Paradis fiscaux, profits délocalisés et biais de productivité mesurée : le cas de la France

par Vincent Aussilloux (France Stratégie), Jean-Charles Bricongne (Banque de France), Samuel Delpeuch (Sciences Po Paris) et Margarita Lopez Forero (Université d’Evry/Paris-Saclay)

Comment les stratégies fiscales des entreprises multinationales distordent-elles leur productivité observée dans les pays à haute fiscalité ? C’est la question à laquelle cherche à répondre une étude lancée dans le cadre du Conseil National de la Productivité (Bricongne et al., 2022). Pour bénéficier d’une fiscalité plus attractive, la délocalisation des multinationales dans les paradis fiscaux est un phénomène bien connu qui a fait l’objet de nombreux rapports institutionnels, travaux d’études et de recherche[1]. Au-delà de l’impact sur les rentrées fiscales des pays d’origine, cette délocalisation d’une partie des revenus plutôt que des activités peut avoir des répercussions sur certaines statistiques officielles (exportations, valeur ajoutée et productivité notamment). En utilisant la dynamique d’implantation des multinationales sur données individuelles sur la période 1997-2015, l’étude de ce phénomène sur la France (dont la version la plus récente est publiée dans un document de travail du Département d’Economie de Sciences Po) confirme une baisse de la productivité après implantation dans un paradis fiscal au niveau firme et en agrégé : sans cette implantation, la croissance annuelle de la productivité agrégée du travail aurait été plus forte, de près de 10%.



Pour optimiser leurs chaînes de production, beaucoup d’entreprises sont incitées à s’implanter dans des juridictions à basse fiscalité. Une part croissante de l’investissement étant réalisée dans des actifs intangibles (soit les immobilisations incorporelles d’une entreprise : brevets, propriété intellectuelle… qui sont par nature plus faciles à délocaliser),  la combinaison de ces deux tendances implique qu’une plus forte intensité en actifs intangibles  permettrait plus facilement aux entreprises internationalisées de jouer stratégiquement sur l’enregistrement de leurs activités dans leurs filiales à l’étranger, dans un but d’optimisation fiscale, ce qui peut distordre significativement les statistiques économiques agrégées.

En particulier, compte tenu d’une forte intégration financière et d’une intense concurrence fiscale, l’économie de l’immatériel a offert aux multinationales de nouveaux moyens de délocaliser leurs profits vers les pays à faible fiscalité. Plus précisément, dans le calcul du PIB basé sur les dépenses, les paiements effectués entre pays pour l’utilisation ou l’achat de capital intangible sont comptabilisés comme des exportations. Si une entité d’un pays à faible fiscalité ne paie qu’une partie du rendement lié au capital intangible à une autre entité de la multinationale située dans un pays à fiscalité élevée, cela conduit à surévaluer les gains (revenus moins dépenses) dans le premier pays. En retour, cela réduit artificiellement l’activité économique mesurée dans les pays à fiscalité élevée, contribuant ainsi à sous-estimer notamment les exportations, la valeur ajoutée et la productivité. Il faut également souligner que, les mécanismes sous-jacents étant de nature comptable, les effets « réels » sont neutres (à l’exception de l’impact sur les rentrées fiscales) sur la richesse nationale (à la différence du PIB).

La France, avec un fort taux d’investissement immatériel, pourrait être particulièrement concernée, mais le même processus peut concerner d’autres pays comme les États-Unis (Cf. Guvenen et al., 2022, à venir).

L’implantation d’une multinationale française dans un paradis fiscal va de pair avec une baisse de la productivité mesurée

Avec l’approfondissement de l’intégration financière internationale[2], des structures complexes d’évitement fiscal affectent les statistiques officielles. Par exemple, Tørsløv et al. (2018) ont ajusté les statistiques internationales en considérant que selon leur estimation, 40 % des bénéfices au niveau mondial ont été déplacés vers des paradis fiscaux en 2015 (l’essentiel de l’analyse est agrégée, mais avec une dimension sectorielle disponible dans les annexes). De plus, la transformation digitale des activités s’est traduite par une progression relative continue des investissements intangibles au cours des vingt dernières années[3]. Bien que l’optimisation fiscale des multinationales ne soit pas nouvelle, déconnecter la localisation du capital de celle de la production et des actifs comme la propriété intellectuelle ou manipuler des prix de transfert[4] en l’absence de prix de référence pour les actifs intangibles devient plus facile avec la croissance du capital immatériel (Cf. par exemple Delis et al., 2021). L’étude comprend un peu plus de 18 000 entités appartenant à des groupes présents dans ce type de pays, soit 0,7 % du nombre total d’entreprises observées sur la période. Bien que peu nombreuses, ces entreprises contribuent significativement à l’évolution agrégée de la productivité française : la croissance de la productivité du travail s’établit à 21,5 % entre 1997 et 2015 pour l’ensemble des entreprises observées et tombe à 17,6 % lorsque ce sous-échantillon est retiré. Un biais de mesure sur ces entreprises peut donc avoir d’importantes conséquences agrégées.

Pour appréhender ce phénomène en France, Bricongne et al. (2022) utilisent des données individuelles d’entreprises (comptables, d’emploi et de salaires entre 1997 et 2015), combinées avec les liens capitalistiques (tels que disponibles dans la base LIFI, liaisons financières, de l’INSEE, indiquant les liens au sein d’un groupe, entre maison-mère et filiales et leur zone de rattachement, domestique ou étrangère) entre sociétés.

Le transfert des bénéfices à l’étranger est analysé à partir des différences en termes de présence dans les paradis fiscaux et d’intensité en actifs intangibles, en considérant les implantations nouvelles d’une entreprise dans un pays considéré ou non comme un paradis fiscal (voir la liste du FMI de 2000)[5]. Pour que la méthode en différences s’applique, ces deux groupes d’entreprises doivent être comparables : l’absence d’une différence de tendance précédant l’implantation à l’étranger semble le confirmer. Les estimations mesurent alors bien les effets de l’implantation dans un paradis fiscal.

Ainsi, en France, une baisse de 3,5 % de la productivité du travail et de 1,5 % de la productivité globale des facteurs (PGF) sont mis en évidence sur la période d’étude en liaison avec l’installation dans un paradis fiscal.  Elle s’explique très probablement par le transfert des bénéfices et non pas par une baisse effective de productivité du fait de l’implantation à l’étranger. En effet, la chute est particulièrement marquée pour les entreprises intensives en capital intangible. Le niveau de la productivité apparente du travail est réduit en moyenne de 4,1 % en France quand une entreprise devient une multinationale avec une filiale dans un paradis fiscal et appartient à la catégorie des entreprises fortement intensives en actifs immatériels, contre 2,7 % pour les moins intensives. Pour la PGF, l’impact moyen est de -1,5 % pour les entreprises les plus intensives en actifs intangibles contre – 0,9 % pour les autres.

Une baisse de productivité marquée par de forts effets dynamiques

Ce problème de mesure se traduit aussi par de forts effets dynamiques : la baisse de la productivité mesurée dans le pays à haute fiscalité est d’autant plus prononcée que l’entreprise dispose sur une période plus longue d’une présence dans un paradis fiscal. Ainsi, l’analyse tend à montrer qu’après dix ans de présence dans un paradis fiscal, la productivité du travail de l’entreprise en France, le pays à haute fiscalité, chute en moyenne de 11,7 % par rapport à la période avant l’implantation (Cf. graphique 1a) alors qu’elle augmente pour des implantations à l’étranger dans des pays qui ne sont pas considérés des paradis fiscaux (Cf. graphique 1b). Ainsi, pour la PGF, une implantation à l’étranger (hors paradis fiscal) est en moyenne associée à une augmentation de 4,8 %.  Ici encore, le biais de mesure engendré par cet effet dynamique est exacerbé pour les entreprises fortement intensives en capital intangible, plus facile à enregistrer dans des pays à basse fiscalité.

Une partie de la perte de productivité observée en France peut toutefois correspondre à de réels transferts de capitaux. Des entreprises françaises peuvent en effet s’implanter dans des « grands » paradis fiscaux comme l’Irlande ou les Pays-Bas pour d’autres raisons que la motivation fiscale. Pour tenter d’isoler le rôle de l’optimisation fiscale sur le ralentissement des gains de productivité au niveau agrégé en France, l’étude utilise l’arrêt Cadbury-Schweppes de 2006 de la Cour de Justice de l’Union européenne. Par cette décision, la Cour avait donné raison à la firme anglaise contestant l’application d’une règle anti-abus par les autorités fiscales britanniques qui cherchaient à récupérer l’impôt partiellement évité par le groupe Cadbury-Schweppes via l’établissement de deux filiales en Irlande. En donnant la priorité à la liberté d’établissement des entreprises européennes au sein des États membres par rapport à l’application des règles anti-abus, l’arrêt Cadbury-Schweppes renforçait l’attrait des paradis fiscaux européens pour les entreprises européennes cherchant à éviter l’impôt. L’étude montre que les entreprises bénéficiant de facto de cette décision ont vu leur productivité mesurée en France ralentir davantage que les autres, pointant encore un peu plus le rôle central de l’optimisation.

Finalement afin de quantifier le rôle de l’optimisation fiscale des multinationales sur le ralentissement des gains de productivité au niveau agrégé en France, on utilise le poids dans la valeur ajoutée totale des multinationales ayant une présence dans un paradis fiscal (soit par le biais d’une filiale ou de sa maison-mère) ainsi que la perte de productivité liée à l’implantation dans un paradis fiscal, calculée à partir de la méthode des doubles différences. Les comportements individuels d’optimisation fiscale des multinationales se traduisent alors par une baisse de 0,06 point de pourcentage de la croissance annuelle de la productivité du travail au niveau agrégé en France, soit près d’un dixième (9,7 %) de celle-ci en moyenne entre 1997 et 2015.

Par ailleurs, dans un contexte de forte concurrence fiscale internationale, avec un taux d’imposition relativement stable sur la période étudiée, la France est devenue un pays à fort taux d’imposition sur les sociétés en comparaison de ses partenaires (Cf. Vicard, 2019) durant la période d’étude, illustrant des évolutions de tendances fortes même si le taux légal, en soi, peut être différent de ce que les entreprises paient effectivement compte tenu de différences de bases fiscales. La multiplication des multinationales avec une présence dans un paradis fiscal ne concernant pas uniquement la France, ces problématiques ont trouvé un écho avec l’accord du G20 en juillet 2021 pour instaurer un impôt mondial d’au moins 15% sur les bénéfices des multinationales (en gardant en tête que le taux effectif d’imposition peut différer notablement du taux affiché, notamment pour les paradis fiscaux).

Le coût de l’évitement fiscal des multinationales en France est élevé. Selon les méthodes, les pertes fiscales annuelles y représentent entre 5 milliards (étude sur données d’entreprises) et 10 milliards d’euros (études fondées sur la comptabilité nationale : Cf. Vicard, 2019 et  Tørsløv et al., 2018). Notre étude met aussi en évidence la sous-estimation de la productivité alors que son ralentissement inquiète (Cf. la création du Conseil National de Productivité en 2018).


[1] Voir par exemple Tørsløv et al. (2018) pour un travail académique récent, OCDE (2000) pour un rapport qui avait affiché une liste de 35 juridictions répondant aux critères établis en 1998 par l’OCDE définissant un paradis fiscal ou Blanchet et al. (2018) pour une étude de l’impact de la mondialisation et en particulier des délocalisations dans certains pays à fiscalité avantageuse sur la mesure du PIB).

[2] Sous l’influence de différents facteurs (dérégulation, ouverture des pays aux capitaux extérieurs…), les flux financiers ont augmenté très fortement depuis les années 1970, en comparaison des variables réelles, même si le rapport 2021 « Changing patterns of capital flows » de la BRI/CGFS montre que la grande crise financière a introduit une certaine rupture dans la dynamique des flux financiers, rapportés au PIB mondial. C’est ce que montrent aussi Lane et Milesi-Ferretti (2018), couvrant la dynamique des flux financiers entre 1970 et 2015. Ils soulignent malgré tout que les positions d’investissements directs ont crû après la grande crise financière du fait du rôle joué par les centres financiers : « This expansion reflects primarily positions vis-à-vis financial centers, suggesting that the complexity of the corporate structure of large multinational corporations is playing an important role. ».

[3] Sur ce thème, Cf. par exemple le rapport de l’OCDE de 2019 (Croissance de la productivité et finance : Le rôle des actifs incorporels. Une analyse sectorielle), qui montre que les actifs intangibles ont crû de façon dynamique entre 1995 et 2014, et même plus forte que les actifs tangibles pour un certain nombre de grands pays développés.

[4] Selon la définition de l’OCDE, les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ».

[5] Les résultats sont peu sensibles à la liste de paradis fiscaux retenue. Ni la significativité, ni l’ordre de grandeur du biais ne sont altérés lorsque des listes plus restrictives de paradis fiscaux sont utilisées, à l’instar de celle de Hines et Rice (1994) qui exclut par exemple les Pays-Bas.




Pour une Agence Européenne de la Dette

par Massimo Amato et Francesco Saraceno

Alors qu’en Europe le débat sur la gouvernance économique entre désormais dans le vif du sujet, avec la Commission qui dans les prochains mois fera sa proposition de réforme des règles budgétaires, deux exigences étroitement liées émergent.

La première consiste à savoir comment garantir de façon permanente une marge de manœuvre budgétaire, en particulier aux pays de l’Union économique et monétaire qui ne disposent plus de l’outil de la politique monétaire. La dernière décennie a rappelé le rôle clé de la politique budgétaire pour soutenir l’économie. Il est donc essentiel que son rôle soit intégré par les décideurs Cela peut passer soit par la création d’une capacité budgétaire commune, soit par des règles plus favorables à l’investissement public (qui pourrait concilier le besoin de stabilisation contracyclique avec les politiques pour la croissance), soit par les deux.



La deuxième exigence est de que l’activisme retrouvé de la politique budgétaire reste compatible avec la soutenabilité d’une dette qui a atteint des niveaux record, même et surtout lorsque les taux d’intérêt nominaux cesseront d’être négatifs. Ce qu’il faudra éviter c’est que, pour éviter une crise de la dette face à des chocs futurs, les États européens soient obligés de mettre en place des politiques de consolidation budgétaire, aux conséquences catastrophiques sur la soutenabilité sociale et environnementale de nos économies.

Maintenant que le débat sur les règles est ouvert, il est nécessaire de bien arbitrer un compromis qui jusqu’à présent a été plutôt mal géré : celui entre croissance et stabilité, inscrit dans le titre même du Pacte de Stabilité et de Croissance, que la pandémie a contraint à suspendre. Il est nécessaire d’aborder la question du financement (et du refinancement) de la dette des États membres, l’objectif étant bien celui de les soulager de la pression des marchés tout en garantissant la discipline budgétaire. De nouvelles règles budgétaires et des formes adéquates de gestion de la dette devraient donc être établies de manière conjointe. Le problème du financement de la dette pourrait par ailleurs se poser aussi pour la Commission, si le programme Next Generation EU(NGEU)était suivi par d’autres programmes similaires (à la suite de l’agression de l’Ukraine par la Russie, quelques pays ont mis sur la table la proposition d’un NGEU2, dédié à la défense et à l’autonomie énergétique), ou pour financer les besoins d’investissement colossaux de programmes tels que RePowerEU

Les présidents Mario Draghi et Emmanuel Macron semblent être bien conscients de cette double nécessité. Dans leur article publié dans le Financial Times le 23 décembre 2021, ils plaident pour une définition au niveau européen d’un cadre budgétaire à même de garantir la croissance et la stabilité. Leur propos s’appuie sur un white paper signé entre autres par F. Giavazzi et C.-H. Weymuller (D’Amico et al., 2022)). Leur première proposition est d’introduire une règle budgétaire dite « d’or », qui exempterait les investissements du calcul du déficit (Voir Creel et al., 2009). Mais la partie la plus novatrice de leur proposition est la création d’une « Agence européenne pour la gestion de la dette (AEGD) » qui aurait pour tâche d’absorber la dette accumulée pendant la pandémie de Covid.

Ensemble, des règles réformées, plus crédibles et efficaces, et une gestion commune de la dette, contribueraient sans doute à donner de la marge de manœuvre aux politiques budgétaires et à ramener la politique monétaire à son corps de métier. 

Bien sûr, une gestion commune de la dette n’est pas exempte de risques. Le premier, en quelque sorte paradoxal, est la création d’une plus grande instabilité : si l’Agence se limitait à ne gérer qu’une partie de la dette existante, alors la dette non absorbée par l’Agence serait considérée « inférieure » par les marchés et donc plus difficile à placer (ce qu’on appelle « juniority effect »). Le deuxième risque, plus politique, est que si la gestion commune se faisait en mutualisant une partie de la dette (c’est-à-dire en rendant tous les pays responsables de toute ou d’une partie de la dette de chacun d’entre eux), cela pourrait encourager des comportements irresponsables (l’aléa moral) ; et il est évident que les pays dits « frugaux », auraient beaucoup de mal à accepter le principe même de la mutualisation, en faisant légitimement appel à l’article 125 du TFEU, qui interdit ce type d’arrangements.

La proposition de D’Amico et al. (2022) n’écarte aucun de ces deux risques. En particulier, elle n’est pas exempte d’une forme inavouée de mutualisation ; la probabilité qu’elle soit discutée et surtout approuvée pendant les négociations sur la réforme de la gouvernance économique européenne paraît donc assez faible. Il reste néanmoins que leur proposition a le mérite d’avoir relancé le débat, et que ses défauts ne sont pas inévitables. Il est possible, en effet, de gérer conjointement la dette européenne sans introduire le mutualisme et sans créer de l’instabilité. C’est le sens d’une proposition que nous avons élaborée à partir de 2020 de création d’une Agence européenne de la dette (AED ; voir Amato et al., 2021 ; Amato et Saraceno, 2022 ; Amato et al., 2022). Telle que nous la proposons, l’AED apporte une solution collaborative mais non mutualisante, permettant de gérer en perspective l’ensemble de la dette de la zone euro, passée et à venir, et non seulement la dette liée aux crises.

L’enjeu d’une telle Agence est de minimiser le coût du financement de la dette pour les États, tout en laissant intacte leur responsabilité budgétaire face à leurs pairs. Ainsi conçue, l’Agence mettrait en place un écran de protection entre les pays et les marchés capable de filtrer les risques liés à la volatilité des anticipations sur les marchés et aux attaques spéculatives, tout en laissant les États responsables face au risque d’insolvabilité, lié, lui, à la discipline budgétaire.

L’AED émettrait des obligations sur les marchés financiers et utiliserait les fonds levés pour financer les États membres avec des prêts perpétuels, les libérant du risque de refinancement. L’annuité serait calculée selon un schéma d’amortissement perpétuel, permettant à l’AED d’amortir ses prêts en inscrivant au bilan un passif correspondant à la perte attendue, qui serait calculé dans l’annuité. Cela éviterait une croissance explosive des prêts perpétuels, et l’AED pourrait absorber toute la dette émise jusqu’à présent par les États tout en gardant son équilibre financier intertemporel. Pour éviter l’aléa moral, les annuités du prêt perpétuel évolueraient avec le risque dit « fondamental » de chaque État membre, lequel dépend des fondamentaux de son économie. Le coût du prêt pour l’État membre serait fonction du coût de marché du portefeuille d’émission de l’AED, augmenté d’une prime qui évoluerait reflétant sa solvabilité spécifique. L’évaluation de l’état des finances publiques de chaque pays membre resterait confiée aux institutions de l’Union européenne, comme dans le cadre actuel. Cette évaluation inclurait l’analyse de la viabilité de la dette, de la conformité de la politique budgétaire aux règles budgétaires, la considération du contexte macroéconomique et la coordination des politiques nationales avec la BCE. Cette tâche devrait en somme être, comme elle l’est de facto déjà aujourd’hui, politique et non technocratique. Une fois que les organes de l’Union lui auraient remis l’évaluation du risque fondamental, l’AED déterminerait l’annuité de façon non arbitraire, selon une méthode de pricing permettant d’assurer la solidité financière de l’Agence et une accumulation de réserves appropriée pour faire porter le risque fondamental à l’État membre. Ce mécanisme, œuvrant conjointement avec un système de règles amélioré (nous pensons en particulier à une version étendue de la règle d’or, prenant en compte les investissements tangibles aussi bien qu’intangibles), assurerait la discipline budgétaire bien mieux que le système actuel, où les évolutions des taux reflètent à la fois les fondamentaux, la volatilité d’anticipations souvent non rationnelles et l’opacité des règles budgétaires.

Le principe de non-mutualisation qui sous-tend l’AED s’appliquerait également à un éventuel « défaut », un non-paiement d’une ou de plusieurs mensualités par un État membre. Évidemment, pour y faire face, l’AED devrait prévoir un capital d’absorption comme c’est le cas pour le Mécanisme européen de stabilité (MES). Toutefois, si, pour le MES, le versement de nouveaux capitaux à la suite de la défaillance d’un État membre implique certainement une mutualisation, l’AED n’encourt pas cet inconvénient puisque l’ajout de capital serait géré par un régime qui ferait que les États ayant des profils plus risqués soient obligés d’y contribuer de façon proportionnelle à leur risque : une “perte attendue” est également incorporée dans les échéances du prêt, qui sont recalculées en fonction du risque de chaque pays et qui, dans la mesure où le pays ne fait pas défaut, contribuent aux réserves de l’AED.  La mutualisation serait donc écartée également dans le cas du capital.

Quant au deuxième risque, celui de créer une dette « junior » difficile à placer pour les États du fait de l’existence des Eurobonds émis par l’AED, il serait également écarté par l’absorption progressive de toute la dette et non de la seule dette pandémique.

 Les avantages découlant de l’Agence sont évidents pour les États membres qui, comme l’Italie et l’Espagne, ont été frappés par des vagues successives d’attaques spéculatives : l’AED filtrerait les anticipations des marchés, qui ont si lourdement pesé dans la formation de mauvais équilibres pendant la crise des dettes souveraines. Elle apporterait aussi des avantages aux États qui, comme la France, rencontreraient des difficultés importantes à maintenir leur notation sans réduire drastiquement leur dette. Mais quid des pays dits « frugaux » ? Pourquoi devraient-ils adhérer à un tel mécanisme ? Il y a au moins 5 raisons :

  1. La première et la plus importante est que l’absence de mutualisation dans les opérations de l’AED éliminerait de facto l’aléa moral et toute incitation à agir en passager clandestin ;
  2. L’émission d’une obligation commune fournirait aux marchés l’actif sûr qui jusqu’ici leur a fait défaut en quantité suffisante, et qui serait aussi attrayant pour les investisseurs que les obligations sûres américaines, contribuant ainsi au positionnement géopolitique de l’Union dont on perçoit l’importance en ce moment. Du même coup, l’AED stabiliserait les attentes du marché concernant la soutenabilité globale de la dette. Une offre significative et croissante d’actifs sûrs émis par l’AED mettrait fin à l’anomalie des rendements négatifs ; de ce fait, elle constituerait pour les investisseurs institutionnels aujourd’hui pénalisés par les taux négatifs (les assurances et les fonds de pension) une alternative aux obligations souveraines des pays du centre de la zone euro. En outre, un actif sûr véritablement européen aurait un impact important sur les anticipations des agents ;
  3. En remplaçant progressivement les dettes nationales par des eurobonds, l’AED contribuerait à casser la « boucle infernale » qui lie actuellement la solvabilité des États à celle de leurs systèmes bancaires, et vice-versa. La « préférence nationale » (home bias) disparaîtrait et la zone euro deviendrait plus homogène, rendant ainsi plus aisé l’achèvement de l’Union bancaire ;
  4. La gestion de la dette par l’AED exempterait la BCE de l’obligation de poursuivre indéfiniment ses programmes d’assouplissement quantitatif : elle pourrait choisir la taille de son bilan (et donc si et à quelle vitesse sortir du QE) uniquement sur la base de ses propres objectifs de politique monétaire. Libérée de la tâche de contrôler les spreads, la BCE pourrait se concentrer sur son core business, à savoir maîtriser l’inflation et aider à combler les écarts de production, ce qui est particulièrement important à ce stade ;
  5. Le gain des pays plus exposés à la volatilité du « market sentiment » ne serait pas payé par les pays « vertueux ». Une simulation rétrospective effectuée à partir de 2002 pour tous les pays de la zone euro (Amato et al., 2022)) montre que, si un pays comme l’Italie avait pu épargner des sommes considérables pour le paiement des intérêts, avec une réduction du rapport dette/PNB de 30 points de pourcentage (figure 1), l’Allemagne aurait pu elle aussi bénéficier d’une réduction, certes moindre, mais positive de sa dette (figure 2).

Figure 1: Italie, dette historique, dette contrefactuelle en titres et prêts de l’AED, en % du PIB

Note : la ligne bleue montre l’évolution historique de la dette du pays par rapport au PIB ; la ligne rouge montre, dans le contrefactuel la diminution progressive de la dette par rapport au PIB en obligations nationales (ramenée à zéro après dix ans), qui s’accompagne de l’augmentation progressive des dettes perpétuelles du pays envers l’AED (ligne jaune).

Source : Amato et al., 2022.

Figure 2: Allemagne, dette historique, dette contrefactuelle en titres et prêts de l’AED, en % du PIB

Source : Amato et al., 2022.

Un avantage ultérieur de la constitution de l’AED est sa « neutralité » par rapport aux autres institutions dont l’Europe pourrait se doter à la suite du débat sur la gouvernance. L’AED pourrait gérer efficacement la dette publique avec n’importe quel type de gouvernance, qu’il s’agisse d’une capacité budgétaire centrale ou d’un rôle renouvelé pour les politiques nationales. Dans un contexte (politique et institutionnel) complexe comme celui de l’Europe, cette adaptabilité ne semble pas la moindre raison en faveur de notre proposition.

 La discussion autour du rôle de la politique budgétaire, du niveau d’une dette souhaitable, de la destination des ressources, du partage entre dépenses « fédérales » et nationales est une discussion politique ; il est impératif qu’elle se déroule au niveau des gouvernements élus ainsi que qu’à celui des instances européennes représentatives. L’illusion d’une politique économique purement technocratique est grandement responsable des dysfonctionnements de l’Union. L’Agence de la dette ne pourrait pas, et surtout elle ne devrait pas se substituer aux instances démocratiques pour prendre des décisions politiques telles que la détermination du niveau du budget public ou la destination des dépenses. Néanmoins, en optimisant le coût du financement de la politique budgétaire et en protégeant la dette des aléas des marchés, elle permettrait de mener la discussion dans un contexte de stabilité et de clarté quant aux coûts et aux bénéfices des choix budgétaires. Ainsi conçue, elle constituerait une avancée importante dans l’évolution de la gouvernance économique européenne.

Références

Amato M., E. Belloni, P. Falbo et L. Gobbi, 2021, « Europe, Public Debts, and Safe Assets: The Scope for a European Debt Agency », Economia Politica, vol. 38, n° 3, pp. 823–61.

Amato M., E. Belloni, C. A. Favero et L. Gobbi, 2022, « Creating a Safe Asset without Debt Mutualization: The Opportunity of a European Debt Agency », CEPR Discussion Paper Series, avril, n° 17217.

Amato M. et F. Saraceno, 2022, « Squaring the Circle: How to Guarantee Fiscal Space and Debt Sustainability with a European Debt Agency », OFCE Working Paper, 2022–02, janvier.

Creel J., P. Monperrus-Veroni et F. Saraceno, 2009, « On the Long-Term Effects of Fiscal Policy in the United Kingdom: The Case for a Golden Rule », Scottish Journal of Political Economy, vol. 56, n° 5, pp. 580–607.

D’Amico L., F. Giavazzi, V. Guerrieri, G. Lorenzoni et C.-H. Weymuller, 2022, « Revising the European Fiscal Framework, Part 2: Debt Management », VoxEU (15 janvier).




Investir dans des infrastructures bas-carbone en France : quels impacts macro-économiques ?

par Alexandre Tourbah (OFCE), Frédéric Reynès (OFCE-NEO-TNO), Meriem Hamdi-Cherif, Jinxue Hu (NEO), Gissela Landa et Paul Malliet

Les politiques d’infrastructures constituent un levier essentiel des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation des territoires aux conséquences du réchauffement climatique. Ces politiques couvrent des champs très variés et structurants pour nos modes de vie tels que la mobilité, la production et le transport d’électricité, les télécommunications, ou encore les réseaux d’eau. Elles influencent significativement les schémas de production et de consommation d’énergie dans les territoires ainsi que leur degré de résilience face aux aléas naturels. Ainsi, dans la perspective de la transition environnementale en France, des investissements significatifs devront être réalisés dans les années à venir pour transformer, rénover et maintenir les infrastructures sur l’ensemble du territoire national. Aux vues de l’importance des montants en jeu, ces investissements impliquent d’importantes évolutions socio-économiques à l’échelle du pays qu’il apparaît essentiel d’anticiper pour informer les décisions politiques en matière d’infrastructures.



C’est l’objet de l’article « Investir dans des infrastructures bas-carbone en France : quels impacts macro-économiques ? » [1] qui présente les montants d’investissement additionnels en infrastructures nécessaires à l’atteinte des objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone[2] et de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie[3], selon deux scénarios distincts, avant d’en analyser les conséquences macro-économiques. Le premier scénario, dit « Pro-Techno », se fonde essentiellement sur le déploiement d’innovations technologiques pour réduire l’empreinte carbone de la France tandis que le second, dit « Sobriété », repose sur une limitation voire une réduction importante de la consommation de certains types de biens et services (e.g. véhicules individuels, transport aérien, technologies numériques, etc.). Ces deux scénarios ont été conçus de manière à aboutir à l’objectif de neutralité carbone en 2050 et à garantir le respect des budgets carbone définis par la SNBC à court et moyen terme[4], de la même manière que les scénarios élaborés par d’autres institutions comme l’ADEME (Transition(s) 2050) ou RTE (Futurs Energétiques 2050). Le choix des scénarios Pro-Techno et Sobriété met en évidence le fait que des innovations de nature différence (technologique ou sociale) peuvent concourir à l’objectif de neutralité carbone. Ces scénarios pourraient cependant s’hybrider pour définir une palette plus large de scénarios. Dans cette évaluation, chacun des scénarios Pro-Techno et Sobriété est comparé à un scénario de référence (scénario dans lequel aucun investissement supplémentaire n’est réalisé).

Les deux scénarios considérés impliquent une hausse des investissements dans les travaux publics (Figure 1), dont une part importante de travaux d’aménagement de sites (terrassement, démolition et forages). Quelques différences importantes apparaissent toutefois :

  • Les montants d’investissements supplémentaires du scénario Pro-Techno sont supérieurs par rapport au scénario Sobriété : sur la période 2021-2050, 27 milliards d’euros (1,1 point de PIB) par an dans le scénario Pro-Techno contre 14 milliards d’euros (0,6 point de PIB) dans le scénario Sobriété ;
  • La trajectoire des investissements est aussi différente. Elle augmente au cours du temps dans le scénario Pro-Techno alors qu’elle atteint un point haut en 2030 avant de décroître dans le scénario Sobriété. Elle passe de 23 (resp. 20) à 32 (resp. 9) milliards d’euros entre 2021 et 2050 dans le scénario Pro-Techno (resp. Sobriété). Ainsi, les trajectoires d’investissement sont similaires dans les deux scénarios à l’horizon 2030, mais divergent significativement au cours des décennies suivantes ;
  • Dans le scénario Sobriété, la répartition de l’investissement total entre les différents segments d’activité des travaux publics met en évidence des changements importants dans les choix d’investissements en infrastructures par rapport au scénario Pro-Techno, surtout après 2030. En particulier, les investissements décroissent fortement dans le secteur des travaux routiers et le secteur ferroviaire du fait d’un besoin de mobilité inférieur. De même, les investissements dans l’aménagement de sites diminuent significativement après 2030 dans le scénario Sobriété, ce qui s’explique notamment par un besoin inférieur en travaux de recyclage des friches et de désartificialisation des sols.

Dans les deux scénarios, la hausse de l’investissement public a un effet positif à la fois direct et indirect sur l’activité économique. Elle se traduit par une hausse de l’activité dans les secteurs des travaux publics, avec pour effet indirect une hausse de l’activité dans d’autres secteurs auprès desquels se fournissent les secteurs des travaux publics. En conséquence cette croissance de l’activité entraîne une hausse de l’emploi, une augmentation du revenu des ménages et une hausse de la consommation. Cette série d’impacts est souvent appelée « effet multiplicateur de l’investissement », car l’effet résultant sur le PIB est supérieur à l’investissement initial. Cette hausse d’activité est toutefois contrebalancée par une dégradation de la balance commerciale qui résulte de deux effets. Le premier provient d’un effet de richesse : la hausse de la demande est en partie satisfaite par la hausse des produits importés. Le deuxième provient d’un effet de substitution : la hausse de l’activité génère une hausse de l’inflation et donc une dégradation de la compétitivité par rapport aux producteurs étrangers. Ceci entraîne une hausse supplémentaire des importations et une baisse des exportations.

En prenant en compte l’ensemble des effets (multiplicateurs et inflationniste), le scénario Pro-Techno entraîne une hausse de PIB de 1,2% en moyenne sur la période 2021-2030 et de 1% sur celle de 2030 à 2050, par rapport au scénario de référence. Dans le scénario Sobriété, la hausse du PIB est comparable sur la période 2021-2030 (1% par rapport au scénario de référence) mais plus faible sur celle de 2030 à 2050 (0,4%).

Dans les deux scénarios, les investissements en infrastructures conduisent à une hausse significative du nombre d’emplois dans l’économie française. Le scénario Pro-Techno permettrait ainsi de créer 325 000 emplois supplémentaires sur la période 2021-2025, et 410 000 emplois supplémentaires entre 2026 et 2030, par rapport au scénario de référence. Le scénario Sobriété génèrerait une hausse de l’emploi similaire sur ces périodes, bien que légèrement inférieure (270 000 emplois supplémentaires sur 2021-2025 et 340 000 sur 2026-2030). Ces chiffres correspondent aux créations nettes d’emplois (différence entre le nombre d’emplois créés et le nombre d’emplois détruits). Ce résultat significatif reflète l’ampleur des investissements à réaliser dans la première décennie dans un scénario comme dans l’autre, qui entraîneraient de nombreuses créations d’emplois. À partir de 2030, on observe cependant une divergence importante dans le nombre d’emplois créés. Dans le scénario Pro-Techno, les montants d’investissement se maintiennent à un niveau proche de ceux de la première décennie, ce qui se traduit par une hausse semblable de l’emploi entre 2030 et 2050 (environ 300 000 emplois). À l’inverse, le scénario Sobriété se caractérise par une diminution marquée des investissements à partir de 2030, ce qui conduit, dans les deux décennies suivantes, à une hausse plus limitée de l’emploi par rapport au scénario de référence (200 000 emplois supplémentaires entre 2031 et 2035, puis environ 60 000 emplois supplémentaires sur 2036-2050). Globalement, l’emploi suit donc la trajectoire d’investissement initial en travaux publics. L’impact est positif dans tous les secteurs à l’exception des métiers de la fabrication de produits et de l’agriculture où le nombre d’emplois baisse très légèrement lors de la décennie 2036-2045.

Ainsi, les impacts économiques estimés sont relativement similaires entre les scénarios Pro-Techno et Sobriété, mais une divergence apparaît surtout après 2030. Cette dernière est la traduction directe de montants d’investissements plus importants dans le scénario Pro-Techno, qui génèrent donc une activité économique supérieure. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces résultats n’intègrent pas l’ensemble des effets économiques sous-jacents à chaque scénario. Le choix entre les scénarios Pro-Techno et Sobriété ne peut donc se faire uniquement sur la base de la différence en termes d’impacts directs de PIB. C’est avant tout un choix sociétal et donc politique. De plus, le choix entre ces scénarios devrait être guidé par d’autres critères d’évaluation, à commencer par leurs effets sur la santé et les inégalités sociales.

De plus, si les deux scénarios conduisent à des effets économiques positifs, notamment sur l’emploi, ils impliquent des mutations importantes dans les différents secteurs de l’économie, en particulier dans les secteurs des travaux publics. Ceci implique que la hausse de l’emploi, dans un scénario comme dans l’autre, est conditionnée par la capacité des entreprises à adapter leurs offres et leurs métiers aux nouveaux besoins d’investissement.

Notons enfin que la question du financement des investissements de chacun des scénarios s’avère prépondérante. Elle suppose notamment une mise en perspective au niveau européen, et une réflexion approfondie sur les modalités possibles de financement[5]. L’État devra prendre sa part de l’effort supplémentaire mais aussi inciter fortement les autres acteurs (collectivités territoriales, opérateurs publics ou privés) à investir dans les infrastructures. Le développement de modes de financement innovants pourrait aussi bénéficier aux politiques d’infrastructures. Dans le domaine de la gestion de l’eau par exemple, des dispositifs d’aide ou de redevances liés aux services rendus peuvent être envisagés, de manière à ce que des usagers ou collectivités puissent financer en commun des actions de protection des milieux aquatiques ou de prévention des aléas naturels : e.g. aménagement de zones d’expansion de crues, forages alternatifs pour protéger une nappe phréatique surexploitée, entretien des voiries, soutien à des pratiques agricoles moins polluantes, etc.


[1] Tourbah A., Reynès F., Hamdi-Cherif M., Hu J., Landa G., Malliet P., 2022, « Investir dans des infrastructures bas-carbone en France – Quels impacts macro-économiques ? », Revue de l’OFCE, n° 176, à paraître.

[2] « La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. […] Elle définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 et fixe des objectifs à court-moyen termes : les budgets carbone. » https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

[3] La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) « exprime les orientations et priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire […]. https://www.ecologie.gouv.fr/programmations-pluriannuelles-lenergie-ppe

[4] Pour une description détaillée des narratifs de ces scénarios, voir Carbone 4, OFCE, NEO (2021), Le rôle des infrastructures dans la transition bas-carbone et l’adaptation au changement climatique de la France, www.carbone4.com/publication-infrastructures-france

[5] A ce sujet, voir notamment Hainaut H., Ledez M., Perrier Q., Leguet B., Geoffron P., 2020, « Relance : comment financer l’action climat », I4CE. https://www.i4ce.org/wp-core/wp-content/uploads/2020/07/I4CE Relance_FinancementActionClimat-52p-2.pdf





L’agriculture ukrainienne sous tension

par Sandrine Levasseur[1]

En juillet 2021, le ministre de l’Agriculture ukrainien, Roman Leshchenko, déclarait avec une certaine fierté que la production agricole de son pays atteindrait probablement les 100 millions de tonnes pour l’année en cours. Huit mois plus tard, le même ministre annonçait devant la Commission européenne que les semis du printemps 2022 en Ukraine étaient moitié moins importants que ceux du printemps précédent du fait de la guerre qui empêchait les travaux des champs à l’Est du territoire ou faute d’intrants suffisants (carburants et engrais) sur le reste du territoire. Lors de son allocution, il faisait également part de son inquiétude quant à la capacité du pays à pouvoir récolter en juillet prochain les blés dont l’Ukraine est un important exportateur. Dans la foulée, l’Union européenne (l’UE) décidait de suspendre son plan de verdissement de l’agriculture, de débloquer un plan d’aides de 500 millions d’euros pour ses agriculteurs afin de leur permettre d’exploiter les terres mises en jachère et de faire face à l’augmentation du coût des intrants en raison de l’embargo sur les produits russes[2]. L’UE débloquait aussi 330 millions d’aides pour les agriculteurs ukrainiens.



L’ensemble de ces déclarations illustre l’état de tension qui entoure actuellement le secteur agricole. Cet état de tension va bien au-delà de la flambée du prix des matières premières agricoles même si cette dernière reflète l’incertitude quant aux quantités qui seront disponibles sur le marché. En effet, si l’UE est auto-suffisante au niveau alimentaire, la guerre va en revanche poser des problèmes majeurs pour des pays très dépendants des importations en provenance de l’Ukraine. Récemment, l’ONU a estimé que huit à treize millions de personnes pourraient être des victimes collatérales de la guerre qui sévit en Ukraine du fait de la malnutrition qu’elle va engendrer dans certains pays.

Dans ce qui suit, nous présentons les éléments saillants relatifs à l’agriculture ukrainienne : son importance en tant que « grenier à grains » pour reprendre l’expression consacrée sous la période soviétique ; son organisation autour de 200 agro-holdings qui structurent la production et réalisent l’essentiel des exportations ; la réforme foncière visant à pallier les problèmes dont souffrent l’agriculture ukrainienne. En filigrane, nous interrogeons un modèle agricole qui, au cours des dernières années, a nourri un nombre croissant d’individus – en Ukraine et dans le monde – mais sur un mode de plus en plus productiviste et au détriment des préoccupations environnementales.

Productions et exportations agricoles de l’Ukraine

L’Ukraine est, devant la France, le deuxième plus grand pays d’Europe par sa superficie (Tableau 1). Les terres agricoles y sont presque 1,5 fois plus importantes qu’en France pour une population bien moindre (44,1 millions d’habitants pour l’Ukraine en 2020 contre 67,4 millions pour la France).

Si l’Ukraine a toujours été un pays à forte tradition agricole, c’est au cours des dernières années qu’elle est devenue un acteur majeur sur les marchés internationaux, produisant et exportant des quantités importantes de produits céréaliers (blé, maïs) et d’oléagineux (tournesol).

En 2021, la production céréalière de l’Ukraine s’est établie à 81 millions de tonnes, soit environ le double de ce que produisait le pays il y a vingt ans (Graphique 1). En moyenne, au cours des cinq dernières années, l’Ukraine a produit annuellement autant que la France, soit le premier producteur de céréales de l’Union européenne. Maïs et blé constituent l’essentiel des productions céréalières de l’Ukraine, l’ensemble ayant compté pour 86 % du tonnage produit (graphiques 2). Comparativement, les productions céréalières de la France sont davantage concentrées sur le blé (55 % contre 37 % pour l’Ukraine) et beaucoup moins sur le maïs (21 % contre 49 % pour l’Ukraine).

L’Ukraine est aussi un important producteur d’oléagineux au travers de sa production de graines de tournesol dont le tonnage s’est établi à 17,5 millions en 2021 (Graphique 2). Comparativement, la France a produit 10 fois moins de graines de tournesol que l’Ukraine au cours des cinq dernières années. En fait, au sein de l’UE, Bulgarie, Hongrie et surtout Roumanie produisent les tonnages de graines de tournesol les plus élevés. Pour autant, leur production cumulée n’a atteint que 37 à 57 % de la production ukrainienne au cours des cinq dernières années.

Du fait d’une production de plus en plus abondante et d’une consommation domestique relativement constante, l’Ukraine est dorénavant un acteur important sur les marchés mondiaux de produits agricoles. En moyenne, au cours des années 2018-2020, l’Ukraine a ainsi exporté 50 millions de tonnes de céréales, faisant d’elle le troisième plus gros exportateur de céréales au niveau mondial, au coude à coude avec l’Argentine (52 millions de tonnes) et la Russie (45 millions), mais encore très loin des États-Unis (90 millions). La France, au septième rang des exportateurs, a vendu 30 millions de tonnes de céréales sur les marchés mondiaux.

L’Ukraine est aussi un acteur majeur en termes d’exportations de produits dérivés des oléagineux puisque, au cours des cinq dernières années, elle a représenté à elle seule 52 % des exportations mondiales d’huiles végétales (tournesol et colza) et 60 % des exportations de tourteaux (colza) destinés à nourrir les animaux.

Il est important de noter que si la Russie venait à annexer la totalité du territoire ukrainien, son volume d’exportations céréalières – sur la base des exportations réalisées au cours des dernières années – serait équivalent à celui des États-Unis. En outre, le marché à l’exportation des huiles et tourteaux serait dominé par la Russie qui réaliserait alors – toujours sur la base des exportations réalisées au cours des dernières années, ­ plus de 75 % des exportations mondiales.

Les pays d’Afrique et du Moyen Orient sont particulièrement dépendants des importations de blé en provenance soit de l’Ukraine, soit de la Russie, soit des deux pays. Plusieurs d’entre eux, et en premier lieu l’Egypte, le Yémen ou encore le Liban, encourent un risque alimentaire en l’absence de fournisseurs alternatifs. Les pays de l’UE sont eux aussi dépendants, mais leur dépendance, qui porte sur les oléagineux ou le maïs et non sur le blé comme aliment de base, ne fait pas courir de risques vitaux à leur population.

Caractéristiques de l’agriculture ukrainienne

En Ukraine, l’agriculture est un secteur important de l’économie. Elle représente 9 % du PIB (contre 1,6 % en France), 13,8 % de l’emploi (contre 2,5 % en France) et 45,1 % des exportations de biens (contre 14 % pour la France) selon les données de 2020[3].

Une agriculture duale

Le secteur agricole ukrainien a pour caractéristique d’être « dual », c’est-à-dire qu’il est constitué à la fois de (très) grandes entreprises et d’une multitude de (toutes) petites exploitations (Tableau 2). En 2021, on dénombre ainsi 184 agro-holdings dont la surface exploitée peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’hectares au côté d’environ 4 millions de micro-fermes d’autosubsistance dont la surface exploitée est inférieure à un hectare.

Les grandes exploitations sont avant tout spécialisées dans la production et l’exportation de céréales et d’oléagineux tandis que les petites exploitations font davantage de polycultures et réalisent une part importante de l’élevage et l’essentiel du maraichage[4]. Ainsi, en 2020, les entreprises agricoles ont réalisé plus de 80 % de la production de céréales et celles exploitant plus de 500 hectares, environ 65 %. Ce sont même 504 entreprises, de plus 3 000 hectares, qui ont produit à elles seules 24 % du tonnage céréalier de l’Ukraine cette année-là (source : SSSU).

En 2021, les 10 plus importantes agro-holdings exploitaient 2,9 millions d’hectares, soient 7 % de terres agricoles ukrainiennes. Trois d’entre elles avaient leur siège social en Ukraine, deux à Chypre, deux autres au Luxembourg tandis que les Pays-Bas, la France et les États-Unis accueillaient les sièges sociaux des trois agro-holdings restantes du top 10 (source : Latifundist.com).

Des rendements agricoles croissants mais encore plutôt faibles

Malgré une amélioration au cours des deux dernières décennies, les rendements céréaliers de l’Ukraine demeurent toujours inférieurs à ceux de l’Ouest européen, illustrés ici par ceux de la France. Au cours des cinq dernières années, le rendement du blé en Ukraine s’est établi, en moyenne, à 62 % du rendement observé pour la France et celui du maïs ukrainien à 71 % du maïs français.

La différence de rendement entre l’Ukraine et l’Europe de l’Ouest est beaucoup moins importante en ce qui concerne la production de tournesol pour laquelle l’Ukraine semble disposer, au même titre que le Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie, d’un avantage comparatif croissant. Au cours des cinq dernières années, le rendement des tournesols en Ukraine s’est ainsi établi, en moyenne, à 91 % du rendement observé pour la France. En Roumanie, Hongrie et Bulgarie, le rendement moyen a même atteint 107 % du rendement français sur la même période.

Les rendements céréaliers et oléagineux augmentent, assez logiquement, avec la taille des superficies exploitées, les ménages ayant en général des rendements inférieurs à celui des très grandes entreprises de l’ordre de 25 à 50 % selon le type de production. Cependant, même les plus grandes exploitations agricoles ukrainiennes peinent à atteindre le rendement moyen observé à l’Ouest de l’UE, sauf en ce qui concerne la production de tournesol.

Érosion des terres, fertilisation et problèmes d’irrigation

Le niveau relativement faible des rendements céréaliers en Ukraine peut surprendre au regard de la quantité de terres noires (tchernozioms ou terres riches en humus) dont dispose le pays, soit environ 54 % des terres agricoles ou 68 % des terres arables (Tableau 1). Cela tient en grande partie à l’érosion des sols (érosion provoquée par l’eau et le vent) qui déstructure la terre et empêche la fixation et retenue des nutriments[5]. Selon la FAO, environ 40 % des terres ukrainiennes sont érodées et environ 40 % sont à risque d’érosion. L’érosion est la plus forte dans le sud-ouest (notamment, dans l’oblast d’Odessa, limitrophe de la Moldavie) et dans le sud-est (dans les oblasts du Donbass). Les tournesols participent tout particulièrement à l’érosion des sols en raison de leur enracinement profond qui enlève de grandes quantités d’eau et de nutriments du sol au moment de l’arrachage.

L’érosion des terres, qui a débuté durant la période soviétique en raison d’un travail trop intensif du sol, n’a plus été compensée dans la période post-soviétique par une utilisation suffisante de fertilisants, qu’ils soient organiques ou inorganiques, ce qui a eu pour effet de faire baisser le contenu des sols en humus (FAO, 2014). L’utilisation d’engrais organiques (essentiellement constitués de fumier) a drastiquement chuté dès l’indépendance de l’Ukraine (Graphique 3). L’utilisation d’engrais inorganiques ou commerciaux a, lui, fortement baissé jusqu’en 2000 pour ensuite reprendre une trajectoire très ascendante même si elle reste encore très inférieure au niveau observé en France (Graphique 4), et plus généralement en Europe de l’Ouest. En 2018, l’utilisation d’engrais commerciaux en Ukraine par hectare de terres arables équivalait à 38 % de celui de la France.

Un autre facteur explicatif au relativement faible rendement des productions céréalières en Ukraine est la très faible irrigation des terres (moins de 2 % des terres étaient irriguées en 2020) alors que l’irrigation a pour effet, dans un contexte d’épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents, d’augmenter les rendements de manière non négligeable. Au cours des cinq dernières années, les rendements des céréales en Ukraine ont ainsi été accrus en moyenne de 33 % dès lors que les terres étaient irriguées, et ceux des tournesols de 16 %. Avant le déclenchement de la guerre, le ministère américain de l’Agriculture avait évalué à 4 milliards de dollars l’investissement nécessaire pour la construction et la modernisation du système d’irrigation des terres ukrainiennes. Les problèmes d’irrigation se posent essentiellement dans le sud du pays, où les sécheresses sévissent de plus en plus souvent.

Enfin, le Code de la propriété foncière ukrainien a contribué de manière indirecte, mais très pernicieuse, aux faibles rendements agricoles dans certaines structures agricoles.

Le moratoire sur la vente des terres agricoles

En Ukraine, la privatisation des terres agricoles s’est opérée tardivement, au travers de la cession de parcelles aux anciens ouvriers agricoles des fermes d’État et kolkhozes. En 1999, 7 millions d’ukrainiens sont ainsi devenus propriétaires de quelques hectares de terre (en moyenne, de 4 hectares), en plus d’avoir le droit de mettre en valeur les petites surfaces attenantes à leur maison (généralement 0,5 hectare). En 2001, un moratoire de quatre ans sur la vente des terres a cependant été décidé pour des raisons juridiques et continument reconduit jusqu’à récemment, ceci malgré les diverses tentatives gouvernementales de le lever. Conséquemment, le moratoire obligeait à recourir à la location de terres auprès des ménages ou de l’État afin de pouvoir exploiter de grandes superficies. En théorie, la durée des baux pouvait aller jusqu’à 49 ans mais, dans les faits, elle était plutôt de 5 à 7 ans (Grandjean et Perrin, 2018).

Le moratoire sur la vente des terres a eu des effets délétères sur les investissements et les pratiques du secteur agricole :

  • en morcelant la propriété foncière, il n’a pas permis à un certain nombre des structures agricoles d’atteindre la taille critique afin de se doter d’un capital physique suffisant et moderne ;
  • le système de location des terres, s’il présente l’avantage de limiter le coût d’entrée dans l’activité agricole, a aussi pour conséquence, dès lors qu’il est associé à des baux courts, de ne pas inciter l’exploitant à envisager son activité dans le temps long. Ce sont à la fois les investissements dans le capital physique immobile (e.g. systèmes d’irrigation, de drainage) qui en pâtissent mais aussi la mise en place de méthodes de production économes en intrants commerciaux (e.g. agriculture de conservation des sols) puisque généralement un minimum de cinq années sont nécessaires pour en tirer les bénéfices ;
  • au cours du temps, la spécialisation croissante des structures agricoles entre, d’un côté, de grandes voire très grandes entreprises produisant des céréales pour l’exportation et, de l’autre, des fermes plus modestes davantage centrées sur la production animale a découplé « culture et élevage » et a eu pour conséquence d’appauvrir les terres en nutriments organiques, ce qui en retour a requis un usage plus intensif en engrais commerciaux[6].

La levée du moratoire sur la vente des terres agricoles à partir de juillet 2021 devait donc rebattre les cartes de la propriété foncière en Ukraine et pallier les problèmes dont pâtissait son secteur agricole.

Finalement, après plusieurs tentatives législatives, le moratoire a été levé et la vente des terres agricoles est dorénavant possible sous condition que l’acquéreur soit de nationalité ukrainienne (pour un individu) ou ait son siège social en Ukraine (pour une société) sans possibilité d’entrée au capital pour les investisseurs étrangers. En outre, un individu ou une société ne peut acheter plus de 10 000 hectares et le prix de vente à l’hectare ne peut être inférieur à une certaine valeur monétaire normée. La levée du moratoire, ainsi définie, a finalement été saluée par bon nombre d’observateurs qui y voient la possibilité de lutter contre la corruption et la mainmise des oligarques sur le capital agricole.

La guerre en Ukraine a évidemment stoppé net le processus de recomposition de la propriété foncière.

Conclusion

Le déclenchement de la guerre en Ukraine a provoqué une véritable flambée du prix des matières premières agricoles. En deux mois, le prix des céréales a augmenté de 17 % et celui des huiles de 23 % selon les données de la FAO. En glissement annuel, de mars 2021 à mars 2022, la hausse du prix des céréales a été de 37 % et celle des huiles de 56%.

Avec une production de 81 millions de tonnes de céréales en 2021 et une consommation domestique stable depuis 5 ans – aux alentours de 20 millions de tonnes annuellement –, les marchés internationaux avaient anticipé que l’Ukraine proposerait à l’exportation environ 60 millions de tonnes de céréales en 2022, soit un montant jamais atteint jusque-là. Le déclenchement de la guerre a donc été interprété comme un « gros » choc d’offre négatif par les marchés craignant des difficultés d’approvisionnement avec, au sud et sud-est de l’Ukraine, le blocage des ports donnant sur la Mer Noire et la Mer d’Azov, et à l’ouest du territoire, l’inadaptation des réseaux ferroviaires pour permettre l’exportation des produits agricoles via les pays de l’UE. À ces difficultés d’approvisionnement des marchés étrangers, ce sont ajoutées les mesures de restriction à l’exportation mises en place par le gouvernement de l’Ukraine afin de garantir la sécurité alimentaire du pays. Les marchés ont substantiellement révisé les prévisions d’exportations pour l’Ukraine, d’où la flambée des prix sur les marchés céréaliers et des huiles végétales. Les difficultés d’ensemencement et de récoltes sur le territoire ukrainien, conjointement à la mise en place d’embargo sur les produits en provenance de Russie, participent à un maintien de prix élevés sur les marchés mondiaux[7].

C’est dans ce contexte chaotique et incertain quant à l’issue du conflit que l’UE a décidé de suspendre le plan de verdissement de son agriculture en permettant notamment la mise en culture des jachères. Saluée par la plupart des organisations agricoles au sein de l’UE, cette suspension a aussi été vivement critiquée, ces détracteurs arguant d’un impact disproportionné sur la biodiversité au regard du supplément de production agricole qu’il générerait. Sans vouloir trancher cette épineuse question de l’impact, cette critique a au moins un mérite : celui de rappeler l’impact négatif d’une agriculture « productiviste », consommatrice d’intrants commerciaux, sans réelles préoccupations environnementales et très « court-termiste ». À de nombreux égards, c’est vers ce modèle agricole que tend l’agriculture ukrainienne depuis plusieurs années sous couvert de nourrir une part croissante d’individus dans le monde. Pour autant, le potentiel de l’agriculture ukrainienne n’est pas garanti : selon la FAO, « le potentiel agricole de l’Ukraine dépend en grande partie de son capital naturel et de la gestion durable de ce dernier », et« l’érosion des sols est un défi majeur qui menace l’avantage comparatif de la production agricole en Ukraine ».

Plus généralement, au-delà de la mise en exergue des dépendances des uns et des autres (énergies fossiles et produits dérivés pour les uns, produits agricoles pour les autres), la guerre en Ukraine offre la triste opportunité d’ouvrir une réflexion sur notre façon de produire et de nourrir la population mondiale.


[1] Pour une version plus détaillée, voir le Working Paper n° 10/2022 associé.

[2] Avant la guerre en Ukraine, l’UE importait un tiers de ses engrais de la Russie. Voir aussi ici.

[3] Les exportations agricoles comprennent les matières premières ainsi que les biens alimentaires.

[4] Ces dernières années, quelques agro-holdings sont cependant apparues dans le domaine de l’élevage.

[5] L’érosion des sols, largement documentée, n’est pas seulement un problème ukrainien. La FAO estimait dans son rapport de 2015, qu’environ 1/3 des terres dans le monde et 1/4 des terres dans l’UE étaient touchées par l’érosion des sols. Mais le problème est encore plus préoccupant en Ukraine du fait de sa vocation de « grenier ».

[6] En 30 ans, l’élevage de bétail a été réduit de façon drastique en Ukraine : il est passé de 53 000 têtes en 1990 à 20 000 têtes en 2000 pour atteindre 10 000 têtes en 2020 (source : SSSU).

[7] En première approximation, les productions agricoles de l’Ukraine pour 2022 couvriront au mieux les besoins de la population du pays.




Omicron en Chine : l’épée de Damoclès

par Catherine Mathieu

La stratégie zéro-Covid suivie par la Chine depuis 2 ans semblait avoir été efficace sur le plan épidémiologique mais elle montre ses limites avec l’arrivée de nouveaux variants. Au cours des dernières mois, les confinements se sont multipliés pour freiner la diffusion des variants ; ils se sont fortement durcis ces dernières semaines. Si ces confinements prennent de l’ampleur, comme à Hong Kong en février, plus récemment à Shanghai et peut-être bientôt à Pékin, ils auront un coût économique important en Chine.



Au-delà de leur impact direct sur l’activité en Chine, ces mesures de freinage de la diffusion de la Covid-19 ont aussi des répercussions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales que l’on a pu observer depuis l’été dernier et qui ont contribué à augmenter les tensions sur l’offre hors de Chine (pour une présentation des tensions sur les approvisionnements à la fin février, voir : OFCE, Policy brief n° 102 : « Inflation de tensions »). Les tensions sur les approvisionnements ont légèrement diminué à la fin de l’année 2021 bien que restant à un niveau élevé. Mais le retour des confinements montre à nouveau la fragilité de l’organisation des chaînes de production mondiales.

Nous faisons dans ce billet un point sur la situation sanitaire et économique en Chine, et évoquons plusieurs scénarios qui pourraient conduire à de nouvelles tensions sur les chaînes d’approvisionnement et contribuer à freiner l’activité en Chine et dans le reste du monde.

La stratégie du zéro-Covid…

Du point de vue épidémiologique, même si l’on peut avoir des doutes sur les chiffres officiels, la stratégie chinoise semblait avoir été efficace pendant deux ans. Jusqu’à mars 2022, le nombre de décès totaux dus à la Covid-19 aurait été de 8 par million d’habitants en Chine (y compris Hong Kong) contre 36 à Taiwan, 219 au Japon, 2 114 en France, 2 962 aux États-Unis. Le chiffre pour la Chine est étonnamment bas au regard des autres pays, y compris de ceux ayant aussi choisi une stratégie zéro-Covid, comme la Nouvelle-Zélande (40 décès par million d’habitants). Selon une étude publiée dans le Lancet, le nombre de décès serait quatre fois plus important que selon les chiffres officiels, ce qui resterait au demeurant un chiffre faible. Du fait de la stratégie du zéro-Covid, les Chinois sont très peu protégés par l’immunité naturelle obtenue après infection (1% de la population seulement).

Les Chinois sont massivement vaccinés : 89% de la population, mais avec des vaccins chinois à virus inactivé dont l’efficacité serait plus faible que les vaccins à ARN messager. De plus seulement 50 % des plus de 80 ans auraient reçu deux doses de vaccin. Ces éléments fragilisent la stratégie chinoise face à l’arrivée de variants tels qu’Omicron (lignages BA1 et BA2, à ce jour) beaucoup plus transmissibles. La stratégie du zéro-Covid deviendrait impraticable si le nombre de personnes infectées devenait trop important.

Face à ce risque, depuis la fin de 2021, les confinements localisés se sont multipliés, dont celui de Xi’an (13 millions d’habitants) du 22 décembre 2021 au 14 janvier 2022. Des foyers sont apparus à Pékin. Depuis début janvier 2022, plusieurs villes portuaires ont été touchées par le variant Omicron : Dalian, Shenzhen, Ningbo ainsi que la ville industrielle et portuaire de Tianjin. Cependant, la Chine a limité les déplacements lors du Nouvel An chinois et a réussi à organiser les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin dans une bulle afin d’éviter tout risque de contamination.

Hong Kong, contrainte de s’aligner sur la stratégie chinoise, a été particulièrement frappée en mars. À la date du 25 avril, selon les données officielles, il y aurait eu au total 9 267 décès dus à la Covid-19, soit 1 236 décès par million d’habitants, alors que le nombre de décès était resté très faible depuis le début de la pandémie (213 en février 2022).  Du point de vue économique, la croissance pour 2022 qui était prévue à 3 % par le Consensus des économistes en janvier dernier, a été abaissée à 1,2 % en avril, et n’est que de 0,5 % dans les prévisions d’avril du FMI.

Face à l’arrivée d’Omicron, un tournant de stratégie est difficile à prendre dans la mesure où le président Xi Jinping et le PCC proclament que : « la Chine a vaincu la Covid-19 ». Le scénario le plus probable à court terme est donc que la Chine continue à enrayer la diffusion du variant Omicron en maintenant une stratégie « zéro-Covid dynamique ». Du point de vue politique, cette stratégie conforte le contrôle rigoureux de la population et l’objectif d’autonomie de la Chine vis-à-vis de l’extérieur. Mais cette situation chinoise va contraster de plus en plus avec la levée totale des contrôles dans une grande partie du monde, ce qui ne manquera pas d’engendrer un sentiment de mécontentement, voire de révolte dans la population urbaine.

…a des répercussions économiques

La stratégie du zéro-Covid est économiquement coûteuse. Le confinement strict peut aboutir à stopper partiellement, voire totalement l’activité de certaines villes, de certains ports ou de certaines entreprises, ce qui rompt les chaînes de production et peut créer des pénuries mondiales de produits de consommation (jouets, textiles, …) ou de produits intermédiaires (minerais, composantes pharmaceutiques, électronique…), compte tenu de la place de la Chine comme « usine du monde ». Cela a aussi des conséquences négatives sur la consommation chinoise.

Shenzhen (17,7 millions d’habitants), ville portuaire à proximité de Hong Kong spécialisée dans la production électronique et quatrième port mondial de conteneurs, a été confinée le 14 mars pour une semaine. Dans certains cas, les entreprises réussissent à maintenir leur production. Ainsi, lorsque l’activité a été arrêtée sur les sites de production de Shenzhen, l’entreprise Foxconn, fournisseur taiwanais pour Apple, a indiqué que la production serait certes affectée, que les salariés seraient mis en congé, mais qu’une partie de la production pouvait se poursuivre sur les sites en dehors de Shenzhen. Les travailleurs essentiels des entreprises sont souvent placés dans des bulles (tests, puis isolement dans des quartiers réservés ou sur les sites de production où des hébergements de fortune sont mis en place dans l’urgence, via la construction de dortoirs, l’installation de tentes…) ; une augmentation des cadences de production et des heures supplémentaires s’opère lors de la réouverture des sites. Toutefois, beaucoup d’entreprises se plaignent des difficultés de transports qui rendent incertaine l’arrivée des consommations intermédiaires.

Des confinements très stricts peuvent être mis en place, comme à Shanghai (premier port mondial de conteneurs) où les mesures de restriction ont été durcies fin mars, conduisant à un confinement des 27 millions d’habitants, pour enrayer la montée rapide du nombre de cas. Cette hausse des contaminations a d’ailleurs suivi de près celle observée à Hong Kong. Le nombre de nouveaux cas journaliers s’est cependant stabilisé à la mi-avril à Shanghai (à près de 1 000 par million d’habitants, pour les cas asymptomatiques, et a baissé ensuite (550 au 25 avril, soit une baisse plus précoce que celle relevée à Hong Kong).

À Pékin, des campagnes massives de tests sont organisées depuis la fin avril et il semble probable que des mesures de confinement strictes soient prises comme cela a été fait à Shanghai. Pékin compte 22 millions d’habitants et représente 3,5 % du PIB chinois. Shanghai, avec 27 millions d’habitants, en représente 3,9 %. L’ensemble des villes ou provinces soumises à des mesures de restriction représentait environ 8 % du PIB à la fin avril. Les mesures de restrictions frappent moins l’industrie (qui parvient en partie à se réorganiser) que les services (commerces, hôtellerie-restauration quasiment fermés, transports fortement ralentis). Sous l’hypothèse d’une baisse moyenne d’activité dans ces régions de l’ordre de 30 %, l’impact sur le PIB serait de -2,4 %.  Si l’on suppose que cette situation perdure jusqu’à la fin de l’année et que l’on aura à tour de rôle des villes/régions affectées, l’impact négatif sur l’activité chinoise serait de 1,9 % sur l’année 2022.

Un scénario dans lequel Omicron se diffuserait plus rapidement en Chine n’est pas improbable. Cela pourrait représenter un choc de l’ordre de 7,5 points sur le niveau du PIB au deuxième trimestre (pour rappel le choc avait été de 10 points au seul premier trimestre 2020, le confinement serait maintenant plus brutal, mais plus localisé), avant un retour progressif à la normale.  La croissance chinoise serait alors aussi réduite de près de 2 points en 2022.

Ces deux estimations constituent sans doute un majorant d’une situation dans laquelle les autorités chinoises parviendraient à freiner la diffusion des variants. Ce sont des estimations nettement plus élevées que celle présentée le 12 avril par Allianz Trade (Allianz Trade Global Survey) qui considérait un impact d’Omicron sur l’activité en Chine de -0,4 point en 2022, en supposant la fin des confinements en mai 2022.

Le gouvernement chinois s’est fixé un objectif de croissance de 5,5 % en 2022. La plupart des prévisions de croissance en 2022 étaient voisines de 5 % jusqu’en mars. En avril, le FMI a abaissé sa prévision à 4,4 %, soit une baisse de 0,4 point par rapport à sa prévision de janvier, sous l’effet des restrictions d’activité induites par l’association d’une plus grande transmissibilité d’Omicron et de la stratégie zéro COVID, ainsi que par le ralentissement de la demande extérieure induit par la guerre en Ukraine.

La propagation d’Omicron en Chine se produit alors que les indicateurs conjoncturels avaient signalé une accélération de l’activité en janvier et février 2022. Ainsi, la production industrielle avait accéléré à 7,5 % sur un an en février (contre 4,3 % sur un an en décembre 2021) ; les ventes de détail étaient en hausse de 6,7 % sur un an (contre 1,7 % seulement en décembre 2021). En mars, les mesures de confinement ont contribué à ralentir la production industrielle, mais elles ont surtout fait chuter la consommation des ménages. En mars, la hausse de la production industrielle sur un an ralentissait à 5 % (soit + 0,4 % par rapport à février) et les ventes de détail chutaient de 3,5 % sur un an (soit -1,9 % par rapport à février). Au premier trimestre, le PIB a augmenté de 1,3 % par rapport au trimestre précédent (+4,8 % sur un an) après 1,7 % au quatrième trimestre 2021. La croissance bien que freinée, reste malgré tout supérieure au 0,7 % enregistré au troisième trimestre 2021, lorsque l’activité avait été ralentie par les restrictions mises en place pour éviter la diffusion du variant delta.

Omicron compromet clairement la réalisation de l’objectif de croissance du gouvernement. Une baisse de 0,5 point de la croissance en 2022 du fait de la stratégie zéro-Covid ne serait pas un problème majeur pour les autorités chinoises ; une baisse de 2 points marquerait un échec de la politique sanitaire du gouvernement qui mettrait vraisemblablement en place des mesures de soutien budgétaire et monétaire pour en limiter l’impact.

Le risque de la stratégie zéro-Covid est qu’elle se traduise par un carrousel permanent de confinements. À moyen terme, peut-on envisager une sortie raisonnée de la stratégie du zéro-Covid vers la stratégie de « vivre avec le virus » ? Les Chinois mettraient en place une vaccination efficace par un vaccin ARN messager, soit à partir d’un brevet acheté à l’Occident (ce qui semble peu probable), soit d’origine chinoise (quand il sera au point). Les frontières seraient progressivement rouvertes. La moindre gravité du variant Omicron par rapport aux variants précédents permettrait d’alléger les mesures de contrôle, d’éviter la mise en place de mesures strictes de confinement quitte à accepter une certaine hausse du nombre de personnes infectées ou hospitalisées et du nombre de décès. Les fermetures de ports ou d’entreprises seraient, pour l’essentiel, évitées. Un tel tournant ne pourrait sans doute pas intervenir avant le 20e Congrès du PCC à l’automne 2022. Il est actuellement fermement rejeté par les autorités chinoises qui pointent le risque de déstabilisation de l’économie, de forte hausse du nombre d’hospitalisations et de décès. Elles estiment que la protection apportée par la vaccination serait insuffisante et souhaitent maintenir une stratégie « zéro-Covid dynamique ».

Printemps 2022 : montée des incertitudes  

Dans un scénario où la diffusion d’Omicron et les mesures prises pour freiner celle-ci coûteraient près de 2 points de PIB en Chine en 2022, l’impact se propagerait sur l’économie mondiale par un effet demande et pourrait être de l’ordre de 0,7 point sur le PIB mondial[1]. De plus, les arrêts de production en Chine aggraveraient les tensions sur les chaînes de production, d’abord en Corée du Sud et au Japon, puis dans les pays occidentaux, avec un impact important sur l’économie mondiale : accentuation des ruptures des chaînes de production, manque de matières premières et de produits intermédiaires, d’où accentuation des tensions inflationnistes.

Les tensions sur les approvisionnements avaient atteint des niveaux très élevés à l’automne 2021 pour ne s’atténuer que légèrement ensuite. C’est aussi ce que signalait dans sa mise à jour parue début mars, l’indicateur de tensions sur les chaînes d’approvisionnement construit à la Fed de New York (à partir des indicateurs PMI et de coût du fret) qui ne montrait qu’une légère décrue depuis décembre 2021. Ainsi, l’indicateur a baissé de 4,5 en décembre 2021 (son niveau le plus élevé historiquement) à 3,82 en janvier 2022 puis 3,31 en février (graphique 1). La baisse était forte aux États-Unis et en Asie hors Chine ; elle était plus faible pour la Chine et quasi-inexistante pour la zone euro[2].

Les indicateurs de coût du fret maritime des conteneurs au départ de Shanghai (indice SCFI), comme de l’ensemble de la Chine (indice CCFI) sont aussi en baisse depuis le début de l’année même s’ils restaient très élevés à la fin avril (graphique 2). À partir de la mi-2021, une partie des tensions sur le fret maritime ont été provoquées par la poussée d’achats de biens durables aux États-Unis qui a entraîné une forte hausse des exportations chinoises vers les États-Unis alors que les navires étaient souvent contraints de revenir à vide.

En 2022, en raison des périodes de confinement, les blocages dans les ports chinois devraient peser sur les délais et les coûts du transport maritime qui resteraient à des niveaux élevés pour la troisième année consécutive.  S’y ajoutent les blocages du transport routier en Chine. Ainsi, en mars 2022, une marchandise sortant d’une usine chinoise mettait en moyenne 110 jours pour atteindre un entrepôt américain contre 50 en 2019[3].

À court terme, à l’échelle mondiale, à la poussée inflationniste sur l’énergie et les matières premières, s’ajoute la persistance de pénuries physiques de produits intermédiaires, perturbant fortement la production de plusieurs secteurs industriels. 46% des entreprises industrielles allemandes dépendent de produits intermédiaires chinois[4]. Les pénuries de semi-conducteurs ont un impact particulièrement important sur des secteurs comme les équipements informatiques, les biens d’équipements et surtout sur le secteur automobile. Certains constructeurs se résignent à proposer des produits plus simples avec moins d’équipements informatiques non essentiels. Les industriels souffrent aussi de pénuries sporadiques causées par la mise en arrêt ou la congestion des ports de conteneurs. Les conséquences sur l’économie mondiale dépendront cependant de deux facteurs difficiles à évaluer, la capacité de la Chine à endiguer la résurgence de la Covid-19 (ou à s’y résigner), la capacité des entreprises occidentales à s’adapter (ou non) aux pénuries fluctuantes d’importations en provenance de la Chine.  

Il est cependant possible de donner un ordre de grandeur majorant de l’impact que pourrait avoir la propagation de l’épidémie en Chine[5] sur l’économie mondiale. Selon la BCE, les goulots d’étranglement induits par la crise Covid auraient été responsables d’une baisse de 2,6% de l’activité industrielle dans la zone euro entre octobre 2020 et septembre 2021. Supposons qu’en 2022, sans la propagation de l’épidémie en Chine à partir du deuxième trimestre, les goulots d’étranglement disparaitront progressivement tandis qu’avec le niveau de propagation actuel, l’effet provoquerait, sur l’année, une baisse de 1,3% de l’activité industrielle, soit de l’ordre de 0,4% du PIB de la zone euro.

En conclusion

Le modèle sanitaire de gestion de la pandémie en Chine reposait pour partie sur un pari : l’éradication du virus par une politique rigoureuse de zéro-Covid. De toute évidence, ce pari sera perdu. Les coûts économiques et humains sont importants. La Chine devra sans doute adopter après l’automne 2022 et le congrès du PCC une stratégie de vivre avec la Covid-19, avec une vaccination de masse, grâce à un vaccin plus efficace et l’acceptation d’un nombre plus élevé de contaminations et de décès. C’est l’épée de Damoclès qui pèse sur l’économie chinoise et par voie de conséquence l’économie mondiale.


[1] Voir une estimation de l’impact de la chute de la demande chinoise dans : Alexei Kireyev et Andrei Leonidov (2016) : « China’s Imports Slowdown: Spillovers, Spillins, and Spillbacks », IMF Working Papers. 

[2] Voir aussi : « Supply chain bottlenecks in the euro area and the United States: where do we stand?  », ECB Economic Bulletin, Issue 2/2022.

[3] Voir : https://www.bloomberg.com/news/features/2022-04-25/china-s-covid-crisis-threatens-global-supply-chain-chaos-for-summer-2022

[4] Voir : Baur A. et L. Flach : « Deutsch-chinesische Handelsbeziehungen: Wie abhängig ist Deutschland vom Reich der Mitte?  », ifo Schnelldienst, n° 4, 31 mars 2022.

[5] Voir : Martin J., Lafrogne-Joussier R. et I. Mejean : « Supply shocks in supply chains: Evidence from the early lockdown in China », CEPR Discussion Paper,  2021 ; Celasun O. et al. : « Supply Bottlenecks: Where, Why How Much and What Next?  », IMF Working Papers, février 2022 ; de Santis R.: « Sources of supply chain disruptions and their impact on euro area manufacturing », ECB Economic Bulletin, Issue 8/2021 ; Christine Lagarde : « A new global map: European resilience in a changing world », Keynote Speech at the PIIE, 22 avril.




La rigueur et l’indépendance de Jean-Paul Fitoussi, par Francesco Saraceno

Il est difficile de rappeler, en quelques lignes et dans un moment de forte émotion, la place éminente que Jean-Paul Fitoussi a eu dans le débat européen et italien.  Jean-Paul était avant tout un brillant économiste. Sa thèse de doctorat, sur lnflation, équilibre et chômage, soutenue en 1971 et publiée en 1973, contenait une analyse du lien entre l’activité économique et l’inflation qui allait bien au-delà de la controverse monétariste de l’époque, et dont la pertinence est attestée par les événement des dernières semaines.  Au cours de ces années, il a été également l’un des rares économistes non anglo-saxons à avoir contribué au débat sur les fondements microéconomiques de la macroéconomie, qui a été l’un des éléments de la renaissance de la théorie keynésienne après la révolution des anticipations rationnelles.



Mais malgré la promesse d’une brillante carrière universitaire et le fait de ne jamais avoir cessé de faire de la recherche, Fitoussi a rapidement décidé de sortir de la tour d’ivoire et devenir l’intellectuel engagé que nous connaissons. Cet engagement explique son dévouement à l’OFCE, qu’il intègre dès le début en 1981 et qu’il a présidé de 1989 à 2010. Il explique aussi pourquoi, au sein de Sciences Po dont il devient membre du corps professoral, au même moment, il travaille au renforcement de l’enseignement d’économie dans le cursus alors que les élites étaient encore convaincues que la formation d’un homme d’État devait se limiter au droit et à la science politique. Depuis sa position privilégiée à l’OFCE, Fitoussi a nourri le débat public en Europe, en France, mais aussi en Italie qu’il a tant aimée (où il avait séjourné à l’Institut européen de Fiesole et où il est retourné dès que possible jusqu’à la fin). Européen convaincu, il fut cependant dès le début un critique féroce de la structure néolibérale de la construction européenne. Le thème est au centre de l’un de ses plus beaux ouvrages, Le débat interdit (1996), dans lequel Fitoussi mettait en exergue le rétrécissement progressif d’un discours public marqué par une pensée unique qui, ne donnant pas de place à des visions alternatives, conduisait à une sorte d’autocensure des intellectuels et des décideurs au moment où le débat sur la forme à donner à l’Europe battait son plein.  Précisément dans son dernier ouvrage paru en italien puis en français, La neolingua dell’economia (Comme on nous parle), il a idéalement fermé la boucle en reprenant le discours sur l’asphyxie du débat public, malheureusement sans la combativité du Débat interdit mais teinté d’un pessimisme sombre sur l’avenir. Les travaux de Fitoussi sur l’Europe, que j’ai eu souvent l’honneur de cosigner, n’ont cessé d’insister sur les caractéristiques fondamentalement déflationnistes (et pourtant évitables) de la monnaie unique. Il y a quelques jours à peine, au téléphone, nous avons (à moitié) plaisanté sur le fait que le débat qui fait rage en ce moment sur la réforme des institutions européennes aurait pu commencer il y a quinze ans au début des années 2000, si seulement les bonnes lectures avaient été faites.

L’humanisme, la lutte contre la conception technocratique de l’économie, est le fil rouge qui lie toute la trajectoire de Fitoussi et qui explique comment en 2009, il a été l’inspirateur de la  Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi  sur la mesure du bien-être au-delà du PIB ; un travail qui a porté ses fruits et que Fitoussi n’a jamais interprété comme un viatique pour  la décroissance, mais plutôt comme l’impératif de remettre la répartition des revenus au cœur des politiques publiques. Même avant la crise de 2008, les inégalités et leurs effets sur la croissance, l’investissement, les déséquilibres financiers étaient au centre des préoccupations de Fitoussi, ce qui, au fil des ans, a contribué au débat sur la tension entre la démocratie et le marché et sur la nécessité pour l’État de redécouvrir ce rôle de régulateur et d’intermédiaire entre les citoyens et les puissances économiques qu’il avait eu dans les années dorées de la social-démocratie.

Maintenant que le consensus néolibéral contre lequel Fitoussi s’est battu toute sa vie n’est plus aussi granitique qu’auparavant, les mille pistes de réflexion données par son travail seront très utiles.  Je ne saurais m’arrêter ainsi. Pour moi Jean-Paul était un Maître, un collègue et, avant tout, un ami.  C’est lui qui m’a accueilli à l’OFCE, il y a maintenant vingt ans (sur l’insistance d’un ami, l’entretien ne s’était pas bien passé !), et qui m’a ensuite honoré d’une confiance qui a servi de base à une collaboration qui a duré jusqu’à ce jour. Dans son bureau, au milieu de nuages perpétuels de cigarettes, nous avons discuté et écrit sur l’Europe, la théorie économique, les inégalités, la démocratie. Surtout, j’ai appris jour après jour que la rigueur et l’indépendance de jugement sont le seul passeport pour faire autorité dans une profession de plus en plus déchirée par des guerre de gangs. C’est certainement la leçon la plus importante de Fitoussi : ne jamais faire mystère de ses convictions et, tout en étant toujours rigoureux dans son raisonnement, ne jamais les dissimuler dans une prétendue objectivité « scientifique ».  Ce n’est pas un hasard si, malgré l’étiquette de keynésien, il était l’un des intellectuels les plus consultés (bien que malheureusement rarement entendu) par les politiciens et les hommes de gouvernement, qu’ils soient de droite ou de gauche : parler à tout le monde, n’être recruté par personne, on pourrait résumer ainsi sa vie intellectuelle.  En ce jour de grande tristesse, j’ai une certitude : pratiquer quotidiennement la rigueur et l’indépendance au service du débat public sera le meilleur moyen de faire vivre le message de Jean-Paul Fitoussi.

Article paru en italien dans le quotidien Domani le 15 avril 2022




Compte rendu du séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », Cevipof-OFCE, séance 3 – 11 mars 2022

La politique industrielle européenne au défi de la transition énergétique. Écologie industrielle et régime énergétique

Intervenants : Cyrille COUTANSAIS (IRSEM), Michel DEBROUX (DS Avocats) et Sarah GUILLOU (OFCE)

Le séminaire « Théorie et économie politique de l’Europe », organisé conjointement par le Cevipof et l’OFCE (Sciences Po), vise à interroger, au travers d’une démarche pluridisciplinaire systématique, la place de la puissance publique en Europe à l’heure du réordonnancement de l’ordre géopolitique mondial, d’un capitalisme néolibéral arrivé en fin du cycle et du délitement des équilibres démocratiques face aux urgences du changement climatique. La théorie politique doit être le vecteur d’une pensée d’ensemble des soutenabilités écologiques, sociales, démocratiques et géopolitiques, source de propositions normatives tout autant qu’opérationnelles pour être utile aux sociétés. Elle doit engager un dialogue étroit avec l’économie qui elle-même, en retour, doit également intégrer une réflexivité socio-politique à ses analyses et propositions macroéconomiques, tout en gardant en vue les contraintes du cadre juridique.

Réunissant des chercheurs d’horizons disciplinaires divers, mais également des acteurs de l’intégration européenne (diplomates, hauts fonctionnaires, prospectivistes, avocats, industriels etc.), chaque séance du séminaire donnera lieu à un compte rendu complet publié sur les sites du Cevipof et de l’OFCE.



1. La perspective juridique : un embryon de politique industrielle au travers du régime des aides d’État

Michel Debroux, avocat en droit européen de la concurrence, introduit son propos par un rappel historico-juridique du cadre juridique européen. Pendant longtemps, politique industrielle et construction européenne ont été un oxymore. Les traités de Rome de 1957 ne contenaient pas de disposition spécifique relative à la politique industrielle, alors qu’ils définissaient déjà des règles européennes en matière de concurrence, règles dont la rédaction n’a pas fondamentalement changées même si les politiques de mise en œuvre ont fortement évolué. La politique de concurrence se trouve donc dès l’origine au cœur de l’intégration européenne : en l’absence de base juridique autonome pour une politique industrielle, c’est le droit de la concurrence, ainsi que la construction du marché intérieur en 1992, qui tiennent lieu de politique industrielle ou économique européenne. Les années 1990 connaissent des évolutions en raison de la perspective d’élargissement à des pays du centre et de l’est de l’Europe, fortement industrialisés. Le Traité de Maastricht (1992) et l’achèvement du marché intérieur ont été perçus à l’époque comme une forme de politique industrielle, selon une logique de politique horizontale visant à créer les conditions pour que les acteurs privés puissent développer leurs activités. Il ne s’agit toutefois pas à proprement parler d’une véritable politique industrielle du fait de l’absence d’axes prioritaires clairement définis, ni de véritable budget dédié. Le Traité de Maastricht intègre, certes, la politique européenne dans les compétences de l’Union, mais uniquement comme compétence d’appui de l’UE[1] (incitation, coordination, accompagnement des politiques industrielles nationales), à l’inverse des politiques commerciales ou de concurrence.

La crise des subprimes de 2008-2009 a constitué un premier grand tournant, en marquant la fin d’une tendance très (néo)libérale de la doxa de la Commission européenne. Il faut se rappeler que le « Plan d’action » dans le domaine des aides d’Etat, élaboré en 2005 sous l’impulsion de la très libérale Commissaire européenne à la concurrence Neelie Kroes, en 2005, affichait l’objectif d’aboutir à des aides d’État « moins nombreuses et mieux ciblées ».  Or, si les traités confèrent à la Commission la compétence pour se prononcer sur la compatibilité des aides d’Etat avec le marché intérieur, ils ne contiennent aucune règle permettant à la Commission de fixer un objectif de limitation ex ante des aides d’Etat en volume. Avec la crise de 2008-2009, ce sont justement les aides d’État qui permettent de surmonter le choc dans un premier temps, avec l’adoption dans l’urgence de plans nationaux de soutien aux entreprises. Au cours de la décennie 2010, les institutions européennes commencent donc à assumer un discours moins défavorable à la politique industrielle.

Nous constatons ainsi l’émergence en Europe, de ce que l’on pourrait qualifier d’embryon de politique industrielle, avec notamment l’adoption en 2014 d’un règlement d’exemption qui permet d’approuver par avance des aides d’État sans avoir à passer par l’autorisation de la Commission européenne. Dans ce règlement, la fixation des seuils en-deçà desquels une mesure ne doit pas être notifiée joue un rôle de « fléchage » des mesures nationales de soutien en faveur de tel ou tel type d’investissement.  Ainsi orientées, les aides d’État jouent le rôle d’instrument de politique industrielle (financement des PME, R&D, économies d’énergie, développement régional, etc.), mais pour autant, ce retour en grâce des aides d’Etat n’équivaut toujours pas à une véritable politique industrielle proprement européenne : en l’absence de base juridique spécifique conférant une compétence propre de l’UE en matière de politique industrielle, celle-ci demeure pour l’essentiel une démarche d’incitation, d’orientation et de coordination de politiques industrielles nationales.

Mais notons la nouvelle temporalité en matière de réaction aux crises, qui débouche aujourd’hui sur des mesures et initiatives qui sont désormais très proches d’une authentique politique industrielle, ce terme lui-même – autrefois tabou – étant d’ailleurs assumé, voire revendiqué : il n’a fallu à la Commission qu’une semaine pour réagir à la crise du Covid-19. Même réactivité pour la crise ukrainienne. Il faut également garder en tête que le « Brexit » redonne du poids à une approche plus continentale, et donc davantage « française ». Le « Green Deal » annoncé par la Commission von der Leyen (fin 2019) et le plan de relance européen post-Covid dessinent l’ossature d’une politique industrielle européenne avec une volonté politique, un cadre juridique et règlementaire et un budget.

Le cadre juridique demeure toutefois très complexe, avec un mélange d’outils juridiques et, en toile de fond, le droit européen de la concurrence qui encadre les initiatives. Les bases juridiques déterminent les modes d’adoption des textes, et donc le rôle et la place plus ou moins forte du Parlement européen dans le processus décisionnel. L’article 173 TFUE[2] relatif à l’industrie montre la grande prudence de l’UE en matière de politique industrielle, le primat de l’approche concurrentielle et de compétitivité, et la faible place accordée au Parlement européen sur ces questions. Quant à la dimension budgétaire (qui relève du budget européen classique, avec par exemple le soutien aux réseaux d’interconnexion énergétique au travers du programme CFE), la difficulté de retracer la source des financements attribués à telle ou telle initiative entrave la possibilité d’identifier clairement des axes de politiques industrielles européennes.

L’énergie comme exemple de politique industrielle européenne montre bien cet effet de « puzzle » composé de nombreuses pièces législatives : la European Climate Law de 2021[3], qui fixe l’objectif juridiquement contraignant de neutralité carbone à l’horizon 2050, avec une étape intermédiaire en 2030 ; le règlement Taxonomie verte de 2020[4] qui vise à mettre en place une labellisation de projets d’investissements privés (il n’est donc une fois de plus pas question de financement public européen), avec l’épineuse question d’intégrer ou non le nucléaire (question renvoyée à un acte délégué de la Commission européenne qui dresse la liste des types d’investissement « vert ») ; les projets de fiscalité énergétique (avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE) ; ainsi qu’une grande variété de directives et de communications, et les lignes directrices de la Commission pour les aides d’État relatives au secteur de l’énergie, adoptées en janvier 2022.

La « politique industrielle européenne » n’est donc plus un oxymore, c’est au contraire une réalité dont le secteur de l’énergie est l’un des meilleurs exemples, mais la variété des outils et les contraintes juridiques en rendent encore la mise en œuvre particulièrement complexe.

2. La perspective économique : le tournant de la fusion ratée Alstom-Siemens de 2019

Sarah Guillou, directrice du département Innovation et concurrence de l’OFCE, évoque une publication de la Documentation française de 2008 consacrée à la présidence française de l’UE, avec déjà l’énergie et l’environnement comme priorités et la problématique de la dépendance de l’Europe au gaz russe. La concurrence des diplomaties énergétiques nationales intra-européenne n’a jamais permis de faire aboutir le projet de mutualisation des stocks, pourtant dans les tiroirs depuis des années. La présidence française de l’UE de 2008 affichait trois objectifs : sécurité d’approvisionnement, durabilité environnementale, compétitivité (prix et coût de l’énergie). Ces trois objectifs pouvaient se résumer, selon la formule d’un diplomate, dans le « triangle vertueux » : Moscou (sécurité d’approvisionnement), Kyoto (durabilité) et Lisbonne (compétitivité). De vertueux, ce triangle a, depuis, pris la tournure d’un triangle d’incompatibilité ou de tensions.

Aujourd’hui, nous observons une légère baisse (mais toujours bien insuffisante) de la dépendance européenne au gaz russe. D’autre part, le mécanisme européen de taxation du carbone (2005) demeure encore inégalé au monde. Peu efficace au début, il a progressivement gagné en utilité avec un prix de la tonne carbone qui a atteint 100 euros. Enfin, à la suite de la crise du Covid-19, le plan de relance européen appelle à la mise en œuvre de nouvelles ressources fiscales, avec en ligne de mire une communautarisation des ressources issues du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE.

En matière de compétitivité européenne, l’UE conserve des positions fortes dans les industries traditionnelles (avec un rang de 1er ou 2e exportateur selon les secteurs) et reste une zone excédentaire malgré une forte hétérogénéité intra-européenne. Il n’en demeure pas moins que les objectifs de Lisbonne de 2000 et de l’agenda 2020 n’ont clairement pas été atteints. L’écart dans le domaine de l’économie numérique entre l’Europe et les États-Unis ou la Chine est patent. Cela dit, aujourd’hui, l’UE, notamment par la voix de la Commission européenne, parle toujours davantage de numérisation et d’économie verte. Le mécanisme d’ajustement carbone au frontière prévoit une première étape majeure dès 2023 avec l’obligation déclarative des importateurs du contenu carbone de leurs importations, suivie de l’obligation d’achat de crédits d’émission carbone pour 2026.

Nous observons un changement de paradigme en matière de politique industrielle en Europe. Jusqu’alors, la politique industrielle se faisait au travers d’exemptions majeures en matière d’aides d’État (R&D et développement durable) visant à modifier la nature de la spécialisation européenne et à introduire davantage d’innovations et de processus respectueux de l’environnement (logique de politique horizontale et non sectorielle, sauf pour le spatial et l’agriculture). Le nouveau paradigme qui se dessine, depuis quelques années, s’articule autour d’un élargissement des domaines d’autorisation des aides d’Etat (domaines d’exemption) et d’une attention croissante portée à l’autonomie technologique de l’Europe.

À cet égard, sur le plan des acteurs économiques, la décision de la Commission européenne d’interdire la fusion entre Alstom et Siemens en 2019 a déclenché une prise de conscience de l’importance de la dimension d’autonomie stratégique et a conduit les Allemands à prendre position sur ces questions, jusqu’alors plus ou moins ignorées ou minorées vis-à-vis du primat du paradigme de la concurrence et de la compétitivité (position commune des ministres de l’économie français et allemand Bruno Le Maire et Peter Altmaier[5]). Le rachat de l’entreprise de robotique allemande Kuka par l’entreprise chinoise Midea en 2016-2017 avait déjà constitué un premier électrochoc allemand. En toile de fond, le protectionnisme de l’administration Trump a aussi contribué à modifier durablement la perception qu’ont les Européens de leur alliance économique avec les Américains. Enfin, lors de la crise du Covid-19, l’UE a fait l’expérience des conséquences sanitaires comme économiques de l’apparition soudaine de tensions dans l’approvisionnement en produits et matériels de protection médicale, à laquelle s’est ajoutée, en sortie de crise, la pénurie de composants intermédiaires critiques (semi-conducteurs) pour les industries européennes (en particulier le secteur automobile) et matières premières (comme le magnésium). La guerre en Ukraine accentue dramatiquement l’ensemble des facteurs déstabilisateurs de l’économie européenne. Dans ce nouveau contexte mondial, les relations entre compétitivité et sécurité d’approvisionnement demeurent conflictuelles au sein de la gouvernance économique européenne.

Un objet nouveau qui signale ce changement de paradigme est les Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (en anglais IPCEI pour Important Project of Common European Interest) avec, entre autres, l’initiative franco-allemande sur les batteries, avec un objectif de levée de fonds de 5 à 6 Md€ (à partir d’un financement public franco-allemand de 1,2 Md€), et l’hydrogène (projet ouvert en 2020, à destination essentiellement des mobilités lourdes, avec 15 projets français) doté de 7Md€ de financement public à horizon 2030. Le European Chips Act est également un acte fondateur d’une politique industrielle plus verticale[6]. Cependant, de ce changement de paradigme ne naîtra une politique industrielle européenne qu’à condition que des moyens propres y soient dédiés. Le triangle Environnement-Compétitivité-Energie demeure au cœur des politiques européennes et l’articulation entre ces trois pôles, encore au cœur des débats sur la hiérarchie des priorités politiques.

3. La perspective géostratégique : enjeux et contraintes de la diversification des approvisionnements par importation de gaz liquéfié naturel (GNL)

Cyrille Coutansais, directeur de recherches au Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM), souligne le nouveau paramètre apparu aux yeux des Européens avec la guerre en Ukraine : la guerre redevient possible entre États, y compris entre puissances nucléaires. Elle n’est plus une idée abstraite, mais une expérience réelle. Se pose, en outre, à nouveaux frais, la question de Taïwan.

La question énergétique se présente sous la forme d’un triangle dont les composantes sont 1) l’efficacité énergétique, 2) le prix et 3) la souveraineté. Si cette dernière composante avait été un peu oubliée en Europe, elle ne l’a jamais été de certains pays comme l’Inde (qui a opté pour le maintien d’une production d’électricité à base de charbon afin de ne pas dépendre du gaz iranien qui transiterait par le frère ennemi pakistanais). La guerre en Ukraine arrive dans un contexte de hausse de la demande en gaz en raison d’une moindre production des énergies renouvelables : la sècheresse en Chine a diminué la production électrique de ses barrages ; l’absence de vent, cet été, en mer du Nord qui a affecté la production de l’éolien en mer. Au final, miser aujourd’hui sur un mix énergétique composé de 100% d’énergies renouvelables veut dire plus de consommation de gaz pour pallier leur intermittence. Par ailleurs, l’UE mise sur l’hydrogène mais ce choix stratégique relève d’une forme de pari dont on ne connaît pas le résultat à terme.

L’UE s’est donnée comme objectif de diversifier ses approvisionnements en gaz par le recours, notamment, au GNL (gaz naturel liquéfié) importé par transport maritime (méthaniers). Mais les livraisons de GNL par bateau se font « au meilleur prix » : une livraison peut être détournée en cours d’acheminement vers un autre pays plus offrant. Elles nécessitent, en outre, des usines de regazéification (terminaux méthaniers). Or ces aspects ne sont pas exempts du jeu des rivalités intra-européennes. La France a ainsi fait le choix de ne pas connecter ses gazoducs à l’Espagne afin de ne pas favoriser celle-ci dans sa stratégie de devenir un hub méthanier, en concurrence avec le terminal méthanier français de Fos-Cavaou. Enfin, garantir ses approvisionnements par transport maritime de GNL suppose de disposer d’une flotte souveraine. Or, les marins assurant la bonne marche de l’ensemble du transport maritime mondial sont essentiellement de cinq ou six nationalités, avec 15% à 20% de Russes et d’Ukrainiens. Cet aspect RH soulève l’enjeu crucial de constituer une flotte stratégique commerciale européenne, avec toute la difficulté d’attirer les Européens vers le métier de marin de commerce.

Sur l’industrie européenne, les choses évoluent significativement du fait que l’Allemagne a commencé à bouger voyant que la Chine vient la concurrencer directement sur son terrain. Ensuite, le choix de la Commission européenne de pousser les constructeurs automobiles européens vers la voiture électrique enclenche mécaniquement l’enjeu de production des batteries (qui représente près de 40% de la valeur du véhicule). Sur la taxe carbone, en théorie, sur le papier, l’idée est relativement simple (notamment pour les matières premières). Mais dans le détail, comment tracer la part carbone pour des produits complexes (comme une voiture par exemple) ? Une possibilité pourrait être de passer à un modèle d’aides.

Enfin, en matière de numérique, avec l’arrivée de la 5G dans les usines, se pose la question de l’impact sur la localisation de la production. Il est remarquable qu’il n’y ait jamais eu autant d’autorisations de création de sites industriels en France. Cela s’explique par l’évolution vers des sites industriels davantage compacts et robotisés, couplée à une demande de rapidité de livraison par un consommateur toujours plus exigeant (ce qui impose de rapprocher la production du lieu de consommation).


[1] Article 6 TFUE dans la nomenclature actuelle : « L’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité européenne :

a) la protection et l’amélioration de la santé humaine ;

b) l’industrie ;

c) la culture ;

d) le tourisme ;

e) l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport ;

f) la protection civile ;

g) la coopération administrative. »

[2] Article 173 TFUE : « 1. L’Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de l’Union soient assurées. À cette fin, conformément à un système de marchés ouverts et concurrentiels, leur action vise à :

  • accélérer l’adaptation de l’industrie aux changements structurels ;
  • encourager un environnement favorable à l’initiative et au développement des entreprises de l’ensemble de l’Union, et notamment des petites et moyennes entreprises ;
  • encourager un environnement favorable à la coopération entre entreprises ;
  • favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel des politiques d’innovation, de recherche et de développement technologique.

2. Les États membres se consultent mutuellement en liaison avec la Commission et, pour autant que de besoin, coordonnent leurs actions. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment des initiatives en vue d’établir des orientations et des indicateurs, d’organiser l’échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l’évaluation périodiques. Le Parlement européen est pleinement informé.

3. L’Union contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 au travers des politiques et actions qu’elle mène au titre d’autres dispositions des traités. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, peuvent décider de mesures spécifiques destinées à appuyer les actions menées dans les États membres afin de réaliser les objectifs visés au paragraphe 1, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

Le présent titre ne constitue pas une base pour l’introduction, par l’Union, de quelque mesure que ce soit pouvant entraîner des distorsions de concurrence ou comportant des dispositions fiscales ou relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés. »

[3] Règlement n° 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique.

[4] Règlement n° 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables.

[5] Bruno Le Maire et Peter Altmaier, « Après l’échec de la fusion Alstom-Siemens, Altmaier et Le Maire : “Nous allons proposer une adaptation du droit européen de la concurrence” », Le Monde, 7 février 2019.

[6] Déclaration de la Commission européenne, « EU Chips Act : le plan de l’Europe pour redevenir leader mondial des semi-conducteurs », 8 février 2022.




La Réserve fédérale peut-elle ramener l’inflation vers 2% ?

par Christophe Blot

Lors de la réunion de politique monétaire qui s’est tenue le 16 mars 2022, la Réserve fédérale a augmenté son taux d’intérêt d’1/4 de point, le portant ainsi à 0,5 %[1]. Avec la forte augmentation de l’inflation observée aux États-Unis depuis le printemps 2021, il y a peu de doute que ce mouvement se poursuivra, ce que confirmait d’ailleurs récemment Jerome Powel qui envisageait une hausse d’1/2 point lors de la réunion du 4 mai. Au-delà, les anticipations issues des contrats à terme sur le taux des fonds fédéraux suggèrent un taux d’intérêt d’au moins 3 % à la fin de l’année. La banque centrale américaine parviendra-t-elle à ramener l’inflation vers sa cible ? Dit autrement, la nature des déséquilibres qui poussent les prix à la hausse peuvent-ils être corrigés par la politique monétaire ? Jusqu’où les taux d’intérêt doivent-ils augmenter pour juguler la poussée inflationniste actuelle ?



Après s’être établie à 1,2 % en 2020, l’inflation, mesurée par le déflateur de la consommation, a atteint 3,9 % en 2021 en moyenne annuelle, soit un niveau nettement supérieur à la cible de 2 % de la Réserve fédérale[2]. Surtout, contrairement aux anticipations formulées par les membres du FOMC (Federal open-market Committee) mi-2021,[3] cette dynamique s’est largement amplifiée si bien qu’en février 2022, l’inflation dépassait 6 %, un record depuis 1982[4]. Comme le rappellent Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno, l’inflation résulte nécessairement de déséquilibres sectoriels de marchés qui trouvent leur source soit dans l’insuffisance de l’offre soit dans un excès de demande. La réponse idoine de politique économique doit par conséquent s’appuyer sur un diagnostic aussi complet que possible des causes de cette inflation qui se traduit par des coûts sociaux[5]. Toutefois, étant donné le mandat de la Réserve fédérale, le resserrement de la politique monétaire semble inéluctable[6]. Dans le cas des États-Unis, il s’agit d’un double mandat puisque selon le Reserve federal Act, la banque centrale américaine met en œuvre la politique monétaire afin de promouvoir la stabilité des prix et un niveau d’emploi maximum. Avec un taux de chômage de 3,6 % en mars 2022, la Réserve fédérale considère logiquement qu’elle est plus éloignée de son objectif de stabilité des prix que de son objectif de plein-emploi. Au-delà du taux de chômage d’autres indicateurs tels que le taux de démission ou le rapport entre le nombre de chômeurs et les ouvertures de postes confirment l’existence de tensions sur le marché du travail[7].

La question principale est donc de savoir quelle devrait être l’ampleur du resserrement qui permettrait de ramener l’inflation vers sa cible. La réponse à cette question dépend notamment de la transmission de la politique monétaire aux prix. Comment réagit l’inflation lorsque la banque centrale décide d’augmenter son taux d’intérêt ? Rappelons que la banque centrale ne fixe qu’un taux particulier : un taux du marché monétaire de très court terme. Mais les modifications de ce taux se transmettent ensuite à l’ensemble des taux de marché et des taux bancaires, aux prix des actifs financiers et immobiliers. La politique monétaire influence donc l’ensemble des conditions de financement et par ce biais, la consommation des ménages, l’investissement des ménages et des entreprises[8]. Lorsque la banque centrale durcit sa politique monétaire, la demande se réduit et le chômage augmente, ce qui se répercute sur les prix : prix des biens et services et salaires. Il est possible de quantifier l’impact de la politique monétaire sur l’inflation à partir de l’estimation de l’effet d’une hausse des taux sur le chômage et du lien entre l’inflation et le chômage.

Une analyse récente de Silvia Miranda-Agrippino et Giovanni Ricco (2021) suggère qu’une hausse de 1 point du taux d’intérêt fixé par la banque centrale accroît le taux de chômage de 0,3 point au bout de 12 mois.[9] Toutes choses égales par ailleurs, Ball et Mazumder (2011) suggèrent qu’un point de chômage supplémentaire réduirait l’inflation de 0,5 point à partir de l’estimation d’une courbe de Phillips standard[10]. Ainsi, l’augmentation des taux de 0,25 à 3 % d’ici la fin de l’année 2022 se traduirait par une baisse de l’inflation de 0,4 point. Le scénario de durcissement envisagé pour la politique monétaire semble donc largement insuffisant pour ramener l’inflation vers sa cible de 2 %. Dit autrement, la Réserve fédérale ne pourrait espérer réduire l’inflation qu’au prix d’une hausse plus forte du taux d’intérêt. Un tel scénario n’est cependant pas raisonnable.

D’une part réduire l’inflation de 4 points – passer de 6 % à 2 % – suppose une hausse de taux tellement forte qu’elle pousserait l’économie américaine vers une récession violente et une hausse brutale du chômage. Ce fut le choix fait par Paul Volcker, président de la Réserve fédérale entre 1979 et 1987, qui mena une politique monétaire fortement restrictive au début de son mandat pour réduire l’inflation américaine qui dépassait 10 % en fin d’année 1979 (graphique 1). Il en a résulté une forte augmentation du taux de chômage qui a alors atteint son niveau le plus élevé depuis 1951[11]. La situation actuelle au regard de l’inflation n’est cependant pas totalement comparable. L’inflation actuelle résulte en partie de facteurs d’offre qui seraient temporaires selon Reifschneider et Wilcox (2022)[12]. Or, la politique monétaire serait peu efficace pour contrer un choc sur le prix de l’énergie ou qui résulte de contraintes d’approvisionnement au niveau mondial puisque ces facteurs ne dépendent pas – ou peu – de la situation macroéconomique américaine. Il ne faudrait donc agir que sur la contribution de l’inflation qui résulte de facteurs internes et notamment des tensions sur le marché du travail qui ont été en partie alimentées par les stimuli budgétaires de Donald Trump en 2020 puis de Joe Biden en 2021[13]. Force est cependant de constater que de la Réserve fédérale, comme de nombreux prévisionnistes, se sont trompés sur la durée de cet épisode inflationniste considérant que les facteurs d’offre s’atténueraient plus rapidement. La guerre en Ukraine a depuis accentué les pressions sur les prix de l’énergie et donc par ce biais sur l’inflation.

D’autre part, on peut observer que les anticipations d’inflation sont sans doute mieux ancrées autour de la cible d’inflation de la Réserve fédérale qu’elles ne l’étaient à la fin des années 1970. Selon l’enquête Michigan menée auprès des ménages américains, les anticipations d’inflation à long terme – à un horizon de 5 ans – ont augmenté mais semblent se stabiliser autour de 3 % depuis mai 2021. Elles sont surtout inférieures à ce qu’elles étaient à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (graphique 2). Or, ces anticipations d’inflation jouent un rôle dans la dynamique de l’inflation. En effet, plus les ménages ou les entreprises anticipent un niveau élevé d’inflation, plus ils demanderont des hausses de salaire ou fixeront leur prix à un niveau plus élevé, ce qui se traduira par un engrenage où les anticipations d’inflation nourrissent l’inflation, ce qui pousse les anticipations un peu plus à la hausse. C’est donc aussi pour éviter ce type d’emballement et des effets dits de second tour que la Réserve fédérale choisit d’accélérer son durcissement monétaire. L’objectif est de maintenir cet ancrage. Des travaux récents montrent que ce canal de transmission de la politique monétaire sur les anticipations est significatif[14].

Il semble donc que le contexte actuel justifie un resserrement monétaire aux États-Unis. La difficulté pour la banque centrale est de pouvoir distinguer entre les facteurs d’offre et de demande. L’objectif du resserrement amorcé par la Réserve fédérale doit être principalement de limiter les tensions observées sur le marché du travail et d’influencer les anticipations des agents afin d’éviter un décrochage des anticipations. Il devrait être relativement modéré afin non seulement d’éviter de faire plonger l’économie en récession mais aussi pour éviter une hausse forte des taux longs qui serait déstabilisante pour la dynamique de la dette publique. Si les facteurs d’offre qui alimentent l’inflation sont temporaires, la réaction de la Réserve fédérale permettra à l’inflation de converger progressivement vers sa cible. À cet égard, notons que la stratégie de ciblage d’inflation moyenne donne plus de marges de manœuvre à la Réserve fédérale qui peut de fait tolérer une inflation supérieure à 2 %. Depuis 2008, l’inflation a le plus souvent été inférieure à 2 % si bien que même avec une inflation de 5 % en 2022, la trajectoire de l’indice de prix resterait inférieure à la trajectoire fictive qui aurait été observée si l’inflation avait progressé de 2 % par an depuis 2009 (graphique 3). Enfin, si les facteurs d’offre sont durables, la politique économique adaptée ne sera pas de freiner la demande par une politique économique trop restrictive mais plutôt de stimuler l’offre par une politique d’investissement qui pourra porter les capacités de production au niveau adapté.


[1] Aux États-Unis, le taux directeur de la Réserve fédérale correspond à la cible pour le taux auquel les banques commerciales s’échangent les fonds fédéraux qui sont les dépôts qu’elles détiennent auprès de la Réserve fédérale locale.

[2] Voir Blot, Bozou et Hubert (2021) pour une discussion sur les cibles d’inflation des banques centrales et la reformulation proposée par la Réserve fédérale en août 2020.

[3] Les projections réalisées par les membres du FOMC en juin 2021 suggéraient une inflation comprise entre 1,9 et 2,3 % fin 2022 avec une médiane à 2,1 % : voir ici.

[4] L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation dépassait même 8,5 % en mars 2022. Rappelons que l’indicateur d’inflation retenu par la Réserve fédérale est le déflateur de la consommation.

[5] Même si les salaires progressent plus rapidement aux États-Unis, leur évolution ne compense pas aujourd’hui l’inflation qui se traduit donc par une perte de pouvoir d’achat des ménages américains.

[6] Fondamentalement, le mandat de la banque centrale ne précise pas que la réponse de politique monétaire devrait être différenciée en fonction des causes de l’inflation, ce qui suggère implicitement qu’une inflation durable ne peut être qu’un phénomène monétaire.

[7] Voir cette analyse ou celle-ci.

[8] La politique monétaire influence également le commerce extérieur via son effet sur le taux de change.

[9] Voir Miranda-Agrippino S., & Ricco G. (2021). The transmission of monetary policy shocks. American Economic Journal: Macroeconomics, 13(3), 74-107. L’effet sur le chômage est obtenu en considérant un choc de politique monétaire tel que le taux d’intérêt à un an augmente de 1 point. La Réserve fédérale ne contrôle certes par directement ce taux mais il est néanmoins influencé par les décisions de la banque centrale.

[10] Voir Ball L. M. & Mazumder S. (2011). Inflation dynamics and the great recession. Brookings Papers on Economic Activity, Spring, 337-381.

[11] Ce record de 10,8 % en novembre 1982 n’a été dépassé qu’au cours de la crise sanitaire d’avril-mai 2020. En 2009, le pic pour le taux de chômage s’est élevé à 10 %.

[12] Voir https://www.piie.com/sites/default/files/documents/pb22-3.pdf. Leur optimisme est toutefois discuté

ici : https://www.piie.com/blogs/realtime-economic-issues-watch/what-needed-tame-us-inflation.

[13] Voir Aurissergues, Blot et Bozou (2021), « Les États-Unis vers la surchauffe ? », Policy Brief de l’OFCE n°97.

[14] Voir Diegel M. & Nautz D. (2021), « Long-term inflation expectations and the transmission of monetary policy shocks: Evidence from a SVAR analysis”, Journal of Economic Dynamics and Control, 130, 104192.