Allemagne : une lueur au bout du tunnel

Perspectives 2025-2026, analyses pays

conjoncture
Allemagne
Europe
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Céline Antonin
Publié le

15 octobre 2025

Modifié le

16 octobre 2025

Graphique 1. Allemagne, principaux indicateurs économiques

1 Un début d’année 2025 poussif

Depuis le quatrième trimestre 2019, l’économie allemande a connu une longue période de stagnation. Ainsi, au cours du premier semestre 2025, l’économie allemande a fait du sur-place (graphique 1). Après une croissance au premier trimestre (+0,3 %) portée par la consommation des ménages et les exportations – en anticipation de l’introduction de droits de douane américains –, le PIB a reculé de 0,3 % au deuxième trimestre, sous l’effet de la baisse des exportations et de l’investissement, et d’une stagnation de la consommation des ménages. Seules les variations de stock ont permis de modérer le recul du PIB. Depuis la crise de la covid, l’économie allemande stagne : au deuxième trimestre 2025, le PIB dépassait à peine le niveau du quatrième trimestre 2019. Ce marasme s’explique essentiellement par les difficultés de l’industrie et une érosion de la compétitivité, visible par la perte des parts de marché à l’international – en particulier dans l’industrie automobile, la construction mécanique ou les industries à forte intensité énergétique.

Ainsi, l’évolution de l’industrie reste problématique. On note une forte divergence entre l’évolution de la valeur ajoutée brute en volume dans l’industrie manufacturière et dans le secteur des services marchands: entre le quatrième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2025, la valeur ajoutée dans l’industrie manufacturière a baissé de 3,2 %, alors qu’elle a progressé de 4,1 % dans les services marchands. Cette évolution de l’industrie est corrélée au recul des parts de marché à l’exportation de l’Allemagne depuis 2017, et surtout 2021. D’après une étude de la Bundesbank1, les trois quarts de ces pertes s’expliquent par des facteurs d’offre, autrement dit par la détérioration de la compétitivité dans de nombreux secteurs (construction mécanique, industrie électrique, secteurs à forte intensité énergétique comme la chimie). Les causes de cette détérioration depuis 2019 sont notamment la désorganisation durable des chaînes d’approvisionnement en 2021-22, le renchérissement des prix de l’énergie plus marqué en Allemagne que chez ses concurrents depuis 2022, la concurrence directe de la Chine sur les marchés d’export, ou encore la pénurie de main d’oeuvre et de personnel qualifié ayant entraîné une augmentation des coûts salariaux unitaires (CSU) nominaux plus forte que dans d’autres pays européens (encadré 1). Ainsi, les CSU nominaux ont augmenté de 23,7 % entre 2019 et le 1er semestre de 2025 en Allemagne, contre une moyenne de 22,2 % en zone euro, 19,1 % pour la France, 13,5 % pour l’Italie. Parmi les grands pays de la zone euro, seule l’Espagne a connu une hausse plus marquée (+27,7 %). Cette hausse des CSU nominaux (graphique 2), qui a nui à la compétitivité, ne s’est pas pour autant traduite par une hausse du pouvoir d’achat des salariés car l’inflation – notamment énergétique – a été plus forte que dans les autres pays, ce qui a limité l’augmentation des CSU réels. Au total, la part des coûts salariaux dans la valeur ajoutée a suivi une courbe en U : après avoir touché un point bas fin 2022, elle a retrouvé, son niveau pré-covid début 2025 (graphique 3).

1 Deutsche Bundesbank (2025). What’s behind the sustained decline in German export market shares?, Monthly Report, 77(7):20–55.

La contribution du commerce extérieur à la croissance allemande est globalement négative, et cette évolution s’accompagne d’un léger recul du solde courant. Au premier trimestre 2025, les exportations ont été dopées, mais uniquement par un effet d’anticipation lié aux menaces de sanctions douanières américaines (+2,1 %). Cet effet s’est estompé au deuxième trimestre, avec un recul des exportations vers les États-Unis (−11,3 %), notamment les exportations de produits chimiques et de machines. Par ailleurs, les exportations vers la Chine restent inférieures de 13 % à leur niveau de 2019. Au total, l’excédent de la balance commerciale continue de se réduire; il représente 4,4 % du PIB au deuxième trimestre 2025.

Le rapport mensuel de juillet 2025 de la Bundesbank s’interroge sur le recul prolongé des parts de marché mondiales allemandes à l’exportation. À partir d’un modèle macroéconomique semi-structurel et sur la base des données BACI de commerce international couvrant la période 2000-2023, les auteurs concluent que les pertes de PIB liées au recul des parts de marché atteignent 2,4 points sur la période 2021-2024, dont 1,3 point pour l’année 2022.

L’intérêt de cette étude est de distinguer les effets de demande, qui influencent surtout le volume total des exportations, et les effets d’offre, qui expliquent principalement l’évolution des parts de marché, c’est-à-dire la compétitivité relative de l’Allemagne face à ses concurrents. Les effets de demande sont décomposés en effet produits (la demande pour les produits dans lesquels l’Allemagne est spécialisée est-elle plus faible que pour les produits concurrents ?) et effet géographique (les marchés ciblés par l’Allemagne croissent-ils moins vite que d’autres marchés ?). Les effets d’offre sont décomposés en effet produits (la compétitivité allemande par rapport aux concurrents pour un produit donné a-t-elle diminué ?) et effet géographique (la compétitivité allemande par rapport aux concurrents dans un pays donné a-t-elle reculé ?).

La conclusion est qu’entre 2021 et 2023, plus des trois quarts des pertes de parts de marché mondiales de l’Allemagne proviennent d’effets d’offre, c’est-à-dire d’une détérioration de la compétitivité dans plusieurs secteurs (machines, électronique, secteurs à forte intensité énergétique). Les effets de demande sont moindres et se manifestent uniquement par l’effet produit, avec une demande mondiale relativement faible pour les véhicules automobiles et pièces détachées, ainsi que pour l’aéronautique. Aucun effet géographique de la demande n’est observé, ce qui signifie que la baisse des exportations n’a pas été concentrée sur des marchés particuliers.

La consommation privée reste le principal pilier de l’économie allemande. Au deuxième trimestre 2025, elle a progressé de 1,3 % en glissement annuel, malgré la faible progression du revenu disponible réel (+0,3 %): les salaires réels – nets de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu – sont restés dynamiques (+1,6 %), de même que les transferts nets (2,2 %), mais les revenus des entreprises individuelles et du patrimoine ont fléchi (-2,2 %). Ainsi, c’est essentiellement le recul du taux d’épargne, passé de 11,3 % à 10,2 % en l’espace d’un an, qui a permis de soutenir la consommation.

Graphique 2. Evolution des coûts salariaux unitaires nominaux
Graphique 3. Part des salaires dans la valeur ajoutée (corrigée du taux de salarisation)

Quant à la consommation publique, elle continue de croître à un rythme soutenu (2,1 % au deuxième trimestre 2025 en glissement annuel), portée par l’augmentation des dépenses de défense et de santé.

Sur le front de l’investissement privé, la FBCF a connu une évolution contrastée : après une hausse temporaire au premier trimestre 2025 (+0,3 %), portée par des achats anticipés d’équipements et par des conditions météorologiques favorables dans la construction, elle s’est contractée au deuxième trimestre (−1,4 %), avec une chute marquée dans les biens d’équipement (−1,9 %) et surtout dans la construction (-2,1 %). Ainsi, la faible utilisation globale des capacités et l’incertitude économique élevée ont dissuadé les entreprises d’augmenter leurs capacités. Seuls les autres investissements, qui comprennent notamment les dépenses de recherche et développement, ont augmenté, en particulier dans le secteur public.

2 Retour d’une croissance soutenue en 2026

Au cours du second semestre de 2025, l’économie allemande devrait connaître une légère reprise, essentiellement portée par la consommation publique et un début de reprise de l’investissement : nous anticipons une progression modérée de l’activité économique au cours du second semestre 2025 (+0,1 % puis +0,3 % de croissance du PIB au troisième et quatrième trimestres 2025). La consommation des ménages devrait stagner; les indicateurs du climat de consommation indiquent en effet une propension accrue à l’épargne dans un contexte de faible création d’emplois. En matière d’investissement, la construction de logements semble avoir atteint son niveau le plus bas, mais elle devrait également stagner compte tenu du nombre toujours faible de permis de construire et de commandes, avant une reprise au dernier trimestre 2025. Du côté des entreprises, les incitations à l’investissement – via le programme d’accélération de la croissance (« Wachstumsbooster »)2 – devraient produire leurs effets dès le troisième trimestre, et la FBCF retrouverait des couleurs. En matière de commerce extérieur, si l’accord provisoire entre l’UE et les États-Unis stabilise quelque peu la situation et réduit l’incertitude, les barrières commerciales et la relative appréciation de l’euro continueront néanmoins à peser sur les exportations allemandes.

2 Ce programme prévoit notamment de permettre aux entreprises un amortissement dégressif dans les investissements en biens mobiliers (machinerie, équipements, mobilier, etc.) et dans les véhicules électriques d’entreprise, à compter du 30 juin 2025.

3 Une mesure de l’incertitude de politique économique est fournie par le « Economic Policy Uncertainty Index », un indicateur d’incertitude développé par Scott R. Baker, Nick Bloom et Steven J. Davis (Scott R. Baker, Nicholas Bloom, Steven J. Davis, Measuring Economic Policy Uncertainty, The Quarterly Journal of Economics, Volume 131, Issue 4, November 2016). Cet indice s’appuie sur la fréquence, dans la presse, d’articles contenant simultanément des termes liés à l’économie, à l’incertitude et à la politique.

En 2026, l’Allemagne connaîtrait un alignement des planètes avec plusieurs chocs positifs, qui porteraient sa croissance à 1,7 % du PIB. Le principal moteur est le vaste plan budgétaire consacré aux infrastructures et à la défense, ainsi que les incitations fiscales en faveur des investissements des entreprises, qui entraîneraient un surcroît de croissance de 0,7 point via la stimulation de la consommation publique et des investissements (publics et privés) – en supposant un multiplicateur budgétaire égal à l’unité. Par ailleurs, la politique monétaire, marquée par la baisse des taux, devrait également entraîner un surcroît de croissance de 0,7 point. La baisse modérée des prix de l’énergie devrait également soutenir la croissance. Enfin, l’Allemagne est toujours en situation de rattrapage: l’écart de production (output gap), négatif en 2025, commencerait à se refermer en 2026. Seuls bémols, une compétitivité toujours en berne et l’incertitude de politique économique notamment liée à la politique commerciale américaine3 pèseraient négativement sur la croissance allemande via la faiblesse des exportations. Notons que dans le cas de l’Allemagne, l’indice d’incertitude est bien au-dessus de la moyenne européenne depuis fin 2021 (graphique 4).

Graphique 4. Indice d’incertitude politique : Allemagne versus Europe

Dans l’ensemble, c’est la demande interne qui demeurera le principal soutien de l’économie allemande. La consommation privée sera notamment portée par une évolution positive du revenu disponible réel (+0,7 % en 2026), liée à la progression des salaires. Par ailleurs, la baisse de l’inflation et le (léger) recul du chômage entraîneraient une baisse marquée du taux d’épargne.

Etant donnée la forte dégradation du cycle de productivité depuis 2019, l’essentiel de la croissance de 2026 se traduirait par des gains de productivité par tête, et l’emploi stagnerait, avec pour corollaire une baisse peu marquée du taux de chômage (de 3,6 % à 3,4 % entre le début 2025 et la fin 2026). Sous l’effet de la relance budgétaire, le déficit public devrait se creuser, passant de 2,8 % en 2024 à 3,4 % du PIB en 2026. Quant à la dette publique, elle augmenterait de deux points entre 2024 et 2026, pour atteindre 64,5 % fin 2026.

Nous anticipons des dépenses publiques supplémentaires de 30 et 36 milliards pour 2025 et 2026. En 2025, elles seraient presque entièrement compensées par la hausse des impôts, avec l’augmentation du taux de cotisation à l’assurance maladie obligatoire (13 milliards d’euros) et la fin de l’exonération des primes de compensation de l’inflation (14 milliards d’euros). Au total, l’impulsion budgétaire représenterait 0,1 % du PIB en 2025 et 0,7 % du PIB en 2026 (tableau 1).

Tableau 1. Impulsions budgétaires 2025-26
Mesures en % du PIB
Mesures Année_2025 Année_2026
Fonds infrastructures 0.16 0.50
Fonds défense 0.24 0.41
Plans énergie -0.14 -0.13
Autres mesures structurelles -0.12 -0.03
Total 0.14 0.74
Tableau 2. Prévisions 2025-2026 pour l’Allemagne
en %
2025
2026
de 2025t1
à 2026t4
2024
2025
2026
T1 T2 T3 T4 T1 T2
PIBa  0,3 −0,3  0,1  0,3  0,5  0,6
0 0.64 −0.28 0,3% -0,3% 0,1% 0,3% 0,5% 0,6% 0,6% 0,6%
−0,5  0,3  1,7
PIB par habitanta  0,3 −0,2  0,1  0,3  0,5  0,6
0 0.62 −0.24 0,3% -0,2% 0,1% 0,3% 0,5% 0,6% 0,6% 0,6%
−0,7  0,3  1,6
Consommation ménagesa  0,6  0,1  0,0  0,1  0,5  0,5
0 0.60 0 0,6% 0,1% 0% 0,1% 0,4% 0,4% 0,4% 0,4%
 0,5  1,1  1,2
Consommation publiquea −0,3  0,8  0,7  0,7  0,7  0,7
0 0.79 −0.25 -0,3% 0,8% 0,7% 0,7% 0,7% 0,7% 0,7% 0,7%
 2,6  2,2  2,9
FBCF totalea,b  0,3 −1,4  0,5  1,0  1,2  1,4
0 1.66 −1.39 0,3% -1,4% 0,5% 1% 1,2% 1,4% 1,7% 1,7%
−3,2 −0,5  4,3
 dont : productive privéea  0,4 −0,4  0,8  1,3  1,5  1,6
0 1.91 −0.36 0,4% -0,4% 0,8% 1,3% 1,5% 1,6% 1,9% 1,9%
−4,0  0,4  5,5
            logementa −0,0 −2,8  0,0  0,7  0,8  1,0
0 1.20 −2.78 0% -2,8% 0% 0,7% 0,8% 1% 1,2% 1,2%
−5,5 −3,0  2,3
            APUa,b  0,4 −2,3  0,0  0,4  1,0  1,5
0 1.50 −2.27 0,4% -2,3% 0% 0,4% 1% 1,5% 1,5% 1,5%
 5,3  1,0  3,0
Exportationsa,c  2,5 −0,1 −0,1  0,1  0,3  0,5
0 2.48 −0.13 2,5% -0,1% -0,1% 0,1% 0,3% 0,4% 0,4% 0,4%
−1,9  0,0  1,0
Importationsa,c  1,6  1,6  0,2  0,4  0,7  0,7
0 1.64 0 1,6% 1,6% 0,2% 0,4% 0,7% 0,7% 0,7% 0,8%
−0,4  3,7  2,5
Demande intérieurea,d,e  0,3 −0,1  0,3  0,4  0,6  0,7
0 0.73 −0.061 0,3% -0,1% 0,3% 0,4% 0,6% 0,7% 0,7% 0,7%
 0,2  1,0  2,1
Variations de stocksa,e −0,4  0,5  0,0  0,0  0,0  0,0
0 0.46 −0.41 -0,4% 0,5% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
−0,0  0,7  0,1
Commerce extérieura,c,e  0,4 −0,7 −0,1 −0,1 −0,1 −0,1
0 0.40 −0.68 0,4% -0,7% -0,1% -0,1% -0,1% -0,1% -0,1% -0,1%
−0,6 −1,4 −0,6
Inflationf  2,6  2,1  2,1  2,7  2,6  2,1
0 2.65 0 2,6% 2,1% 2,1% 2,7% 2,6% 2,1% 1,9% 1,8%
 2,5  2,4  2,1
Taux de chômageg  3,6  3,7  3,6  3,7  3,7  3,6
0 3.70 0 3,6% 3,7% 3,6% 3,7% 3,7% 3,6% 3,5% 3,4%
 3,4  3,6  3,5
Solde couranth  5,8  4,9  4,4
Déficit publich  2,8  3,1  3,4
Dette publiqueh 62   64   65  
Impulsion budgétairei −0,5  0,1  0,7
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle, pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.
Sources : Destatis, prévision OFCE octobre 2025.