Des ménages inquiets, une épargne élevée

Perspectives 2025-2026 pour l’économie française

conjoncture
déficit public
politique budgétaire
politique monétaire
taux souverain
inflation
France
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Mathieu Plane, Clémence Briodeau, Pierre Madec
Publié le

15 octobre 2025

Modifié le

16 octobre 2025

1 Une inflation faible

Après deux années de hausse marquée de l’indice des prix à la consommation (5,2 % en 2022 et 4,9 % en 2023), 2024 et 2025 ont été caractérisées par un fort reflux de l’inflation (graphique 1). Passant de 6,3 %, au moment du pic de février 2023, elle est tombée à 0,7 % en mai 2025, chiffre qui n’avait pas été atteint depuis plus de quatre ans, avant la montée des tensions inflationnistes avec la reprise post Covid. La baisse de l’inflation est principalement due à la décrue de l’inflation énergétique et alimentaire. Pour autant, cette rapide diminution de l’inflation n’efface pas la hausse de plus de 14 % des prix observée au cours des quatre dernières années (dont 24 % pour les prix de l’énergie et 23 % pour l’alimentaire). En 2025, l’inflation, mesurée par l’IPC, ne serait que de 1 % en moyenne annuelle (après 2 % en 2024), en raison de la baisse des prix de l’énergie et des produits manufacturés. En 2026, l’inflation se redresserait à 1,5 % en moyenne annuelle mais resterait modérée en raison de prix de l’énergie toujours orientés à la baisse et de salaires peu dynamiques (2,2 % en 2026 après 2 % en 2025 pour le salaire moyen par tête), conduisant à une inflation sous-jacente relativement faible (1,6 % en 2025 et 1,7 % en 2026).

Graphique 1. Évolution et contribution des composantes de l’IPC

2 Un pouvoir d’achat des ménages en berne en 2026 après une légère hausse en 2025

Après une hausse significative en 2024 (+2,1 % par unité de consommation (UC1)), le pouvoir d’achat des ménages augmenterait légèrement en 2025 (+0,6 % par UC) (tableau 1). Dans un contexte de faible inflation, les gains de pouvoir d’achat en 2025 seraient tirés par les prestations sociales avec notamment la revalorisation de 2,2 % des retraites et par la hausse des salaires réels. Le ralentissement des salaires nominaux étant moins marqué que celui des prix, le salaire moyen par tête (SMPT) réel progresserait de 1,0 % en 2025 après 0,6 % en 2024. Cependant, les destructions nettes d’emplois2, la hausse de la fiscalité, bien que ciblée sur les plus hauts revenus, et le ralentissement des revenus du patrimoine, qui soutenaient largement la hausse du pouvoir d’achat depuis 2021, atténueraient les effets positifs du rattrapage des salaires réels.

1 Pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, on divise le revenu par le nombre d’unités de consommation (UC). Celles-ci sont calculées de la façon suivante : 1 UC pour le premier adulte du ménage, 0,5 UC pour les autres personnes de 14 ans ou plus, 0,3 UC pour les enfants de moins de 14 ans.

En 2026, la tendance s’inverserait : le revenu réel par unité de consommation diminuerait de 0,4 %. Dans un contexte de consolidation budgétaire, la faible croissance des prestations sociales pèserait sur la hausse du pouvoir d’achat, accentuée par la remontée modérée de l’inflation. La masse salariale serait également peu dynamique : malgré des salaires réels qui restent en hausse (+0,8 %), les destructions d’emplois freineraient la croissance du RDB réel. Enfin, la contribution des revenus de patrimoine demeurerait limitée, amplifiant le recul global.

Tableau 1. Compte des ménages
2022 2023 2024 2025 2026
Revenu disponible brut (RDB) nominal a  5,4  7,9  4,8  1,5  1,5
Déflateur de la consommation   4,9  7,0  2,2  0,5  1,4
IPC  5,2  4,9  2,0  1,0  1,5
RDB réel  a,b  0,4  0,8  2,5  1,0  0,1
RDB réel par unité de consommation a,b −0,2  0,3  2,1  0,6 −0,4
Consommation des ménages (en volume)   3,2  0,7  1,0  0,4  0,7
Taux d'épargne (en % du RDB) a 16,9 16,9 18,2 18,7 18,2
Salaire moyen par tête (SMPT) nominal   5,6  4,3  2,6  2,0  2,2
SMPT réelc  0,4 −0,6  0,6  1,0  0,8
a RDB : revenu disponible brut b Déflaté par le déflateur de la consommation c Déflaté par l'IPC
Sources: Insee, prévision OFCE octobre 2025.

3 Le taux d’épargne reste élevé mais devrait baisser au cours des prochains trimestres

Mi-2025, le taux d’épargne des ménages atteint 18,9 % du revenu disponible brut (RDB). Il se situe 4,3 points de revenu au-dessus de son niveau d’avant la crise Covid, qui s’élevait à 14,6 % du RDB en moyenne au cours de la décennie 2010. Malgré le choc inflationniste, les ménages n’ont pas utilisé cette « sur-épargne » pour lisser les effets de l’inflation sur leur consommation : le taux d’épargne est au contraire reparti à la hausse depuis la mi-2022, augmentant de plus de 3 points de RDB. Ainsi, au cours des cinq dernières années et demie, les ménages ont accumulé 21 points de revenu annuel en « sur-épargne », soit près de 350 milliards d’euros courants. Ce chiffre ne tient toutefois pas compte de la dépréciation réelle de leur patrimoine, or la valeur réelle de ce patrimoine a baissé depuis 2022 sous l’effet de la taxe inflationniste 3. Cette « sur-épargne » s’est dirigée majoritairement vers l’épargne financière : le taux d’épargne financière avoisine désormais 10 % du RDB, soit deux fois plus qu’avant la crise Covid, dépassant même pour la première fois depuis le T4 2000 celui de l’Allemagne4 (graphique 2).

3 Pour plus d’informations, voir Prévisions OFCE octobre 2024.

Graphique 2. Taux d’épargne financière des ménages
Graphique 3. Décomposition de l’évolution du taux d’épargne par rapport au T4 2019

Entre fin 2019 et mi-2025, le taux d’épargne des ménages en France a augmenté de 3,9 points de revenu, passant de 15 % du RDB à 18,9 % du RDB. Si la crise du Covid a été marquée par un phénomène d’accumulation inédit d’épargne grâce au maintien du revenu du travail et à une consommation limitée du fait des confinements, depuis, le taux d’épargne n’est jamais revenu à son niveau moyen de la décennie 2010. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hausse (graphique 3)5.

Une première explication tient au retour de l’inflation en 2022 et 2023 : la hausse générale des prix a réduit la valeur réelle du patrimoine financier des ménages, ce qui a pu les inciter à épargner davantage afin de compenser cette « taxe inflationniste ». À cette période, plus de la moitié de la hausse du taux d’épargne par rapport à fin 2019 s’expliquait par l’inflation. Sa contribution diminue depuis 2024 avec le reflux de l’inflation.

Parallèlement, l’augmentation des taux d’intérêt à partir de 2022 a freiné la consommation, en renchérissant le coût des crédits à la consommation. Ainsi, depuis mi-2023, les taux d’intérêts contribuent positivement à la hausse du taux d’épargne par rapport à la période pré-Covid ; ils en expliquent un tiers au 2ème trimestre 2025.

Les gains de pouvoir d’achat enregistrés depuis le 3ème trimestre de 2023 ont également soutenu la hausse du taux d’épargne. En effet, si à long-terme la consommation en volume est indexée unitairement sur le revenu réel, à court terme, les chocs positifs de pouvoir d’achat se traduisent d’abord par une augmentation transitoire de l’épargne, car il existe un délai entre un choc sur le revenu et sa transmission à la consommation.

Les effets de structure des revenus ont eux-aussi favorisé l’augmentation du taux d’épargne au niveau macroéconomique depuis 2019. En effet, les différentes composantes du revenu des ménages ne sont pas consommées dans les mêmes proportions. En particulier, les revenus financiers sont proportionnellement plus épargnés que les autres types de revenus, et sont majoritairement détenus par des ménages plus aisés, qui épargnent plus. Or, entre fin 2019 et fin 2024, la part des revenus du patrimoine financier dans le RDB n’a cessé d’augmenter, passant de 6,1 % du RDB à 8,1 % du RDB. Mi-2025, elle contribue à hauteur de 1,3 point de revenu à la hausse du taux d’épargne par rapport à son niveau d’avant crise sanitaire.

Une autre explication est liée aux effets démographiques et au vieillissement de la population. Les jeunes ayant un taux d’épargne plus faible, leur moindre poids dans la population accroît mécaniquement l’épargne globale.

Enfin, l’incertitude peut conduire les ménages à différer leurs décisions de consommation, renforçant ainsi l’épargne. Le résidu positif observé à partir de fin 2024, au moment de la montée de l’instabilité politique, et qui s’accroît en 2025, pourrait résulter de cette incertitude.

5 Pour plus d’informations, voir Briodeau (2025), « Les déterminants du taux d’épargne dans les pays développés », Revue de l’OFCE, n.191 octobre.

Selon nos prévisions, le taux d’épargne augmenterait en moyenne en 2025 et atteindrait 18,7 % du RDB, porté par sa hausse du premier semestre. Il commencerait toutefois à baisser au second semestre 2025, sous l’effet notamment du fort repli de l’inflation et de la baisse des taux d’intérêts. La disparition de la taxe inflationniste et une épargne moins rémunératrice nominalement pousseraient les ménages à réduire progressivement leur taux d’épargne, tandis que la baisse des taux des nouveaux crédits bancaires les inciterait à consommer davantage. De plus, les revenus du patrimoine, qui sont proportionnellement plus épargnés que les autres types de revenus, ne devraient plus alimenter la hausse du pouvoir d’achat en 2025 et 2026, favorisant ainsi un recul du taux d’épargne au niveau macroéconomique. Par conséquent, nous anticipons une diminution du taux d’épargne en 2026, à 18,2 % du RDB en moyenne, qui soutiendrait la consommation et la croissance.

La réduction prévue du taux d’épargne est cependant plus modérée que ce qu’indique notre équation (graphique 4), en raison d’effets liés à l’incertitude. En effet, on peut observer depuis fin 2024 un écart qui s’amplifie entre le taux d’épargne observé et l’estimation du taux d’épargne basée sur ses déterminants traditionnels. Cet écart coïncide avec la montée de l’instabilité politique depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale et la censure du budget. L’incertitude étant repartie à la hausse depuis l’annonce de François Bayrou de se soumettre à la confiance du gouvernement, nous maintenons cet écart en 2026. La démission surprise du gouvernement Lecornu et l’incertitude concernant l’adoption d’un budget d’ici la fin de l’année ne feront que renforcer cet effet. Par conséquent, le taux d’épargne moyen que nous inscrivons en prévision en 2026 est 0,8 point au-dessus de ce que nous indique notre équation, reflétant ce haut niveau d’incertitude. Bien que prévu en baisse, il s’établirait fin 2026 à 18 % du RDB, encore plus de 3 points de revenu au-dessus de son niveau pré-Covid et 0,6 point au-dessus de ce qu’indique notre équation.

Graphique 4. Taux d’épargne prévu et taux d’épargne issu de l’équation

4 L’investissement des ménages retrouve progressivement des couleurs

La hausse des permis de construire enregistrée depuis le début de l’année 2025 laisse présager un redressement du secteur de la construction (graphique 5 a), la poursuite de la baisse des taux d’intérêt des nouveaux crédits à l’habitat (graphique 5 b) entamée début 2024 s’est accompagnée d’une nette amélioration des enquêtes de conjoncture menées auprès des professionnels du secteur (graphique 5 c) (voir Heyer E. et P. Madec (2024)).

Par la suite, l’augmentation du volume des crédits à l’habitat accordés aux ménages (graphique 5 d) a eu pour conséquence de soutenir de nouveau les transactions dans l’ancien (graphique 5 e), celles ci contribuant positivement au redressement de l’investissement des ménages au travers de ses composantes fiscales (les DMTO) et travaux.

Dès lors, nous anticipons que l’investissement des ménages devrait croître sous l’effet de la reprise du secteur de la construction neuve, soutenu notamment par l’ouverture à l’ensemble du territoire du dispositif de prêt à taux zéro (PTZ).

Graphique 5. Eléments conjoncturels du secteur du logement résidentiel