L’année 2023 s’est terminée avec une croissance du PIB de la France de 1,1 % d’après les derniers comptes de l’Insee (30 août 2024, graphique 1), un rythme supérieur à la moyenne de la zone euro (0,5 %, graphique 2). Cette dynamique a permis à l’économie française de combler son retard d’activité par rapport à la zone depuis la crise Covid. Ainsi, à la mi-2024, le PIB de la France se situait 3,8 % au-dessus de son niveau d’avant crise (par rapport à 2019), soit un écart proche de celui de la moyenne de la zone euro (4,3 %), bien au-dessus de celui de l’Allemagne (0,2 %) mais loin derrière les Etats-Unis (12,5 %).
La croissance française atteindrait 1,1 % en moyenne annuelle en 2024. Cette révision à la hausse de 0,6 point de la croissance par rapport à notre prévision d’avril 2023 s’explique par trois éléments :
Le premier concerne la trajectoire budgétaire très différente de celle qui était présenté dans le Programme de Stabilité en avril 2024. Bien que la croissance ait été très peu révisée au cours des différents exercices budgétaires et bien qu’elle soit très proche de celle prévue par Bercy, le déficit public a fortement dérapé par rapport aux prévisions. Il est ainsi attendu à 6,1 % en 2024, contre 5,1 % prévus initialement dans le Programme de Stabilité présenté au printemps de cette année (et 4,4 % dans le PLF 2024 ), en raison de mesures budgétaires annulées, à la suite de la dissolution, d’un important dérapage des dépenses des collectivités locales, ainsi que d’assiettes fiscales moins dynamiques que prévues. Cette différence d’impulsion budgétaire pour 2024 conduit à accroître le PIB de 0,5 point en 2024 par rapport à notre prévision de printemps.
Le deuxième est lié à la révision des comptes pour l’année 2023, l’acquis de croissance pour 2024 a été relevé de 0,3 point de PIB (de 0,2 % à 0,5 %).
Le troisième est lié à la dissolution, et l’incertitude concernant la politique économique nationale amputerait la croissance de -0,1 point en 2024 (voir encadré 2).
En 2025, la croissance française est attendue à 0,8 % malgré les effets positifs de la politique monétaire (+0,4 point de PIB lié à la baisse des taux d’intérêt), mais elle serait contrainte par la suppression de l’ensemble des boucliers tarifaires, et surtout par les nouveaux ajustements budgétaires prévus par le gouvernement Barnier l’année prochaine (estimés à 60 milliards d’euros par le gouvernement1).
1 Selon nos calculs (encadré 6), la baisse du déficit public structurel serait de -1,5 point de PIB en 2025 (ce qui correspond à 44 milliards d’euros), dont 0,3 point de PIB seraient liés à la fin des mesures exceptionnelles (fin des boucliers tarifaires et des mesures de relance). La répartition à l’ajustement structurel primaire se repartirait à environ 60/40 entre hausse des recettes et réduction des dépenses publiques
L’inflation baisserait en 2024 (2,0 % en moyenne après 4,9 % en 2023) et, avec 1,5 % en 2025, serait largement en-dessous de la cible de 2 %, notamment en raison de la décrue attendue des prix de l’électricité. Le retournement du marché du travail se poursuit en raison de la faible croissance de l’activité et du rattrapage partiel des pertes de productivité passées, ainsi que le moindre soutien des politiques de l’emploi et des baisses des exonérations de cotisations, conduisant à une hausse du taux de chômage à 8 % fin 2025 (hors effet de la réforme du RSA ) (contre 7,3% actuellement). Le taux d’épargne resterait élevé en 2024 mais diminuerait en 2025 avec la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt, soutenant la consommation des ménages malgré un pouvoir d’achat en baisse l’année prochaine (-0,2 % après +1,1 % en 2024 par unité de consommation). Le déficit public atteindrait 6,1 % du PIB en 2024 et serait encore de 5,3 % du PIB malgré le programme d’ajustement budgétaire prévu.
1 Une croissance tirée par le commerce extérieur et les dépenses publiques
Au cours des quatre derniers trimestres, la croissance a crû de 1 %, en glissement annuel, un rythme légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro. La dynamique des composantes de cette croissance est polarisée. D’un côté, elle a été principalement tirée par le fort redressement du commerce extérieur (contribution de 1,2 point de PIB), dont plus de 80 % s’explique par la baisse marquée des importations. Mais aussi par les dépenses publiques, que ce soit à travers la consommation ou l’investissement des administrations publiques (APU), qui ont participé à soutenir la croissance à hauteur de 0,5 point de PIB sur un an (graphique 3 ). Ce soutien public à la croissance, peu compatible avec un fort ajustement budgétaire, a eu pour contrepartie un creusement du déficit public par rapport à la trajectoire attendue dans le Projet Loi de Finances 2024. De l’autre côté, les dépenses des ménages n’ont quasiment pas contribué à la croissance depuis un an, en raison de la poursuite de la baisse de l’investissement immobilier et d’une consommation atone avec un taux épargne toujours élevé.
A noter que l’investissement des ménages a amputé le PIB de -0,9 point entre la mi-2022 et la mi-2024 sous l’effet notamment de la remontée des taux d’intérêts. Enfin, les dépenses des entreprises, que ce soit par l’investissement ou les stocks, ont réduit la croissance de -0,8 point de PIB au cours des quatre derniers trimestres. En effet, après avoir connu une forte croissance entre la période post-Covid et la mi-2023, l’investissement des entreprises a baissé de -1,5 % en glissement annuel au 2e trimestre 2024. Le seul déstockage des entreprises a contribué à réduire la croissance de -0,7 point et a porté aussi bien sur les matériels de transport que sur les biens d’équipements et les autres produits industriels. Cet effet arrive après la période de restockage post-Covid mais l’ampleur du déstockage est inédit depuis la crise financière de 2009.
2 Un cadrage macroéconomique marqué par les évolutions du policy-mix
Selon nos évaluations (tableau 2), en raison des différents éléments qui affectent l’économie française, la croissance du PIB s’établirait respectivement en 2024 et 2025 à 1,1 % et 0,8 % alors que la croissance hors chocs2 aurait été de 1,5 % et 1,4 %.
2 La croissance hors chocs correspond à la croissance potentielle de 1,3 % en 2024 et 2025, à laquelle s’ajoute l’acquis de croissance (par rapport à la croissance trimestrielle potentielle) de -0,3 point en 2024 et -0,4 point en 2025 et la vitesse de fermeture de l’output gap de 0,5 point en 2024 et 2025.
Après deux années avec un effet très négatif, l’impact du choc énergie est désormais quasiment nul en 2024, même légèrement positif sur la croissance en 2025, et ce malgré la fin progressive du bouclier tarifaire. Cela est dû à la forte baisse des prix spot de l’énergie, notamment les prix de gros de l’électricité qui conduiront à des tarifs plus bas pour les consommateurs en 2025.
L’amélioration des chaînes de production entamée en 2023 continuerait à produire des effets positifs sur la croissance en 2024 (+0,2 point de PIB) mais davantage en 2025.
Si une remontée des tensions géopolitiques est apparue à la fin 2023 et en 2024 à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023, réduisant la croissance française de -0,1 point en 2024, nous ne prévoyons pas de nouvelles dégradations en 2025. Bien sûr, un élargissement et une intensification des conflits, au Moyen-Orient ou en Ukraine modifieraient les conditions économiques mondiales, ce qui pèserait sur la croissance française. Mais désormais, l’incertitude politique n’est plus uniquement internationale puisqu’elle existe aussi au niveau national depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale en juin 2024. A partir de la mesure d’un indice d’incertitude de politique économique pour la France, et en supposant que la situation mesurée par cet indicateur reste au même niveau que celle observée actuellement, nous estimons que cela amputera la croissance de -0,1 point de PIB en 2024 et de -0,2 point en 2025 (voir encadré 2).
Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris ont contribué à accroître la croissance annuelle du PIB de 0,1 point en 2024, en raison du pic d’activité au 3e trimestre. En revanche, cet effet, exceptionnel et non permanent, conduit à revenir au niveau de PIB hors JO en 2025, ce qui réduit la croissance du PIB de 0,1 point.
En raison des effets retardés de la montée des taux d’intérêt sur l’activité, compris entre 12 et 18 mois pour les effets pleins3, la hausse passée des taux4 conduirait à amputer la croissance de -0,6 point de PIB en 2024 (après -0,6 point en 2023). En revanche, dans un contexte d’inflation basse et maîtrisée, la poursuite de la baisse des taux directeurs de la BCE au rythme de -0,25 point par trimestre à l’horizon de la prévision aurait des effets positifs, de +0,4 point sur la croissance en 2025. A l’inverse, la politique budgétaire qui a soutenu la croissance en 2024 (+0,3 point de PIB) l’impacterait très négativement en 2025. La réduction du déficit structurel primaire de -1,2 point de PIB (hors retrait des mesures exceptionnelles) conduirait à réduire la croissance de -0,8 point de PIB en 2025 (@tip–plf). Ainsi, la nature du policy mix change complètement entre 2024 et 2025, passant d’un effet négatif de la politique monétaire et positif de la politique budgétaire en 2024 à une combinaison inverse en 2025. La somme de ces deux effets (hors retrait des mesures exceptionnelles) est évalué à -0,3 point de PIB en 2024 et -0,4 point de PIB en 2025.
3 Pour plus de détails, voir C. Blot et P. Hubert, 2018, « Une analyse de la contribution de la politique monétaire à la croissance économique », Revue de l’OFCE, n° 159.
4 Les canaux de transmission de la hausse des taux sur l’économie sont multiples : la hausse joue négativement sur l’investissement et la consommation des ménages à travers la hausse du coût du crédit hypothécaire ainsi que les effets sur la valeur du patrimoine et la dette immobilière. Du côté des entreprises, la hausse du coût du capital a un effet négatif sur l’investissement des entreprises.
En pts de PIB | 2022 | 2023 | 2024 | 2025 |
---|---|---|---|---|
Croissance hors chocs* | 4.0 | 1.5 | 1.5 | 1.4 |
Choc approvisionnements | −0.3 | 0.2 | 0.2 | 0.0 |
Variation des taux | −0.1 | −0.6 | −0.6 | 0.4 |
Incertitude internationale et tensions géopolitiques | −0.3 | 0.0 | −0.1 | 0.0 |
Incertitude politique nationale | −0.1 | −0.2 | ||
Impact Energie (choc et mesures) | −0.3 | −0.5 | −0.1 | 0.1 |
Choc énergie | −1.1 | −0.7 | 0.3 | 0.5 |
Bouclier et mesures énergie | 0.8 | 0.2 | −0.4 | −0.4 |
Mesures budgétaires (hors mesures temporaires) | 0.1 | 0.0 | 0.3 | −0.8 |
Effet centrales nucléaires (arrêt et rédemarage) | −0.5 | 0.5 | 0.0 | 0.0 |
Effet JO | 0.1 | −0.1 | ||
Croissance observée et prévue | 2.6 | 1.1 | 1.1 | 0.8 |
Note : La croissance hors chocs correspond à la croissance potentielle, plus la fermeture de l’output gap et l’acquis potentiel sur la croissance. Dans le détail, le choc énergie conduit à réduire la croissance du PIB de -1,1 point en 2022, -0,7 point en 2023 et l’augmenterait de 0,3 point en 2024 et 0,5 point en 2025, soit un effet cumulé de -1 point de PIB sur la période 2022-2025. La mise en place de mesures budgétaires spécifiques pour amortir ce choc énergie a eu un effet sur la croissance du PIB de 0,8 point en 2022, 0,2 point en 2023, -0,4 point en 2024 et -0,4 point en 2025, soit un effet cumulé de 0,2 point de PIB sur la période qui devrait s’annuler au-delà de 2025 en raison de l’extinction progressive des mesures budgétaires exceptionnelles. Sources: Insee, prévisions OFCE octobre 2024. |