Sur l’ensemble de l’année 2023, la croissance a atteint 2,9 % après 2,5 % en 2022. Dans le même temps, l’inflation a nettement reflué passant de 5,4 % en décembre 2022 à 2,6 % un an plus tard. Peut-on en déduire que la Réserve fédérale a réussi son pari de ramener progressivement l’inflation vers sa cible sans provoquer de récession ? La dynamique de l’inflation fut en partie liée à celle des prix de l’énergie et aux contraintes d’approvisionnement et ce sont ces mêmes facteurs qui expliquent aussi la baisse. Par ailleurs, la politique budgétaire a contribué à soutenir l’activité en 2023, compensant donc les effets négatifs du resserrement monétaire. En 2025, l’inflation poursuivrait sa convergence vers la cible de la Réserve fédérale si bien que les taux devraient continuer de baisser. Pour autant, les effets des hausses de taux passées pèseraient encore sur l’activité en 2024. En 2025, l’orientation de la politique budgétaire dépendra du scrutin de novembre. Mais quelle que soit l’issue du scrutin, aucun candidat ne prévoit de mesures de réduction des déficits. La croissance serait cependant moins forte (1,6 %) sous l’hypothèse d’une impulsion neutre ce qui aura aussi pour conséquence la poursuite de l’augmentation de la dette publique.
1 La croissance ne s’essouffle pas
Contrairement aux pays européens, les États-Unis ont été plutôt épargnés par la crise énergétique en 2022, notamment parce qu’ils ont été peu touchés par l’augmentation du prix du gaz1. Ainsi, les ménages américains ont maintenu leurs dépenses de consommation grâce à une dynamique des salaires relativement favorable et en continuant à puiser dans l’épargne accumulée en 2020 et 2021.
1 De plus, comme les États-Unis sont également producteurs de pétrole et de gaz, les hausses de prix génèrent des revenus venus de l’extérieur.
1.1 Soutien par la demande privée et publique
Aux premier et deuxième trimestre, la croissance s’est maintenue sur un rythme similaire à celui observé en 2023. La progression du PIB de respectivement 0,4 et 0,7 % porte l’acquis de croissance pour l’année 2024 à 2,4 %. L’activité est toujours soutenue par la demande intérieure privée et publique. Au premier semestre, le revenu disponible nominale des ménages a nettement augmenté. Malgré les faibles créations d’emploi, la masse salariale progresse en lien avec l’évolution du salaire nominal par tête de 3,3 % au cours du semestre. Dans un contexte de recul de l’inflation, le pouvoir d’achat des ménages s’est amélioré de 2,0 % sur le semestre si bien que malgré une hausse de 0,7 point du taux d’épargne entre fin 2023 et mi-2024, la consommation des ménages a néanmoins augmenté de 1,3 % sur le premier semestre. Le taux d’investissement productif privé se maintient sur un plateau autour de 14 % du PIB en valeur depuis début 2023, retrouvant le niveau atteint avant la pandémie et contribue également positivement à la croissance pour 0,2 et 0,1 point respectivement lors des deux premiers trimestres (graphique 2). Depuis début 2023, l’investissement non-résidentiel privé a progressé de 1,8 % en moyenne par trimestre. Le CHIPS Act voté fin 2022 a permis de stimuler via des subventions et des crédits d’impôts les dépenses de recherche et la construction ou l’extension d’usines pour la fabrication de semi-conducteurs. Côté ménages, le fort rebond en investissement-logement observé depuis le deuxième trimestre 2023 a marqué un coup d’arrêt au deuxième trimestre avec un recul de 0,7 %.
Au-delà des transferts ou des réductions d’impôts qui ont soutenu le revenu des ménages en 2020-2021 et en 2023, la politique budgétaire américaine s’est également traduite par une hausse des dépenses de consommation et d’investissement. Alors qu’elles augmentaient de 0,1 % en moyenne trimestrielle sur la période 2011-2019, elles ont progressé de 0,4 % depuis 2020 avec notamment un rebond de l’investissement public qui passe de 0,1 % en moyenne sur la période pré-COVID à 0,7 % après 2020 contre 0,1 %. Depuis début 2023, l’augmentation des dépenses publiques est notamment marquée pour l’investissement des Etats et collectivités locales. Au deuxième trimestre 2024, se sont également les dépenses d’investissement militaire qui ont le plus fortement augmenté. Pour autant, le taux d’investissement public – 3,7 % au deuxième trimestre – reste inférieur à son niveau moyen de 4,1 % observé entre 2001 et 2011.
Corollaire de cette forte demande intérieure, la contribution du commerce extérieur à la croissance a été négative : respectivement -0,2 et -0,3 point lors des deux premiers trimestres. Le taux de pénétration – défini comme le ratio des importations de biens et services sur la demande intérieure hors stocks – a augmenté de 0,3 point en 6 mois et les exportations ont progressé moins vite que la demande mondiale, qui était de surcroît peu dynamique.
1.2 Marché du travail : une hausse inattendue du chômage
Malgré le dynamisme de l’activité, le taux de chômage a augmenté de 0,8 point entre juillet 2023 et juillet 2024 ce qui pourrait confirmer le signal envoyé par la pente de la courbe des taux depuis le début du cycle de resserrement de la politique monétaire2. En effet, selon une analyse menée par Claudia Sahm (2019)3, une hausse de la moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage de plus de 0,5 point par rapport au niveau minimum observé au cours des douze derniers mois coïncide avec le début des phases de récession. Ce seuil a été franchi au mois de juillet 2023. Ces signaux doivent cependant être interprétés avec prudence dans la mesure où il s’agit plus de régularités statistiques que d’une causalité. La hausse récente du taux de chômage ne traduit de fait pas une dégradation de l’activité économique puisque la croissance s’est élevée à 0,8 % en moyenne trimestrielle depuis mi-2023, soit un niveau plus haut que le taux de croissance du potentiel estimé par le CBO (Congressional Budget Office), qui s’élève à 0,5 %. La décomposition de l’activité montre que les créations d’emploi n’ont pas été au rendez-vous et donc que la croissance du PIB est liée à celle de la productivité. Par ailleurs, la population active a augmenté de 0,8 % en glissement annuel entre juillet 2023 et juillet 2024 contre 1,9 % sur les douze mois précédents. Notons enfin que le taux de chômage a baissé ensuite revenant à 4,1 % de la population active en septembre.
2 De nombreux travaux ont effet montré que l’inversion de la pente de la courbe des taux représentée par l’écart entre le taux public à 10 ans et le taux public à 3 mois (ou à 2 ans) est un indicateur avancé (à 12 mois) de récession aux Etats-Unis. Voir Blot & Heyer (2019) pour une analyse plus détaillée.
3 Voir « Direct Stimulus Payments to Individuals. » In Recession Ready: Fiscal Policies to Stabilize the American Economy, report produced by The Hamilton Project, eds. Heather Boushey, Ryan Nunn, and Jay Shambaugh, pp. 67–92
Pour autant, après un pic de tensions sur le marché du travail en fin d’année 2021 et en début d’année 2022, on observe une réduction des offres d’emploi ainsi que celle des démissions qui est passé d’un pic à 3,3 % de l’emploi à 2,3 %. De fait, les sorties du marché du travail liées à des licenciements ou des fins de contrat ont effectivement augmenté tandis que les démissions ont baissé (graphique 3). En juillet 2024, le ratio du nombre de chômeurs sur emplois vacants retrouve le niveau de la fin d’année 2019 moment où l’activité se situait selon le CBO au-dessus du potentiel. L’estimation actuel est également celle d’un écart de croissance positif. Ces éléments corroborent plutôt l’idée d’une phase haute du cycle. La crainte d’une récession semble donc peu fondée ce qui n’exclut cependant la possibilité d’un ralentissement d’ici la fin de l’année.
1.3 L’inflation : convergence de plus en plus lente
Même si l’augmentation des prix de l’énergie – et en particulier celle du prix du gaz – fut de moindre ampleur aux Etats-Unis qu’en zone euro, les ménages américains n’ont pas été épargnés par l’inflation. D’une part, la composante énergie de l’indice des prix augmentait quand même de plus de 40 % en glissement annuel mi-2022. D’autre part, l’épisode inflationniste fut également marqué par la forte demande de biens en 2021 dans un contexte de contraintes d’approvisionnement mondial, ce qui s’est notamment traduit par une augmentation record du prix des automobiles neuves et d’occasion, 23 % en glissement annuel en janvier 2022 (graphique 4). Ces tensions se sont largement atténuées ce qui a ramené l’inflation sous la barre des 3 % depuis novembre 2023 pour le PCE (déflateur de la consommation) ou juin 2024 pur l’IPC (indice des prix à la consommation). La contribution des prix de l’énergie est désormais négative (-0,2 point au troisième trimestre 2024) si bien que l’inflation est surtout d’origine domestique, notamment alimentée par le prix des services. Ainsi, l’indice de coût du logement qui pèse pour plus de 36 % de l’indice augmente encore de 4,8 % en septembre 2024 et celui des services de santé et de transport de respectivement 3,6 et 6,5 %4. La baisse globale du sous-jacent se poursuit néanmoins mais à un rythme plus lent. Alors que l’inflation sous-jacente avait baissé de 2,5 points en septembre 2022 et septembre 2023, la baisse a été inférieure à un point sur les douze mois suivants.
4 Il s’agit ici du poids dans l’indice CPI.