Entrée des jeunes dans la vie active : quelles évolutions de leurs trajectoires professionnelles ces vingt dernières années ?

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Par Xavier Joutard

Les premières années de vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les trajectoires professionnelles des jeunes sortant pour la première fois du système éducatif.

Cela peut concerner la « Génération de 2010 », c’est-à-dire les jeunes sortis du système de formation en 2010. Ces jeunes sont entrés sur un marché du travail ayant subi la Grande récession de 2008. Moins de 3 ans après, ils ont été confrontés à une nouvelle crise, celle des dettes souveraines européennes, et ont ensuite continué à évoluer sur un marché du travail très dégradé.

De plus, cette génération, davantage diplômée que les précédentes, se retrouve au cœur de transformations plus structurelles du marché du travail : évolution des pratiques de recrutement avec l’explosion des embauches sur contrats courts, nouvelles vagues d’innovations technologiques liées à la numérisation et l’intelligence artificielle, tertiarisation croissante des activités économiques, etc. 

Par rapport aux jeunes de la « génération de 1998 », ayant eu la chance de s’insérer dans une conjoncture plus favorable, quels résultats peut-on mettre en avant en comparant leurs trajectoires professionnelles, au cours de leurs premières années sur le marché du travail ? Peut-on observer des différences selon le genre et les niveaux de formation ?

Un accès à l’emploi à durée indéterminée plus tardif et moins fréquent pour les jeunes hommes les moins diplômés de 2010

À l’aide des enquêtes Génération du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), on a reconstitué et comparé les trajectoires d’insertion de jeunes sur leurs 7 premières années d’activité : ces enquêtes permettent en effet de suivre des jeunes d’une même génération, sortant de formation initiale la même année et interrogés à 3 reprises, (3, 5 et 7 ans après leur sortie).  L’insertion des jeunes sortant du système éducatif sur le marché du travail s’est dégradée en vingt ans. Particulièrement pour les jeunes hommes sortant de formation initiale sans diplôme ou avec un seul diplôme du secondaire. Sept ans après leur entrée sur le marché du travail, seule une minorité des jeunes les moins qualifiés – disposant au mieux du baccalauréat – de la génération 2010 ont un emploi à durée indéterminée à temps complet (47 %, soit 20 points de moins qu’il y a 12 ans, cf. aires bleues des graphiques 1). Et le délai d’accession à un tel emploi s’est fortement rallongé :  il faut près de 5 ans en moyenne pour obtenir un premier CDI à temps complet pour un jeune homme peu ou non qualifié entré sur le marché du travail en 2010. Pour génération 1998, ce délai était de 2 à 3 ans (32 mois, cf. tableau I-1).

Une moindre dégradation de l’insertion des jeunes les plus qualifiés sur le marché du travail

Les jeunes plus qualifiés ayant obtenu un diplôme du supérieur semblent moins impactés par des conditions économiques dégradées en début de carrière : les taux d’insertion dans l’emploi stable – CDI à temps partiel et complet – à horizon de 7 ans restent toujours élevés pour les sortants de la génération 2010 : 77 % pour les jeunes hommes et 71 % pour les jeunes femmes (cf. graphiques 3-B et 4-B). En revanche, ils mettent davantage de temps pour accéder au premier emploi à durée indéterminée : 8 à 10 mois en moyenne de plus que la génération 1998 (cf. tableau I-2). De plus, ils traversent plus souvent une période de précarité, qui se traduit par un passage plus fréquent par un contrat à durée déterminée au cours des 7 premières années de vie active : 68% (56%) des jeunes femmes (hommes) sont passées au moins une fois par un CDD entre 2010 et 2017, soit une progression de 4 points par rapport à la génération de 1998.

 Des analyses du Céreq ont également montré que les perspectives d’évolution de carrière et de salaire ont été dégradées pour les jeunes les plus qualifiés : plus grande difficulté à accéder au statut de cadre (Epiphane et al., 2019), progression des taux de déclassement professionnel (Di Paola et Moullet, 2018) et moindre « rentabilité » de leur diplôme avec des salaires inférieurs (Barret et Dupray, 2019).

Des trajectoires professionnelles devenues très proches entre les hommes et les femmes les moins qualifiés

Les trajectoires d’insertion s’étant fortement dégradées pour les jeunes hommes les moins qualifiés, elles se sont par conséquent très nettement rapprochées de celles des jeunes femmes les moins qualifiées. Elles sont même aujourd’hui quasi-identiques selon le genre (cf. graphiques 1-B et 2-B), alors que les jeunes femmes de la génération 1998 subissaient un taux d’emploi en CDI plus de 20 points inférieurs à celui de leurs homologues masculins. Une différence subsiste toutefois entre les genres : la part des CDI à temps partiels chez les jeunes femmes peu ou non qualifiées (« aire jaune » dans les graphiques) reste largement supérieure à celle des jeunes hommes.

En revanche, parmi les jeunes diplômés les plus qualifiés, les écarts hommes-femmes restent marqués. 75 % des jeunes hommes bénéficient de CDI à temps plein, après 7 ans d’expérience sur le marché, contre 60 % des jeunes femmes, soit 15 points de plus. De plus, les durées d’accès à un premier emploi de ce type sont plus longues de 8 mois pour les jeunes femmes.

Références complémentaires :

Altonji J. G., Kahn L. B. et J. D. Speer, 2016, « Cashier or Consultant? Entry Labor Market Conditions, Field of Study, and Career Success », Journal of Labor Economics, 34(1), pp. 361-401.

Barret C.  et A. Dupray, 2019, « Que gagne-t-on à se former ? Zoom sur 20 ans d’évolution des salaires en début de vie active », Céreq Bref, n° 372.

Couprie H. et X. Joutard, 2017, « La place des emplois atypiques dans les trajectoires d’entrée dans la vie active : évolutions depuis une décennie », Revue Française d’Economie, volume XXXII, pp. 59-93.

Couprie H. et X. Joutard, 2020, « Atypical Employment and Prospects of Young Men and Women on the Labor Market in a Crisis Context », mimeo.

Di Paola, V. et S. Moullet, 2018, « Le déclassement, un phénomène enraciné »   dans « 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes, entre permanences et évolutions » coordonné par T. Couppié, A. Dupray, D. Epiphane et V. Mora, Céreq Essentiels.  

Epiphane D., Mazari Z., Olaria M. et E. Sulzer, 2019, « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée », Céreq Bref, n° 382.

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