Comment expliquer le taux d’épargne élevé en France ?

Nouvelle estimation de l’équation de consommation

France
conjoncture
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Clémence Briodeau
Résumé
Cette étude se propose d’étudier les facteurs susceptibles d’expliquer la hausse du taux d’épargne en France, à l’aide d’un modèle à correction d’erreur (MCE). L’équation de consommation estimée entre 1991 et 2019 ne parvient pas à reproduire les comportements de consommation des ménages depuis la crise Covid, rendant nécessaire sa réestimation. Nos résultats montrent que la hausse du taux d’épargne par rapport à fin 2019 s’explique principalement par les augmentations du poids des revenus du patrimoine financier et de l’inflation, et, à partir de 2024, des taux d’intérêt réel. Cependant, depuis début 2025, un écart apparaît entre le taux d’épargne observé et simulé, révélant l’influence d’un facteur supplémentaire : l’incertitude politique. Si celle-ci était restée à son niveau au deuxième trimestre 2024, nous estimons que le taux d’épargne serait au troisième trimestre 2025 inférieur de 0,6 point.

Au troisième trimestre 2025, le taux d’épargne des ménages français s’établit à 18,4 % du revenu disponible brut (RDB), après 18,7 % au trimestre précédent. Depuis la crise Covid, il se maintient à un niveau élevé et dépasse encore de 3,8 points son niveau d’avant-crise. Après deux décennies de stabilité — autour de 14,6 % du RDB en moyenne entre 2000 et 2019 — la crise sanitaire et les mesures de confinement ont fortement contraint la consommation, entraînant une hausse brutale du taux d’épargne. S’il s’est ensuite partiellement replié, il est reparti à la hausse mi-2022 au moment du choc inflationniste, et continue d’augmenter depuis la fin de l’année 2023. Sa composition a également évolué : cette « sur-épargne » s’est majoritairement orientée vers l’épargne financière, dont le taux avoisine désormais 10 % du RDB, deux fois plus qu’avant la crise Covid.

Cette étude se propose d’étudier les facteurs susceptibles d’expliquer cette hausse du taux d’épargne en France. Après une revue de littérature sur les déterminants traditionnels de l’épargne, nous présenterons une équation de la consommation des ménages pour la période pré-Covid. Nous montrerons ensuite que cette équation doit être réestimée pour parvenir à expliquer l’évolution récente du taux d’épargne. Enfin, nous analyserons l’émergence d’un facteur supplémentaire sur la période récente : l’incertitude.

1 Les déterminants traditionnels du taux d’épargne

Le taux d’épargne brute des ménages est défini comme la part non consommée de leur revenu disponible brut1. La littérature économique s’est largement intéressée aux déterminants théoriques susceptibles d’expliquer la consommation et donc l’épargne des ménages.

1 Plus précisément, comptablement, il faut ajouter la variable « Ajustement pour variation des droits à pension » (D8) à l’écart entre RDB et consommation pour obtenir l’épargne brute des ménages. Le taux d’épargne des ménages est égal à cette épargne brute divisée par la somme RDB + D8. Au troisième trimestre 2025, l’ajustement pour variation des droits à pension représente 0,4 point de RDB.

Dans l’approche keynésienne la plus simple, la consommation des ménages dépend principalement du revenu courant. A long-terme, la consommation en volume est indexée unitairement sur le RDB réel. A court-terme en revanche, elle est plus inerte que le revenu : le taux d’épargne s’ajuste, permettant ainsi de lisser la consommation. Deux arguments théoriques ont cependant remis en question ce lien direct avec le revenu courant. Le premier est la théorie du cycle de vie (Modigliani et Ando (1963)). Selon cette approche, les ménages cherchent à lisser leur consommation au cours de leur existence. Ils s’endettent lorsqu’ils sont jeunes, épargnent pendant leur vie active, puis désépargnent à la retraite. Dans cette perspective, la consommation ne dépend plus du revenu courant mais du revenu permanent, défini comme la somme actualisée des revenus futurs et de la richesse initiale. Le second argument est celui de l’équivalence ricardienne (Barro (1979)) : les ménages anticiperaient qu’une relance budgétaire financée par déficit entraînera une augmentation future des impôts et ajusteraient leur consommation en conséquence. Toutefois, ces théories selon lesquelles les ménages consomment uniquement en fonction de leur revenu permanent, reposent sur des hypothèses très restrictives (anticipations rationnelles, absence de contraintes de crédit, marchés parfaits et pas d’utilité à léguer un capital). Pour tenir compte de l’imperfection des marchés, de l’absence d’anticipations rationnelles, des contraintes d’endettement chez au moins une partie des ménages, le revenu courant doit donc être considéré comme déterminant de la consommation des ménages, mais des effets ricardiens ou de richesse peuvent enrichir le modèle.

De manière générale, la littérature empirique conclut à des effets de richesse limités en France, notamment en comparaison avec les États-Unis. Selon les estimations, l’impact sur la consommation d’une hausse de 1 % de la richesse totale nette varie de 0,02 à 0,2 % en France, tandis qu’il converge généralement vers 0,2-0,3 % aux États-Unis2. Plusieurs études ont souligné l’importance de distinguer la richesse financière et la richesse immobilière. Case, Shiller et Quigley (2001) montrent que la consommation réagit davantage aux variations de richesse immobilière qu’aux variations de richesse financière. Ludwig et Sløk (2002) suggèrent cependant que la réaction de la consommation à la richesse financière dépend du système financier : elle serait plus forte dans les économies basées sur un financement de marché (market-based) comme les pays anglo-saxons, et plus faible dans les économies basées sur un financement bancaire (bank-based) comme les pays d’Europe continentale. Par ailleurs, les effets de richesse immobilière sont plus importants dans les pays ayant des marchés hypothécaires de grande taille, qui facilitent l’extraction hypothécaire (Catte et al. (2004)). Ces conclusions sont partagées par Slacalek (2009), qui trouve des effets de richesse assez forts dans les pays où le marché hypothécaire est développé et dans les pays anglo-saxons et hors zone euro à financement de marché, mais faibles en Europe continentale ; il observe par ailleurs que l’effet de richesse immobilière est légèrement inférieur à celui de la richesse financière dans la plupart des pays, sauf aux États-Unis et au Royaume-Uni.

2 Les estimations des effets de richesse sont hétérogènes, en fonction des données utilisées, du choix entre richesse brute ou nette, de la méthode économétrique, de la période d’estimation. Voir les revues de la littérature de Chauvin et Damette (2010) puis Antonin, Plane et Sampognaro (2017), réalisées sur les études portant sur des périodes antérieures à la crise de 2008.

Sur le plan empirique, la validité des effets ricardiens en France et en Europe fait également débat. Dans des estimations en panel sur données européennes, Rocher et Stierle (2015) trouvent un effet positif du déficit public mais un effet négatif de la dette sur le taux d’épargne. À l’inverse, Bardaji, Lequien et Poissonnier (2014) estiment qu’en France les ménages ne réagissent que faiblement, et uniquement à court terme, à une variation de l’épargne publique. Enfin, Antonin, Plane et Sampognaro (2017), sur une période allant jusqu’à avant la crise financière, ne trouvent pas d’effet ricardien significatif en France, Espagne, États-Unis et Royaume-Uni ; seule l’Allemagne présente un impact positif de l’amélioration du solde structurel sur la consommation.

Au-delà du revenu et de la richesse, d’autres facteurs peuvent également intervenir tels que le taux de chômage, l’inflation, le taux d’intérêt réel ou encore la démographie. Un motif traditionnel d’épargne peut tout d’abord exister : l’épargne de précaution. Elle peut être captée au niveau macroéconomique par le taux de chômage ou ses variations (Challe et Ragot (2016)) : une hausse du chômage accroît le risque de perte de revenu futur et incite donc à épargner davantage. Reste toutefois la question de savoir si ce canal demeure dominant aujourd’hui, ou si l’épargne de précaution transite désormais par d’autres mécanismes.

L’effet de l’inflation sur la consommation est en revanche indéterminé : d’un côté, la hausse des prix peut inciter les ménages à consommer rapidement plutôt qu’à conserver leur argent ; de l’autre, elle érode la valeur réelle des actifs financiers nominaux et peut donc pousser les ménages à épargner pour maintenir le pouvoir d’achat de leur patrimoine. Empiriquement, le second effet (l’effet d’encaisses réelles) domine. On observe un impact, soit positif soit non significatif, de l’inflation sur le taux d’épargne (voir Rocher et Stierle (2015), pour une revue de la littérature).

L’impact des taux d’intérêt réels sur la consommation est lui-aussi ambigu. Par un effet de substitution, un taux d’intérêt réel plus élevé incite les ménages à moins consommer et épargner davantage, car l’épargne est mieux rémunérée et car la hausse du taux d’intérêt entraine une hausse du coût des crédits à la consommation. Mais un taux d’intérêt réel plus élevé peut aussi créer un effet revenu, qui peut induire une hausse de la consommation courante. Rocher et Stierle (2015) montrent que la littérature aboutit le plus souvent à un impact non significatif du taux d’intérêt réel sur le taux d’épargne, bien que certaines études rapportent des effets positifs ou négatifs.

Enfin, le taux d’épargne peut dépendre d’effets démographiques. D’après la théorie du cycle de vie (Modigliani et Ando (1963)), il serait négatif en début et en fin de vie, et positif durant la période d’activité. Les données de la comptabilité nationale confirment cette hétérogénéité selon l’âge : en 2022, le taux d’épargne nette s’élève à 4 % pour les 18-29 ans, autour de 10 % pour les 30-49 ans, 15 % pour les 50-65 ans et 8 % pour les plus de 65 ans (André et Buresi (2024)). Empiriquement, passer des effets individuels au niveau macroéconomique reste néanmoins un peu compliqué, en raison de faibles variations et des tendances. A cet égard, des estimations en panel peuvent être utiles, comme le font Antonin, Plane et Sampognaro (2017) qui montrent qu’une hausse du taux de dépendance des jeunes a un impact positif et significatif sur la consommation des ménages.

2 Modélisation du taux d’épargne avant la crise Covid

2.1 Spécification économétrique

Afin d’intégrer les déterminants traditionnels de la consommation exposés dans la section précédente, nous spécifions une fonction de consommation dynamique, que nous estimons sous la forme d’un modèle à correction d’erreur (MCE). L’effet de l’inflation est mesuré à partir de l’indice des prix à la consommation (IPC)3 ; à l’instar de Ludwig et Sløk (2002) nous utilisons un indice boursier (ici le SBF 2504 réel) comme proxy de la richesse financière ; l’impact du taux d’intérêt réel est testé via un taux d’intérêt réel « hybride » correspondant à la moyenne du taux d’intérêt Euribor à 3 mois et du taux OAT à 10 ans5 ; enfin l’épargne de précaution est captée par le taux de chômage. Toutes ces variables sont testées à la fois dans le long terme et dans le court terme.

3 L’inflation annuelle mesurée à partir du déflateur de la consommation plutôt que de l’IPC est aussi testée, mais elle ne ressort pas statistiquement significative dans l’estimation sur la période 1991-2019, et diminue la significativité de la force de rappel dans l’estimation sur la période 1991-2023.

4 Le SBF 250 comprend les 250 plus importantes capitalisations boursières du marché français. Il a été remplacé en 2011 par le CAC All Tradable qui regroupe toutes les sociétés dont au moins 20 % du capital flottant change de mains chaque année. Nous le privilégions dans l’équation de consommation par rapport au CAC 40 car il est plus large et donc plus représentatif de la richesse financière globale détenue par les résidents.

5 Ce choix vise à tenir compte de la sensibilité de la consommation des ménages aux variations des taux d’intérêt, tant à court terme qu’à long terme. Différentes pondérations ont été testées, montrant des résultats globalement stables et des relations concaves entre la pondération et à la fois le R² ajusté et la significativité de la force de rappel, justifiant le choix d’une moyenne 50 % taux court/50 % taux long.

6 Les revenus de la propriété correspondent aux intérêts nets reçus + dividendes + autres revenus nets (revenus distribués aux assurés, loyers des terrains). Ils ne contiennent pas les revenus de la propriété immobilière (loyers).

Outre les déterminants traditionnels de la consommation, nous introduisons également un effet de structure de revenu dans l’équation, via des variables de part des revenus de la propriété6 et de part de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entrepreneurs individuels (EI) dans le RDB, à l’instar de Ouvrard et Thubin (2020) ou Bonnet et Poncet (2004). L’idée est que les différentes composantes du revenu des ménages ne sont pas épargnées dans les mêmes proportions. En particulier, la propension marginale à consommer les revenus financiers serait plus faible que pour les autres types de revenu. D’autant que les différentes composantes du revenu sont réparties de manière inégale entre les ménages (Beatriz, Billot et Laboureau (2019)), qui ont eux-mêmes des propensions marginales à consommer différentes. Une hausse de la part des revenus du patrimoine financier dans le RDB peut ainsi se traduire par une hausse des revenus des ménages les plus aisés, qui épargnent davantage.

Finalement, nous retenons notre spécification préférée, de sorte à avoir une relation de cointégration statistiquement significative, des coefficients conformes à la théorie macroéconomique et des résidus aux propriétés satisfaisantes. Conformément au modèle théorique, le RDB réel détermine à long-terme la consommation en volume avec une élasticité unitaire. A long terme, le taux de consommation (et donc le taux d’épargne) dépend de la structure du revenu — plus particulièrement de la part des revenus de la propriété et de la part de l’EBE des EI dans le RDB — des effets d’encaisses réelles et des effets de richesse financière. A court terme interviennent la variation du pouvoir d’achat, les variations du taux de chômage retardé, les variations du taux d’intérêt réel retardé et les variations de l’indice boursier.

L’équation est tout d’abord estimée sur la période d’avant crise sanitaire, entre 1991 et 2019, en une étape. La spécification économétrique ainsi retenue est la suivante :

\[ \small \begin{aligned} \Delta \log(C_t) = & - \lambda \big[\log(C_{t-1}) - \log(RDBR_{t-1}) - \beta_1 d4\_rdb_{t-1} \\ & - \beta_2 b2\_rdb_{t-1} - \beta_3 \pi_{t-1} - \beta_4 \log(SBF250r_{t-1}) \big] \\ & + \alpha_1 \Delta \log(RDBR_t) + \alpha_2 \Delta U_{t-2} + \alpha_3 \Delta R_{t-2} \\ & + \alpha_4 \Delta \log(SBF250r_{t-1}) + PAC + \alpha_0 + \epsilon_t \end{aligned} \tag{1}\]

Où : \(C\) représente la consommation en volume, \(RDBR\) le revenu disponible brut réel (déflaté par le déflateur de la consommation), \(d4\_rdb\) la part des revenus de la propriété dans le RDB, \(b2\_rdb\) la part de l’EBE des EI dans le RDB, \(SBF250r\) l’indice boursier SBF 250 réel (déflaté par le déflateur de la consommation), \(\pi\) l’inflation annuelle (mesurée par l’IPC), \(U\) le taux de chômage, \(R\) le taux d’intérêt réel « hybride » (moyenne du taux d’intérêt Euribor à 3 mois et du taux OAT à 10 ans, déflaté par le déflateur de la consommation), \(PAC\) des indicatrices de sortie de prime à la casse7.

7 Des indicatrices sont incluses aux dates suivantes : en 1995T2 pour la fin de la « Balladurette », en 1996T3 pour la fin de la « Juppette », en 2011T2 pour la fin de la prime « Fillon ». Une indicatrice est également ajoutée en 1999T3.

2.2 Résultats de l’estimation de l’équation de consommation

Les résultats sont présentés dans la première colonne du tableau 1. La relation de cointégration est significative : la force de rappel, qui indique la vitesse de retour à l’équilibre de long terme, est bien significative au sens de Ericsson et MacKinnon (2002) et négative. La part des revenus de la propriété dans le RDB présente un coefficient négatif et élevé : cela suggère qu’une augmentation du poids des revenus du patrimoine financier réduit le taux de consommation des ménages, ou, symétriquement, accroît leur taux d’épargne. À l’inverse, une hausse de la part de l’EBE des EI est associée à une augmentation du taux de consommation, donc à une baisse du taux d’épargne. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Bonnet et Poncet (2004), de Bardaji, Lequien et Poissonnier (2014), ainsi que de Ouvrard et Thubin (2020), ces derniers interprétant le coefficient positif de la part de l’EBE des EI par le fait que les travailleurs indépendants (par exemple les exploitants agricoles) font face à des contraintes financières plus fortes qui limitent leur capacité d’épargne. L’estimation met également en évidence un impact négatif de l’inflation sur la consommation, qui traduit la présence d’un effet d’encaisses réelles en France : une hausse de l’inflation incite les ménages à épargner pour compenser la perte de valeur réelle de leur patrimoine. Par ailleurs, des effets de richesse financière significatifs sont observés à la fois à long et à court terme : le niveau et la variation de l’indice boursier SBF 250 réel influencent positivement la consommation des ménages. En revanche, aucun effet significatif n’est trouvé pour la richesse immobilière, testée à partir des prix de l’immobilier — ce résultat est conforme avec celui d’Antonin, Plane et Sampognaro (2017) dans leurs estimations post-crise financière mais pas avec celui de Heyer et Timbeau (2006)8.

8 Selon Buiter (2010), il existe un effet de richesse résultant d’une variation des prix immobiliers uniquement si elle reflète une variation de la bulle spéculative des prix de l’immobilier (et pas si elle reflète une variation de la valeur fondamentale).

Si à long-terme la consommation en volume est indexée unitairement sur le revenu réel, à court terme, les chocs positifs de pouvoir d’achat se traduisent d’abord par une augmentation transitoire de l’épargne, car il existe un délai entre un choc sur le revenu et sa transmission à la consommation. Ainsi, quand le RDB réel augmente de 1 %, la consommation augmente de 0,18 % à court terme. Notre estimation suggère également l’existence d’un motif d’épargne de précaution à court terme, la variation du taux de chômage retardée de deux trimestres ayant un effet négatif sur la consommation, bien que faiblement significatif. Enfin, le coefficient associé à la variation du taux d’intérêt réel « hybride » retardé de deux trimestres est significatif et négatif : l’effet substitution domine, lorsque les taux d’intérêt réel augmentent, les ménages réduisent leur consommation à court terme et augmentent leur épargne car elle est davantage rémunérée. De plus, un niveau élevé des taux d’intérêt freine la consommation des ménages en limitant leur accès au crédit, ce qui renforce la contrainte de liquidité.

L’existence d’effets ricardiens a été testée, en mobilisant plusieurs variables décrivant l’état des finances publiques : solde public en pourcentage du PIB, dette publique ou solde public structurel, mais, à l’instar d’une partie de la littérature empirique, aucun impact significatif sur la consommation des ménages n’a été trouvé dans le cas français (tableau 2 en annexe). Par ailleurs, nous avons également testé d’inclure des variables démographiques (ratio de dépendance des jeunes, ratio de dépendance des personnes âgées, ou encore part des différentes classes d’âge dans la population), mais les résultats obtenus n’étaient pas suffisamment robustes pour être retenus dans nos estimations en séries temporelles.

Les propriétés statistiques de l’équation sont satisfaisantes. Les tests de dépendance sérielle (LM) et d’hétéroscédasticité conditionnelle (ARCH) ne montrent pas de signes de problèmes d’autocorrélation des résidus ou de volatilité conditionnelle significative. Le test de normalité des résidus (Bera-Jarque) indique que la normalité n’est pas rejetée.

2.3 Simulation dynamique du taux d’épargne

Ce modèle est ensuite utilisé pour simuler la consommation, et par suite, en la rapportant au revenu9, le taux d’épargne (graphique 1). La simulation dynamique montre que le modèle capture bien les comportements d’épargne des ménages sur la période 1991-2019, sur laquelle l’équation a dans un premier temps été estimée. En revanche, durant la crise Covid, l’équation sous-estime nettement le taux d’épargne : la consommation a été contrainte par les confinements tandis que les revenus du travail ont été préservés, générant ainsi une forte sur-épargne. Fin 2021 puis en 2022 et 2023, dans un contexte de forte inflation, l’équation peine toujours à reproduire le taux d’épargne observé. L’écart entre les valeurs simulées et observées se réduit toutefois progressivement à partir de la mi-2023 et jusqu’au troisième trimestre 2024. Mais depuis la fin de l’année 2024, l’équation recommence à sous-estimer le taux d’épargne. Au total, sur la période allant du premier trimestre 2020 au troisième trimestre 2025, l’écart entre l’épargne observée et l’épargne simulée (coloré en bleu), assimilable à une première estimation de la « sur-épargne », atteint 14,5 points de revenu annuel, soit près de 230 milliards d’euros courants. Ces constats soulignent la nécessité de réestimer l’équation, voire d’enrichir la spécification par de nouvelles variables, afin d’améliorer la capacité du modèle à rendre compte des comportements récents d’épargne.

9 Et en ajoutant l’ajustement pour variation des droits à pension.

Graphique 1. Simulation dynamique du taux d’épargne

3 Après la crise Covid : la nécessité d’une nouvelle équation de consommation

3.1 Des changements dans les déterminants du taux d’épargne

On l’a vu, l’équation de consommation estimée sur la période 1991-2019 ne parvient pas à expliquer le niveau élevé du taux d’épargne depuis la fin de la crise sanitaire. Ce décrochage intervient alors même que plusieurs déterminants de l’équation ont connu des évolutions particulièrement marquées depuis fin 2019 (graphique 2), comme le soulignent Cupillard, Iasoni et Simcic (2024).

Lors de la crise Covid, les déterminants traditionnels de l’équation ne fonctionnent pas car le comportement de consommation des ménages a été contraint par les confinements. Le maintien des revenus du travail, combiné à l’impossibilité de consommer normalement, ont entrainé une accumulation inédite d’épargne en grande partie « forcée ». Pour tenir compte de ce contexte particulier, il est donc nécessaire d’ajouter des indicatrices sur cette période dans l’estimation du taux d’épargne.

A partir de fin 2021, puis en 2022 et 2023, l’inflation s’est fortement accrue, à la suite de la forte reprise post-Covid puis de l’invasion de l’Ukraine par la Russie : en 2022, l’inflation mesurée par l’IPC était de 5,2 % en moyenne et de 4,9 % en 2023. Cette inflation accrue a fait chuter la valeur réelle de l’encours de patrimoine financier sous son niveau de fin 2019 (voir Jullien de Pommerol et al. (2024)). Ensuite, les taux d’intérêt ont nettement augmenté à partir de 2022, y compris en termes réels depuis 2024. Le taux Euribor à 3 mois, qui était de -0,6 % en janvier 2022, a atteint 3,9 % en décembre 2023 avant de diminuer progressivement, tandis que le taux OAT à 10 ans est passé de 0,3 % en janvier 2022 à 3,0 % en juillet 2023. Cela s’est traduit par un renchérissement du coût des crédits à la consommation, avec des taux en hausse de 3,6 % en janvier 2022 à 6,5 % en janvier 2024. Enfin, depuis 2021, la hausse du RDB réel est beaucoup portée par les revenus de la propriété : leur part dans le RDB a augmenté de 6,1 % fin 2019 à 8,1 % fin 2024.

Toutefois, ces variations sont déjà intégrées dans la simulation et l’équation de consommation ne parvient malgré tout pas à reproduire les dynamiques récentes. Cela suggère que la sensibilité de la consommation à ses déterminants a été modifiée depuis la crise sanitaire. Cette instabilité des paramètres pourrait traduire un changement dans les comportements des ménages, qui semble visible dans les enquêtes de conjoncture : le solde d’opinion relatif à l’opportunité d’épargner par exemple reste depuis mi-2020 bien au-dessus de sa moyenne de longue période10. Une nouvelle estimation de l’équation apparaît donc nécessaire pour expliquer les évolutions de la consommation et le maintien d’un taux d’épargne élevé.

10 Voir Insee.

Graphique 2. Evolution des principaux déterminants du taux d’épargne depuis fin 2019

3.2 Résultats de la réestimation de l’équation de consommation

Nous estimons ainsi l’équation sur la période 1991-202311. La spécification économétrique retenue reprend les mêmes variables que précédemment, avec en plus l’ajout de termes retardés de la variation de la consommation, désormais significatifs sur cette période, ainsi que des indicatrices pour la période de la crise Covid12 :

11 Nous estimons l’équation jusqu’en 2023T4 pour travailler sur les comptes nationaux semi-définitifs et ainsi éviter les révisions de données.

12 Sept indicatrices pour la crise Covid sont inclues entre 2020T1 et 2021T3. Les indicatrices entre 2020T1 et 2021T2 se justifient par les trois confinements (du 17 mars au 11 mai 2020, du 30 octobre au 15 décembre 2020, et du 3 avril au 3 mai 2021) et celle en 2021T3 par le rebond de consommation dû au déconfinement.

\[ \small \begin{aligned} \Delta \log(C_t) = & - \lambda \big[\log(C_{t-1}) - \log(RDBR_{t-1}) - \beta_1 d4\_rdb_{t-1} \\ & - \beta_2 b2\_rdb_{t-1} - \beta_3 \pi_{t-1} - \beta_4 \log(SBF250r_{t-1}) \big] \\ & + \alpha_1 \Delta \log(RDBR_t) + \alpha_2 \Delta U_{t-2} + \alpha_3 \Delta R_{t-2} \\ & + \alpha_4 \Delta \log(SBF250r_{t-1}) + \alpha_5 \Delta \log(C_{t-1}) \\ & + \alpha_6 \Delta \log(C_{t-2}) + PAC + Covid + \alpha_0 + \epsilon_t \end{aligned} \tag{2}\]

Les résultats de la réestimation sont présentés dans la deuxième colonne du tableau 1. La force de rappel reste significative d’après les tables de Ericsson et MacKinnon (2002), mais elle a légèrement diminué, passant de -0,26 à -0,22, ce qui indique un ajustement un peu moins rapide de la consommation des ménages vers son niveau d’équilibre de long terme. Par rapport à l’estimation jusqu’à fin 2019, le coefficient associé à la part des revenus de la propriété dans le RDB a augmenté en valeur absolue, de -0,89 à -0,99 : une hausse des revenus de la propriété augmente plus fortement le taux d’épargne que précédemment. Si la part des revenus de la propriété dans le RDB augmente de 1 point de pourcentage, le taux de consommation diminue de 0,99 point de revenu : à long terme, la propension marginale à épargner ces revenus est de près de 100 %. De façon opposée, l’effet à la baisse du poids de l’EBE des EI est lui aussi plus fort. Les effets de richesse financière à long terme sont également légèrement plus prononcés : à long-terme, une hausse de 1 % de l’indice SBF 250 réel augmente la consommation en volume de 0,02 % (contre 0,01 % précédemment). Enfin, le coefficient de l’inflation est passé de -0,57 à -0,77, ce qui traduit un effet d’encaisses réelles plus marqué avec la crise inflationniste. L’estimation récursive des coefficients de long-terme est présentée en annexe (graphique 7). De nouveau, les effets ricardiens sont testés mais restent non significatifs (tableau 2 en annexe).

À court terme, une hausse de 1 % du RDB réel entraîne désormais une augmentation de 0,23 % de la consommation. Le motif d’épargne de précaution reste de même ampleur. De même, le coefficient associé au taux d’intérêt réel a peu varié. Enfin, la dynamique passée de la consommation à court terme influence désormais la consommation actuelle.

Les propriétés statistiques de l’équation restent satisfaisantes. D’après les tests LM, on ne rejette pas l’hypothèse nulle d’absence d’autocorrélation des résidus. Il n’existe également aucune preuve statistiquement significative d’hétéroscédasticité conditionnelle de type ARCH. Enfin, le test de Jarque-Berra nous conduit à ne pas rejeter la normalité des résidus.

Tableau 1. Résultats des estimations de l’équation de consommation
Fin: 2019T4 Fin: 2023T4 Fin: 2025T3 Fin: 2025T3 +incertitude
Force de rappel et constante
Constante -0,06***
(-4,82)
-0,06***
(-4,79)
-0,05***
(-4,21)
-0,04***
(-3,05)
Force de rappel -0,26***
(-5,19)
-0,22**
(-4,67)
-0,18
(-4,09)
-0,20*
(-4,51)
Coefficients de long-terme
\(\log(RDBR_{t-1})\) 1
(c)
1
(c)
1
(c)
1
(c)
\(d4\_rdb_{t-1}\) -0,89***
(-2,65)
-0,99**
(-2,45)
-1,39***
(-2,78)
-1,40***
(-3,13)
\(b2\_rdb_{t-1}\) 0,98***
(4,57)
1,31***
(4,92)
1,62***
(4,90)
1,00***
(2,78)
\(\pi_{t-1}\) -0,57**
(-2,48)
-0,76***
(-4,33)
-0,75***
(-3,62)
-0,64***
(-3,49)
\(\log(SBF250r_{t-1})\) 0,01**
(2,20)
0,02***
(2,91)
0,02***
(2,67)
0,02**
(2,15)
\(incertitude_{t-1}\) - - - -0,01**
(-2,05)
Coefficients de court-terme
\(\Delta \log(RDBR_t)\) 0,17**
(2,41)
0,23***
(3,28)
0,22***
(3,19)
0,22***
(3,23)
\(\Delta U_{t-2}\) -0,40**
(-2,08)
-0,43**
(-2,19)
-0,40**
(-2,08)
-0,43**
(-2,26)
\(\Delta R_{t-2}\) -0,19**
(-2,27)
-0,20**
(-2,44)
-0,20**
(-2,62)
-0,20***
(-2,66)
\(\Delta \log(SBF250r_{t-1})\) 0,01**
(2,54)
0,01***
(2,72)
0,01**
(2,52)
0,01**
(2,04)
\(\Delta \log(C_{t-1})\) - -0,14**
(-2,31)
-0,13**
(-2,22)
-0,14**
(-2,43)
\(\Delta \log(C_{t-2})\) - -0,22***
(-3,80)
-0,20***
(-3,45)
-0,21***
(-3,70)
Statistiques
Période d’estimation 1991T3-2019T4 1991T3-2023T4 1991T3-2025T3 1991T3-2025T3
R2-adj 0,48 0,96 0,95 0,96
Jarque-Bera 1,40
[p=0,50]
0,64
[p=0,73]
0,53
[p=0,77]
0,57
[p=0,75]
LM1 0,02
[p=0,88]
1,08
[p=0,30]
1,08
[p=0,30]
0,98
[p=0,32]
LM4 2,96
[p=0,56]
8,02
[p=0,09]
8,02
[p=0,09]
8,72
[p=0,07]
ARCH1 2,05
[p=0,73]
3,95
[p=0,41]
3,39
[p=0,50]
3,52
[p=0,48]
Notes : P-value : *** p<0.01, ** p<0.05, * p<0.1. Statistique du t de Student entre parenthèses. Les tables de Ericsson et MacKinnon (2002) sont utilisées pour la force de rappel. Les coefficients de long-terme affichés sont les coefficients estimés en une étape divisés par -force de rappel.
Sources : Insee, prévision OFCE octobre 2025

3.3 Contributions à l’écart du taux d’épargne par rapport à fin 2019

Au troisième trimestre 2025, le taux d’épargne des ménages est encore 3,4 points de revenu au-dessus de son niveau fin 2019 : il atteint 18,4 % du RDB après 18,7 % au trimestre précédent13, tandis qu’il était de 15 % du RDB au quatrième trimestre 2019. Grâce à notre équation réestimée, nous pouvons décomposer et expliquer cette évolution du taux d’épargne (graphique 3).

13 Ces chiffres ne sont pas définitifs et peuvent encore être révisés.

Une première explication tient à l’épisode d’inflation élevée de 2022 et 2023 : la hausse générale des prix a réduit la valeur réelle du patrimoine financier des ménages, les incitant à épargner davantage afin de compenser cette « taxe inflationniste ». Ainsi, fin 2023, l’inflation expliquait 1,9 point de hausse du taux d’épargne par rapport à fin 2019. Sa contribution diminue depuis 2024 avec le reflux de l’inflation.

Parallèlement, l’augmentation des taux d’intérêt à partir de 2022 a pu freiner la consommation, en renchérissant le coût des crédits à la consommation. Mais en termes réels, les taux d’intérêt n’ont augmenté qu’à partir de 2024 : ils ne contribuent donc à la hausse du taux d’épargne qu’à partir de cette date. Mi-2025, le taux d’intérêt réel « hybride » (moyenne des taux à 3 mois et à 10 ans) expliquait environ 0,5 point de hausse du taux d’épargne par rapport à son niveau pré-Covid — un résultat qui pourrait aussi résulter d’un effet de substitution dans l’arbitrage consommation/épargne, l’épargne étant davantage rémunérée.

Les gains de pouvoir d’achat au niveau macroéconomique ont également soutenu la hausse du taux d’épargne. En effet, si à long-terme l’élasticité de la consommation au revenu est égale à 1, à court terme il existe un délai entre un choc sur le revenu et sa transmission à la consommation, qui se traduit d’abord par une hausse transitoire de l’épargne. Au troisième trimestre 2025, le RDB réel est 7,5 % au-dessus de son niveau pré-Covid.

Enfin, les effets de structure des revenus ont favorisé l’augmentation du taux d’épargne depuis 2019. En particulier, les revenus financiers sont proportionnellement plus épargnés que les autres types de revenus, si bien que la hausse de la part des revenus du patrimoine financier dans le RDB contribue au troisième trimestre 2025 à hauteur de 1,4 point de revenu à la hausse du taux d’épargne par rapport à son niveau d’avant crise sanitaire.

Ainsi, la simulation dynamique de l’équation estimée sur la période 1991-2023 parvient à mieux reproduire le comportement d’épargne des ménages sur la période récente, notamment lors de la crise inflationniste (graphique 4). En revanche, comme dans l’estimation précédente — bien que de manière plus atténuée — un écart entre le taux d’épargne observé et le taux d’épargne simulé réapparait à partir de 2025. Cet écart, qui coïncide avec la montée de l’instabilité politique consécutive à la dissolution de l’Assemblée nationale et à la censure du budget, pourrait s’expliquer par une hausse de l’incertitude.

Graphique 3. Contributions à l’évolution du taux d’épargne par rapport au T4 2019
Graphique 4. Simulation dynamique du taux d’épargne

3.4 Un nouveau facteur depuis fin 2024 : l’incertitude

3.4.1 Réestimation de l’équation de consommation

Pour tenter de réduire l’écart entre le taux d’épargne observé et simulé apparu en 2025, nous réestimons l’équation 2 sur l’ensemble des données disponibles, jusqu’au troisième trimestre 2025, dans un premier temps sans introduire de nouvelle variable explicative. Cette réestimation met en évidence une dégradation de l’équation : en particulier, le coefficient de la force de rappel n’est plus significatif, suggérant une perte de relation de cointégration entre la consommation et ses déterminants traditionnels (troisième colonne du tableau 1). Les résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence, car les dernières observations reposent sur des comptes provisoires susceptibles d’être révisés.

Cette dégradation de l’équation pourrait également refléter l’apparition d’un nouveau facteur influençant le comportement de consommation des ménages. En effet, le résidu positif croissant qui apparaît en 2025, dans un contexte de forte instabilité politique, suggère que l’incertitude pourrait jouer un rôle particulier sur la période récente. Pour tester cette hypothèse, nous réestimons l’équation sur la période 1991-2025T3 en y ajoutant l’indice d’incertitude politique nationale de Baker, Bloom et Davis (2016). La variable est testée à long et court terme, mais n’est significative que dans le long-terme. La spécification économétrique retenue est la suivante :

\[ \small \begin{aligned} \Delta \log(C_t) = & - \lambda \big[\log(C_{t-1}) - \log(RDBR_{t-1}) - \beta_1 d4\_rdb_{t-1} \\ & - \beta_2 b2\_rdb_{t-1} - \beta_3 \pi_{t-1} - \beta_4 \log(SBF250r_{t-1}) \\ & - \beta_5 EPU_{t-1} \big] + \alpha_1 \Delta \log(RDBR_t) + \alpha_2 \Delta U_{t-2} \\ & + \alpha_3 \Delta R_{t-2} + \alpha_4 \Delta \log(SBF250r_{t-1}) + \alpha_5 \Delta \log(C_{t-1}) \\ & + \alpha_6 \Delta \log(C_{t-2}) + PAC + Covid + \alpha_0 + \epsilon_t \end{aligned} \tag{3}\]

\(EPU\) représente l’indice d’incertitude de politique nationale de Baker, Bloom et Davis (2016) centré réduit14.

14 Pour plus d’information, voir la section « Incertitude politique » de la prévision octobre 2025.

Les résultats, présentés dans la quatrième colonne du tableau 1, montrent que le coefficient associé à l’indice d’incertitude politique est significatif au seuil de 5 % et de signe négatif : une hausse de l’incertitude politique est associée à une réduction de la consommation des ménages et une hausse de l’épargne. Surtout, l’introduction de cette variable permet de restaurer la significativité de la relation de cointégration au seuil de 10 % et d’améliorer la qualité globale de l’estimation. La dégradation observée dans l’estimation sans incertitude jusqu’au troisième trimestre 2025 pourrait ainsi refléter l’omission d’un facteur désormais structurant. D’autant que la significativité de l’indice semble se renforcer avec l’ajout des données les plus récentes, ce qui suggère un rôle croissant de l’incertitude dans la dynamique de consommation.

Du côté des autres déterminants de long-terme, l’effet du poids des revenus du patrimoine financier ressort plus marqué lorsque l’estimation est étendue à 1991-2025. À l’inverse, les impacts du poids de l’EBE des EI et de l’inflation apparaissent plus faibles que dans l’estimation arrêtée en 2023. Ces évolutions des paramètres doivent toutefois être interprétées avec précaution, puisqu’elles reposent en partie sur des données susceptibles d’être révisées.

Avec cette équation réestimée et incluant l’indice d’incertitude politique, la simulation dynamique du taux d’épargne est désormais très proche de l’observé, y compris depuis fin 2024 : le résidu au troisième trimestre 2025 est passé de 1,3 % à 0,4 % (graphique 5).

Graphique 5. Simulation dynamique du taux d’épargne

3.4.2 Impact de la hausse de l’incertitude sur le taux d’épargne

Depuis fin 2019 : Par rapport aux estimations jusqu’en 2023, on note quelques évolutions dans les contributions à la hausse du taux d’épargne depuis fin 2019 (graphique 8 en annexe). Mi-2025, 1,8 point de revenu de la hausse du taux d’épargne serait attribuable à la progression des revenus du patrimoine financier, contre 1,3 point auparavant. À l’inverse, l’inflation en expliquerait 0,8 point de revenu, légèrement moins que les 0,9 point précédemment estimés. Surtout, l’incertitude contribuerait pour 0,6 point de revenu au deuxième trimestre et 0,8 point de revenu au troisième trimestre 2025 à la hausse du taux d’épargne par rapport à la période pré-Covid, confirmant que les ménages ont épargné davantage face à la montée de l’instabilité politique. Il s’agit d’une nouvelle forme d’épargne de précaution qui n’est pas directement liée aux évolutions du marché du travail.

Depuis la dissolution : Nous pouvons finalement simuler l’évolution du taux d’épargne dans un scénario où l’indice d’incertitude politique se serait maintenu à son niveau du deuxième trimestre 2024, au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. On estime que s’il n’y avait pas eu de hausse de l’incertitude depuis le deuxième trimestre 2024, le taux d’épargne serait inférieur de 0,4 point de revenu au deuxième trimestre 2025 et de 0,6 point de revenu au troisième trimestre 2025 (graphique 6). Ces résultats pourraient toutefois évoluer en cas de révision des comptes et à mesure que de nouvelles données intégrant une incertitude politique élevée seront disponibles.

Graphique 6. Impact de la hausse de l’incertitude sur le taux d’épargne

4 Conclusion

Depuis la crise Covid, le comportement d’épargne des ménages français a été modifié et le taux d’épargne n’est jamais revenu à son niveau d’avant-crise. L’équation de consommation estimée sur la période pré-Covid sous-estime le taux d’épargne observé depuis la fin de la crise sanitaire, rendant nécessaire sa réestimation. Nos résultats montrent que la hausse du taux d’épargne par rapport à fin 2019 s’explique principalement par les augmentations du poids des revenus du patrimoine financier et de l’inflation, et, à partir de 2024, des taux d’intérêt réel. Cependant, depuis début 2025, un écart apparaît entre le taux d’épargne observé et simulé, révélant l’influence d’un facteur supplémentaire : l’incertitude politique. Si elle était restée au niveau du deuxième trimestre 2024, nous estimons que le taux d’épargne serait aujourd’hui inférieur de 0,6 point. Malgré cela, nous anticipons une poursuite de la baisse du taux d’épargne amorcée au troisième trimestre 2025, sous l’effet de la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt, ainsi que de la diminution du poids des revenus du patrimoine financier dans le RDB.

Références bibliographiques

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Annexes

Estimation de l’effet ricardien

Cette annexe teste la présence d’effets ricardiens pour les périodes 1991-2019 et 1991-2023, en ajoutant à la spécification préférée le solde public en pourcentage du PIB et la dette publique en pourcentage du PIB.

Tableau 2. Résultats des estimations avec effets ricardiens
Fin: 2019T4 (1) Fin: 2019T4 (2) Fin: 2023T4 (1) Fin: 2023T4 (2)
Force de rappel et constante
Constante -0,05***
(-3,77)
-0,02
(-1,00)
-0,06***
(-4,04)
-0,04
(-1,52)
Force de rappel -0,30**
(-5,05)
-0,28***
(-5,47)
-0,24
(-4,16)
-0,24**
(-4,76)
Coefficients de long-terme
\(\log(RDBR_{t-1})\) 1
(c)
1
(c)
1
(c)
1
(c)
\(d4\_rdb_{t-1}\) -0,69**
(-2,24)
-1,02***
(-3,08)
-0,86**
(-2,22)
-1,10***
(-2,71)
\(b2\_rdb_{t-1}\) 0,74***
(3,39)
0,02
(0,03)
1,12***
(3,86)
0,43
(0,61)
\(\pi_{t-1}\) -0,59***
(-2,72)
-0,57***
(-2,67)
-0,73***
(-4,29)
-0,67***
(-4,17)
\(\log(SBF250r_{t-1})\) 0,00
(0,65)
0,02***
(2,73)
0,02
(1,63)
0,02***
(3,11)
\(solde\_public_{t-1}\) -0,19
(-1,13)
- -0,12
(-0,55)
-
\(dette\_publique_{t-1}\) - -0,00
(-1,61)
- -0,00
(-1,15)
Coefficients de court-terme
\(\Delta \log(RDBR_t)\) 0,18**
(2,46)
0,20***
(2,69)
0,23***
(3,31)
0,24***
(3,46)
\(\Delta U_{t-2}\) -0,35*
(-1,78)
-0,37*
(-1,95)
-0,40**
(-2,02)
-0,42**
(-2,15)
\(\Delta R_{t-2}\) -0,21**
(-2,48)
-0,22**
(-2,59)
-0,21**
(-2,49)
-0,23***
(-2,64)
\(\Delta \log(SBF250r_{t-1})\) 0,01***
(2,66)
0,01**
(2,57)
0,01***
(2,76)
0,01***
(2,77)
\(\Delta \log(C_{t-1})\) - - -0,13**
(-2,26)
-0,12**
(-2,07)
\(\Delta \log(C_{t-2})\) - - -0,22***
(-3,81)
-0,22***
(-3,76)
Statistiques
Période d’estimation 1991T3-2019T4 1991T3-2019T4 1991T3-2023T4 1991T3-2023T4
R2-adj 0,48 0,49 0,96 0,96
Jarque-Bera 0,70
[p=0,71]
2,72
[p=0,26]
0,46
[p=0,80]
0,58
[p=0,75]
LM1 0,00
[p=0,94]
0,05
[p=0,83]
1,09
[p=0,30]
1,16
[p=0,28]
LM4 3,52
[p=0,48]
2,60
[p=0,63]
8,02
[p=0,09]
6,40
[p=0,17]
ARCH1 2,05
[p=0,73]
1,23
[p=0,87]
3,56
[p=0,47]
3,38
[p=0,50]
Notes : P-value : *** p<0.01, ** p<0.05, * p<0.1. Statistique du t de Student entre parenthèses. Les tables de Ericsson et MacKinnon (2002) sont utilisées pour la force de rappel. Les coefficients de long-terme affichés sont les coefficients estimés en une étape divisés par -force de rappel.
Sources : Insee, prévision OFCE octobre 2025

Estimation récursive

Cette annexe illustre l’estimation récursive des coefficients de long-terme de l’équation 2, pour une date de fin de période allant du T1 2015 au T3 2025 (et un début de période en 1991).

Graphique 7. Estimation récursive des coefficients de long-terme de l’équation (2)

Contributions à l’écart du taux d’épargne par rapport à fin 2019, avec incertitude

Cette annexe illustre les contributions à l’écart du taux d’épargne par rapport au T4 2019, simulée à partir de l’équation avec l’indice d’incertitude politique, estimée jusqu’en 2025 T3.

Graphique 8. Contributions à l’évolution du taux d’épargne par rapport au T4 2019