Dès les premières semaines de son deuxième mandat, Donald Trump a relancé la guerre commerciale, annonçant plusieurs hausses des droits de douane et mutipliant les menaces à l’encontre des partenaires commerciaux des États-Unis. Les tensions furent ensuite accentuées avec les annonces de droits réciproques le 2 avril, suspendus une semaine plus tard. Il en a résulté une forte incertitude sur la politique économique américaine mais aussi sur celle de ses partenaires commerciaux. Cette situation s’est rapidement reflétée dans la conjoncture du premier semestre. Après une contraction du PIB au premier trimestre 2025 (-0,2%), en lien avec une forte hausse des importations, la croissance a rebondi le trimestre suivant (0,9%). Au-delà des fluctuations liées au commerce extérieur, la demande intérieure montre quelques signes d’essoufflement qui pourraient bien anticiper un ralentissement plus durable de l’activité. En outre, après avoir baissé en début d’année, l’inflation repart à la hausse. Dans ces conditions, la Réserve fédérale poursuivra-t-elle la baisse des taux ré-enclenchée en septembre, ou restera-t-elle prudente tant que l’inflation ne converge pas vers sa cible ? Quant à la politique budgétaire, les mesures de baisses d’impôt soutiendront-elles l’activité ou seront-elles contrecarrées par les baisses de dépenses ?
1 Les prémisses d’un ralentissement
Plus encore que lors de son premier mandat, Donald Trump fait de la politique tarifaire une pierre angulaire de son programme économique. Les premières hausses ne furent effectives qu’au mois de mars 2025 mais ont influencé le commerce extérieur dès le mois de janvier. Les importations ont fortement augmenté au cours du premier trimestre reflétant une anticipation des achats pour échapper à une taxation future plus élevée. En volume, la hausse des importations de biens s’est élevée à 12,9 % sur le seul mois de janvier. Sur l’ensemble du premier trimestre il y avait 18,9% d’importations supplémentaires de biens par rapport au quatrième trimestre 2024. Le mouvement s’est ensuite brutalement renversé si bien qu’en avril, le volume total d’importations de biens était repassé 5% sous le niveau de décembre 20241. Même si la dynamique fut moins marquée pour l’ensemble des importations de biens et services, il en a résulté une contribution négative du commerce extérieur à la croissance au premier trimestre (-1,3 point) suivie d’une contribution positive (+1,4 point)2. Les fluctuations des importations ont eu pour corollaire un stockage important au premier trimestre, contribuant pour 0,7 point à la croissance, suivi par un déstockage de même ampleur. Cette dynamique conjointe du commerce extérieur et des stocks expliquent ainsi largement la contraction du PIB de -0,2% au premier trimestre puis la hausse de 0,9% au trimestre suivant.
1 En juillet, les imporations de biens étaient légèrement remontées affichant une baisse de près de 3% par rapport au niveau de décembre 2024.
2 La croissance des exportations fut moins volatile puisqu’elle a augmenté de 0,1% au premier trimestre puis reculé de 0,3% le trimestre suivant.
3 Voir Le Blog de l’OFCEdu 19 mars 2025 pour plus de détails.
4 Les dépenses d’investissement-résidentiel ont baissé au cours des deux premiers trimestres 2025 dans un contexte de taux d’intérêt hypothécaires qui se sont stabilisés à un niveau élevé.
Néanmoins, la demande intérieure a donné quelques signes de fléchissement. La consommation des ménages n’a augmenté que de 0,4% en moyenne sur les deux premiers trimestres alors qu’elle progressait de 0,8% en moyenne trimestrielle en 2023 et 2024. Ce fléchissement s’explique surtout par une hausse du taux d’épargne de 0,6 point en l’espace de deux trimestres, qui pourrait être liée à l’incertitude entourant la politique économique. Le pouvoir d’achat du revenu disponible a continué de progresser à un rythme proche de celui observé en 2023 et 2024. Par ailleurs, avant même l’adoption du budget 2026, la consommation publique reculé au cours du semestre reflétant sans doute les réductions de dépenses mises en oeuvre dans le cadre de la mission sur l’efficacité de la dépense gouvernementalre confiée à Elon Musk en début d’année3. Finalement, la demande intérieure fut plutôt tirée par l’investissement privé non-résidentiel4. Sur le marché du travail, le taux de chômage a légèrement augmenté passant de 4% en janvier à 4,3% en août. Surtout, les créations d’emploi ont été nettement moins dynamiques, notamment en août (encadré 1) ce qui pourrait être annonciateur de perspectives de croissance dégradées d’ici la fin de l’année.
Après avoir baissé sur les premiers mois de l’année, l’inflation – mesurée par l’indice des prix à la consommation – est repartie à la hausse passant de 2,3% en avril à 2,9% en août. Alors que l’inflation dans les services – hors énergie – a continué de baisser, les prix des biens ont augmenté de 1,5 % en glissement annuel en août 2025 alors qu’ils étaient stables en mars. La hausse du prix des biens pourrait donc intégrer les effets des premières décisions sur les droits de douane, même si celle-ci est antérieure à la prise de fonction de Donald Trump. On observe également une accélération des prix de production de biens depuis avril. En août, ils progressaient de 2,7% en glissement annuel. Paradoxalement, les prix des importations de biens ont baissé dans leur ensemble depuis janvier5. Cette baisse est cependant de moindre ampleur que les hausses de droits de douane suggérant que les exportateurs ont peu rogné sur leurs marges. L’effet sur l’indice des prix à la consommation pourrait cependant avoir été amorti par une baisse des marges des distributeurs.
5 Les indices de prix des importations publiés par le BLS (Bureau of Labor Statistics) n’intègrent pas les droits de douane.
Le ratio d’offres d’emplois sur le nombre de chômeurs avait alors atteint un pic à 2. Il se situe désormais autour de l’unité.
Entre mars 2022 et août 2025, le taux de démission est passé de 3% à 1,9%.
Le taux d’activité, qui mesure la part de la population active dans la population en âge de travailler a baissé de 0,5 point depuis novembre 2023.
2 Stagflation ?
La situation économique américaine pour la fin de l’année 2025 et pour 2026 sera encore marquée par les effets de la politique commerciale. Les décisions de hausses des tarifs vont continuer à se diffuser progressivement sur les prix ce qui devrait impacter le commerce extérieur et la consommation des ménages. Selon le Trade War tracker, le tarif moyen pondéré s’élevait à près de 18% fin septembre, soit une hausse de près de 16 points6. L’inflation – mesurée par le déflateur de la consommation – augmenterait pour atteindre un pic à 3,2 % au premier trimestre 2026. La baisse se ferait ensuite progressivement si bien qu’en moyenne sur 2026, elle s’élèverait à 3%, soit 0,3 point de plus qu’en 2025. Cette hausse rognera le pouvoir d’achat des ménages, malgré les baisses d’impôts prévues pour 2026 (One Big Beautiful Bill Act). La consommation des ménages ralentirait passant de 2,8% en 2024 à 2% en 2025 puis 1,2% en 2026. De fait, ces mesures fiscales bénéficieraient relativement plus aux ménages les plus aisés tandis que les classes moyennes et moins favorisées seraient relativement plus touchées par l’augmentation des droits de douane et par la réduction des programmes de dépenses sociales.
6 Selon l’OMC, le tarif moyen pondéré appliqué par les États-Unis s’élevaient à 2,2% en 2024.
7 Selon l’analyse du CBO, les baisses prévues des dépenses d’éducation, de santé ou sur les programmes d’aide alimentaire seront en effet compensées par une augmentation des dépenses militaires ou de sécurité intérieure. Ces prévisions pourraient cependant être remises en cause par le blocage des administrations publiques (shutdown) qui a débuté le 1er octobre.
La situation des finances publiques s’améliorererait temporairement en 2025 du fait de la baisse des dépenses, estimée à près de 0,7 point de PIB, mais aussi par la hausse des recettes liées à l’augmentation des droits de douane. Pour 2026, l’impulsion budgétaire serait positive du fait des mesures de baisse d’impôts et notamment la prolongation du TCJA (Tax cuts and Jobs Act), voté en 2018. Côté dépenses, les baisses supplémentaires prévues dans le projet de budget 2026 seraient limitées7. Le déficit budgétaire passerait de 7% du PIB en 2024 à 6,3% en 2025 puis remonterait à 6,5% en 2026. Le soutien principal à la croissance pourrait venir de la politique monétaire. La baisse des taux amorcée en septembre se poursuivrait mais un rythme modéré – 4 baisses supplémentaires d’ici la fin de l’année 2026 – en raison des tensions inflationnistes qui s’accentueraient en 2026. Pour autant, le ralentissement de l’économie américaine serait significatif avec une croissance annuelle de 1,6% en 2025 puis de 1,7% en 2026. Ce ralentissement se répercuterait sur le marché du travail qui resterait atone jusqu’en début d’année 2026. Dans ces conditions, le taux de chômage atteindrait 4,6% en début d’année 2026 et se stabiliserait à ce niveau ensuite.
en % |
2025
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2026
|
de 2025t1 à 2026t4 |
2024
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2025
|
2026
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T1 | T2 | T3 | T4 | T1 | T2 | |||||
PIBa | −0,2 | 0,9 | 0,1 | 0,1 | 0,4 | 0,6 | 2,8 | 1,6 | 1,7 | |
PIB par habitanta | −0,3 | 0,8 | −0,1 | −0,0 | 0,3 | 0,4 | 1,9 | 1,0 | 1,1 | |
Consommation ménagesa | 0,2 | 0,6 | 0,3 | 0,1 | 0,2 | 0,4 | 2,9 | 2,2 | 1,2 | |
Consommation publiquea | −0,4 | −0,3 | −0,1 | 0,0 | 0,2 | 0,2 | 3,3 | 0,7 | 0,5 | |
FBCF totalea,b | 1,5 | 1,0 | 0,1 | 0,3 | 0,7 | 1,1 | 3,5 | 2,7 | 3,0 | |
dont : productive privéea | 2,3 | 1,8 | 0,2 | 0,4 | 0,8 | 1,2 | 2,9 | 3,7 | 3,6 | |
logementa | −0,2 | −1,3 | −0,4 | 0,1 | 1,0 | 1,4 | 3,2 | −1,3 | 2,7 | |
APUa,b | 0,4 | 0,8 | 0,1 | 0,1 | 0,1 | 0,1 | 5,9 | 3,2 | 0,7 | |
Exportationsa,c | 0,0 | −0,5 | 0,1 | 0,3 | 0,7 | 0,7 | 3,6 | 0,8 | 1,9 | |
Importationsa,c | 8,4 | −8,3 | 0,3 | 0,2 | 0,2 | 0,2 | 5,8 | 3,6 | −1,3 | |
Demande intérieurea,d,e | 0,4 | 0,6 | 0,2 | 0,1 | 0,4 | 0,5 | 3,2 | 2,2 | 1,6 | |
Variations de stocksa,e | 0,7 | −0,8 | −0,1 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,1 | −0,1 | −0,3 | |
Commerce extérieura,c,e | −1,3 | 1,4 | −0,0 | −0,0 | 0,0 | 0,0 | −0,5 | −0,5 | 0,4 | |
Inflationf | 2,7 | 2,5 | 2,9 | 3,0 | 3,1 | 3,1 | 3,0 | 2,8 | 3,0 | |
Taux de chômageg | 4,1 | 4,2 | 4,3 | 4,5 | 4,6 | 4,6 | 4,0 | 4,3 | 4,6 | |
Solde couranth | — | — | — | — | — | — | −4,0 | −4,0 | −3,0 | |
Déficit publich | — | — | — | — | — | — | 7,0 | 6,1 | 6,3 | |
Dette publiqueh | — | — | — | — | — | — | 121 | 122 | 124 | |
Impulsion budgétairei | — | — | — | — | — | — | −1,2 | −0,4 | 1,0 | |
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle,
pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.
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Sources : BLS, BEA-NIPA. |