En matière de politique budgétaire, les situations apparaissent hétérogènes entre les grands pays européens, les Etats-Unis et le Japon, mais également au sein de la zone euro.
1 Politique budgétaire américaine : la fuite en avant expansionniste
Le 4 juillet 2025, le président Donald Trump a promulgué la loi « One Big Beautiful Bill Act » (OBBBA), présentée comme visant à pérenniser plusieurs dispositifs de réduction d’impôt à l’attention des familles ; en contrepartie, la loi comprend des mesures visant à baisser les dépenses de l’Etat. Ces mesures budgétaires entraîneraient, selon le Congressional Budget Office (CBO), une augmentation du déficit budgétaire primaire de 3 400 milliards de dollars sur la période 2025-2034 (soit 1 point de PIB par an en moyenne). Ainsi, la politique budgétaire américaine pour 2025-2026 serait marquée par plusieurs mesures phares : l’extension du Tax Cuts and Jobs Act (TCJA), l’exonération des pourboires et des heures supplémentaires, ainsi qu’une réduction des dépenses non militaires, compensée par une hausse significative des dépenses militaires. Certaines dispositions de l’Inflation Reduction Act (IRA) prendraient également fin. D’après nos prévisions, l’effet de baisse des dépenses dominerait en 2025, alors que l’essentiel des baisses d’impôts aurait lieu en 2026 : l’impulsion budgétaire1 serait ainsi négative ( -0,4 % du PIB) en 2025, puis positive (1 %) en 2026. Quant au déficit public, il passerait de 7 % du PIB en 2024 à 6,5 % en 2026, tandis que le ratio de dette publique augmenterait de 3,6 points pour atteindre 124,6 % du PIB en 2026 (graphique 1).
1 L’impulsion budgétaire mesure l’effet des décisions du gouvernement sur l’activité économique. Elle correspond à l’évolution du solde public corrigée des intérêts de la dette, des mesures exceptionnelles et des effets liés à la conjoncture.
Cette fuite en avant s’est traduite par une augmentation de l’écart entre les taux sur les obligations publiques à 10 ans et à 30 ans, passé de 24 à 63 points de base entre janvier et septembre 2025. L’écart, qui revient à son niveau de 2021, reflète une perception de risque accru sur le long terme, ce qui peut signaler des inquiétudes sur l’inflation ou sur le financement de la dette à long terme.
2 Europe : l’Allemagne à contre-courant
Sur la période 2024-2026, les grands pays de la zone euro et le Royaume-Uni devraient connaître une baisse de leurs déficits publics, à l’exception notoire de l’Allemagne. Cette dernière se singularise en effet en matière budgétaire : elle apparaît comme le seul grand pays ayant une véritable marge de manœuvre. Son ratio de dette publique rapporté au PIB n’est que de 62,5 %, alors qu’il dépasse 100 % en France, Italie, Espagne et au Royaume-Uni (graphique). Par ailleurs, son déficit public a atteint 2,8 % du PIB en 2024 ; il est donc inférieur au seuil de 3 %. A contrario, la France, le Royaume-Uni, et dans une moindre mesure l’Italie, connaissent une situation budgétaire dégradée avec des déficits publics de respectivement 5,8 %, 5,9 % et 3,4 % du PIB en 2024. Notons que l’Italie a rapidement réduit son déficit public depuis 2023 (7,2 % du PIB), grâce à la fin du Superbonus – un dispositif fiscal très coûteux de soutien aux travaux de rénovation énergétique – et à l’octroi de subventions européennes dans le cadre du programme Next Generation EU (NGEU), qui échappent au calcul du déficit public.
La différence entre solde public primaire et solde public stabilisant la dette permet de mieux appréhender la soutenabilité de la dette (graphique 2)2. En effet, le solde public primaire correspond au solde budgétaire hors charge d’intérêts de la dette : il mesure donc l’effort discrétionnaire de l’État en matière de recettes et de dépenses. Quant au solde stabilisant la dette, il représente le niveau de solde primaire qu’il faudrait atteindre pour maintenir constant le ratio dette/PIB, compte tenu du taux de croissance de l’économie et du coût de financement de la dette. Si le solde primaire effectif est supérieur au solde stabilisant, la dette publique tend à se réduire relativement au PIB, ce qui améliore sa soutenabilité. À l’inverse, si le solde primaire est inférieur au solde stabilisant, le ratio dette/PIB augmente, rendant la trajectoire budgétaire plus fragile.
C’est au Royaume-Uni, en France et en Allemagne que l’évolution du ratio de dette publique est la moins favorable. Dans le cas de l’Allemagne, cette évolution est directement liée à la politique volontariste d’expansion budgétaire. Pour réduire leurs déficits, le Royaume-Uni et la France mèneraient des politiques de consolidation budgétaire en 2025 et 2026, qui se traduiraient par une réduction des déficits publics entre 2024 et 2026, de respectivement 0,8 point et 1,1 point de PIB (graphique 3).
Pour la France, indépendamment du retrait progressif des mesures du plan de relance post-Covid et anti-inflation, cette consolidation reposerait en 2025 sur une hausse ciblée des prélèvements obligatoires (notamment sur les grandes entreprises et les hauts revenus), avant de se concentrer en 2026 sur un effort important de maîtrise de la dépense publique. Malgré ces mesures, le déficit public resterait supérieur à 5 % du PIB et la dette continuerait de progresser, atteignant environ 117 % du PIB en 2026 (contre 113 % en 2024).
En Espagne, le taux de croissance dynamique du PIB réel (2,8 % du PIB en 2025) permettrait une réduction de l’endettement public. Le pays attendrait 2026 pour afficher une impulsion budgétaire négative ; le déficit se réduirait de 0,5 point de PIB entre 2024 et 2026.
Malgré son ratio d’endettement et le poids des intérêts de sa dette, l’Italie, quant à elle, afficherait une politique budgétaire quasi-neutre. En effet, l’effort structurel (0,2 % du PIB en 2025 et 0,4 % en 2026) serait en partie compensé par l’utilisation des fonds du plan Next Generation EU, si bien que l’impulsion budgétaire nette serait proche de zéro. Le pays reste pour l’instant sous procédure de déficit excessif, mais la sortie est attendue d’ici 2026 grâce à la réduction rapide du déficit amorcée depuis 2023. En revanche, le ratio dette/PIB continuerait d’augmenter, sous l’effet d’importants ajustements stock-flux, liés notamment aux crédits d’impôt du Superbonus3.
3 Le Superbonus est un crédit d’impôt très généreux dédié à la rénovation énergétique des logements. Comptablement, le coût du Superbonus est enregistré immédiatement dans le déficit quand les crédits d’impôt sont accordés. En revanche, son effet sur la dette apparaît plus tard, au fur et à mesure que les ménages utilisent ces crédits pour réduire leurs impôts. Même si le déficit se réduit, la dette augmente à cause de ce décalage entre comptabilité et encaissements réels.
Seule l’Allemagne se singularise par sa politique expansionniste. En 2025, elle a réalisé une révolution copernicienne en tournant le dos à l’austérité et en votant un vaste plan budgétaire consacré aux infrastructures et à la défense. En 2025, l’impulsion budgétaire sera quasi-nulle, car il faut du temps avant que les investissements puissent réellement être débloqués. En revanche, en 2026, l’Allemagne connaîtrait une impulsion budgétaire positive de 0,7 point de PIB, ce qui porterait sa croissance à 1,7 %, et creuserait (faiblement) sa dette publique.