’annonce des révisions de leurs cibles d’inflation. En effet, en juillet 2020, la banque centrale américaine a annoncé qu’elle souhaitait attendre une cible d’inflation de 2 % en moyenne indiquant ainsi qu’après un sous-ajustement à la cible, comme ça été le cas ces dernières années, elle tolèrerait une inflation supérieure à 2 %. Le rebond de l’inflation aurait pu laisser penser que la Réserve fédérale serait moins réactive en cas de hausse de l’inflation. L’accélération des prix est cependant importante aux États-Unis et le changement de ton récent suggère que même si la Réserve fédérale tolère une inflation supérieure à 2 %, le niveau actuel est probablement trop élevé[9]. Paradoxalement, la BCE n’a pas annoncé un ciblage de l’inflation en moyenne (AIT pour Average inflation targeting) mais précisé que la cible était de 2 % et qu’elle devait être interprétée de façon symétrique. Ainsi, la BCE juge qu’une inflation inférieure ou supérieure à 2 % n’est pas compatible avec son objectif de stabilité des prix. Néanmoins, il s’agit d’une cible à moyen terme et qui tient compte des délais de transmission de la politique monétaire. Ainsi, même si la BCE n’indique pas qu’elle tolèrera une inflation supérieure à 2 %, elle ne va pas automatiquement durcir sa politique monétaire lorsque l’inflation observée dépasse la cible mais conditionnera son action à son anticipation d’inflation à un horizon de 12-24 mois. Son anticipation pour 2023 indique donc que l’inflation actuelle est temporaire et qu’au-delà de 2022, l’inflation serait de nouveau inférieure à 2 %.

La Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale envisagent la
normalisation

La communication des banques
centrales lors des réunions de politique monétaire qui se sont tenues entre le
15 et le 17 décembre 2021 était attendue sur deux points : la poursuite de
la politique d’achats d’actifs et le niveau du taux d’intérêt directeur.

La BoE a été la plus prompte à
réagir en augmentant le taux directeur de 0,15 point. Celui-ci est ainsi passé
de 0,1 % à 0,25 %. Comme indiqué dans le communiqué du 16
décembre : « The MPC’s remit is clear that the inflation target
applies at all times, reflecting the primacy of price stability in the UK
monetary policy framework
 ». Par ailleurs, il a été décidé de
maintenir le stock de titres acquis par la BoE. Un élément clé de cette décision
traduit la façon dont la BoE a mis en œuvre sa politique d’achats d’actifs.
Contrairement à la Réserve fédérale et à la BCE qui annoncent des flux d’achats
sur une base mensuelle, la BoE procède par paliers annonçant une cible sur le
stock d’actifs – révisée si nécessaire – et en effectuant les achats rapidement
afin d’atteindre la cible[10].
De plus, la BoE n’a pas conditionné ses décisions sur les taux à sa politique
d’achats d’actifs alors que les communiqués de la BCE ont toujours précisé que
la hausse des taux ne serait envisagée qu’après l’arrêt des achats d’actifs.

Aux États-Unis, la hausse des taux serait précédée par une phase dite de tapering au cours de la laquelle la Réserve fédérale réduit progressivement les achats mensuels. La stratégie mise en œuvre par la banque centrale américaine consiste donc d’abord à communiquer sur ce sentier d’achats d’actifs. Cette première étape a été lancée au mois de novembre. Lors de la réunion du 15 décembre 2021, le FOMC a annoncé une accélération du rythme de baisse : à partir de janvier 2022 les achats mensuels seront de 60 milliards de dollars (40 pour les Treasuries et 20 pour les Mortgage-backed Securities) contre 120 milliards par mois avant novembre 2021. La réduction se poursuivrait au cours des mois suivants. La Réserve fédérale agit de façon séquencée comme elle l’avait fait lors de la précédente phase de normalisation amorcée en janvier 2014 (graphique 3). Les achats avaient cessé fin 2014 et le taux directeur avait été augmenté en décembre 2015. Enfin, la réduction de la taille du bilan – en milliards de dollars – avait été annoncée en juin 2017 et mise en œuvre à partir d’octobre 2017[11]. Le calendrier devrait toutefois être accéléré puisque les informations communiquées lors de la réunion du 15 décembre dernier suggèrent qu’il pourrait y avoir 3 hausses de taux en 2022. La durée entre l’arrêt des achats d’actifs et la montée des taux serait écourtée et les taux augmenteraient plus rapidement que lors de cette précédente phase de normalisation, où il n’y avait eu qu’une hausse en 2015 et une autre un an plus tard. Les membres du FOMC anticipent effectivement un taux cible pour les fonds fédéraux à 0,9 % fin 2022 alors qu’il est actuellement compris entre 0 et 0,25 %[12]. Il faut également noter que conformément à son mandat, le FOMC met également en avant la situation sur le marché de l’emploi puisque la Réserve fédérale doit non seulement garantir la stabilité des prix mais aussi atteindre un niveau d’emploi maximum. À cet égard, le taux de chômage a certes diminué pour atteindre 4,2 % en décembre mais le nombre d’emplois reste inférieur de 1,8 % (soit 2,8 millions d’emploi) à celui de décembre 2019 reflétant aussi des retraits de la population active. La perspective d’une stabilisation – en valeur – de la taille du bilan début 2022 et de plusieurs hausses des taux indiquent donc que la Réserve fédérale considère que la situation sur le marché du travail converge progressivement vers le niveau maximum d’emploi.

La BCE se montre plus prudente

Dans la zone euro, même si les tensions inflationnistes se sont accrues, la reprise économique demeure plus fragile. Au troisième trimestre 2021, le PIB restait inférieur de 0,3 % à son niveau de fin 2019 alors qu’il était 1,4 % au-dessus pour les États-Unis. Au regard du taux de chômage, l’amélioration semble plus nette puisqu’en novembre 2021, le taux de chômage s’établissait à 7,3 %, soit un niveau inférieur à celui observé avant l’éclatement de la crise sanitaire. Dans son communiqué présenté lors de la conférence de presse du 16 novembre, Christine Lagarde juge toutefois que la politique monétaire doit rester accommodante pour ramener à moyen terme l’inflation vers sa cible. Ainsi, plus que les tensions actuelles, la BCE perçoit toujours que l’inflation resterait inférieure à sa cible à l’horizon 2023, ce qui plaide donc pour une normalisation plus lente de la politique monétaire dans la zone euro. Néanmoins, le Conseil des Gouverneurs a annoncé l’arrêt du PEPP (Pandemic emergency purchase programme) pour 2022. Ce programme avait été mis en place en mars 2020, dans le cadre de la pandémie, pour lutter contre le risque souverain[13]. Notons que les achats avaient déjà ralenti conformément aux annonces effectuées depuis septembre 2021 (Graphique 4).  Néanmoins, cette réduction des achats, dans le cadre du PEPP, serait en partie compensée par une hausse des achats effectués via le PSPP (Public securities purchase programme). Au deuxième trimestre 2022, les achats passeraient ainsi de 20 à 40 milliards d’euros par mois. Ils repasseraient à nouveau à 20 milliards en octobre 2022, après un palier à 30 milliards au troisième trimestre. À ce stade, la BCE n’indique donc pas un arrêt complet des achats d’actifs. La taille du bilan continuerait par conséquent à augmenter, repoussant pour l’instant la perspective d’une hausse des taux, probablement au-delà de 2022[14].

Bien que la perspective d’une
normalisation des politiques monétaires ait été avancée, les banques centrales
restent prudentes à l’égard de la poussée inflationniste récente, considérant
qu’il s’agit d’un épisode temporaire. La même prudence semble prévaloir dans la
plupart des autres pays industrialisés. Au Japon, même si l’inflation est en
hausse (à 0,6 % en décembre 2021), elle reste largement inférieure à la cible
de la BoJ. Cette dernière n’a donc pas modifié sa communication.
L’assouplissement quantitatif se poursuit et l’objectif reste de maintenir le
taux court à -0,1 % et le taux obligataire public à 0 %. Un peu plus
tôt dans le mois, la Banque du Canada et la banque centrale australienne ont
également maintenu leurs objectifs de taux. Ceux-ci ont cependant augmenté en
Norvège.

Comment les marchés ont-ils
réagi à ces annonces de politique monétaire ?

Depuis le 15 décembre, on observe une hausse des taux longs en zone euro, aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui se rapprochent des niveaux observés avant l’éclatement de la pandémie (Graphique 5). L’évolution est bien plus modeste au Japon. Le taux moyen sur les obligations publiques émises dans la zone euro a augmenté de 24 points de base avec une hausse légèrement plus marquée en Italie et en Espagne qu’en Allemagne et en France. Aux États-Unis, l’augmentation est comparable : -24 points de base entre le 14 décembre 2021 et le 4 janvier 2022 ; mais le taux reste inférieur à son niveau d’avant-crise. Quant au Royaume-Uni, elle dépasse 35 points de base. Les marchés ont donc intégré un durcissement modéré de la politique monétaire à l’horizon 2022. Dans l’éventualité où l’inflation se maintiendrait durablement au niveau observé en fin d’année 2021, les banques centrales pourraient accélérer le calendrier de normalisation de la politique monétaire, soit via des hausses supplémentaires de taux directeur soit par une réduction de la taille de leur bilan, ce qui se traduirait sans doute par une nouvelle hausse des taux longs.

L’année 2022 devrait donc être
caractérisée par une remontée des taux à court terme et sans doute aussi à long
terme au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est évident que la
poussée inflationniste observée depuis mi-2021 conduira les banques centrales,
en particulier la BoE et la Réserve fédérale, à accélérer le processus de
normalisation. La normalisation est également importante pour redonner des
marges de manœuvre aux banques centrales en cas de nouveaux chocs négatifs.
L’arrivée du variant Omicron suscite toutefois de nouveau de l’incertitude
quant à son impact économique. Même si les agents se sont en partie adaptés aux
contraintes prophylactiques, un ralentissement de la croissance sans baisse des
tensions inflationnistes placerait les banques centrales dans une position
d’arbitrage plus délicate entre leur objectif de stabilité des prix et le
besoin de soutenir l’activité.


[1] Voir le post
de l’OFCE
du 17 décembre 2021 sur ce point et l’analyse plus détaillée de Le Bayon et
Péléraux
(2021).

[2] Le taux
directeur fixé par les banques centrales représente une cible pour les taux de marché
à très court terme. Les variations de ce taux visent ensuite à influencer
l’ensemble des taux de marché le long de la structure par terme et des taux
bancaires.

[3] La
Réserve fédérale et la BCE ont d’ailleurs récemment réaffirmé le caractère
symétrique de cet objectif en révisant leur cible d’inflation.

[4]
L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation augmentait de 7,1 %
en décembre.

[5] En
décembre 2021, l’indice des prix à la consommation corrigé des prix
alimentaires et de l’énergie augmentait de 5,5 %.

[6] La
détermination des anticipations d’inflation diffère entre les banques
centrales. Dans le cas de la Réserve fédérale, il s’agit des anticipations
formulées par les membres du FOMC tandis que pour la BCE, ce sont des
anticipations réalisées par les économistes de la BCE.

[7]
Respectivement 2,3 % et 2,2 % en fin d’année aux États-Unis et au Royaume-Uni
respectivement et 1,8 % sur l’ensemble de l’année en zone euro.

[8] Voir nos
prévisions économiques d’octobre 2021 publiées dans le Policy Brief
n°94 : Le prix
de la reprise
.

[9] Voir le post
de l’OFCE
du 4 janvier 2022 et l’analyse détaillée de Blot, Bozou et
Hubert
(2021).

[10] Voir Gagnon et
Sack (2018)
pour une comparaison de ces deux stratégies.

[11] Mesurée
en point de PIB, la taille du bilan a baissé un peu plus tôt, passant de
26,4 % au premier trimestre 2015 à 18,8 % au deuxième trimestre 2019.
Avant la mise en œuvre de mesures non conventionnelles, le bilan de la Réserve
fédérale représentait entre 6 et 7 % du PIB.

[12] Ce
scénario est celui qui ressort des Minutes.
La Réserve fédérale publie 3 semaines après la réunion un compte rendu détaillé
de la réunion du FOMC.

[13] Voir Blot,
Bozou, Creel et Hubert
(2021) pour une discussion plus approfondie sur les
objectifs et les effets des programmes d’achats d’actifs souverains mis en
œuvre par la BCE.

[14] Le communiqué du 16 décembre
indique effectivement que : « We expect net purchases to end
shortly before we start raising the key ECB interest rates 
».




L’inflation en 2021, un point sans cible ?

par Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux

Depuis janvier 2021, l’inflation a
fait un retour remarqué après s’être quasiment fait oublier durant la décennie
2010. Le regain de l’inflation fait suite à l’émergence de la Covid-19 durant
l’année 2020 qui a fait basculer l’économie mondiale dans une violente récession
au premier semestre 2020. L’écroulement subit de l’activité a imprimé un choc
négatif aux prix des matières premières, à savoir ceux de l’énergie et dans une
moindre mesure ceux des matières premières alimentaires et industrielles. En
2020, l’inflation d’ensemble a intégré ce contrechoc par le biais de la baisse
du prix des importations d’énergie et de produits alimentaires consommés directement
par les ménages, créant une situation de prix anormalement bas en comparaison
de leur trajectoire de moyen terme.



La forte reprise de l’activité à
partir du troisième trimestre 2020 a fait rebondir vivement les prix des
matières premières, et finalement l’inflation (tableau 1). Les indices de prix headline
ont donc entamé entre 2020 et 2021 un rattrapage dont la mesure sur un an est
amplifiée par la base de calcul anormalement basse l’année précédente. Une
manière d’éliminer cet effet de base est de considérer la trajectoire des prix
en prenant comme base de calcul non pas le niveau des prix de l’année 2020,
mais celui de 2019 à la même période de l’année[1]. Ce
faisant, le rebond de l’inflation apparaît deux fois moindre, à l’exception de
celui des États-Unis.

Au-delà du caractère spectaculaire de
la reprise de l’inflation en 2021, on peut s’interroger sur la position du
niveau des prix par rapport à leur trajectoire de plus long terme dès lors que
le rebond de 2021 fait en partie écho au fort ralentissement de ces derniers,
l’année précédente.  Pour évaluer la
situation des pays au regard d’une trajectoire contrefactuelle en 2021, c’est-à-dire
une trajectoire qui se serait déroulée en l’absence de pandémie, nous nous
sommes appuyés sur les prévisions trimestrielles d’inflation élaborées par la
Commission européenne à l’automne 2019, couvrant l’Europe et les pays
anglo-saxons, soit 29 pays. Par définition, ces prévisions n’incorporent pas le
« choc Covid », qui s’est déclaré au premier trimestre 2020. Elles
peuvent donc être considérées comme une référence pour bâtir une situation
contrefactuelle en 2020 et en 2021. Ces prévisions étaient inférieures à 1,5 %
par an en 2020 et en 2021 pour les quatre grands pays de la zone euro.  Pour les pays anglo-saxons, elles étaient d’environ
2 % chaque année.

En Europe, les prix observés excèdent leurs niveaux de référence hors crise seulement au dernier trimestre 2021 (mesuré sur la base d’octobre et novembre) (graphique 1). Pour la France, l’Italie et l’Espagne, l’accélération des prix tient à un effet rattrapage jusqu’au troisième trimestre 2021. Ce n’est en effet qu’à partir du quatrième trimestre que le contrefactuel est dépassé, dans un contexte où le prix du pétrole est bien supérieur à celui prévu par la Commission européenne à l’automne 2019 (69 dollars en moyenne le baril en 2021, contre 56 prévu). C’est aussi le cas au Royaume-Uni, mais dans une bien moindre mesure. En revanche, en Allemagne, le niveau contrefactuel est dépassé significativement dès le troisième trimestre, une fois l’indice des prix corrigé à la baisse pour neutraliser l’effet de la mise en place d’une taxe carbone début 2021[2]. Enfin aux États-Unis, l’économie est en surchauffe inflationniste depuis plusieurs trimestres[3].

Cette situation inquiète dès lors qu’elle pourrait être vue comme l’indice avant-coureur d’un dérapage de l’inflation. Pourtant des signaux d’apaisement semblent se dessiner au tournant de 2021 et de 2022. Sur les marchés des matières premières dans leur ensemble, les signaux de détente apparaissent, même si certains produits peuvent faire exception. Selon l’Institut de Hambourg (HWWI), les rythmes de hausse des indices de prix de matières premières industrielles et alimentaires ont atteint un pic au printemps 2021 (graphique 2). La trajectoire des prix énergétiques a été plus heurtée : un nouvel accès de fièvre temporaire s’est produit en octobre 2021, avant une nouvelle détente. Exacerbée par la poussée des matières premières, l’inflation devrait donc atteindre un point haut au tournant de 2021 et 2022 dès lors que les rythmes de progression des matières premières ont déjà entamé leur décrue. C’est en tout cas ce que suggère l’analyse que nous avons menée dans un article récent, avec l’apparition de contributions négatives des matières premières importées à l’inflation d’ensemble en 2022[4].


[1]
Le taux de croissance sur 2 ans a été ramené sur une base annuelle pour pouvoir
être comparé au glissement annuel.

[2]
Les prévisions d’inflation élaborées à l’automne 2019 par la Commission
européenne n’incorporaient pas cette taxe carbone, ce qui justifie de corriger
le niveau des prix de 2021 de l’effet inflationniste de la mesure, évalué à 0,3
point de moyenne annuelle par la
Bundesbank (Monthly Report, juin 2020). D’autre part, Le
dispositif de baisse de la TVA mis en place au deuxième semestre 2020 n’affecte
pas le niveau des prix en 2021 dès lors que les taux sont revenus à leur niveau
normal au 1er janvier 2021. En revanche, dans la seconde moitié de
2021, les glissements annuels sont majorés par l’effet de base induit.

[3]
Voir E.
Aurissergues, C. Blot, C. Bozou, « Tensions sur les prix aux
États-Unis : quel impact de la politique budgétaire américaine ? », Blog
de l’OFCE
, 1er décembre 2021
et « Les
États-Unis vers la surchauffe ? », OFCE Policy Brief, n° 97,
25 novembre 2021
.

[4]
Voir S. Le
Bayon et H. Péléraux (2021), « Le renouveau de l’inflation », Revue
de l’OFCE
, étude spéciale, 174 (2021/4)
, pp.14-18.




Tensions sur les prix aux États-Unis : quel impact de la politique budgétaire américaine ?

par Elliot Aurissergues, Christophe Blot et Caroline Bozou

Les derniers chiffres de l’inflation aux États-Unis confirment la tendance observée depuis plusieurs mois. En octobre 2021, les prix à la consommation ont progressé sur un an de 6,2 %. Le phénomène est certes mondial mais, parmi les pays industrialisés, il est particulièrement notable outre-Atlantique. En effet, sur la même période, l’inflation en zone euro s’est établie à 4,1 %. Une telle progression de l’inflation n’avait pas été observée depuis la fin des années 1990 et suscite donc toute l’attention dans le débat de politique économique aux États-Unis, notamment parce qu’elle fait écho à une controverse amorcée dès le début du mandat de Joe Biden à propos de la relance budgétaire votée en mars 2021. Bien que cette inflation soit en partie tirée par l’évolution du prix de l’énergie, il n’en demeure pas moins que les tensions se sont rapidement amplifiées. Hors composantes énergie et alimentation, l’inflation dépasse 4 % depuis juin 2021 suggérant un risque de surchauffe pour l’économie américaine. Si le contexte macroéconomique européen ne permet pas d’identifier un risque équivalent pour la zone euro, il n’en demeure pas moins qu’une hausse durable de l’inflation américaine pourrait avoir des répercussions sur la zone euro. Au-delà des effets sur la compétitivité, la dynamique de l’inflation américaine pourrait influencer l’évolution des taux et la conduite de la politique monétaire de la Réserve fédérale et de la BCE.



Quel que soit l’indicateur – indice des prix à la consommation ou déflateur de la consommation –, les prix ont nettement accéléré depuis mars 2021 (graphique)[1]. La composante énergie est certes importante mais n’explique pas totalement cette dynamique puisque les derniers chiffres pour les indices sous-jacents, c’est-à-dire corrigés des prix de l’énergie et des biens alimentaires, indiquent une augmentation en glissement annuel de 4,6 % pour l’IPC et de 3,6 % pour le déflateur de la consommation[2]. Il faut de plus noter que cette évolution reflète un rattrapage par rapport à l’année 2020 où l’inflation était particulièrement modérée dans le contexte de la pandémie et du coup d’arrêt brutal de l’activité. Ainsi, en moyenne sur l’année 2020 et 2021, jusqu’en octobre, le déflateur de la consommation progresse de 2,1 %, en ligne avec la cible adoptée par la Réserve fédérale[3]. Les tensions récentes reflètent évidemment la dynamique de la reprise économique mondiale post-confinement, à laquelle participent largement les États-Unis, qui a provoqué de fortes tensions sur les prix de l’énergie mais également sur l’offre comme en témoignent les difficultés d’approvisionnement sur certains biens et la flambée du coût du fret maritime.

Au-delà de ces facteurs mondiaux, se pose la question d’un phénomène inflationniste qui pourrait être intrinsèquement lié à la politique économique américaine. Avant même les discussions récentes sur le vote du budget 2022, le total des mesures prises d’abord par l’administration Trump puis celle de Joe Biden pour faire face à la crise Covid atteint 5 200 milliards de dollars, ce qui représente plus de 23 points de PIB de l’année 2019. Ces dépenses effectuées sur 2020 et 2021 représentent une relance inédite ces quarante dernières années. La nécessité des mesures proposées par Joe Biden et votées par le Congrès en mars 2021 était certes consensuelle, mais son ampleur a suscité beaucoup de débats car la reprise était déjà amorcée et l’économie bénéficiait déjà, et comme encore aujourd’hui, des mesures de soutien budgétaire votées en 2020 et d’une politique monétaire fortement expansionniste[4]. Une politique économique – budgétaire et monétaire – aussi expansionniste peut-elle provoquer la surchauffe de l’économie et alimenter le retour de l’inflation comme le craignent des économistes tels que Lawrence Summers ou Olivier Blanchard ou au contraire, l’effet sur l’inflation est-il surestimé, comme le suggèrent d’autres analyses ? Nous analysons ce débat dans un Policy Brief de l’OFCE en précisant notamment les conditions pouvant conduire à une augmentation durable de l’inflation. Ce risque dépendra de la taille des multiplicateurs mesurant l’effet des plans de relance sur l’activité et le chômage, de la position de l’économie américaine par rapport à son potentiel et de l’évolution des anticipations d’inflation, autant d’aspects sur lesquels planent quelques incertitudes.


[1]
L’indice des prix à la consommation (IPC) est calculé à partir d’une enquête
consistant à relever les prix d’un panier de biens moyens consommés par un
ménage représentatif. Le déflateur de la consommation est issu de la
comptabilité nationale et représente le système de prix qui permet le passage
de la consommation en valeur à la consommation en volume. Voir La désinflation
importée
dans la Revue de l’OFCE, 2019, n° 162, pour plus de détails
sur la différence entre ces deux mesures de l’inflation.           

[2]
Non corrigé de l’énergie et des prix alimentaires, le déflateur de la
consommation augmentait de 4,4 %. Les données pour le déflateur font
référence au mois de septembre tandis que la publication des indices de prix à
la consommation est plus rapide, les derniers chiffres publiés étant ceux du
mois d’octobre.

[3] Le
déflateur des prix à la consommation est l’indicateur retenu par la Réserve
fédérale pour évaluer la stabilité des prix aux États-Unis.

[4]
Deux autres projets ont été annoncés ensuite : 
un plan d’investissement en infrastructures (American Jobs Plan)
et un ensemble de mesures en faveur des ménages (American Families Plan).
Il ne s’agit pas de mesures spécifiques à la crise mais de mesures censées
marquer l’orientation de la politique budgétaire sur les huit prochaines
années. Ces plans sont en cours de discussion au Congrès dans le cadre du vote
du budget 2022.




La BCE doit-elle s’inquiéter de l’augmentation récente de l’inflation ?

Christophe
Blot
, Caroline Bozou et Jérôme
Creel

En août 2021, l’inflation dans la
zone euro a atteint 3 % en glissement annuel. Un tel niveau n’avait pas
été observé depuis novembre 2011 et dépasse la cible de 2 % que s’est
fixée la BCE. Cette dynamique récente est en partie tirée par le prix du pétrole
mais on observe dans le même temps un rebond de l’inflation sous-jacente, qui
exclut du calcul les indices des prix de l’énergie et du secteur alimentaire. L’inflation
aux États-Unis
renoue également avec des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis
plusieurs années, ce qui y alimente le débat sur un potentiel retour du risque
inflationniste. De par leur mandat orienté vers la stabilité des prix, il est
légitime que les banques centrales s’interrogent sur les sources de ce retour
de l’inflation. Dans un document récent en vue de la préparation du Dialogue
monétaire entre le Parlement européen et la BCE
, nous discutons cependant
du caractère temporaire plutôt que permanent de cet épisode d’inflation.



L’évolution récente de
l’inflation ne peut être dissociée de la conjoncture économique, actuellement
encore fortement marquée par la crise sanitaire. Après une forte chute de
l’activité – le PIB s’est contracté de 6,5 % en 2020 –, les performances
macroéconomiques de la zone euro restent erratiques. La crise a été sans
précédent à la fois par son ampleur mais aussi par ses caractéristiques
sectorielles et par la nature des chocs qui ont affecté les économies de la
zone euro. En effet, la crise de la Covid-19 se caractérise à la fois par un
choc négatif d’offre et de demande (voir Dauvin et
Sampognaro, 2021
).

Les éléments qui expliquent
l’inflation actuelle semblent être de nature temporaire. Un examen des données
récentes suggère en effet que la hausse de l’inflation serait principalement
liée aux prix de l’énergie, aux modifications des taux d’imposition de la TVA
et à la reprise qui suit la récession annuelle la plus spectaculaire depuis la
Seconde Guerre mondiale (figure 1).  Pour
autant, à un niveau désagrégé, il semble que pour la plupart des biens, les
prix sont souvent inférieurs au niveau de décembre 2019 tandis que les prix de
certains services sont plus élevés (figure 2).

Il n’en reste pas moins que les
facteurs qui pourraient influencer l’inflation à moyen terme sont nombreux et laissent
planer quelques incertitudes sur les tensions à venir. Le choc de demande
résultant des mesures de relance budgétaire européenne et des pressions sur le
marché du travail devrait être faible. Le coût en termes d’inflation d’une
baisse du chômage dans la zone euro est désormais très bas – on parle
d’aplatissement de la courbe de Phillips, voir Bobeica,
Hartwig, et Nickel  (2021)
– et le
niveau « élevé » des emplois vacants l’est moins qu’en 2018 alors
qu’aucune crainte d’un retour de l’inflation n’était alors évoquée. Toutefois,
les pressions inflationnistes dues au comportement de désépargne des agents
pourraient présenter une trajectoire plus incertaine. Une poussée de la demande
pourrait alimenter de futures hausses de prix, surtout si les difficultés
d’ajustement de l’offre, observées récemment dans certains secteurs, persistaient.
Du côté des difficultés d’approvisionnement et de la hausse des coûts du
transport maritime, la corrélation forte de ces derniers avec le prix du
pétrole laisse imaginer une baisse lors des deux prochaines années (voir le
bulletin de la US Energy
Information Administration
).  

Pour autant, si on se place dans une perspective plus longue, on peut observer que cette remontée d’inflation ne permet en aucun cas de compenser les nombreuses années au cours desquelles l’inflation fut inférieure à la cible de 2% (figure 3). Ainsi, tant que la poussée observée ces derniers mois reste contenue, ce retour de l’inflation pourrait plutôt être perçu comme une bonne nouvelle par la BCE lui permettant d’atteindre enfin sa cible et même éventuellement de rattraper les sous-ajustements passés.




Fiscal-Monetary Crosswinds in the Euro Area

By Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco, and Matthieu Tarbé

Abstract

Monetary policy – conventional
or unconventional – has fiscal implications. By affecting interest rates,
inflation and output, it relaxes or tightens the general government budget
constraint. The effect on inflation is then the result of the combined action
of monetary policy and the fiscal response to it via the adjustment of the
primary deficit. In a recent paper, we estimate the fiscal responses to conventional
and unconventional monetary policy in the four largest countries of the euro
area. We find a positive primary deficit response to conventional short-term
interest rate easing. In contrast to this fiscal-monetary coordination in the
conventional case, fiscal responses to unconventional monetary policy easing are
muted. They generate crosswinds, which is consistent with the more modest
impact of unconventional monetary policy on inflation.

Inflation
in the euro area as a joint fiscal-monetary phenomenon

The topic of
coordination between monetary and fiscal policy has become the focus of policy
discussion in recent years (Draghi, 2014, Lagarde, 2020, Schnabel, 2021). One
reason is that there is limited space for traditional monetary policy based on
steering the short-term interest rate when the latter is at or close to the
effective lower bound (ELB). Many recent papers have advocated mechanisms to
implement a coherent a monetary-fiscal policy mix (see for example the policy
report by Barsch et al 2021).

Empirically,
there is limited knowledge about how the combination of monetary and fiscal
policy affects inflation. This is a complex topic since there are multiple
channels of interaction. Monetary policy, by affecting interest rates, output
and inflation has an impact on the government’s budget constraint. The response
of fiscal authorities via the adjustment of the primary deficit depends on the
fiscal framework or their stabilization objectives. The effect on inflation
depends on the combined effects of fiscal and monetary actions as these affect
the adjustment which is required to satisfy the intertemporal budget constraint
of the consolidated government sector (central bank and governments). This is the
consequence of the constraint being a binding identity which depends on
inflation, returns on government debt and primary surpluses.

In the
governance of the Euro Area (EA), the central bank is an independent
institution and the treaties have delegated to it the responsibility for price
stability. As a consequence, the budget constraints of the central bank and
governments must be thought as separate ex-ante. However – ex-post – what
matters to understand the dynamics of inflation is the consolidated budget
constraint of the central bank and the nineteen fiscal authorities. Therefore,
if we want to understand the causes of the under-shooting of the inflation
target since 2013 in the European Monetary Union (EMU), we need to consider how
primary deficits and returns have responded to monetary policy.

In a recent paper (Reichlin, Ricco, Tarbé,
2021) we estimated empirically the response of fiscal variables, inflation and
the market value of government debt to monetary policy changes affecting the short-term
rate (traditional policy) or long-term rates (forward guidance or quantitative
easing). Beside estimating VAR-based impulse response functions, we used the
intertemporal budget constraint identity to obtain a decomposition of unexpected
inflation (conditional on monetary policy) into several components: the primary
deficit, returns on the market value of government debt, and output growth. We
modelled this relationship using euro area aggregate data and a newly
constructed dataset for France, Germany, Italy and Spain.

Our framework is inspired by Hall and Sargent
(1997) and Cochrane (2019, 2020). Common to their approach is to start from the
general government intertemporal budget constraint as an equilibrium identity
linking the market value of the debt to future discounted primary surpluses.

From that budget constraint, one can obtain a linearized
identity that, in words, is of the following shape:

Inflation
(impact) – Nominal Returns (impact) =


(cumulated Surplus + cumulated Growth)

+
(cumulated future Nominal Returns – cumulated future Inflation),

where each term is to be thought of as an
unexpected change.

The intuition is that an unexpected contemporaneous
increase in inflation – if not matched by a movement in contemporaneous returns
– has to correspond to either a decline in the (cumulated) surplus to GDP
ratios, or a decline in cumulated GDP growth, or a rise in the discount rates[1].
These adjustments in the aggregate can happen as a combination of symmetric or
asymmetric changes at the country level.

Since this identity involves bond returns,
inflation and fiscal variables, it can be used to learn about the
fiscal-monetary adjustment dynamics in an otherwise unrestricted empirical model.

To apply this framework to the euro area we
need to extend it to the case of a single central bank and multiple fiscal
authorities.

We focus on a stylised description of the EMU
in which each country can issue debt and hence faces different market rates
(and returns). Inflation at the euro area level is determined by the aggregate
fiscal and monetary stance, and the aggregate fiscal stance is the sum of the
fiscal positions of individual states that may or may not balance their budgets
independently, and take inflation as given. Such a description is open to
nuances such as divergences in the national inflation rates in the medium-run,
and fiscal transfers across countries to help balancing out national fiscal
imbalances. Whether such mechanisms operate or not is an entirely empirical
matter.

Conventional
monetary policy and the fiscal stance

We identify the shocks in the model using a
combination of sign restrictions, as in Uhlig (2005), and the recently proposed
narrative sign restrictions of Antolin-Diaz and Rubio-Ramirez (2018). In
addition to traditional sign restrictions, we constrain an expansionary
conventional monetary policy shock (MP) to have a negative impact on the short-
and long-term interest rates, a positive impact on output, and a positive
impact on inflation and inflation expectations for the first three quarters (inflation
moving by a larger amount). We separately identify the MP and unconventional
monetary policy shocks (UMP) based on their differential impacts on the yield
curve. The MP shock is assumed to move short term interest rates by a larger
amount than long term rates, leading to a steepening of the yield curve. The
UMP shock has the opposite effect on the slope. We also assume that monetary
policy shocks are neutral and do not affect real GDP, in the long-run.[2]

A first set of results pertains to
conventional monetary policy (Figure 1). GDP and inflation respond as expected:
there is a hump-shaped impact on GDP, peaking at about 0.1% in the second year,
and an immediate impact on inflation and inflation expectations. In line with
the transitory nature of the shock, the impact on long-term yields is both
small in magnitude and short lived.

What is more interesting for our discussion are
the responses of the fiscal variables. For the aggregate we estimate an
immediate decline in the surplus-to-EA-GDP ratio which, as shown in Figure 1,
is driven by France, Germany and Italy, whereas Spain responds with a surplus. The
value of debt-to-EA-GDP ratio falls for all countries in the first two years, although
there is a high degree of uncertainty in these estimates.

Figure 1 – Impulse response functions to a one standard deviation conventional monetary policy shock (easing) in the euro area

Note: The shock is a small cut in the short-term
interest rate, of about 10 basis points. The impulse response of real GDP is
reported in level, i.e. as percentage deviation from the steady state. All
other impulse responses are reported as annualized percentage-point deviations
from the steady state. For details on the quarterly data construction and which
variables enter the estimation, see appendix B of Reichlin et al. (2021). Inflation
and interest rates are in % (annualized). Slope is the German long-term
interest rate minus the euro area short-term interest rate. Returns are nominal
returns in % (annualized) on the portfolio of government debt, inferred from debt
and surplus. Spreads are country long-term interest rates minus the German
long-term interest rate. Debts are 400 times the logarithm of the following
ratio: country debt over quarterly euro area GDP. Surpluses denote 400 times country
primary surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly
euro area GDP at steady state.

The response of the return on government debt
is ambiguous since it is driven by both short- and long-term interest rate
movements, while sovereign spreads do not appear to react significantly to the
conventional MP shock, indicating a symmetric transmission across the euro area.

Long-term results (not shown here) point to a
decomposition of unexpected inflation which is split by fiscal policy easing in
the same direction as monetary policy and a relatively muted response of
returns on the market value of the debt. As we will see in the next section,
this contrasts with the response to unconventional monetary policy. These
results have to be understood as indicative, since long-run estimates are necessarily
imprecise due to the uncertainty in the assumptions on the level of the steady
states.[3]

To summarise, we report evidence of
fiscal-monetary coordination conditional on a conventional monetary policy
easing: in response to the decline in interest rates, the fiscal authorities
allow the surplus-to-EA-GDP ratio to decline. The overall impact of the policy
is an increase in output, an increase in inflation, and an insignificant
decline in the debt-to-EA-GDP ratio.

This is not the case for an unconventional
monetary policy easing driving long-term interest rates down.

Unconventional
monetary policy and crosswinds

A second set of results is reported in Figure
2, for unconventional monetary policy. We observe a small positive reaction of
output and a sizable response of inflation on impact, yet both effects are less
persistent than in the case of a conventional shock. The effect on the
surpluses is negligible and not significant. While the value of the debt
increases on impact for some countries, the response is not significant beyond
the first period. This is associated with an unambiguous response in the
returns on government debt, which explains this increase in the market value of
the debt in Germany and France.

Figure 2 – Impulse response functions to a one standard deviation unconventional monetary policy shock (easing) in the euro area

Note: A one standard deviation shock corresponds to a 10 basis points decline in the long-term yield. The impulse response of real GDP is reported in level, i.e. as percentage deviation from the steady state. All other impulse responses are reported as annualized percentage-point deviations from the steady state. For details on the quarterly data construction and which variables enter the estimation, see appendix B of Reichlin et al (2021). Inflation and interest rates are in % (annualized). Slope is the German long-term interest rate minus the euro area short-term interest rate. Returns are nominal returns in % (annualized) on the portfolio of government debt, inferred from debt and surplus. Spreads are country long-term interest rates minus the German long-term interest rate. Debts are 400 times the logarithm of the following ratio: country debt over quarterly euro area GDP. Surpluses denote 400 times country primary surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly euro area GDP at steady state.

Let us now show results for the inflation
decomposition in the long-run:

Unexpected inflation decomposition in terms of changes to returns
and future cumulated changes to growth, surplus, returns and inflation. The
country columns display numbers weighted by country shares. For details on the
quarterly data construction and which variables enter the estimation, see
appendix B of Reichlin et al (2021). Inflation is in % (annualized). Returns
are nominal returns in % (annualized) on the portfolio of government debt,
inferred from debt and surplus. Surpluses denote 400 times country primary
surplus over quarterly euro area GDP, scaled by country debt over quarterly euro
area GDP at steady state.

The unexpected inflation decomposition
reported in the table shows that the 10 basis points (bps) decline in the
long-term rate due to the unconventional monetary policy shock corresponds to a
large adjustment in the nominal returns, which jump by 95 bps in the short run and
then contract by 69 bps in the future. Overall inflation movements are muted,
about a half of what is seen in the case of conventional monetary policy. We
have a jump by 9 bps in the short run, and then a cumulated decline by 1 bps in
the future. Thus, the real discount rate term is -68 bps. While in the case of
conventional monetary policy we have seen a cumulated deficit in the long-run, here
we have a cumulated primary surplus to GDP ratio response of 14 bps, generating
crosswinds in the aggregate. This long-run finding is mainly to be attributed
to Germany.

The muted fiscal response conditional on an UMP
shock is telling us that when that policy was active, i.e. since the 2008
crisis (first via targeted loans, then via forward guidance and asset
purchases), fiscal authorities did not use the fiscal space afforded by the decrease
in long-term rates. The response of the primary surplus to a monetary policy
easing is insignificant in the short-run and overall positive in the long-run,
unlike in the case of conventional policy (negative both at business cycle
frequency and in the long-run).

These results come with two warnings. First,
as we have seen, estimates are quite imprecise. Second, long run results are also
sensitive to assumptions on the steady state, as already commented. This is a
problem hard to address given the short sample and the evolving policy
landscape.

To sum up, in contrast with the conventional
monetary policy case, the response of inflation and output is muted, and there
is no fiscal expansion.

Conclusions

In the euro area the empirical fiscal-monetary
mix appears to vary depending on the conventional (i.e. affecting the short-term
interest rate) or unconventional (i.e. shifting the long end of the yield curve)
nature of the monetary policy shock.

Key in this difference are two factors: (i)
the movement of the returns on the value of the debt, which depends on the
change in yields at the relevant maturity, and (ii) the response of the primary
surplus, which depends on fiscal policy.

Nonstandard monetary policy has a much larger
effect on returns since, given the average debt maturity, long-term yield
changes have a higher impact on returns than changes in the short-rate. The
long-run price level is lower than in the conventional policy case, while the
primary surplus response is muted and slightly positive in the long-run.

The interpretation of this result is as
follows: when unconventional monetary policy was implemented – post financial
crisis – the combination of high legacy debt and fiscal rules constrained the fiscal
response, determining a situation in which the monetary and fiscal authorities
worked against one another.

Paradoxically, when the economy was at the ELB,
in a situation in which fiscal policy is more powerful than monetary policy,
the responsibility for stabilization fell on the shoulders of monetary policy
alone.

References

Antolin-Diaz, Juan and Juan Francisco Rubio-Ramirez, “Narrative Sign
Restrictions for SVARs,” American Economic Review, October 2018, 108 (10),
2802-29.

Bartsch, Elga, Agnès Bénassy-Quéré, Giancarlo Corsetti, Xavier Debrun “It’s
All in the Mix: How Monetary and. Fiscal Policies Can Work or Fail Together”.
Geneva Reports on the World Economy 23, 2021.

Cochrane, John H, “The fiscal roots of inflation,” Technical Report,
National Bureau of Economic Research 2019.

Cochrane, John H., “The Fiscal Theory of the Price Level”, Unpublished,
2020.

Draghi, Mario, “Unemployment in the euro area,” Speech by Mario
Draghi, President of the ECB, Annual central bank symposium in Jackson Hole,
European Central Bank 2014.

Hall, George J. and Thomas J. Sargent, “Interest rate risk and other
determinants of post-WWII US government debt/GDP dynamics,” American
Economic Journal: Macroeconomics, 2011, 3 (3), 192-214.

Lagarde, Christine, “Monetary policy in a pandemic emergency,”
Keynote speech by Christine Lagarde, President of the ECB, at the ECB Forum on
Central Banking, European Central Bank 2020.

Reichlin, Lucrezia and Ricco, Giovanni and Tarbé, Matthieu,
Monetary-Fiscal Crosswinds in the European Monetary Union (May 1, 2021). CEPR
Discussion Paper No. DP16138.

Schnabel, Isabel, “Unconventional fiscal and monetary policy at the zero
lower bound,” Keynote speech by Isabel Schnabel, Member of the Executive
Board of the ECB, at the Third Annual Conference organised by the European
Fiscal Board on “High Debt, Low Rates and Tail Events: Rules-Based Fiscal
Frameworks under Stress”, European Central Bank 2021.

Uhlig, Harald, “What are the effects of monetary policy on output?
Results from an agnostic identification procedure,” Journal of Monetary
Economics, March 2005, 52 (2), 381-419.


[1] Cochrane (2019) then further decomposes the contemporaneous nominal
return term, between a future inflation term and a future real discount rate
term, by assuming a geometric maturity structure. Unexpected
inflation has to correspond to a decline in expected
future surpluses, or a rise in their discount rates.

[2] We complement the restrictions on impulse responses with narrative
sign restrictions, following Antolin-Diaz and Rubio-Ramirez (2018). In
particular we assume that: (i) a contractionary (negative) conventional
monetary policy shock happened on the third quarter of 2008 and the first
quarter of 2011, and it was the single largest contributor to the unexpected
movement in the short-term interest rate during those two periods; (ii) an
expansionary (positive) unconventional monetary policy shock took place on the
first quarter of 2015, and it was the single largest contributor to the
unexpected movement in the term spread between the German long-term interest
rate and the short-term interest rate during that period.

[3] Our steady state assumptions are consistent with the
debt-to-Euro-Area-GDP ratios of each of the countries being equal to their
historical average, and the primary surpluses being zero in the long run. We
also impose that the steady state inflation rate is equal to 1.9%, `below but
close to 2%’ as specified by the ECB’s inflation objective. For real GDP
growth, we fix the steady state at 1.5%, close to the sample average.
Consistent with our choice for the steady state surplus, we fix the
steady-state returns on the government debt portfolio at

.

Finally,
the short-term real interest rate is assumed to be 1% in steady state, the
spread between the long- and short-term interest rates to be 100 basis points,
the sovereign spread to be 50 basis points for France, and 100 basis points for
Italy and Spain.




L’économie européenne 2020

par Jérôme Creel

Comme chaque année, un peu avant
le printemps, l’OFCE publie dans la collection « Repères » des
Editions La Découverte un ouvrage synthétique sur l’état de l’économie
européenne et sur les enjeux de l’année à venir, L’économie
européenne 2020
. Il faut bien admettre que lors de la préparation de l’ouvrage,
dont le dernier chapitre a été achevé au tout début de l’année 2020, nous n’avions
pas anticipé que l’épidémie liée au coronavirus en Chine engendrerait la crise
sanitaire et économique globale dont nous subissons les effets depuis quelques
semaines. Aussi l’ouvrage ne répond-il pas à l’actualité essentielle du moment.
Il livre cependant quelques pistes de réflexion qui s’avéreront sans doute utiles
lorsque la phase aiguë de la crise sanitaire aura été dépassée. Ces pistes de
réflexion concernent l’impulsion politique européenne des derniers mois de
l’année 2019 et les ambitions de la nouvelle Commission européenne, les
perceptions des Européens à l’égard de l’Union européenne et les outils
macroéconomiques à mobiliser pour contrecarrer un ralentissement économique ou
une fragilisation du secteur bancaire.



Comme nous avons coutume de le
faire chaque année, est reproduite ici l’introduction de L’économie européenne 2020. Les parties de phrase en italiques sont
des ajouts visant à actualiser (un peu) le texte.

En 2020, Mesdames Christine
Lagarde et Ursula von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de
l’Europe, la première à la tête de la Banque centrale européenne et la seconde
à celle de la Commission européenne, dans un environnement européen et
international compliqué. Depuis le pic de croissance de 2017, l’activité
économique en Europe a donné de sérieux signes d’essoufflement. Dans un
contexte marqué notamment par l’incertitude politique – notamment quant à
l’évolution des tensions commerciales avec les États-Unis et à l’organisation
effective du Brexit –, et par la perspective de la fin du cycle
d’expansion américain et par la survenue
d’une crise sanitaire, économique et financière sans précédent
, se pose désormais
la question des marges de manœuvre européennes pour mener des politiques
économiques plus expansionnistes.

Du côté de la Commission
européenne, les projets ne manquent cependant pas : une nouvelle
stratégie de croissance, le Pacte vert (ou Green Deal), a pour but d’assurer
une transition écologique juste et équitable, tandis que le renouveau de
l’Europe sociale vise à assurer la justice sociale, « fondement de
l’économie sociale de marché européenne ». Il passera notamment par des
initiatives concernant les salaires minimums en Europe, le mécanisme de
réassurance chômage européen, les mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes
et les incidences à long terme du vieillissement de la population européenne.

Du côté de la Banque centrale
européenne, les changements prévus sont moins en rupture avec la présidence
précédente : poursuite des mesures non conventionnelles pour respecter le
mandat principal de la BCE et soutenir l’économie de la zone euro, et poursuite
de la mise en œuvre des politiques dites macro-prudentielles.

Cet ouvrage dresse un état des lieux de l’Union européenne et met en perspective l’ensemble des initiatives annoncées. Après avoir présenté l’état de la conjoncture européenne (avant le déclenchement de la crise sanitaire) et les effets probables de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et après avoir analysé les attentes des Européens à l’égard de l’Union européenne, l’ouvrage se concentre sur les grands thèmes mis en avant par la nouvelle Commission européenne : la nécessité de faire face au changement climatique et aux transformations des sociétés européennes. À cette fin, les questions de dette climatique européenne et celles d’inégalités environnementales en Europe sont abordées mais aussi les transformations des marchés du travail et le financement de la dépendance. Les initiatives de la Commission européenne s’inscrivent dans une période d’attentes plus critiques de la part des citoyens européens. S’ils continuent généralement à avoir un a priori positif à l’égard de la participation de leur pays à l’Union européenne, ses actions concrètes semblent engendrer une rupture entre les perdants et les gagnants de l’intégration européenne. Et les premiers, qui sont ceux qui attendent de l’UE qu’elle les protège mieux, sont aussi ceux qui expriment la confiance dans l’UE la plus faible pour mettre en place cette protection. L’ouvrage présente alors deux types de politiques susceptibles de mieux protéger les Européens : une politique budgétaire d’assurance-chômage européenne et une politique macro-prudentielle chargée d’assurer la stabilité bancaire en Europe.




Pourquoi l’inflation européenne est-elle si faible ?

par Stéphane Auray et Edouard Challe

En septembre 2019, la Banque centrale européenne (BCE) annonçait une relance de ses politiques « non conventionnelles », incluant, en sus de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et des opérations ciblées de refinancement à long terme (targeted long-term refinancing operations, TLTRO), une baisse du taux des facilités de dépôts[i] avec une tranche de monnaie de réserve exonérée des taux négatifs de manière à limiter le coût des réserves pour les banques. Ce nouveau round de politiques accommodantes s’imposait en raison du contexte macroéconomique, marqué par un ralentissement de l’activité en zone euro et un décrochage de l’inflation.



Au début des années 2000, le taux d’inflation oscille autour de 2% et ne connaît que de légères fluctuations jusqu’à 2007 où il atteint son maximum d’avant-crise (voir le graphique 1). Il s’effondre ensuite pendant la « Grande Récession » (2008-2009) puis la crise des dettes souveraines (2011-2013). À ce jour, le taux d’inflation de la zone euro est toujours inférieur à celui d’avant 2008. Au total, entre 1999 (l’année de création de l’euro) et 2019, l’inflation moyenne en zone euro aura été relativement faible (1,7% en moyenne), et tout particulièrement depuis 2009 (1,3% en moyenne). Autrement dit, la BCE ne semble pas avoir atteint son objectif, explicité dès 2003, d’un taux d’inflation des prix à la consommation « inférieur à, mais proche de, 2 % ». Pourquoi cela ?

D’après la théorie économique, la
faiblesse de l’inflation reflète celle des coûts de production, et donc de la
demande agrégée : un niveau de demande faible se traduit par une moindre
tension sur les facteurs de production (travail, capital, énergie, matières
premières, …) et donc, toutes choses égales par ailleurs, une moindre croissance
de leurs prix. La pression concurrentielle conduit alors les entreprises à
répercuter ces faibles coûts sur leurs prix de vente, ce qui engendre une
désinflation des prix. À l’inverse, une expansion économique engendre
mécaniquement des tensions sur les facteurs de production et donc une hausse de
leur coût, laquelle est répercutée sur les prix de vente des entreprises et
fait monter le niveau général des prix. C’est la logique de de la « courbe
de Phillips », qui constitue l’un des blocs fondamentaux de la
macroéconomie monétaire depuis les années 1960. 
Ainsi, lorsque la banque centrale perd le contrôle de l’inflation, c’est
avant tout parce qu’elle a perdu le contrôle de la demande agrégée. De ce point
de vue, les pressions déflationnistes en zone euro ne sont que le reflet de
l’incapacité de la BCE à relancer suffisamment la demande.

Une explication alternative (et plausible)
à la faiblesse de l’inflation est que la BCE parvient à stimuler la demande par
ses politiques accommodantes, mais que la répercussion des variations de la
demande sur les coûts de production, et donc en définitive sur le niveau
général des prix et l’inflation, serait plus faible que par le passé – voire
aurait complètement disparu. Selon les partisans de cette théorie, la « pente
de la courbe de Phillips » serait devenue proche de zéro en zone euro, ce
qui expliquerait la perte de contrôle de l’inflation par la BCE. S’il fait
certes peu de doute que la pente de la courbe de Phillips s’est réduite aux États-Unis
depuis les années 1980, des
travaux empiriques récents conduisent néanmoins à nuancer le constat de
la « mort » de la courbe de Phillips, tant aux États-Unis qu’en zone euro. Une
autre caractéristique de la courbe de Phillips, indépendante de sa pente,
pourrait également expliquer la faiblesse de l’inflation européenne : on
sait depuis la conférence
présidentielle
de Milton Friedman au congrès de 1967 de l’American Economic Assocation  que la courbe de Phillips fait intervenir l’inflation
anticipée, en sus des tensions sur
les coûts de production, comme déterminant de l’inflation réalisée. Donc si
l’inflation anticipée décroche de sa cible alors elle tire vers le bas
l’inflation réalisée, indépendamment
du niveau de la demande. Cette inquiétude est légitime mais elle soulève deux
questions. Tout d’abord, les prévisionnistes
professionnels
régulièrement interrogés par la BCE prévoient une lente remontée
de l’inflation à l’horizon 2025 ; le décrochage des anticipations
d’inflation ne saute donc pas aux yeux. Ensuite, si la pente de la courbe de
Phillips n’est pas nulle, l’effet d’un décrochage des anticipations d’inflation
sur l’inflation réalisée devrait pouvoir être compensé par une relance
suffisamment prononcée de la demande.

Enfin, indépendamment des discussions
autour de la forme de la courbe de Phillips, certains commentateurs avancent
parfois des raisons « structurelles » aux pressions déflationnistes
de la dernière décennie, plutôt que de l’attribuer à la faiblesse de la demande,
ou à la moindre transmission des tensions sur la demande aux coûts. Selon cette
théorie, la pression concurrentielle à laquelle sont soumises les entreprises
se serait intensifiée, notamment en raison de l’ouverture au commerce
international et des nouvelles technologies. Cette concurrence accrue forcerait
les entreprises européennes (et mondiales) à comprimer leurs marges, ce qui
exercerait une pression baissière permanente sur les prix. Ces mécanismes ne
peuvent pourtant pas expliquer la faiblesse de l’inflation en zone euro. En
effet, le prix de vente d’une entreprise est (tautologiquement) le coût
unitaire de production multiplié par le facteur de marge. La pression concurrentielle
peut certes faire baisser le facteur de marge, mais cela ne peut être que très
progressif, et surtout transitoire puisque
le facteur de marge ne peut tomber en dessous de 1 (sans quoi le prix de vente
serait inférieur au coût unitaire de production et l’entreprise aurait intérêt
à fermer). Enfin, et c’est là le plus important, cette baisse graduelle du
facteur de marge devrait pouvoir être compensée par une variation du coût
unitaire de production, dont on vient de voir qu’il dépendait de la demande
agrégée. Ainsi, une banque centrale ciblant un certain niveau d’inflation (ce
qui est le cas de la BCE, ainsi que de la majorité des grandes banques
centrales) devrait en principe pouvoir annuler tout effet de la baisse
tendancielle des marges sur les prix en stimulant suffisamment la demande
agrégée. Tout ceci nous ramène au point de départ : pour comprendre
l’excès de déflation (ou du moins de désinflation) en zone euro, il nous faut
comprendre pourquoi la demande agrégée y est trop faible, et pourquoi la BCE ne
parvient pas à la relancer.

L’origine de la crise économique qui a frappé l’économie mondiale à partir de 2008 est aujourd’hui assez bien comprise. Au départ, un choc financier de grande ampleur a provoqué une explosion des primes de crédit (voir graphique 2), accompagnée, dans un certain nombre de pays, d’une phase de désendettement des ménages (graphique 3). La hausse des primes de crédit limite l’activité des emprunteurs risqués (ménages et entreprises), et le désendettement des ménages freine mécaniquement et durablement leur demande de consommation, tant en biens durables qu’en biens non durables. Par ailleurs, en zone euro, le choc initial de 2008-2009 a été prolongé par la crise des dettes souveraines, laquelle a provoqué une retombée en récession à partir de 2011. Sans remèdes adéquats, les chocs de demande négatifs de ce type ont tendance à s’amplifier d’eux-mêmes car ils font augmenter le chômage, ce qui fait baisser le revenu, la demande de consommation, et ainsi de suite – selon la logique du fameux « multiplicateur keynésien ». Ce faisant, ces chocs entraînent une pression baissière durable sur la production et sur l’inflation.

Selon la théorie (et la pratique) de la politique monétaire conventionnelle, il est à la fois souhaitable et possible de contrer efficacement de tels chocs de demande négatifs : il suffit que la banque centrale ajuste sa « posture » (stance) en penchant de manière suffisamment prononcée contre le vent de la déflation (en baissant ses taux directeurs, qui sont des taux d’intérêt nominaux à court terme). La banque centrale doit alors être suffisamment « réactive » : elle doit faire varier ses taux directeurs (qui sont des taux d’intérêt nominaux) plus de un pour un en réponse aux variations du taux d’inflation, de sorte que le taux d’intérêt réel (c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal moins l’inflation) chute lorsque l’inflation baisse, et inversement. C’est seulement sous cette condition que la banque centrale peut stimuler la demande agrégée et donc relever le taux d’inflation à la suite d’un choc de demande négatif (et inversement comprimer la demande lorsque l’inflation est trop élevée). La BCE s’est précisément engagée dans cette politique conventionnelle au début de la crise, en baissant ses différents taux directeurs de plus de 300 points de base en moins d’un an à partir de l’été 2008 ; puis de nouveau à partir de 2009, pour finalement atteindre un taux de 0% sur les opérations principales de refinancement (et -0,5% sur les réserves excédentaires, hors exemption, depuis septembre dernier).

Une fois ce stade atteint, il devient risqué de s’engager en territoire négatif de manière encore plus agressive, notamment en baissant davantage le taux d’intérêt sur les réserves excédentaires, car les banques pourraient en principe massivement demander à la banque centrale la conversion de leur monnaie de réserve (qui est électronique et inscrite au compte de la banque auprès de la banque centrale) en billets de banques physiques, dont la rentabilité nominale est de… 0% ! Rappelons simplement ici qu’un billet ne change pas de valeur nominale au cours du temps. Ainsi, une fois atteinte la « borne zéro » sur les taux d’intérêt, la banque centrale devient « passive » et non plus active car ses taux d’intérêt directeurs (collés à zéro, ou à des valeurs proches de zéro) ne peuvent plus répondre de manière suffisamment prononcée aux variations de l’inflation autour de sa cible. Un cercle vicieux se met alors en place, qui tend à entretenir la faiblesse de la demande agrégée et de l’inflation (cf. graphique 4) : comme le taux d’intérêt nominal ne baisse plus suffisamment à la suite des pressions déflationnistes, celles-ci engendrent une hausse du taux d’intérêt réel (d’après la relation de Fisher), laquelle affaiblit encore plus la demande agrégée (selon logique de la courbe IS). La baisse de la demande renforce les pressions déflationnistes initiales (en raison de la courbe de Phillips), ce qui conduit les agents économiques à anticiper une inflation faible, élève encore davantage le taux d’intérêt réel, et ainsi de suite. C’est pourquoi il est si difficile de redresser l’inflation et ses anticipations dans cette configuration macroéconomique, qui est celle dans laquelle se débat la zone euro depuis déjà un certain nombre d’années. Si les différentes politiques non conventionnelles mises en œuvres par la BCE ont permis de limiter la spirale déflationniste, elles n’ont pu totalement en éliminer les effets.


[i] La
Banque centrale européenne a trois taux directeurs officiels : (i) le taux
sur la facilité de dépôt
, auquel est rémunérée la monnaie de réserve excédentaire
que les banque détiennent sur leur compte auprès de la banque centrale ;
(ii) le taux
sur les opérations principales de refinancement
, auquel se refinancent les
banques, contre collatéral, à échéance d’une semaine; et (iii) le taux
d’intérêt sur les prêts marginaux
, qui est le taux débiteur auquel les
banque peuvent emprunter en urgence et au jour le jour auprès de la BCE.