Après une année 2023 marquée par la faible croissance des pays européens, le premier semestre 2024 suggère une amélioration. Celle-ci reste néanmoins insuffisante, si bien que l’écart d’activité se creuse avec l’économie américaine, qui continue de croître à un rythme plus élevé. Pour autant, la situation sur le marché du travail européen ne s’est pas détériorée puisque le chômage est resté stable malgré le contexte morose. Inversement, la dégradation observée sur les 12 derniers mois outre-Atlantique a alimenté les craintes d’un ralentissement de l’activité américaine. Parallèlement, l’inflation recule de part et d’autre de l’Atlantique plus rapidement que ce qui avait été anticipé à la faveur de la baisse des prix de l’énergie et d’un ralentissement de la hausse des prix alimentaires. Malgré une situation géopolitique toujours tendue, les prix du gaz et du pétrole ne devraient pas connaître de nouvelles flambées comparables à celles observées en 2021-2022. Les taux d’inflation devraient donc continuer à converger vers la cible de 2 % des banques centrales.
Nous prévoyons la fin de l’épisode inflationniste qui avait touché l’économie mondiale à partir de 2021 ce qui permettra la poursuite de l’assouplissement monétaire déjà amorcé par les banques centrales. Pour autant, les effets favorables de la baisse des taux d’intérêt sur la croissance ne se matérialiseraient qu’à partir de 2025. Par ailleurs, le soutien monétaire à la croissance pourrait aussi être en partie contrecarré par un tour de vis budgétaire. Le débat sur la soutenabilité des dettes publiques s’intensifie notamment en Europe et les gouvernements s’engagent sur la voie de la réduction des déficits publics. Paradoxalement, alors que le déficit public est bien plus dégradé outre-Atlantique qu’en zone euro, le thème reste peu présent dans la campagne présidentielle américaine.
Après la crise Covid puis la crise énergétique, l’Europe verra-t-elle enfin le bout du tunnel ou sera-t-elle à nouveau rattrapée par le démon de la consolidation budgétaire qui viendrait freiner la demande intérieure ? Le cycle de croissance aux États-Unis peut-il se poursuivre et sera-t-il toujours alimenté par une politique budgétaire pro-cyclique ? Les chocs passés – principalement énergie et monétaire – vont s’estomper progressivement et la politique monétaire apporterait même un soutien à la croissance en 2025. Pour autant, il n’y aurait pas d’accélération de l’activité. La croissance mondiale baisserait même en 2024 (3,1 %) et 2025 (3,0 %) par rapport à l’année 2023 où elle a atteint 3,3 %. L’accélération de l’activité en Europe viendrait prendre le relais de l’atterrissage en douceur de l’économie américaine et du ralentissement de l’économie chinoise.
1 L’écart se creuse toujours entre l’Europe et les États-Unis
En 2023, la croissance de la zone euro et du Royaume-Uni était largement inférieure à celle des États-Unis : respectivement à 0,5 % et 0,9 % en moyenne annuelle contre 2,9 % (tableau 2)1 . Cette différence s’explique en partie par les effets de l’augmentation du prix du pétrole et du gaz européen observée depuis le début de l’année 2022. Malgré le maintien de certaines mesures budgétaires de soutien aux ménages ou aux entreprises, la demande intérieure est restée atone en Europe alors qu’elle a été plus dynamique aux États-Unis. La hausse des prix de l’énergie a été moins importante outre-Atlantique, le prix du gaz américain n’ayant pas augmenté autant qu’en Europe, et les ménages ont continué à consommer l’épargne qu’ils avaient accumulée pendant la crise sanitaire.
1 La moyenne trimestrielle de la croissance du PIB était même négative en 2023 au Royaume-Uni et nulle en zone euro.
De plus, la politique budgétaire américaine est restée expansionniste ce qui s’est traduit par une dégradation du déficit public de près de 4 points de PIB en 2023 alors qu’il se stabilisait dans la zone euro dans son ensemble. Cet écart dans l’orientation de la politique budgétaire a également contribué à amortir l’effet négatif des hausses de taux de politique monétaire sur l’activité aux États-Unis. Alors que le Japon a connu une forte croissance sur les deux premiers trimestres 2023, le PIB a ensuite nettement marqué le pas en lien avec un fort recul de la consommation des ménages à partir du deuxième trimestre, qui s’explique par une baisse de près de 3 % du pouvoir d’achat du revenu disponible sur l’ensemble de l’année, du fait de l’inflation.
Le premier semestre 2024 indique un rebond timide de l’activité en zone euro puisque le PIB a progressé de 0,3 et 0,2 % en rythme trimestriel. Mais cette dynamique ne permet pas de réduire l’écart qui s’est creusé avec les États-Unis à la sortie de la crise de la Covid et qui s’est accentué depuis mi-20222. Aux premier et deuxième trimestres, la croissance outre-Atlantique s’est effectivement élevée à 0,4 et 0,7 %. Au deuxième trimestre 2024, le PIB de la zone euro dépasse celui de l’année 2019 de 4 %, contre 12,1 % aux États-Unis (graphique 1).
2 Pour une analyse plus détaillée de la divergence entre les États-Uni et la zone euro, voir le Policy Brief n°130.
Le constat est identique pour le Royaume-Uni, malgré un début d’année 2024 plus favorable. Une partie de ces écarts résulte cependant des différences de dynamique de la croissance de la population active et de la productivité. Les différences sont moins importantes lorsque l’on compare le PIB du deuxième trimestre 2024 à celui qui aurait été observé dans une situation contrefactuelle où, depuis la fin de l’année 2019 il aurait progressé à un rythme de croissance tendancielle. Il ressort cependant que la situation américaine reste relativement plus favorable.
Les écarts de PIB font aussi apparaître une importante hétérogénéité entre les pays européens. La situation de l’Allemagne est particulièrement critique avec un PIB qui n’est que 0,3 % au-dessus de celui de 2019 et un écart négatif au PIB contrefactuel de 5,5 %. Inversement, l’Italie semble dans une situation plus favorable. La croissance post-pandémie (depuis le premier trimestre 2021) a atteint 0,8 % en moyenne trimestrielle alors que l’OCDE prévoyait en 2019 une croissance proche de 0 %3.
3 Ce qui correspond de fait à la croissance trimestrielle moyenne observée entre début 2011 et fin 2019.
Au-delà des différences d’évolution du PIB, on observe aussi une hétérogénéité des contributions à l’activité entre l’Europe et les États-Unis (graphique 2). Depuis 2019, le principal moteur de la croissance américaine a été la demande intérieure et en particulier la consommation des ménages qui a contribué pour près de 10 points à la hausse du PIB. Cette même contribution a été inférieure à 1 point au Royaume-Uni et s’est élevée à 1,2 point dans la zone euro. De fait, la reprise post-Covid en zone euro a plutôt été tirée par le commerce extérieur tandis qu’outre-Manche les dépenses publiques ont été la principale contribution à la croissance. Aux États-Unis, le revenu disponible des ménages a été soutenu par la politique de transferts mise en oeuvre d’abord par l’administration Trump puis Biden qui s’est traduite par des gains de revenu disponible importants. À partir de 2022, l’activité et l’emploi ont progressivement ralenti mais les salaires ont augmenté plus rapidement outre-Atlantique, ce qui a continué à soutenir le revenu et la consommation des ménages. Par ailleurs, le taux d’épargne des ménages américains est resté inférieur à son niveau de 2019 : 4,1 % en moyenne entre le premier trimestre 2022 et le deuxième trimestre 2024 contre 7,3 % en 2019 traduisant la consommation de la sur-épargne accumulée en 2020 et 2021. A l’inverse des ménages américains, les Européens n’ont pas utilisé cette surépargne COVID. En effet, le taux d’épargne moyen de la zon euro et du Royaume-Uni sur la même période se situe respectivement 0,7 point et 1,7 point au-dessus du niveau de 2019.