Doit-on se réjouir de la baisse du taux de chômage en fin d’année 2013 ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Chaque trimestre, l’Insee publie le taux de chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) : pour le 4ème trimestre 2013, en France métropolitaine, celui-ci est en baisse de 0,1 point, soit 41 000 chômeurs en moins. Parallèlement, chaque mois paraît le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi : au cours du 4e trimestre 2013, cette source indique une hausse de 23 000 du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A. Dans un cas le chômage baisse, dans l’autre il augmente, ce qui ne permet pas de poser un diagnostic clair quant à l’évolution du chômage sur la fin d’année.

A quoi doit-on attribuer la différence de diagnostic entre l’Insee et Pôle emploi ?

Outre les différences liées à la méthodologie (enquête Emploi pour le BIT, source administrative pour Pôle emploi), rappelons que pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition. Ainsi, les inscrits en catégorie A à Pôle emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus. Pour les moins de 25 ans, l’intérêt de s’inscrire à Pôle emploi est généralement plus faible[1] sauf en période d’activation du traitement social du chômage comme ce fut le cas lors du dernier trimestre 2013: pour bénéficier d’un emploi aidé, il est nécessaire d’être préalablement inscrit à Pôle emploi.

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Comme l’indique le tableau 1, quelle que soit la classe d’âge, la situation semble moins favorable dans les chiffres de Pôle emploi que dans ceux au sens du BIT : le découragement face à la dégradation continue depuis plus de 2 ans du chômage a provoqué l’arrêt de la recherche active d’emploi pour un certain nombre de chômeurs qui ne sont plus comptabilisés comme tel au sens du BIT mais qui continuent pourtant à actualiser leur situation à Pôle emploi et donc restent inscrits dans la catégorie A.

La baisse du taux de chômage au sens du BIT est-elle une bonne nouvelle ?

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : la première, vertueuse, résulte d’une sortie du chômage liée à l’amélioration du marché de l’emploi ; la seconde, moins réjouissante, s’explique par le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT soulignent que la baisse de 0,1 du taux de chômage s’explique intégralement par la baisse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans – et non par la reprise de l’emploi qui est resté stable. La baisse du taux de chômage n’est donc pas attribuable à une reprise de l’emploi, mais à un découragement des chômeurs, qui cessent de rechercher activement un emploi (tableau 2).

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Dans le détail, la politique de l’emploi menée par le gouvernement – emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion – a eu un effet positif sur l’emploi des jeunes, le taux d’emploi augmentant de 0,3 point au cours du dernier trimestre 2013. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours d’augmenter (de 0,2 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la forte hausse des inscriptions à Pôle emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi. Ils sont désormais classés dans le« halo » du chômage, qui lui poursuit sa hausse.

Finalement, la baisse du taux de chômage au sens du BIT, marquée par l’absence de reprise de l’emploi et le découragement des chômeurs, n’est pas une si bonne nouvelle.


[1]Pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.




Révision du potentiel de croissance : l’impact sur les déficits

par Hervé Péléraux

Les finances publiques meurtries par la Grande Récession

Au sortir de la Grande Récession de 2008/09, le problème des finances publiques auquel allaient devoir face les gouvernements était en apparence simple, sa solution mise en avant aussi. Le jeu des stabilisateurs automatiques ainsi que les plans de relance mis en place pour contrer la récession de 2008/09 ont fortement creusé les déficits publics. Cette situation, dictée par l’urgence, était acceptable à court terme mais ne l’était pas à plus longue échéance. Elle appelait logiquement un redressement des comptes publics pour résorber les déficits et stopper la progression de l’endettement. La rigueur budgétaire à marche forcée, conduite sous les injonctions de la Commission européenne, a donc été l’instrument de politique économique activé par la quasi-totalité des pays de la zone euro.

L’opportunité de cette stratégie qui a été engagée pour résoudre le problème de départ, celui de déficits excessifs en zone euro, doit cependant être discutée. Elle dépendait du diagnostic macroéconomique fait au sortir de la récession de 2008/09 qui conditionnait l’évaluation de la capacité de rebond spontané des économies. Car de cette capacité de rebond dépendait la fraction du déficit public à même de pouvoir se résorber spontanément par la reprise de la croissance.

Une partie des déficits pouvait se résorber d’elle-même

Le déficit public hors charge d’intérêts, ou déficit primaire, peut être subdivisé en deux composantes, une composante conjoncturelle et une composante structurelle. La composante conjoncturelle résulte des déviations cycliques du PIB autour de son potentiel, c’est-à-dire le niveau de PIB réalisable sans tensions inflationnistes avec les facteurs de production disponibles : en phase de ralentissement du PIB par rapport à sa croissance potentielle, et donc de creusement de l’écart de production, les recettes fiscales ralentissent et les dépenses publiques, notamment sociales, accélèrent. Il s’en suit un creusement spontané du déficit. Ce mécanisme d’autocorrection est dénommé « stabilisateurs automatiques » dans la théorie économique. L’autre composante du déficit est déduite de la précédente comme complémentaire du déficit total : c’est la composante délibérée, celle qui résulte de l’action de la politique économique. Discrétionnaire, cette composante ne peut être éliminée qu’en mettant en œuvre une politique symétrique à celle qui l’a fait naître, c’est-à-dire en conduisant une politique de rigueur. Elle a naturellement pour effet de freiner la reprise, mais la politique expansionniste menée durant la phase précédente a eu pour conséquence de soutenir l’activité. La politique budgétaire est ainsi un instrument de lissage du cycle économique.

La partie spontanée du déficit apparue à la suite de la récession de 2008/09 était appelée à se résorber automatiquement une fois la croissance revenue. Seule l’élimination de la composante discrétionnaire justifiait une politique restrictive. L’ampleur de l’effort à engager pour y parvenir renvoyait alors à la mesure de l’amplitude de l’écart de production qui conditionnait l’estimation du déficit conjoncturel et par déduction, celle du déficit délibéré.

De l’effet de la conjoncture sur l’évaluation du potentiel

La mesure du potentiel de production, dont découle le calcul de l’écart de production, est évidemment centrale si l’on veut calibrer au plus juste la restriction budgétaire nécessaire à l’élimination de la fraction du déficit qui ne peut l’être spontanément par la croissance. Mais les décideurs se heurtent ici à une difficulté majeure, celle du caractère non observable du potentiel qui, par conséquent, doit être estimé. Ici, les estimations sont loin de faire l’unanimité entre les économistes. De surcroît, au sein d’une même institution, les révisions périodiques peuvent être importantes, ce qui modifie le diagnostic porté et les mesures à mettre en place si cette institution a en charge la définition de normes contraignantes de politique budgétaire, comme c’est le cas de la Commission européenne (CE).

L’examen des révisions de la croissance potentielle calculée par la CE montre l’incertitude de cette estimation (voir dernière partie ci-dessous). Elle paraît en outre dépendre de la croissance courante, ce qui est pour le moins paradoxal pour l’estimation d’une fonction d’offre qui dépend de paramètres de long terme de l’économie comme la croissance de la population active, de la productivité et du stock de capital. Que la trajectoire de ces paramètres d’offre s’infléchisse un peu au gré des à-coups conjoncturels est justifiable, notamment au travers de l’investissement qui véhicule le progrès technique et assure la croissance du capital ou des pertes de capital humain générées par le chômage de longue durée. Mais que l’incorporation dans les estimations d’un phénomène conjoncturel, certes hors normes comme la récession de 2008/09, conduise à des révisions de la croissance potentielle de l’ordre de celle constatée entre le printemps 2008 et le printemps 2009 pose question. D’autant que ces révisions ont aussi affecté les années antérieures à la récession qui n’étaient pas concernées par la modification des conditions de l’accumulation. Par la suite, le redémarrage de la croissance en 2010 a conduit à des révisions de la croissance potentielle dans l’autre sens, y compris pour les années antérieures à la récession. Enfin, le retournement conjoncturel de 2011 a entraîné une nouvelle séquence de révisions, à nouveau à la baisse.

La rigueur auto entretenue

De cet affaissement de la croissance potentielle a résulté d’amples révisions à la baisse de l’écart de production estimé (graphique). Elles ne sont pas neutres pour calibrer la politique de consolidation budgétaire. Car à déficit donné, l’estimation d’un écart de production de -2 % par exemple pour 2010, contre près de -6 % sous l’hypothèse d’une poursuite de la trajectoire du PIB potentiel estimé avant la récession, accroissait la part du déficit structurel perçu et appelait une rigueur accrue. C’est bien ce qui est advenu en 2010 quand les plans de relance ont fait place à des plans de restriction budgétaire drastiques. Généralisés à l’ensemble des pays membres, ils ont cassé net la reprise naissante et ont précipité la zone euro dans une nouvelle récession.

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La trop grande sensibilité de l’estimation de la croissance potentielle à la croissance courante a précipité l’engagement des politiques de rigueur en zone euro et a, par la suite, poussé à l’accentuation de la restriction budgétaire. Car cette dernière, en déprimant l’activité, a stimulé les facteurs d’affaissement de l’offre par la destruction de capital, par le freinage de l’investissement et par la déqualification de l’offre de travail. Les capacités de rebond spontané des économies s’en sont trouvées amputées, ce qui ne pouvait conduire qu’à une augmentation de la part du déficit structurel dans le déficit total, et, finalement, à la nécessité d’accentuer la rigueur.

La purge budgétaire a donc entraîné une deuxième récession qui a invalidé les objectifs de réduction des déficits fixés au départ car les stabilisateurs automatiques ont à nouveau creusé la composante conjoncturelle des déficits. La rigueur, mal calibrée, était contre-productive et ne pouvait donc pas aboutir à l’objectif initial d’une réduction rapide des déficits. Les résultats obtenus sont loin d’avoir été à la hauteur des sacrifices consentis par les économies européennes.

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L’estimation du PIB potentiel de la zone euro par la Commission européenne

La récession de 2008/09 a conduit la Commission européenne à réviser assez nettement son estimation du potentiel de croissance des pays membres. Pour la zone euro dans son ensemble, le processus de révision a débuté entre le printemps 2008 et le printemps 2009, quand les effets de la crise financière se sont matérialisés sur l’activité réelle : l’entrée en récession de la zone euro au quatrième trimestre 2008 est associée à de fortes révisions à la baisse de la croissance potentielle pour les années 2008 et 2009, de -0,7 et -1,2 point respectivement (tableau). On constatera aussi des révisions sensibles relativement aux années plus anciennes, de -0,3 à -0,5 point pour les années 2004 à 2007. En revanche, aucune révision majeure n’apparaît entre les estimations du printemps 2009 et du printemps 2010, malgré le creusement du glissement annuel du PIB, signe que la modification du paysage conjoncturel avait déjà été intégrée dans les estimations.

Les révisions de la croissance potentielle ne se sont pas effectuées seulement à la baisse, mais également à la hausse quand la croissance a redémarré après la récession. Ainsi, entre le printemps 2010 et le printemps 2011, les révisions se sont-elles étalées de +0,1 à +0,3 point et ont concerné également les années lointaines. Enfin, une nouvelle séquence de révisions en baisse est intervenue avec le deuxième retournement conjoncturel en 2011. Les années antérieures à 2008 ont été peu modifiées, mais elles s’inscrivent dans un intervalle plus large pour les années 2008 à 2013, de -0,2 à -0,8 point, ce qui pour l’année 2012 revient à une division par deux et demi du rythme de croissance potentielle.

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L’effet de la croissance courante sur l’estimation de la croissance potentielle par la Commission européenne est ainsi évident. Il en résulte une forte variabilité de la croissance potentielle et donc des révisions importantes de l’écart de production, ce qui affecte les décisions de politique économique puisque le solde structurel dépend de cette évaluation.




Procédure de déficit excessif : que doit faire la Croatie ?

par Sandrine Levasseur

Que faire pour assainir les finances publiques lorsque tout (ou presque tout) semble déjà avoir été fait en matière de baisses des dépenses et de hausses d’impôts? Depuis la mi-novembre 2013, c’est ce problème délicat que le gouvernement de la Croatie tente de résoudre après qu’une procédure pour déficit excessif (PDE) a été lancée contre le pays. En quelques mots : la PDE signifie que le déficit public de la Croatie dépasse aujourd’hui les 3% du PIB, que le dépassement n’est ni exceptionnel ni temporaire et que, de ce fait, le gouvernement croate se doit de prendre des mesures afin de respecter à terme la fameuse norme des « 3 % ».

Le 28 Janvier 2014 constitue une nouvelle étape pour le gouvernement croate puisque le Conseil de l’UE lui proposera un délai afin de faire repasser son déficit en dessous des 3% du PIB ainsi que des montants annuels moyens de réduction du déficit sur la période. En outre, le Conseil de l’UE invitera officiellement le gouvernement croate à proposer des mesures concrètes afin de réduire son déficit public à moins de 3 % du PIB.

Le problème auquel est confronté le gouvernement croate n’est pas simple car les mesures proposées ne doivent pas davantage mettre à mal l’économie du pays. Actuellement, la reprise en Croatie est timide et encore très incertaine. Le taux de chômage se situe à un niveau élevé (16,5% de la population active). Le pays est l’un des membres les plus pauvres de l’UE : son PIB par tête équivaut à 62 % de celui de l’UE-28.

Le Briefing Paper n°6 présente une liste de mesures qu’un pays de l’UE sous PDE peut envisager lorsqu’il se trouve dans la nécessité d’assainir ses finances publiques. Pour chaque mesure, nous présentons tout d’abord, dans des termes généraux, les principaux arguments en faveur  et contre. Puis, nous discutons de la pertinence de chaque mesure pour la Croatie. Cette liste de mesures est appropriée pour tout type de pays de l’UE, qu’il soit avancé dans son processus de développement ou moins avancé. Plus généralement, cette liste peut être utilisée pour tout pays confronté à un problème de finances publiques et dans la nécessité d’y apporter une solution.

Dans le cas de la Croatie, trois mesures (sur sept) nous semblent particulièrement pertinentes :

– les concessions de services publics;

– la privatisation de certaines entreprises publiques ;

– une meilleure collecte de l’impôt.

A l’opposé, des mesures telles que la baisse des salaires dans le secteur public ou celle des taux d’imposition sur les sociétés ne nous semblent pas appropriées pour assainir les finances publiques de la Croatie.

Revenons sur les mesures que nous préconisons. Les deux premières mesures sont liées à la nécessité de restructurer les entreprises publiques, celles dont la gestion est inefficace[1]. Notamment, les entreprises publiques qui ne sont ni des monopoles naturels, ni d’une importance stratégique (par exemple dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture) pourraient être privatisées. La privatisation des autres entreprises publiques devrait être envisagée avec davantage de prudence, mais pas exclue. La Croatie est le premier pays à adhérer à l’UE avec une part d’entreprises publiques aussi élevée (25%). A long terme, les privatisations stimuleront la croissance économique du pays. A court terme, cependant, des coûts en termes de licenciements ne peuvent être exclus du processus de restructurations.

Les concessions de services publics sont une autre façon de restructurer les entreprises publiques inefficaces. L’impact sur les finances publiques en est, toutefois, très différent. Les contrats de concession de services constituent une source régulière de revenus pour le gouvernement (par le biais des redevances de concessions) et/ou d’économies (par la baisse des subventions gouvernementales). En revanche, les privatisations procurent des fonds disponibles immédiatement, et potentiellement, d’un montant important.

Recommander une restructuration des entreprises publiques en Croatie n’est pas une nouveauté. A plusieurs reprises, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Commission européenne ont déclaré que le processus des privatisations ou des concessions de services devrait être accéléré. Actuellement, le gouvernement croate participe activement à l’accélération du processus, en particulier pour les concessions de services. Parmi les concessions récentes, citons l’aéroport de Zagreb et le port de Rijeka tandis que le gouvernement a ouvert la procédure d’appels d’offre pour les autoroutes croates et l’île de Brijuni.

Les citoyens croates sont loin d’être tous favorables au processus de restructuration. Sans aucun doute, la communication auprès du grand public doit être améliorée. Notamment, les autorités budgétaires doivent expliquer ce qu’elles font, pourquoi elles le font, et quels seront à long terme les avantages de leurs actions. Sinon, les privatisations et concessions de services continueront d’être perçues comme des cadeaux au secteur privé. Enfin, le processus de restructuration doit impérativement être contrôlé pour éviter des abus et conflits d’intérêts. Cela signifie donc aussi qu’une lutte active contre la corruption soit menée[2].

Une meilleure collecte de l’impôt est la troisième mesure que nous préconisons en vue de réduire le déficit public de la Croatie. Selon l’Institut des finances publiques, les recettes fiscales non perçues en Croatie s’élèvent (en cumul) à 40 milliards de kunas (ou 5,2 milliards d’euros), ce qui représente plus de deux fois le déficit public prévu pour 2014 (19,3 milliards de kunas). Si le gouvernement pouvait en collecter ne serait-ce qu’une partie, cela aiderait à renflouer les finances publiques… En Croatie, améliorer la collecte de l’impôt signifie plusieurs choses étroitement liées: lutter contre l’économie souterraine (puisque les revenus non déclarés sont des revenus non taxés), poursuivre judiciairement la fraude fiscale (sinon, les lois et procédures ne sont d’aucune utilité). Là encore, améliorer la collecte de l’impôt signifie lutter contre la corruption.

Plus de détails peuvent être trouvés à l’adresse: http://www.ofce.sciences-po.fr/en/publications-en/briefing.php

 


[1] On pourra consulter Cuckovic, Jurlin et Vuckovic (2011) pour une évaluation des services publics croates.

[2] La corruption est, de fait, un problème endémique en Croatie. Voir Antonin et Levasseur (2012).




Fusionner RSA-activité et PPE ?

par Guillaume Allègre

Suite à la remise du rapport d’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le premier ministre a réaffirmé la volonté du gouvernement de fusionner RSA-activité et PPE.

Comme les auteurs du rapport le rappellent, en 2014, les dépenses publiques consacrées à ces deux mesures vont diminuer pour la quatrième année consécutive pour atteindre 3,9 milliards d’euros (contre 4,5 en 2009). Ceci est dû au gel de la PPE. Au départ, celui-ci était justifié par la mise en place du RSA-activité : le financement de la lutte contre la pauvreté laborieuse a bien pesé de façon disproportionnée sur les classes populaires, bénéficiaires de la PPE, comme nous le dénoncions dès 2008 (« Faut-il sacrifier la prime pour l’emploi sur l’autel du revenu de solidarité active ? ») puis de nouveau en 2011 ( «Les échecs du RSA » ). Dans un deuxième temps, le gel de la PPE a pu être justifié par celui, simultané, de l’impôt sur le revenu (IR) : il n’est pas illégitime que toutes les catégories participent, selon leurs moyens, à la réduction des déficits publics. Toutefois, sous fond de discours sur le « ras-le-bol fiscal », le gouvernement a renoncé au gel du barème de l’IR sans toucher à celui de la PPE, qui pourtant est un crédit venant se déduire de l’IR. Ceci pourrait être lié à la volonté de diminuer le nombre de perdants faisant suite à une réforme visant à fusionner RSA-activité et PPE.

En effet, comme le souligne la note de l’OFCE n°33 parue en septembre 2013, RSA-activité et PPE sont des dispositifs très différents (le RSA-activité est une prestation sociale familialisée tandis que la PPE est un crédit d’impôt individualisé), s’adressant à des publics différents. Une fusion à crédits constants ferait nécessairement des perdants pour un avantage très incertain, la prime d’activité proposée dans le rapport Sirugue ne répondant pas aux principales critiques adressées au RSA-activité et à la PPE.

Une autre stratégie est possible. Concernant la PPE, elle consiste à supprimer cet instrument, à augmenter le Smic d’autant et à réduire les cotisations patronales de façon à ne pas augmenter le coût du travail. Le bénéfice serait alors directement sous forme de salaire et non, avec un délai d’un an, sous forme de crédit d’impôt comme aujourd’hui.

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Pour en savoir plus : Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre

 




Lettonie : adieu lats, bonjour euro

par Céline Antonin

Le 1er janvier 2014, deux ans après son voisin estonien, la Lettonie deviendra le 18e pays membre de la zone euro. Du point de vue européen, l’entrée de la Lettonie, qui ne pèse que 0,2 % du PIB de la zone euro, dans le « club de l’euro » peut sembler anecdotique. Cette intégration est avant tout un symbole politique ; elle vient couronner les efforts budgétaires et monétaires consentis par le pays, durement touché par la crise de 2008-2009 qui a amputé son PIB de près d’un cinquième.

Dans l’urgence, fin 2008, le pays avait demandé une aide internationale au FMI et à l’Union européenne, laquelle lui avait été accordée en échange d’un plan d’austérité drastique. Cette aide internationale, de l’ordre de 7,5 milliards d’euros, avoisinait alors 1/3 de son PIB. De ce fait, la dette publique a fortement progressé entre 2007 et 2012, passant de 9 % à 40 % du PIB. Le pays a dû se résoudre à mettre en œuvre une purge budgétaire afin de renforcer sa compétitivité et de réduire son déficit public, en baissant drastiquement les dépenses publiques, les salaires et les pensions de retraite. Cette stratégie de dévaluation interne a conduit à une forte désinflation, ce qui a permis à la Lettonie de remplir l’objectif de stabilité des prix du MCE II (graphique). Conformément à l’avis du FMI, elle a tenu bon sur son objectif d’adhérer rapidement à la zone euro en refusant catégoriquement d’utiliser l’arme de la dévaluation externe pour sortir de la crise. Ainsi, elle a poursuivi sa politique de change fixe par rapport à l’euro, ininterrompue depuis le 1er janvier 2005.

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En 2011, la croissance est revenue, essentiellement tirée par la demande externe des pays nordiques et de la Russie. Quant au déficit public, il est passé de 9,8 % du PIB en 2009 à 1,3 % en 2012. Les taux d’emprunt sur le marché obligataire ont baissé, ce qui a permis au pays de n’emprunter que 4,4 milliards d’euros (sur les 7,5 milliards d’euros prévus) et de rembourser sa dette au FMI avec trois années d’avance). La dette publique s’est donc stabilisée autour de 40 %. En outre, la Lettonie a respecté la cible d’inflation sur la période de référence pour décider de son adhésion ou non à la zone euro. Ce sont ces éléments qui ont conduit l’Union européenne à donner son feu vert en juin 2013.

L’arrivée de la Lettonie est-elle purement anecdotique ? Pas tout à fait. Tout d’abord, la Lettonie n’a pas encore effacé les stigmates de la crise ; en 2012, le PIB était inférieur, en termes réels, à son niveau de 2007. En outre, si le taux de chômage a été quasiment divisé par deux depuis 2009, il représente encore 11,9 % de la population active et surtout, sa baisse est en partie liée à une forte émigration. Mais surtout, comme l’a souligné la BCE dans son rapport sur la convergence, près d’un tiers des dépôts bancaires (pour un montant de 7 milliards d’euros) sont détenus par des non-résidents, notamment originaires de Russie. A l’instar de l’exemple chypriote, cela fait peser un fort risque sur la stabilité bancaire en cas de crise, avec de potentielles fuites de capitaux. A l’heure où le projet d’Union bancaire achoppe sur l’hétérogénéité des systèmes bancaires en zone euro, cela nous montre, une fois encore, que la logique d’intégration économique est décidément bien difficile à concilier avec les choix politiques d’élargissement. Que ce soit à l’échelle de la zone euro ou à l’échelle de l’Union européenne, il est temps pour l’Europe de faire un choix clair entre ces deux logiques antagonistes.

 




Le casse-tête budgétaire américain

Par Christine Rifflart

Avant le 13 décembre prochain, le Budget Conference Committee doit présenter les résultats de ses discussions lancées à la suite du shutdown et de la crise de la dette du mois d’octobre 2013. L’objectif des négociations : permettre le vote du Budget 2014 au Congrès, dont l’année fiscale a démarré le 1er octobre dernier[1] et trouver une alternative aux coupes automatiques dans les dépenses du gouvernement fédéral qui devraient s’appliquer au 1er janvier 2014. Un accord ne semble pas hors d’atteinte. Même si l’opposition entre républicains et démocrates reste vive, la raison devrait l’emporter et le risque d’une nouvelle crise budgétaire semble exclu. Au pire, une nouvelle Continuing Resolution[2] sera votée permettant le fonctionnement des institutions et laissant l’arbitraire des coupes budgétaires automatiques dans les dépenses structurelles conduire la politique du gouvernement. Au mieux, les négociations aboutiront à des coupes raisonnées sur ces dépenses, voire à des hausses de certaines recettes qui assoupliront alors la violence de l’ajustement, violence amplifiée par l’arrivée à terme de mesures exceptionnelles de soutien aux revenus et à l’activité prises au cœur de la crise.

Les marges de négociations sont étroites. Sur l’année fiscale 2013, le déficit de l’ensemble du secteur public atteint 7 % du PIB – après 12,8 % sur l’année fiscale 2009, et le déficit du gouvernement fédéral affiche 4,1 % du PIB – après 9,8 %. La dette fédérale représente actuellement 72,7 % du PIB et continue d’augmenter. Par ailleurs, la croissance reste faible : 2,2 % en moyenne annuelle depuis la reprise de 2010 et 1,8 % attendu en 2013, et surtout insuffisante pour redynamiser le marché de l’emploi. Dès lors, comment mener une politique budgétaire de soutien à la croissance sur fond de rigueur budgétaire, de réduction des déficits et surtout de respect des engagements antérieurement actés par le Congrès[3],notamment du Budget Control Act of 2011 ? A la suite de la crise du plafond de la dette fédérale en juillet 2011, le président Obama signait le 2 août 2011 le Budget Control Act of 2011 qui conditionnait le relèvement du plafond de la dette fédérale à une réduction massive des dépenses publiques sur 10 ans. En plus de l’introduction de plafonds sur les dépenses discrétionnaires[4], 1200 milliards de dollars de coupes automatiques (sequestrations) dans les dépenses ont été prévus sur la période 2013-2021 selon un principe de parité entre les budgets de la défense et hors défense. Ont été exemptés un certain nombre de programmes sociaux (assurance vieillesse, programme Medicaid, garanties de revenu…) tandis que les coupes du programme Medicare, destiné aux personnes âgées, ont été limitées à 2 %. Au total, les coupes s’appliquent sur un peu moins de la moitié des dépenses du gouvernement fédéral et représentent 109 milliards par an d’économies réalisées sur le déficit, soit 0,6 % du PIB.

Sur l’année fiscale 2014, selon le CBO, la combinaison de ces deux mesures (dépenses discrétionnaires plafonnées et coupes automatiques dans les budgets non protégés) ainsi que la reconduction du montant des crédits de 2013 à 2014 (donc un budget constant en nominal), conduisent à des coupes dans les dépenses discrétionnaires de 20 milliards de dollars qui devront être intégralement supportées par le Pentagone. Sur cette base, si les coupes sont maintenues, les dépenses discrétionnaires des budgets de la défense et hors défense auront baissé respectivement de 17 % et 17,8%, en termes réels entre 2010 et 2014.

Mais en plus de ces coupes brutales, d’autres programmes, dont ceux principalement destinés aux ménages à bas revenus, vont connaître en 2014 une réduction de leur budget du fait de l’arrivée à échéance des mesures exceptionnelles dont ils bénéficiaient jusqu’alors. Ainsi, le programme d’extension de l’allocation chômage créé le 30 juin 2008 pour les chômeurs ayant épuisé leurs droits (Emergency Unemployment Compensation) se termine au 1er janvier 2014. Cet arrêt devrait frapper 4 millions de personnes si rien n’est envisagé.

C’est également le cas du programme SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program) qui avait bénéficié dans le cadre de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 de ressources supplémentaires qui se sont éteintes au 1er novembre dernier. Or,47,7 millions de bénéficiaires (soit 15 % de la population) ont reçu des bons alimentaires cette année. Selon le CBPP, cette baisse de 7 % des ressources du programme devrait se traduire par un recul de 4 millions du nombre de bénéficiaires.

Autre exemple, le programme des aides au logement pour les 2,1 millions de familles qui ne peuvent se loger dignement devrait être affecté lui aussi par l’arrivée à échéance des rallonges budgétaires instituées en 2009 et les coupes automatiques. Si les budgets ne sont pas reconduits, entre 125 000 à 185 000 des familles bénéficiaires à la fin 2012 ne percevront plus les aides à la fin 2014.

Selon les informations actuellement disponibles, un accorda minima du Budget Conference Committee semble se dessiner. Les coupes dans le budget de la défense pourraient être validées[5] tandis que d’éventuelles hausses de redevances de services publics permettraient de financer des rallonges budgétaires pour certains programmes sociaux, et d’alléger l’impact des coupes automatiques. En avril dernier, le Président Obama avait présenté devant le Congrès son Projet de Budget 2014. Il proposait à l’époque de supprimer les procédures de coupes automatiques, de réduire à long terme la dette par une vaste réforme budgétaire, et à plus court terme, de différer une partie des restrictions budgétaires 2014 sur les années fiscales 2015 et 2016 afin de soutenir la croissance. L’accord qui sera vraisemblablement présenté au Congrès d’ici le 13 décembre ne devrait pas avoir cette ambition. Face aux républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) partisans d’économies supplémentaires, les démocrates (majoritaires au Sénat) vont avoir du mal à défendre une hausse des dépenses publiques en 2014 et empêcher que la politique budgétaire soit aussi pénalisante pour la croissance cette année qu’elle ne l’a été en 2013.

 


[1] A défaut d’avoir été adopté par le Congrès, le budget 2014 est depuis le 16 octobre financé par une Continuing Resolution (voir note 2) sur la base des montants du budget 2013.La résolution agit rétroactivement à partir du 1er jour de l’année fiscale 2014, soit le 1er octobre 2013, et jusqu’au 15 janvier 2014.

[2] Une Continuing Resolution est une résolution provisoire adoptée par le Congrès qui permet de reconduire les crédits alloués l’année fiscale précédente à l’année fiscale en cours, en attendant que soient votés les nouveaux crédits.

[3] Selon le CBPP, si l’on considère l’ensemble des mesures de réduction du déficit prises depuis 2010 dans le Budget 2011, le Budget Control Act of 2011 et l’American Taxpayer Relief Act de 2012, l’impact cumulé sur le déficit serait de 4000 milliards sur la période 2014-2023, soit l’équivalent de 24 % du PIB de 2013.

[4] Les dépenses discrétionnaires (33 % des dépenses fédérales) sont les dépenses dont les budgets sont votés sur une base annuelle à la différence des dépenses obligatoires (61 %) qui sont assises sur des programmes faisant l’objet d’une loi antérieure. La politique budgétaire du gouvernement, côté dépenses, est principalement assise sur l’évolution des dépenses discrétionnaires, qui sont des dépenses structurelles.

[5] Les dépenses liées à la défense ont déjà baissé de 13,1 % en termes réels, entre le troisième trimestre 2010 et le troisième trimestre 2013.




De l’austérité à la stagnation

Par Xavier Timbeau

Depuis 2010, la Commission européenne publie chaque année une « revue annuelle de la croissance », Annual Growth Survey en anglais, pour alimenter le semestre européen pendant lequel les gouvernements et les parlements des Etats membres, la Commission, la société civile doivent discuter et élaborer les stratégies économiques des différents pays européens. Il nous a paru important de participer à ce débat en publiant au même moment que la Commission une revue indépendante annuelle de croissance (indepedent Annual Growth Survey ou iAGS) en collaboration avec l’IMK, institut allemand et l’ECLM, institut danois. Ainsi, dans l’iAGS 2014, nous évaluons le coût de l’austérité menée depuis 2011. Menée alors que les multiplicateurs budgétaires étaient très élevés, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, cette politique d’austérité a été suivie simultanément par la plupart des pays de la zone euro. Il en a résulté un PIB amputé de 3,2% en zone euro pour 2013. Une stratégie alternative, aboutissant aux mêmes ratios de dette sur PIB dans 20 ans (soit 60% dans la plupart des pays) aurait été possible en ne cherchant pas à réduire les déficits publics à court terme, lorsque les multiplicateurs sont élevés. La baisse du chômage, le rétablissement des bilans des agents ou encore la sortie de la trappe à liquidité sont les conditions pour que les multiplicateurs budgétaires soient à nouveau bas. Un ajustement réduit mais continu, stratégie tout aussi rigoureuse sur le plan budgétaire mais plus adaptée à la situation économique, aurait permis de bénéficier de 2,3% points de PIB en plus en 2013, soit bien plus que dans la situation d’austérité brutale dans laquelle nous sommes. Ainsi, il n’y aurait pas eu de récession en 2012 ou en 2013 pour la zone euro dans son ensemble (voir le graphique ci-dessous : PIB en millions d’euros).   IMG_Post-9-12 Il est souvent avancé que la situation des finances publiques des pays de la zone euro ne laissait pas de choix. En particulier, la pression des marchés a été telle que certains pays ont craint, comme la Grèce par exemple, de perdre l’accès aux financements privés de leur dette publique. Les montants en jeu et une situation de déficit primaire sont avancés pour justifier cette stratégie brutale afin de convaincre à la fois les marchés et les partenaires européens. Pourtant, la crise des dettes souveraines, et donc la pression des marchés, s’est achevée dès lors que la Banque centrale européenne a annoncé qu’aucun pays ne quitterait l’euro, puis a mis en place un instrument, l’OMT (Outright Monetary Transaction) qui permet, sous condition, de racheter des titres de dette publique des pays de la zone euro et donc d’intervenir pour contrer la défiance des marchés (voir une analyse ici). Dès lors, ce qui compte, c’est la soutenabilité de la dette publique à moyen terme et non plus la démonstration dans l’urgence que l’on peut faire accepter n’importe quelle politique aux populations. Or cette soutenabilité nécessite une politique d’ajustement continu (parce que les déficits sont élevés) et modéré (parce que les politiques budgétaires ont un impact majeur sur l’activité). En choisissant la voie dure de l’austérité, nous avons payé le prix fort de l’incohérence institutionnelle de la zone euro que la crise a révélée. Dans l’iAGS 2014, nous pointons d’autres coûts que la perte d’activité due à cette austérité. D’une part, les inégalités augmentent et la pauvreté ancrée, c’est-à-dire mesurée à partir des revenus médians de 2008, s’accroît de façon considérable dans les pays les plus touchés par la récession. Le niveau élevé du chômage entraîne certains pays (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) dans la déflation salariale. Cette déflation salariale se traduira par des gains de compétitivité-coût mais, en retour, conduira leurs partenaires à s’engager aussi sur la voie de la déflation salariale ou de la dévaluation fiscale. Au total, l’ajustement des taux de change effectifs ne se produira pas, ou à un rythme si lent que ce sont les effets de la déflation qui domineront, d’autant que l’appréciation de l’euro ruinera les espoirs d’une compétitivité accrue par rapport au reste du monde. L’effet principal de la déflation salariale sera un alourdissement réel (ou rapporté au revenu) de la dette privée et publique. Cela remettra au centre de l’actualité les défauts massifs, publics comme privés, ainsi que les risques d’éclatement de la zone euro. Pour autant, on peut sortir du piège de la déflation. Des pistes sont développées et chiffrées dans l’iAGS 2014. En réduisant les écarts de taux souverains, on peut donner une marge de manœuvre importante aux pays en crise. La continuation de l’action de la BCE, mais aussi un engagement crédible des Etats membres pour stabiliser leurs finances publiques en sont les leviers. L’investissement public a été réduit de plus de 2 points de PIB potentiel depuis 2007. Ré-investir dans le futur est une nécessité, d’autant que les infrastructures non entretenues coûteront très cher à reconstruire si on les laisse s’effondrer. Mais c’est aussi un moyen de stimuler l’activité sans compromettre la discipline budgétaire, puisque celle-ci doit être appréciée non pas par l’évolution de la dette brute mais par celle de la dette nette. Enfin, le salaire minimum doit être utilisé comme instrument de coordination. Nos simulations montrent qu’il y a là un moyen de freiner les processus déflationnistes et de résorber les déséquilibres courants si les pays en excédent s’engagent à ce que leur salaire minimum augmente plus vite en termes réel que leur productivité et qu’au contraire dans les pays en déficit, le salaire minimum augmente moins vite que la productivité. Une telle règle, qui respecterait à la fois les pratiques nationales en matière de négociation salariale, ainsi que les niveaux de productivité ou les spécificités des marchés du travail, permettrait de réduire graduellement les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro.




Aux sources du redressement productif

par Jean-Luc Gaffard

Les entreprises françaises, dans nombre de secteurs, ont dû faire face à une hausse relative des coûts unitaires du travail, à une baisse relative du prix de la valeur ajoutée et à une baisse des taux de marge, signifiant, pour beaucoup d’entre elles, qu’elles sont fortement concurrencées et relativement peu compétitives en prix faute d’avoir suffisamment innové et investi dans le passé. Le résultat a été, au cours de la dernière décennie, une perte de substance significative du tissu industriel et une aggravation du déficit des échanges extérieurs. La question du redressement productif est clairement posée. Elle dépasse le périmètre des industries manufacturières pour englober l’ensemble des activités susceptibles de répondre à une demande d’échelle suffisamment grande et organisée sur une base industrielle[1].

Il est de sens commun de considérer que la solution réside dans la capacité renouvelée de ces entreprises à innover, à exporter et tout simplement à croître, bref dans la capacité de retrouver ou d’acquérir la compétitivité hors prix qui leur fait défaut. La difficulté à laquelle elles sont confrontées tient à ce que leur manque de compétitivité-prix les conduit à rechercher des baisses immédiates de coût au détriment d’investissements innovants. Face à cette difficulté, les responsables de la politique économique doivent résoudre un réel dilemme : soit prendre des mesures de concurrence fiscale, sociale, voire salariale en vue de rétablir la compétitivité-prix des entreprises au risque d’affaiblir encore la demande globale et finalement de peser négativement sur leurs chiffres d’affaires, soit conserver le système de prélèvements en vigueur au risque de priver ces mêmes entreprises des moyens pour investir et innover.

Certes, le consensus du moment nie l’existence d’un tel dilemme. La neutralité présumée de la monnaie et du budget, couplée avec la flexibilité des marchés de biens et du travail, est censée permettre à l’économie de retrouver le chemin d’une croissance régulière et stable. Les entreprises, rassurées par l’équilibre retrouvé des comptes publics et libérées de contraintes réglementaires excessives, auraient de nouveau toute latitude pour investir.

Ce consensus véhicule une vision réductrice du fonctionnement des économies de marché. Le modèle de concurrence parfaite, qui fait ici référence, décrit un monde où les entreprises réagissent aux seuls signaux de prix envoyés par des marchés de biens et de facteurs dont le fonctionnement est immunisé contre tout pouvoir exercé par l’un ou l’autre des protagonistes sur ces marchés. De quelque manière, c’est ce que signifie l’hypothèse de marchés financiers efficients dont la fonction est de discipliner entreprises et Etats. La réalité est tout autre. Les marchés sont naturellement et nécessairement imparfaits. Les entreprises développent des stratégies de prix, de production et d’investissement qui répondent à cet environnement de marché en même temps qu’elles contribuent à le façonner. Aussi importe-t-il de reconnaître cette réalité avant d’essayer de définir des politiques économiques adaptées.

Les sources de la compétitivité des entreprises

Dans une économie industrielle de marché, la croissance des entreprises procède de l’innovation, autrement dit de leur capacité d’acquérir une compétitivité hors prix plus robuste et plus pérenne qu’une simple compétitivité-prix. L’innovation, technologique ou organisationnelle, visant la création de nouveaux produits, voire de nouveaux services, ou l’exploration de nouveaux marchés, implique, toutefois, un détour de production. Du temps est nécessaire pour construire une nouvelle capacité de production avant de pouvoir l’utiliser et en tirer bénéfice. Généralement, cette nouvelle capacité a un coût de construction plus élevé que celui du simple remplacement de la capacité existante. Des coûts additionnels doivent être supportés avant que les revenus additionnels correspondants puissent être perçus. Une perte de compétitivité, en principe temporaire, est manifeste. Elle peut se traduire par des hausses de prix courants (des anciens produits) si la hausse de coûts devait être immédiatement répercutée ou, plus vraisemblablement, par des baisses de taux de marge. La performance de la production des biens ou services existants se trouve être négativement affectée par le choix d’innover[2].

Dans ce contexte, il reste nécessaire pour l’entreprise de rester compétitive en prix à court terme afin de ne pas perdre de parts de marché significatives par rapport à ses concurrents. C’est au regard de cette exigence immédiate que la question des coûts du travail est posée. Elle l’est singulièrement au sein de la zone euro quand, en l’absence de possibles ajustements par le taux de change, les différences légales et réglementaires en matière sociale et fiscale créent de réelles distorsions de concurrence. Quand, également, la fragmentation internationale de la production, en fait la délocalisation de segments de la production dans des pays où les salaires sont moindres à qualifications identiques, assure aux entreprises qui en ont la capacité ou l’opportunité un avantage en termes de coûts répercuté sur le prix des produits, sur les taux de marge et le volume des investissements.

Conserver ou retrouver une compétitivité-prix immédiate ne saurait, toutefois, suffire. Encore faut-il que les entreprises soient effectivement incitées à innover. Or quand les investissements, y compris les investissements intangibles, sont irréversibles et quand l’information sur la configuration future du marché n’est pas immédiatement disponible, il est difficile pour les entreprises de s’engager. Elles ne peuvent fonder leur décision sur les seuls signaux de prix. Elles doivent pouvoir être en mesure de sécuriser leurs investissements en acquérant une connaissance suffisante du marché futur, c’est-à-dire non seulement de la taille de la demande, mais aussi de celle des offres concurrentes et complémentaires. Il s’agit de faire en sorte que les investissements concurrents ne dépassent pas un certain seuil et que les investissements complémentaires atteignent un certain seuil. Ce n’est possible que grâce à des pratiques qu’il faut bien considérer comme monopolistes, lesquelles renvoient à différentes formes de connexions entre les entreprises concernées[3]. Pareille stratégie organisationnelle met en scène, non pas une entreprise en particulier, mais un réseau d’entreprises, véritable écosystème mariant souvent dimension locale et capacité de se projeter vers l’extérieur. Le propre de ces réseaux est de concilier concurrence et coopération. Les pratiques qualifiées d’imperfections de marché deviennent ici des incitations à innover. Elles concourent à délimiter les frontières de l’entreprise les mieux adaptées au choix d’innover.

Ce qui est vrai des investissements en capital physique l’est tout autant des investissements en capital humain. Ces investissements ont un temps de gestation qui n’est autre que le temps d’apprentissage. Ils participent de la construction des nouvelles capacités productives. Leurs produits doivent être sécurisés. Les relations de travail propres à l’entreprise et les réseaux constitués entre entreprises y contribuent. La stabilité de la relation de travail, qui lie le salarié à l’entreprise, est un facteur décisif de l’apprentissage et de la conservation des acquis professionnels. La mobilité des salariés entre entreprises en est un autre. Cette mobilité permet à chaque entreprise de tirer parti de ce qu’un salarié a appris dans une autre entreprise qui développe le même type de compétences. Elle est source d’une hausse des salaires. Elle n’est possible que si les entreprises sont en situation de concurrence monopolistique.

La difficulté même d’innover, quand les investissements sont irréversibles et l’information de marché incomplète, nécessite de pouvoir accéder à un financement qui permet de combler l’écart entre le profil des coûts et celui des recettes, mais surtout de disposer d’un engagement financier long, c’est-à-dire de relations financières stables ou du contrôle du capital. Le problème que rencontre la plupart des entreprises innovatrices tient à ce que les actifs créés ne sont pas facilement redéployables (y compris les actifs intangibles). Cette contrainte, qui justifie de se donner les moyens organisationnels d’acquérir une information de marché crédible, requiert en même temps de pouvoir bénéficier d’un soutien financier constant.

Objectifs et moyens d’une politique de redressement productif

Identifier ainsi les stimulants de la croissance des entreprises devrait orienter les politiques à mettre en œuvre, réductibles ni à la politique de la concurrence, ni à la politique industrielle. Ces politiques concernent le fonctionnement des différents marchés (marchés de biens, marchés du travail, marchés du crédit et marchés financiers). Elles font usage d’une multiplicité d’instruments et se situent à différents niveaux géographiques.

La politique industrielle doit se donner pour objectif de stimuler la coopération entre entreprises, y compris entre entreprises concurrentes et, plus largement, de concourir à la formation d’écosystèmes associant entreprises, banques et établissements de recherche. Il n’est pas question, ici, de désigner a priori des produits ou des technologies ni même des territoires à promouvoir, mais de contribuer à créer les conditions de marché qui incitent les entreprises à investir dans les directions qui leur paraissent les plus prometteuses. Les critères retenus pour les subventions versées ou les allègements fiscaux consentis devraient répondre à cet objectif, forcément plus complexe que celui, récemment mis en avant, consistant à cibler des secteurs où la concurrence est forte[4]. C’est ce à quoi les financements des pôles de compétitivité devraient être dédiés, ainsi que les autres formes d’aides publiques.

La politique industrielle a une dimension régionale, tant il est vrai que les entreprises ont une tendance à s’agglomérer pour bénéficier d’effets externes, et notamment d’effets d’apprentissage s’agissant non seulement des connaissances technologiques, mais aussi des connaissances de marché. Cet état de fait rencontre la volonté des collectivités locales d’aider à la création de clusters. Il n’y a cependant aucune évidence que ces collectivités disposent de l’information nécessaire, ni qu’ils ne peuvent pas être capturés par des lobbys. La concurrence entre elles peut s’avérer dispendieuse si elle consiste en une concurrence fiscale qui peut sans doute améliorer la situation des uns mais au détriment des autres et affecter négativement la performance globale. La question des compétences, du nombre et de la taille des collectivités locales est nécessairement posée.

La politique de concurrence n’est pas un substitut à la politique industrielle. Elle doit se conformer au même objectif qui est de faire la part entre concurrence et coopération. Dans cette perspective, le rôle qui devrait lui être reconnu est de sanctionner les imperfections et distorsions nuisibles à l’innovation et de valider celles qui lui sont utiles. Le traitement retenu pour les accords de coopération en R&D est significatif de cette exigence. Il ne saurait être exclusif. D’autres types d’accord doivent pouvoir échapper au droit commun de la concurrence.

La politique du marché du travail doit se donner pour objectif de renforcer les voies et moyens d’enrichissement des compétences. En tout premier lieu, il s’agit  de créer les conditions de stabilisation de la relation de travail, source d’apprentissage pour les salariés et de conservation des compétences acquises pour les entreprises. Ces conditions relèvent sans doute du contrat de travail lui-même, mais elles sont aussi indissociables de la constitution de ces agglomérations ou clusters que sont les réseaux d’entreprises innovantes. Ces réseaux constituent des marchés « locaux » du travail au sein desquels la mobilité des travailleurs entre entreprises est éventuellement bénéfique à tous les partenaires en termes de maîtrise de nouvelles compétences. Par ailleurs, il conviendrait de mettre fin à des mécanismes incitatifs qui concourent à pérenniser le fait de privilégier des emplois peu ou pas qualifiés. Enfin, les conditions légales et réglementaires permettant aux entreprises de maintenir l’emploi en cas de difficultés temporaires (i.e. le recours au chômage partiel) devraient être renforcées

La politique bancaire doit se donner pour objectif de créer des relations stables entre entreprises et institutions financières. Les banques dites de relation, qui rassemblent des informations sur les emprunteurs, ont des coûts plus élevés que ceux des banques à l’acte, mais elles présentent aussi l’avantage de fournir des ressources aux entreprises rencontrant des problèmes de liquidité liés aux caractéristiques du cycle de l’innovation. De fait l’intermédiation classique augmente le taux de croissance de l’économie et réduit sa volatilité à long terme, au contraire d’un financement par le marché[5]. Aussi importe-t-il de recentrer le système financier sur l’intermédiation classique, spécialement sur le crédit aux entreprises, et de revenir à une forme de séparation entre les deux types d’activité, de façon à ce que l’octroi de crédits aux entreprises échappe aux conséquences des aléas indissociables de l’activité marché[6].

La politique fiscale doit se donner un double objectif. L’objectif à court terme est d’alléger le coût du travail en diminuant le taux des contributions sociales des employeurs et en augmentant la taxe sur la valeur ajoutée. L’objectif à moyen terme est de pénaliser les activités improductives, celles dont la contribution à la croissance pose question. Dans cette perspective, il faut sans doute taxer les services financiers et faire un plus grand usage des taxes sur la richesse et la transmission de la richesse comme le recommande le Fonds Monétaire International. L’enjeu d’une réforme fiscale, sans préjudice des formes que peut prendre sa mise en œuvre, est double : d’une part, favoriser la production de biens et services à caractère industriel et échangeables dans le commerce international, d’autre part, engager une redistribution des revenus et des richesses dans le but d’accroître la demande potentielle de ces biens et services.[7]

Le redressement productif est un enjeu majeur pour l’économie française aujourd’hui prise en étau entre l’économie allemande et l’économie espagnole. Il passe par une réorientation de l’ensemble des politiques qui affectent et orientent le comportement des entreprises bien au delà des entreprises du secteur manufacturier, et qui ne sont réductibles ni à la recherche de la baisse des coûts, ni à la promotion de nouvelles technologies, ni au respect des règles de la libre concurrence.

 


[1] Sur la nature de l’organisation industrielle voir chapitre 4 de l’ouvrage de N. Georgescu-Roegen, 1971, The Entropy Law and the Economic Process, Cambridge Mass., Harvard University Press.

[2] Voir C. M. Christensen, 1997, The Innovator’s Dilemma, Harvard, Harvard Business School Press.

[3] G. B. Richardson, 1990, Information and Investment, Oxford, Clarendon Press. G. B Richardson, 1998, The Economics of Imperfect Knowledge, Cheltenham, Edward Elgar.

[4] P. Aghion, M. Dewatripont, L. Du, A. Harrison et P. Legros, 2012), “Industrial Policy and Competition”, NBER Working Paper 18048.

[5] Bolton P., X. Freixas, L. Gambacorta, et P. E. Mistrulli, 2013, Relationship and Transaction Lending in a Crisis, BIS Working Paper, n° 17.

[6] T. Beck, 2013, Finance and Growth : Too Much of a Good Thing, Vox eu.

J.-P. Pollin et J.-L. Gaffard, 2013, Pourquoi faut-il séparer les activités bancaires?, Note de l’OFCE, n° 36.

[7] Keen M., 2013 : Tax Policy in (and for) Hard Times, Vox eu http://www.voxeu.org/article/tax-policy-hard-times#.Um7TETxwZzA.gmail

IMF, 2013 : Fiscal Monitor, Taxing Times, World Economic and Financial Surveys http://www.imf.org/external/pubs/ft/fm/2013/02/fmindex.htm




Le mythe de la réforme fiscale

par Henri Sterdyniak

Le Premier ministre a annoncé, le 19 novembre,  qu’il suspendait la mise en place de l’écotaxe et mettait en chantier une grande réforme fiscale. Celle-ci est souvent évoquée dans le débat public, sans que son contenu et ses objectifs soient bien identifiés. En fait, des projets contradictoires sont présentés.

Certains préconisent une forte réduction des impôts, qui serait susceptible de dynamiser l’économie française, en incitant les actifs à travailler davantage, les ménages à épargner, les entreprises à investir et à embaucher, ce qui rendrait la France plus compétitive.  Mais il faudrait diminuer encore plus les dépenses publiques, alors que le gouvernement s’est déjà engagé à les baisser de 70 milliards d’ici 2017. Quelles dépenses veut-on précisément réduire ? Il faudrait diminuer fortement les prestations sociales, ce qui n’est pas compatible avec le maintien du modèle social français. Certains veulent transférer la charge de la protection sociale des entreprises vers les ménages. Ainsi, le Medef réclame une baisse de 100 milliards de la fiscalité des entreprises. Ceci supposerait une nouvelle et forte hausse des impôts pesant sur les ménages, donc un effondrement de la consommation. La France doit-elle s’engager dans cette direction, doit-elle relancer la concurrence fiscale en Europe par la baisse des revenus des ménages ?

D’autres proposent de répartir plus équitablement la charge fiscale entre revenus du travail et du capital et d’augmenter le caractère redistributif de la fiscalité. Mais la France est déjà l’un des pays du monde les plus redistributifs, qui taxe le plus les hauts revenus, les patrimoines importants et les revenus du capital. Ceux-ci sont déjà fortement taxés, à la suite des hausses pratiquées par les gouvernements Fillon, puis Ayrault.

Certains proposent de faire la chasse aux niches fiscales et sociales, d’élargir les assiettes et de diminuer les taux. Mais, n’est-ce pas oublier le rôle incitatif de la fiscalité ? De nombreux dispositifs, même complexes, sont légitimes pour des raisons d’équité (comme le quotient familial) ou d’incitation à l’emploi (comme les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, les exonérations pour la garde des jeunes enfants) ou d’aide aux travailleurs pauvres (comme la PPE) ou autres incitations (comme l’exonération des dons aux œuvres, des cotisations syndicales). Certes, il existe quelques revenus non-taxés comme certains revenus du capital (l’assurance-vie, les PEA), ou comme les plus-values non-réalisées (mais il est difficile d’imposer des gains simplement potentiels), ou comme les loyers implicites (ceux dont bénéficient les personnes qui logent dans un appartement dont ils sont propriétaires), mais qui osera y toucher ? Il s’agit  davantage d’un travail patient de démantèlement des niches, d’ailleurs bien engagé depuis quelques années, que d’une grande réforme.

Rendre notre fiscalité plus écologique est certes une ardente obligation. Mais existe-t-il vraiment un double dividende en emplois et en écologie ? Le gain écologique n’a-t-il pas un coût en emplois, en pouvoir d’achat, en compétitivité ? Peut-on augmenter notre fiscalité écologique sans un accord mondial aujourd’hui peu probable ? La taxation écologique est obligatoirement compliquée si on veut éviter de (trop) frapper les agriculteurs, l’industrie, les plus pauvres, les régions périphériques, les rurbains, etc. C’est ce que nous enseignent les échecs de la taxe carbone (en 2009) ou de l’écotaxe (en 2013).

Certes, il faut lutter contre l’évasion fiscale des plus riches et des grandes entreprises, mais ceci passe surtout par une harmonisation fiscale européenne, qui n’est pas sans danger si elle oblige la France à s’aligner sur le moins-disant fiscal en matière d’impôt sur la fortune (ISF), d’impôt sur les sociétés (IS) ou d’impôt sur le revenu (IR).

Une réforme fiscale de grande ampleur, à prélèvements obligatoires constants, fait nécessairement des gagnants et des perdants. Il faudrait dire clairement qui seront ces perdants : les retraités, les propriétaires de leur logement, les épargnants ?

Un projet miracle a ainsi resurgi : la fusion de l’IR et de la CSG. Mais ni les modalités, ni les objectifs de cette fusion ne sont précisés. Elle se heurte d’abord à l’opposition de principe des syndicats qui voient défavorablement la fusion d’un impôt d’Etat avec la CSG dont le produit est directement affecté à la protection sociale. La réforme irait dans le sens d’une étatisation des branches maladie et famille (surtout, si en même temps, une partie des cotisations employeurs étaient fiscalisées), avec le risque que les prestations sociales deviennent des variables d’ajustement des finances publiques.

La CSG pèse actuellement davantage sur les salariés que sur les titulaires de revenus de remplacement. Une fusion CSG-IR sans compensation spécifique pourrait  donc être très coûteuse pour les retraités et les chômeurs, et en particulier les plus pauvres qui actuellement ne payent ni CSG ni IR. En sens inverse, les revenus du capital supportent aujourd’hui une taxation totale – CSG-CRDS-Prélèvement sociaux – de 15,5%, nettement plus que les 8% supportés par les salariés. Certes, on peut estimer que ceci compense le fait que, par définition, ils ne supportent pas de cotisations employeurs. Mais, on le voit, la comparaison des prélèvements sur des revenus différents n’est pas si facile.

La fusion pourrait être l’occasion de remettre en cause les différents dispositifs qui ont entraîné progressivement le rétrécissement de l’assiette de l’IR, en particulier certaines niches fiscales. Mais, certaines de ces dépenses fiscales sont indispensables et il faudra les remplacer par des subventions explicites ou les maintenir dans l’impôt fusionné. La fusion ne règle pas en elle-même le problème des revenus exonérés aujourd’hui, que ce soit les loyers implicites ou certaines plus-values.

Certains souhaitent fusionner tous les dispositifs aidant les plus pauvres (RSA, PPE, Allocation logement) dans un impôt négatif géré par l’administration fiscale, en oubliant la nécessité d’un suivi détaillé, personnalisé et en temps réel que permet la gestion par la Caisse d’allocation familiale (CAF).

Le législateur devra trancher la question de la familialisation ou de l’individualisation de l’impôt ainsi fusionné. C’est une question importante : l’Etat doit-il ou non reconnaître le droit aux individus de mettre en commun leurs revenus et de les partager avec leurs enfants ? Mais, faut-il lancer ce débat aujourd’hui ? Mettre en cause le caractère familial de notre fiscalité est-il l’urgence de l’heure ?  L’individualisation impliquerait les transferts de charge les plus importants, notamment au détriment des familles mono-actives ou des familles des classes moyennes. A taux constant, elle impliquerait une forte hausse de poids des impôts portant sur les ménages. Une réduction uniforme des taux serait fortement anti-redistributive, en particulier au détriment des familles et en faveur des célibataires sans enfants. L’individualisation devrait obligatoirement s’accompagner d’une forte augmentation des prestations en faveur des enfants (en particulier des familles nombreuses). On aboutirait alors à un système plus redistributif en faveur des familles pauvres, mais les familles aisées seraient perdantes, ce qui pose des questions délicates d’équité horizontale.

Se pose aussi la question du mode de prélèvement. On ne peut passer à un système simple de prélèvement à la source sans réduire fortement le caractère familial et progressif du système français. L’entreprise n’a pas à connaître les revenus du conjoint de son salarié ou ses autres revenus.  La réforme permettrait de prélever à la source une première tranche de l’IR (de 20 % par exemple), en y ajoutant des abattements (un abattement individuel, éventuellement un abattement pour conjoint sans ressources, un abattement pour enfants). Le solde serait prélevé (ou remboursé) l’année suivante, sur rôle. Le système ne serait guère simplifié. Contrairement à ce que répète Thomas Piketty, la fusion CSG-IR n’est pas la pierre de touche de la réforme fiscale.

Ne peut-on craindre que l’évocation de la réforme fiscale ne soit un leurre, masquant le refus de s’attaquer aux problèmes effectifs de l’économie française : la difficulté à s’insérer dans la nouvelle division internationale du travail, la croissance des inégalités de revenus primaires provenant de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie, l’incapacité des pays développés, et surtout de la zone euro, à trouver une nouvelle dynamique de croissance après la crise financière ?

Le problème n’est sans doute pas tant la structure de la fiscalité, mais l’erreur de politique économique faite, au niveau de la zone euro, d’ajouter l’austérité budgétaire au choc dépressif induit par la crise financière et, au niveau français d’augmenter la fiscalité de 3 points de PIB depuis 2010 (soit de 60 milliards d’euros) pour combler un déficit public induit uniquement par la récession.

Le système fiscal français prélève 46 % du PIB ; les dépenses publiques primaires en représentent 50%. En même temps, la France est l’un des rares pays développés où les inégalités de revenus ne se sont pas fortement accrues dans la période récente. Notre fort niveau de dépenses publiques et sociales constitue un choix de société qu’il faut maintenir ; le système fiscal français est déjà fortement redistributif. Certes, certaines réformes sont nécessaires pour améliorer encore sa redistributivité, pour le rendre plus transparent et plus acceptable socialement. Cependant, c’est au niveau même de la formation des revenus primaires que l’essentiel se joue. Il n’y a pas de réforme miracle : le système actuel, produit d’un long processus de compromis économique et social, est difficile à améliorer.




Courbe du chômage : pas d’inversion en vue

Par Bruno Ducoudré

Le gouvernement a annoncé une inversion de la courbe du chômage pour la fin de l’année 2013. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à la fin du mois de septembre à Pôle Emploi a augmenté de 60 000. Pour le mois d’août, il avait diminué de 50 000, sous l’effet principalement d’un « bug » sur l’envoi des sms qui avait entraîné une hausse exceptionnellement forte du nombre de cessations d’inscriptions pour défaut d’actualisation (+72 000 par rapport au mois précédent). Une hausse des inscriptions pour le mois de septembre due à la réinscription de ces chômeurs indûment désinscrits, était donc attendue. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A a ainsi augmenté de 10 000 entre juillet et septembre 2013, poursuivant sa hausse mais sur un rythme plus modéré qu’en début d’année. Ces fortes variations à très court terme du nombre d’inscrits à Pôle Emploi ne permettent pas de se faire une idée précise des tendances à venir sur le front de l’emploi et du chômage. Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2014, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’octobre 2013, suggère qu’aucune amélioration notable du chômage n’est à attendre d’ici la fin de l’année 2014.

Pour tenter d’inverser la courbe du chômage, le gouvernement a programmé une montée en charge rapide des emplois aidés dans le secteur non marchand (Emplois d’avenir, Contrats Uniques d’Insertion – Contrats d’Accompagnement dans l’Emploi (CUI-CAE)). A ces dispositifs viennent s’ajouter le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et les contrats de génération dans le secteur marchand, dont les effets sur l’emploi commenceront à se faire sentir en 2014. L’ensemble de ces mesures pour l’emploi permettrait une stabilisation du taux de chômage fin 2013/début 2014, les destructions d’emplois se poursuivant dans le secteur privé jusqu’à la fin de l’année. Le taux de chômage repartirait ensuite à la hausse jusqu’en fin d’année 2014, les créations d’emplois dans le secteur non marchand étant insuffisantes pour absorber la hausse de la population active.

Rétrospectivement, la première inversion de la courbe du chômage a débuté en 2010 pour être interrompue en 2011, le chômage repartant à la hausse sous le coup des politiques d’austérité budgétaire successives. Le taux de chômage a repris sa course vers les sommets atteints en 1997, passant de 9,1% début 2011 à 10,5% au deuxième trimestre 2013 (Graphique 1). Après une mauvaise année 2012 (66 000 emplois détruits), la dégradation du marché du travail s’est poursuivie au premier semestre 2013, les destructions d’emplois dans le secteur marchand continuant au même rythme que celui observé au deuxième semestre 2012 (-28 000 emplois en moyenne chaque trimestre). Le nombre de chômeurs a donc poursuivi sa progression (+113 000 personnes). Pour tenter de mettre fin à cette spirale infernale et inverser la courbe du chômage, le gouvernement mise à court terme sur la montée en charge du dispositif des emplois d’avenir et sur l’augmentation du stock de CUI-CAE.

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Ainsi, l’introduction progressive des emplois d’avenir s’est traduite par 31 566 embauches entre janvier et août 2013 en France métropolitaine. On s’attend au total à 70 000 embauches en 2013 et 70 000 en 2014 en France métropolitaine. Il existe cependant un effet d’aubaine pour ce type de dispositif : 20 % des emplois créés dans le cadre des emplois d’avenir l’auraient été, même en l’absence de la subvention selon Fontaine et Malherbet (2012). L’impact net attendu est donc de 56 000 créations d’emploi en 2013 et en 2014. L’impact de ces créations d’emploi sera d’autant plus important qu’il s’agit de contrats longs (1 à 3 ans). Les personnes recrutées en 2013 seront encore en emploi en 2014, et les créations d’emplois d’avenir de 2014 constitueront bien des créations nettes d’emplois.

Concernant les CUI-CAE, le nombre de contrats budgétés en début d’année 2013 était le même qu’un an auparavant (340 000 pour la France entière dont 310 000 pour la France métropolitaine), dont 50% sur le premier semestre. Afin d’obtenir une inversion de la courbe du chômage en fin d’année, le gouvernement Ayrault a annoncé en juin 2013 une rallonge de 92 000 contrats dans le secteur non-marchand. Cela porte à 262 000 le nombre de signatures de contrats au second semestre, et 432 000 sur l’année. Comme pour l’année 2013, 340 000 contrats sont prévus dans le Projet de Loi de Finances pour l’année 2014, mais l’enveloppe budgétaire est gonflée de près de 20%, ce qui permettra de financer une hausse du stock de CUI-CAE. Celui-ci augmenterait jusqu’au premier semestre 2014, et atteindrait 250 000 fin 2014. Le gouvernement réactive ainsi le traitement social du chômage par un recours accru aux emplois aidés de courte durée (7 à 12 mois), mais à un niveau comparable à celui atteint en 2007 et en 2010.

Par contre, les destructions d’emplois dans le secteur marchand seront encore importantes jusqu’à la fin d’année 2013 du fait de la présence de sureffectifs dans les entreprises (voir notre dernier exercice de prévisions d’octobre 2013). Les emplois aidés dans le secteur non marchand (+82 000 au dernier trimestre 2013 par rapport au dernier trimestre de l’année précédente) permettront néanmoins de stabiliser le taux de chômage autour de 10,6% fin 2013 début 2014.

 

 

 

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L’emploi total recommencerait à augmenter en 2014 (+41 000 emplois), soutenu par créations d’emplois aidés dans le secteur non marchand, mais aussi par la montée en charge du CICE et des contrats de génération. Ouvert à toutes les entreprises, le CICE sera égal à 6 % de la masse salariale, hors cotisations patronales, correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC. Selon l’évaluation réalisée par Mathieu Plane (2012) à l’aide du modèle e-mod.fr, le CICE diminuerait en moyenne de 2,6 % le coût du travail dans le secteur marchand, ce qui donnerait lieu à des créations d’emplois, à la fois en favorisant la substitution du travail au capital, et grâce aux gains de compétitivité. Au total, le CICE créerait en 2018, soit cinq ans après sa mise en place, 152 000 emplois et permettrait ainsi une baisse du taux de chômage de 0,6 point. A l’horizon de notre prévision, il créerait 46 000 emplois, soit deux fois moins que la prévision du gouvernement (91 000).

Le contrat de génération vise à la fois le chômage des jeunes (moins de 26 ans) et celui des seniors (plus de 57 ans). Il consiste en la création d’un CDI pour un jeune, lié à la promesse de non-licenciement d’un senior sur une période de 5 ans. En contrepartie de cet engagement, l’entreprise recevra une subvention forfaitaire allant jusqu’à 4 000 euros par an pendant 3 ans. Le risque de ce type de mesure est de générer des effets d’aubaine importants[1]. Au total, la mesure aboutirait à 99 000 créations d’emplois dans le secteur marchand pour la signature de 500 000 contrats de génération sur l’ensemble du quinquennat. En septembre 2013, 10 000 contrats de génération ont déjà été signés. Sous l’hypothèse d’une montée en charge progressive d’ici la fin 2013 (20 000 contrats signés), et de 100 000 contrats signés en 2014, cela correspondrait à une création nette de près de 4 000 emplois en 2013 et d’environ 20 000 emplois en 2014.

Le chômage poursuivrait malgré tout sa hausse au cours de ces deux années (+174 000 personnes en 2013 et +75 000 en 2014 par rapport au trimestre de l’année précédente), du fait d’une population active toujours dynamique (+116 000 en 2014 après +83 000 en 2013) et d’une absence de créations nettes d’emplois dans le secteur marchand (cf. tableau ci-dessus). Compte tenu des emplois aidés dans le secteur non marchand et des dispositifs dans le secteur marchand, le taux de chômage en France métropolitaine se stabiliserait provisoirement à 10,6% au quatrième trimestre 2013, et remontrait progressivement à 10,9% de la population active en France métropolitaine fin 2014. Il dépasserait d’ici la fin de l’année 2014 le pic historique atteint au premier semestre 1997 (soit 10,8% de la population active), sans perspective d’inversion de la tendance à l’horizon de notre prévision. Néanmoins, hors effets de la politique de l’emploi, le taux de chômage aurait progressé nettement plus, pour atteindre 11,6% fin 2014 (graphique 2).

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[1] Voir la Note de l’OFCE de juillet 2012 sur « l’Évaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017 ». Les entreprises profiteront de ces aides, y compris pour des emplois qu’elles auraient créés même en l’absence de la mesure. Les modalités de mise en œuvre devraient limiter cet effet d’aubaine : les aides liées à la mise en place du contrat de génération seront ainsi réservées aux entreprises de moins 300 salariés. Les entreprises de plus de 300 salariés, où le risque d’effet d’aubaine est le plus important, seront contraintes de mettre en place le dispositif sous peine de sanctions financières. Par ailleurs, le montant forfaitaire de 2 000 euros correspond à une exonération totale des charges patronales au niveau du SMIC, et dégressive en proportion du salaire au-delà. Cela permet donc de limiter l’effet d’aubaine, dans la mesure où l’élasticité de l’emploi au coût du travail est plus élevée pour les bas salaires.