1 Une conjoncture mouvementée depuis 2022
Depuis la politique de libéralisation mise en place par Deng Xiaoping au début des années 80, la Chine a connu une croissance exceptionnelle. Elle est en 2025 la deuxième économie mondiale par le PIB nominal, la première pour le PIB en parité de pouvoir d’achat ou les exportations. La croissance économique, combinée à la géographie chinoise, a conduit à la formation d’une bulle immobilière dans les années 2010 et au début des années 2020. Inquiet de ses conséquences pour la stabilité sociale et économique, les autorités ont préféré la faire éclater en 2022 en mettant en place des restrictions sur l’accès au crédit des promoteurs immobiliers. L’activité de la construction a été fortement affectée. Combiné aux confinements liés à l’épidémie de COVID, cela a provoqué un fort ralentissement de la croissance économique en 2022. Les statistiques du PIB du National Bureau of Statistics (NBS) chinois affiche un taux de croissance de 3% pour 2022. Mais les indicateurs à plus haute fréquence suggèrent un effet beaucoup plus marqué (voir tableau 1 et 2) et une ouverture probablement assez importante de l’output gap chinois. Si la consommation chinoise a récupéré après la levée des confinements, le secteur de la construction résidentiel a lui été impacté plus durablement, créant un écart entre production potentielle et demande domestique1. Le réajustement de l’économie chinoise s’est fait par une dévaluation réelle de 15 à 20 % par rapport aux Etats-Unis et à la zone euro à partir de la mi 2023. Cette dévaluation a rapidement produit ses effets avec une hausse des exportations de biens de presque 20% depuis alors que les importations stagnaient (voir graphique 1). La contribution positive du commerce extérieur de biens sur le PIB chinois en 2024 est de l’ordre de 2 points de PIB et devrait encore être de 1,5 point de PIB en 2025 même avec un dernier trimestre très dégradé en raison de la guerre commerciale. Fait original, cette dévaluation réelle est passée par la baisse des prix à l’exportation en yuan plutôt que par l’ajustement du taux de change. Ainsi, en 2024, les données de commerce mondial du CPB montrent une baisse du prix des exportations chinoises de 7% malgré un taux de change stable par rapport à 2023. Cette baisse des prix de production industrielle concerne également le marché domestique et pousse la Chine dans la déflation. Le deflateur du PIB recule d’environ 1% par an tandis que les prix à la consommation stagnent depuis 2022.
1 D’autres facteurs ont pu contribuer à la création d’un output gap en Chine. Cependant, l’éclatement de la bulle immobilière et les corrections du secteur de la construction nous semblent représenter la principale « histoire » de ces dernières années. Si en termes de valeur ajoutée, le secteur de la construction ne représente que 6 à 7% du PIB chinois, son impact sur l’économie chinoise va bien au delà car le secteur utilise énormément d’intrants des autres secteurs. La production de la construction représentait ainsi 25% du PIB chinois en 2024.
La contribution positive du commerce extérieur a permis de maintenir une croissance économique de 5% en 2024 malgré un dynamisme limité de la demande domestique. Plusieurs indicateurs montrent une accélération dans la première partie de l’année 2025. Sur la période janvier-aout 2025, la production industrielle croit de 6,2% contre 5,8% en 2024. L’indice de production des services progresse également de 5,9% contre 5,2% en 2024. Dans l’approche demande, on observe une accélération des ventes au détail (4,6% contre 3,5%) même si les mois de juillet et aout ont été assez médiocres. La dynamique des variables financières est également positive. Les indices boursiers de Shangai et Shenzen sont à leur plus haut depuis 2021. L’offre de monnaie et quasi monnaie s’est accrue de 8,8% entre aout 2025 et aout 2024 alors que la croissance n’avait été que de 7% à la fin 2024. Le volume de crédit a augmenté de 20% sur la période janvier-aout par rapport à la même période en 2024. En 2024, la progression par rapport à 2023 avait été de seulement 8%. Ces différents éléments expliquent une croissance plus soutenue du PIB au premier semestre 2025. Elle a dépassé l’objectif des autorités au T1 (5,4% par rapport au T1 2024) et au T2 (5,2% par rapport au T2 2024).
Le secteur de la construction semble en revanche à la peine. La production en valeur a diminué au premier semestre 2025 comparé au premier semestre 2024. La valeur ajoutée en volume n’a progressé que de 0,7 % sur la même période alors que son taux de croissance était de l’ordre de 3 % depuis 2022. Cela coincide avec la faible progression de l’investissement en actifs fixes, un indicateur mensuel en valeur dont la construction représente une part importante. Son taux de croissance « accumulé » n’était que de 2,8% en juin. Les statistiques aux mois de juillet et aout ont été encore plus mauvaises, suggérant des difficultés persistantes dans la construction. Plusieurs éléments peuvent expliquer celles-ci. Tout d’abord, il convient de tenir compte de la forte baisse des prix des biens d’investissement. Les prix de production industrielle pour les moyens de production ont diminué de 3,4% entre aout 2024 et aout 2025 ce qui peut expliquer les baisses des indicateurs en valeur nominale. Ensuite, le premier semestre 2025 s’est caractérisé par 3 jours ouvrables en moins par rapport au premier semestre 2024 ce qui peut avoir impacté fortement l’activité de la construction. Enfin, l’été caniculaire a pu conduire les entreprises du secteur à travailler sur des horaires réduits. Ces deux derniers effets peuvent laisser présager un fort rebond « technique » de l’investissement et de la construction au quatrième trimestre.
Industrie | Serv. Marchands | Construction | Serv. Immobiliers | Agriculture | Serv. Non Marchands | |
---|---|---|---|---|---|---|
Poids dans le PIB 2022 (en %) | 32.8 | 30.5 | 6.7 | 6.1 | 7.7 | 16.2 |
2022 | 3.6 | −0.1 | 2.9 | −3.0 | 4.4 | 5.4 |
2023 | 4.6 | 8.1 | 7.1 | −0.7 | 4.2 | 5.0 |
2024 | 5.8 | 5.2 | 3.8 | −1.8 | 3.7 | 3.4 |
2025 | 6.2 | 5.9 | 0.7 | 1.0 | 3.9 | 4.2 |
Les indicateurs retenus sont les indices mensuels de production industrielle pour l'industrie, l'indice mensuel de production des services pour les services marchands, et les Valeur Ajoutée trimestrielles pour les autres secteurs.
Pour 2025, les données sont exprimées en taux de croissance entre la période janvier-aout 2024 et la période janvier-aout 2025 pour les indicateurs mensuels. Pour les indicateurs trimestriels, les données se réfèrent au taux de croissance entre janvier-juin 2024 et janvier-juin 2025. Les données pour les valeurs ajoutées trimestrielles ne sont pas corrigées des jours ouvrés.
|
2 Menaces externes et domestiques sur la croissance
Si les perspectives semblent relativement positives par rapport au niveau de croissance « normale » de l’économie chinoise, celle-ci doit affronter des défis significatifs. A long terme, la déflation est une menace importante pour l’économie chinoise. Si les ménages chinois dans leur ensemble sont créanciers nets, une partie importante s’est lourdement endettée pour pouvoir acquérir des biens immobiliers. La déflation accroit la valeur réelle de ces dettes et entraine un transfert de pouvoir d’achat de ménages dont la propension à dépenser est forte vers des ménages dont la propension à dépenser est faible, ce qui pourrait entretenir la très relative atonie de la consommation des ménages.
A plus court terme, la Chine doit faire face à la guerre commerciale lancée par le President Trump. La Chine, qui subissait déjà des droits de douane relativement élevés (environ 10%) depuis la première guerre commerciale, a rapidement été la cible de l’administration américaine. Elle a fait l’objet d’un tarif douanier supplémentaires de 10% dés le mois de mars puis de 34% lors du jour de la libération. Elle a opté pour la confrontation avec la mise en place d’un tarif similaire sur les importations américaines en Chine. Le jeu des représailles réciproques a rapidement conduit à des droits de douane annoncés supérieurs à 100%, ce qui impliquerait un arrêt complet du commerce direct entre les deux premières économies mondiales. Malgré l’escalade rhétorique, des négociations ont lieu entre les deux pays. Si un accord global n’a pas encore été conclu à l’heure où nous écrivons ces lignes, les Etats-Unis ont suspendu leur tarif réciproque pour 3 mois une première fois en mai, puis une deuxième fois en aout, la Chine suspendant également ses tarifs de représailles. Les droits de douane américain sur les importations chinoises sont aujourd’hui de 40%. Chine et Etats-Unis ont également levé certains restrictions sur les exportations de semis conducteurs pour les Etats-Unis, et de métaux rares pour la Chine. Un regain de tension significatif a eu lieu début octobre, marqué notamment par de nouvelles restrictions des exportations de terres rares par la Chine et le retour de tarif douanier massif en représailles de la part des Etats-Unis.
Les exportations de biens vers les Etats-Unis représentaient en 2024 environ 14% des exportations chinoises, soit 2,5% du PIB chinois. Elles se sont déjà contractées significativement en 2025. Elles ne représentaient plus que 11% des exportations totales au mois d’aout. Ce déclin n’a cependant pas semblé entraver la dynamique générale des exportations jusqu’ici. Une partie du commerce Etats-Unis/Chine peut transiter par un pays intermédiaire. Cela serait cohèrent avec la montée de la part des exportations vers le Vietnam ou la Thailande en 2025, deux pays qui jouent déjà ce rôle d’intermédiaire. 20 à 30% des pertes d’exportation vers les Etats-Unis seraient ainsi concernées par ce phénomène de « reroutage ». Pour d’autres produits, on a pu assister à un simple jeu de chaises musicales. Les importateurs américains ont fait appel à d’autres fournisseurs mais les clients de ceux-ci se sont tournés vers les producteurs chinois. Enfin, les exportateurs peuvent continuer à prendre des parts de marché aux autres acteurs, notamment par des politiques de prix encore plus agressives, un phénomène de « déversement » craint par les pays européens. Les données douanières chinoises du mois d’aout suggèrent effectivement une croissance plus forte des importations européennes en provenance de Chine en 2025 par rapport à 2024 sans que l’effet. 10 à 20% des pertes vers les Etats-Unis pourrait être compensé par des gains vers l’Europe.
3 Prévisions
Le consensus est aujourd’hui relativement pessimiste sur la croissance chinoise pour les deux années qui viennent. Les prévisionnistes s’attendent en moyenne à une croissance de 4,7% en 2025 et 4,3% en 2026. Ce pessimisme peut se justifier par deux éléments. D’une part, les données des mois de juillet et d’aout annoncent un troisième trimestre 2025 assez médiocre. D’autre part, en l’absence d’un accord commercial aboutissant à une baisse significtaive des droits de douane américains sur les produits chinois, la baisse des exportations vers les Etats-Unis pourrait se poursuivre et ne plus être compensée par des gains dans le reste du monde, ceux-ci étant déjà élevés depuis 2023. Les deux arguments s’entendent. Cependant, le permier nous semble sous-évaluer la dynamique actuelle, notamment celle des variables forward looking comme le crédit, et la possibilité d’un rebond technique de la construction fin 2025 et début 2026. En ce qui concerne le deuxième, nous sommes sceptique sur la signature d’un accord commercial sauf concessions importantes de la partie américaine. Nous sommes cependant prudents sur l’impact final que cela aura sur les exportations chinoises dans leur ensemble. Pour les marchandises pour lesquelles les Etats-Unis peuvent trouver des fournisseurs alternatifs, un jeu de chaises musicales nous semble probable. Pour celles pour lesquelles les fournisseurs alternatifs n’existent pas ou n’ont pas les capacités suffisantes, les clients continueront probablement d’importer depuis la Chine même au prix d’un droit de douane élevé. L’autre question centrale est celle de la réaction des autorités chinoises. Celles-ci accepteront-t-elles de subir des pertes sommes toutes limitées sur la croissance ou tenteront-t-elles de compenser ces pertes en stimulant davantage la demande domestique, par exemple en relachant l’accès au crédit ou en « encourageant » les augmentations de salaire, à l’image de leur politique après la crise financière de 2008. Le contrôle des capitaux, du système bancaire, de la moitié du système productif leur donne des leviers considérables. Elles ont cependant été très prudentes dans l’emploi de ces leviers depuis 2022. La guerre commerciale et son impact finalement limité même dans les prévisions plutôt pessimistes du consensus ne suffira peut être pas à les faire sortir de cette prudence. La crainte de la déflation pourrait en revanche constituer une puissante motivation et expliquer un certain nombre de signaux faibles: accélération du crédit, vagues de hausse des salaires minimum, protection sociale « élargie »2.
2 Il ne s’agit pas réellement d’un élargissement de la protection sociale mais d’une application plus stricte des règles existantes. Il existe actuellement une protection sociale pour les retraites, la maladie et le chômage, certes moins développée qu’en Europe mais non négligeable, financée par des cotisations salariales et patronales. Cependant, les autorités toléraient jusque là qu’employeurs et employés puissent s’entendre pour ne pas payer les cotisations. Elles semblent vouloir mettre fin à cette tolérance.
Ces différents éléments nous conduisent à une prévision légèrement plus optimiste que le consensus. Nous prévoyons une croissance de 4,9% en 2025 et 4,6% en 2026, l’écart entre les deux années reflétant essentiellement l’impact de la guerre commerciale sur les exportations chinoises. En résumé, la Chine reste sur une trajectoire de croissance forte mais vulnérable, où le dilemme central des autorités est de savoir si elles privilégieront la stabilité financière ou la relance de la demande domestique face au risque de déflation.
2023 | 2024 | 2025 | 2026 | |
---|---|---|---|---|
Taux de croissance du PIB | 5.4 | 5.0 | 4.9 | 4.6 |